f VOYAGES DANS * LES DEUX S I C I L E S. iil 1 VOYAGES DANS LES DEUX SICILES ET DANS QUELQUES PARTIES DES APENNINS, Par Spall anzani , Professeur d’Histoire naturelle dans l7 université de Pavie. ! 'Traduits de V Italien par G . Toscan , Bibliothécaire du Muséum national dé Histoire naturelle de Paris > avec des notes du cit . Faujas-de-St.-Fond. TOME CINQUIÈME, A PARIS, Chez Maradan, Libraire , rue Pavée - André - des - Ares > n°. 16, AN VIII* VOYAGES DANS LES DEUX SICILES. - ^ . CHAPITRE XXXII. Fossiles et animaux des environs de Messine . Notices historiques et littéraires sur cette ville . Les collines qui environnent Messine dans la par» tie opposée à la mer sont composées de granit, lequel n’est, selon toute apparence , qu’une con- tinuation de celui de Melazzo. En sortant parla porte de 3 Legni , à la hauteur d’environ vingt pieds au-dessus du niveau de la mer, on ren- contre cette roche, qui s’étend en grandes mas- sés , et va former à l’ouest une pente rapide sur laquelle est bâtie une portion des murs antique^ de la ville. Les principes constituans de ce granit sont le quartz , le feld-spath et le mica. Celui-ci est de Tome V. A 2 V O Y A G JE S deux sortes : la première à feuilles membra- neuses , argentines , serai transparentes , appli- quées les unes contre les autres ; la seconde à écailles luisantes, brunes, opaques et solitaires. Le feld - spath , partie dominante , se montre sous une forme rhomboïdale ; sa couleur est d’un blanc bleuâtre; sa cassure brillante , lamelleuse, reluisante dans les angles. Il jette de vives et abondantes étincelles sous le briquet. Au feld- spath est étroitement uni le quartz , disposé en petites masses , grasses au toucher , resplendis- santes , semi-transparentes. Dans la création de ce granit, le feld-spath a été distribué de manière qu’en plusieurs endroits il forme des veines très-inégales, les unes de quel- ques lignes , les autres de plusieurs pieds d’épais- seur,qui courent dans des directions plus ou moins obliques , et quelquefois verticales à l’horizon. Ce feld-spath présente un phénomène que Ton a rarement occasion d’observer ; je veux parler de son altération. Tandis que les roches de ce genre se conservent pour la plupart in^ tactes, bien qu’elles soient exposées aux injures de l’air et à l’action des météores, les veines du granit en question se trouvent çà et là brisées en petits morceaux qui affectent la forme rhom- boïdale t et tombent en poussière dès qu'on les v? 1: 3 DANS LES DEUX SICILE S. presse entre les doigts. Mais pour bien voir les produits naturels de cette décomposition , il faut les chercher principalement sous les murs de la ville , dans les endroits où la chute de gros quartiers de granit qui leur servaient de fon- dement a laissé leur base comme suspendue en Fair. Au milieu du détritus des feld spaths, on découvre les grains du quartz , les micas , pres- que dans leur état d’intégrité. Cependant cette altération n’est qu’à la surface : si l’on casse le granit à un ou deux pieds de profondeur , on le trouve très-sain. En sortant de la ville par une autre porte, et avant d’arriver aux collines , on rencontre encore cette roche sur laquelle est bâti un petit faux- bourg j et une chose digne de remarque , c’est que les maisons dont les fondations étaient ap- puyées sur cette roche , ne furent point endom- magées par les derniers tremblemens de terre. Ensuite elle va se ramifiant dans les collines et les montagnes qui avoisinent Messine ; elle forme Antennamare, le mont le plus élevé des environs, où les Messinois font pendant l’hiver, leur provi- sion de neige pour l’été. Ce granit , tant au pied des collines qu’à leur sommet et sur la croupe des montagnes , s’élève çà et là en forme de bosse , présente des en- A 2 VOYAGES 4 tassemens irréguliers , tantôt groupés ensemble * tantôt interrompus par des bancs de sulfate de chaux et de carbonate calcaire : structure qui s’offre également dans le granit de Melazzo. Il est arrivé dans ces granits ce que j’avais déjà remarqué dans les sulfates de chaux qui gisent au pied des Apennins , en citant pour exemple les collines du Modénois , du Bolonois et de la Romagne , où ces sulfates ne sont point disposés par couches , mais où ils présentent des agîo- mérations diverses formées chacune d’un seul bloc. Au reste, j’aurais tort de prétendre qu’il n’y a dans le granit de Messine et de Melazzo aucunes couches bien prononcées 3 sur -tout après que Saussure a reconnu qu’il en existe dans tous les granits des Alpes ; il pourrait se faire qu’on en découvrît dans l’intérieur de celui dont nous par- lons, tandis qu’à la surface du sol, on ne le voit que sous la forme de grands blocs désunis, qui ne conservent aucun ordre entr’eux. Avant mon départ pour la Sicile , un homme qui me parut assez versé dans l’histoire naturelle, me parla à Naples du granit de Messine, et m’as- sura que j’y trouverais des corps marins pétrifiés, en m’indiquant le site même où s’offrait ce phé- DANS LES DEUX SICILE S. 5 nomène , le monastère do Saint-Esprit, à cinq milles de la ville , entre l’ouest et le sud-ouest. Vous verrez , me disait-il , dans le coin d’une chambre au rez-de-chaussée de cet édifice, une masse de granit qui communique en dehors avec celui de la montagne ; dans cette masse vous dé- couvrirez des dépouilles d’animaux marins , par- tie ensevelies dans l’intérieur, partie attachées à la surface. Si vous examinez le corps de roche granitique qui environne le monastère , vous y trouverez les mêmes dépouilles. — Je lui répon- dis que si ce granit était de première formation, le fait allégué m’étonnerait beaucoup , ne con- naissant aucun exemple que desemblables roches recelassent dans leur sein des testacées , ou au- tres productions de la mer 5 mais que mon éton- nement cesserait si ce granit était de seconde formation , c’est-à-dire , produit par les parties du granit primitif, décomposées et ensuite réu- nies par le moyen de l’eau. Je n’avais point oublié cette conversation , et mon premier soin , après avoir reconnu la qua- lité des roches granitiques de Messine , fut de me transporter au lieu indiqué, où, comme l’on pense bien , rien n’existait de semblable à ce qui m’avait été dit. Toutefois l’erreur était cachée sous une telle apparence de vérité , qu’elle pou- A 3 VOYAGES 6 vait faire illusion à des yeux peu exerces. Le bloc en question , ainsi que tout le granit qui environne le monastère du Saint-Esprit ,, est re- couvert d’une croûte de carbonate calcaire d’iné- gale épaisseur , pétrie , pour ainsi dire , de ma- drépores. En n’examinant que les places où cette croûte est mince et interrompue par des ger- çures qui mettent à découvert le granit , il est aisé de croire que les madrépores y reposent 5 d’ailleurs on en voit d’implantés dans les cre- vasses , dans les fentes du granit même : en faut il davantage pour se laisser induire en erreur ? Ayant fait rompre avec des pics les morceaux qui en imposaient le plus, je m’assurai que les madrépores n’avaient rien de commun avec le granit 5 que dans aucune circonstance ils n’étaient ni attachés immédiatement à sa surface, ni, moins encore , renfermés dans son sein , mais qu’ils se trouvaient toujours étroitement liés avec la croûte du carbonate calcaire. Cette croûte , qui s’étend sur beaucoup d’autres collines des environs de Messine , recouvre presque par-tout le granit , et elle contient d’ordinaire Une grande quantité de ces corps marins. Comme son épais- seur est quelquefois de deux ou trois pieds, et qu’elle est en même temps susceptible d’être taillée et de recevoir un certain poli , les Messi- nois en font usage pour leurs édifices \ aussi en DANS LES DEUX SICILE S. 7 ai-je apperçu un grand nombre de morceaux, les uns brisés , les autres entiers, en parcourant les ruines immenses de cette ville. Ce carbonate calcaire de couleur jaune tirant sur le rouge est du nombre des pierres dures de son genre ; ses surfaces sont égales , et ses cassures conchoïde$ à la manière des silex; il se dissout entièrement et avec effervescence dans l’acide nitrique; sa décomposition par l’acide sul- furique donne naissance à de très-beaux cristaux sélénitiques. Cette pierre s’étend , comme nous l’avons dit , sur le granit , et il est plus facile de la rompre que de l’en détacher. Les madrépores qu’elle contient sont d’une seule espèce, que l’on prendrait au premier coup- d’œil pour la turbinata de Linnée, ou la trochi- formis de Pallas. En effet , elle lui ressemble par la grosseur , par la figure , qui est celle d’un sabot, et quelquefois même par sa forme appîa- tie. Mais elle en diffère par des caractères essen- tiels : elle n’a qu’un petit creux en manière d’en- tonnoir dans sa partie supérieure ; elle est pé- dunculée et lisse à l’extérieur , tandis que celle de Linnée ou de Pallas présente à son sommet un hémisphère concave , est privée de pédun- cule , et marquée de stries le long du corps. Si l’on consulte ensuite les autres descriptions A 4 8 VOYAGES de ces deux auteurs qui ont le plus et le mieux écrit sur les madrépores , on n’en trouvera au- cune qui convienne à ceux dont je parle 5 d’où je conclus qu’ils constituent une espèce nouvelle, qui peut-être fait partie du nombre des espèces que Ton ne retrouve aujourd’hui que dans l’état de fossile : sa plus forte grosseur est de trois pouces et demi. Quant à la pétrification de ces madrépores , voici ce que j’ai observé. Dans les uns, les cavités entre les lames des étoiles sont remplies de carbo- nate calcaire, et ceux-là forment le plus grand nombre ; dans les autres, ces cavités n’ont reçu au- cune matière : tous sont environnés d’une écorce de l’épaisseur d’une demi -ligne , attachée à leur corps, ou plutôt incorporée avec eux. Cette écorce pénétrée par le gluten îapidifique cal- caire, s’est pétrifiée; mais la pétrification se rap- proche plus du spathique que du simple calcaire. En effet, elle est semi-transparente, un peu lu- cide; son grain est fin, et plus dur que celui de la croûte : même aspect dans les lames des étoiles et dans le péduncule. J’ai reconnu, par les moyens usités , que cette pétrification plus fine est pu- rement calcaire. Du reste on ne trouve aucun de ces madrépores, soit calciné, soit dans l’état na- turel : tous ont subi une véritable pétrification. DANS LES DEUX SICILE S. 9 Outre quelques camites et quelques tellinites mêles avec les madrépores dans le carbonate calcaire, j’y ai trouvé une espèce d’hélicite qui mérite d’être rappelée. Sa coquille blanche a au-dehors l’apparence d’une parfaite conserva- tion : elle est marquée de cinq cordons trans- versaux. Mais à peine on l’entame avec l’ongle, qu’elle se décompose subitement et s’en va en poussière impalpable , montrant par-là qu’elle a été calcinée. Le noyau, lisse à l’extérieur, est piqué de petites taches dentritiques; ses grandes volutes résultent du carbonate commun , et ses petites d’un spath transparent. Le nombre des madrépores est prodigieux dans cette roche coquillière qui s’étend à l’ouest et au sud de Messine ; pour en donner une idée , il suffît de dire que les murs de la ville , qui ont quatre milles de tour, en sont presqu’entièrement construits. Ce n’est pas tout : au sud-ouest, et à deux milles de distance de la même ville, on ren- contre une autre roche congénère, mais tendre, et presque pulvérulente , immense réceptacle de madrépores plus petits, d’espèces diverses, mais non susceptibles d’être caractérisés , à cause de leur désorganisation. Les Messinoîs s’en servent comme de la précédente pour faire de la chaux. On y voit plusieurs carrières ouvertes 10 VOYAGES pour cet usage. Je les ai parcourues , et j’en ai trouvé une qui pouvant offrir quelques objets d’instruction, mérite la peine d’être décrite. Elle existe au sommet d’une colline située au sud, et près des Cateratte. Là , dans un rocher taillé à pic, est une excavation profonde faite de main d’homme, et provenant de l’extraction delà pier- re, de nombreuses et larges fissures en sillonnent les parois 5 et ces fissures , parsemées de beaux cristaux spathiques , forment autant de géodes cristallisées. Les cristaux sont hérissés de pointes à la manière des oursins de mer 5 les plus grandes ont un pouce et demi de long, et chacune repré- sente une pyramide triangulaire très- effilée au sommet. Les eaux qui ont pénétré ce rocher étaient si surchargées de suc spathique, et le lieu si propre à sa cristallisation , qu'il n’est pas une cavité , pas une crevasse qui ne soit revêtue de quartz cristallisé. Bien que les madrépores de ce lieu aient été détériorés parle temps, ou peut-être par d’autres agens destructeurs, au point de ne plus offrir de caractères spécifiques par lesquels on puisse les distinguer comme espèces , ils sont cependant très-reconnaissable9 comme genre. Rien de plus ordinaire que d’en découvrir au-dedans et au- dehors de la carrière , des parcelles où les étoiles DANS LES DEUX SICILE S. II sont très-distinctes. Si Ton examine avec attention la terre qui les enveloppe , on s’apperçoit qu’elle n’est elle-même qu’un composé des débris de ces animaux marins. La colline entière et les autres collines adjacentes en sont pour ainsi dire for- mées. Et cependant, de tant de familles dont les dépouilles se sont accumulées sur les rivages de Messine , aucune , si l'on s’en rapporte aux pê- cheurs messinois , ne se retrouve dans la mer environnante. C’est là sans doute un phénomène difficile à expliquer, mais déjà observé par plus d’un na^ turaliste, que les analogues vivans des testacées et autres animaux marins , pétrifiés et fossiles , n’existent presque jamais dans la mer qui baigne les terres où on les trouve dans cet état. J’en ai donné moi-même deux exemples remarquables dans les Mémoires de la Société italienne , l’un tiré d’une espèce de peignes dont les dépouilles composent une chaîne de montagnes dans la ri- vière du couchant de Gênes $ l’autre, d’une es- pèce de tellinite qui forme toute une montagne dans le voisinage de Constantinople, quoique les mers de ces deux pays ne nous offrent plus de semblables êtres vivans. En descendant de la colline des Cateratte dans la vallée des Travidelle , on rencontre à fleur de 12 VOYAGES terre une veine de charbon fossile ayant quinze à vingt pieds de circonférence : peut-être va- t-elle en s’élargissant dans l’intérieur. Elle est encaissée dans un schiste argileux très-friable , qui dans un sens se divise en lames : c’est aussi dans ce sens que courent les filons du charbon. Les Messinois n’en ignorent pas l’existence, quoi- qu’ils n’aient jamais songé à l’exploiter 5 le bois du pays , celui qui leur vient de la Calabre, suffi- sent à leurs besoins et au-delà. Ce fossile promet peu à sa surface 3 mais l’ayant creusé d’un pied, je le trouvai de bonne qualité. Il est noir , com- pacte, lustré, solide , sans mélange d’autres subs- tances 3 lent à s’enflammer , il exhale d’abord une fumée désagréable , ensuite une flamme vive et réjouissante 3 il se convertit après en braise très- ardente qui conserve long-temps sa chaleur: finalement il se réduit en cendre de couleur de brique cuite. Si l’on creusait davantage dans la mine, la qualité en serait probablement meilleure. Sans doute une telle ressource n’est pas à dédai- gner 5 elle épargnerait aux habitans les frais du bois qu’ils tirent chaque année de la Calabre. Ce charbon fossile est divisible en lames de diverses grosseurs , et parmi ces lames , il se pré- sente souvent une petite curiosité naturelle : ce sont des cristallisations de sulfate de chaux à DANS LES DEUX SICILE S. l5 rayons tronqués obliquement, transparens, lui- sans, interposés dans le charbon. A la suite de ces courses sur les collines et les montagnes des environs de Messine, je fus con- duit par l’abbé Grano au bord de la mer, en face de la ville, pour y voir un phénomène plus réel que celui des madrépores existans dans le granit, je veux dire une pierre sablonneuse qui se forme dans les eaux, et se reproduit à mesure qu?on l’enlève. Fazello a fait mention de cette repro- duction 5 l’explication qu’il en a donnée se ressent du siècle où il a vécu. Saussure en a aussi parlé, et ce naturaliste a su en pénétrer la véritable cause. De nouvelles vues se sont ofFertes à moi: je vais les exposer à mon tour. Cette pierre ne se régénère jamais que sous l’eau ; c’est-là qu’on l’exploite pour la faire ser- vir principalement à des meules de moulin j quand les mineurs en ont enlevé un gros bloc , ils sont sûrs qu’une nouvelle pierre se formera à la même place : cette régénération se fait, non pas subitement , comme l’on pense bien , mais par succession de temps. Si au bout de trois ou quatre ans , on visite l’endroit qui a été miné , on s’apperçoit que le sable a acquis un premier degré de consistance , mais trop faible pour que le ciment qui en lie les grains résiste à la VOYAGES l4 pression du doigt : il lui faut dix à douze ans pour devenir solide , et trente pour jouir d’une grande dureté. Il y avait alors sur le bras de S.-Ranieri près la Lanterne , et presqu’en. face de Carybde, une meule de moulin d’un pied d’épaisseur sur six de diamètre , tirée d’un gros bloc de cette pierre qui gisait à peu de pro- fondeur dans l’eau. Je pris plusieurs éclats qui s’en étaient détachés pendant l’opération, et j’en Fis l’examen. Les parties constitutives sont des écailles de mica , quelques particules de schorls noirs cristallisés, de feld-spaths , et quantité de grains de quartz. Ces trois derniers élémens ont les angles émoussés et la figure orbiculaire , à cause du frottement qu’ils ont éprouvé dans la mer. La pierre étincelle quelque part qu’on la frappe avec l’acier. On dirait , au premier aspect , que ces parties constitutives ne sont si étroitement unies que par la seule force d’agrégation, car on n’y voit aucun ciment , ou substance glutineuse qui les lie entr’elîes j mais avec plus d’attention J on dé- couvre que chaque grain est entouré d’une pel- licule, au moyen de laquelle il s’est conglutiné avec son voisin en plusieurs points : tous forment ainsi un corps lié et très-dur. En effet , si avec la pointe d’un couteau on détache un grain d’un DANS LES DEUX SICILE S. l5 autre , on apperçoit au point de la séparation la rupture de la pellicule, et les deux grains éga- lement intacts. Souvent la séparation s’opère de manière qu’une moitié de la pellicule restant en- tière, présente une cavité qui était la niche même du grain. Cette pellicule se compose d’une terre lapidifiée, très -fine, opaque, de couleur cen- drée , dont l’analyse offre pour résultat une forte dose de chaux, avec quelques parties d’argile et de fer. Considérons maintenant le rivage où la mer agite le sable mobile. Nous n’avons pas de peine à découvrir sous l’eau les couches de cette pierre qui sont horizontales , et ont plusieursp ieds d’épaisseur. Les mineurs sont occupés à en dé- tacher de grosses tables , préférant celles qui s’enfoncent le moins sous l’eau, non que la pierre ne soit également bonne à une plus grande pro- fondeur , mais parce que l’extraction en serait trop difficile , pour ne pas dire impossible. Comme il y a toujours entre chaque table une petite couche de matière moins dure , on les enlève aisément 5 sans cela , et si la pierre ne formait qu’un seul bloc , on ne parviendrait point à en tirer ces grandes tables que l’on emploie à faire des meules de moulin, et à d’autres usages. C’est ainsi que le suc terreux répandu dans les VOYAGES 16 eaux du canal de Messine , s’insinue dans les sables du rivage, s’épaissit peu à peu, s’endurcit, lie et cimente les grains , et en fait une pierre solide. Ce ciment naturel produit encore des brèches et des poudings. Il en forme sur-tout avec de gros fragmens d’une roche feuilletée dont je n’ai point vu l’analogue aux environs de Messine. Elle résulte de particules de quartz blanc et opaque, et de mica doré , les unes et les autres distri- buées en doses presqu’égales. C’est dans la di- rection des écailles du mica que la roche tend à se diviser : le quartz la rend étincelante, mal- gré la mollesse que lui donne le mica. Elle se fond au fourneau , et se réduit en une scorie noire et vésiculaire , produite par la liquéfaction du mica; le quartz reste intact; il acquiert seu- lement une plus grande blancheur. On rencontre souvent des morceaux de cette roche aglutinés ensemble au moyen du ciment en question, soit sur le rivage , soit dans la mer. Les hommes destinés à extraire ces pierres de la mer, me racontèrent qu’ils avaient quelquefois trouvé dans le sable des flèches de fer , des mé- dailles antiques. Il y a environ dix ans, m’ajou- tèrent-ils, que nous y avons découvert les sque- lettes entiers de deux hommes ; quatre ans au- paravant BANS LES DEUX S I C I L E S. IJ paravant nous en avions retiré un autre , tous les trois parfaitement conservés dans leur état naturel d’os ; mais personne ne les ayant ré- clamés , et ne sachant nous -mêmes ce qu’on pouvait en faire , nous prîmes le parti de les briser et de les disperser. — Ce fait me fut confirmé par plusieurs habitans de la ville, et je sus en même temps que le crâne d’un de ces squelettes , dont l’intérieur était encore occupé par la pierre sablonneuse , avait été acheté par un médecin de Messine. Faut -il apprendre au lecteur avec quel empressement je courus chez ce médecin pour satisfaire ma curiosité , quelle fut sa réponse et ma conster- nation ? « Ce crâne , me dit-il , était chez moi ; »mais ma famille ayant pris peur de cet os de »mort, je l’ai jeté par la fenêtre». Je voulais sur -tout m’assurer s’il se trouvait réellement dans son état naturel. Les éclaircissemens que l’abbé Grano m’envoya par la suite me satis- firent sur ce point. Il m’écrivit que les mineurs ne s’étaient point trompés , et qu’ayant examiné lui- même un os humain retiré du sable, os qui lui parut être le crural , il n’y avait apperçu aucune trace de pétrification : reste à savoir s’il faut attribuer cette conservation à l’inca- pacité du ciment , ou plutôt à la trop courte durée de son action , étant vraisemblable que Tome B VOYAGES 18 ces squelettes ont appartenu à des Sarrasins 9 quand cette nation commandait à Messine. On n’ignore pas qu’ils avaient leur cimetière dans le bras de S. Ranieri , et c’est- là justement que se fait l’extraction de la pierre sablonneuse; elle existe bien ailleurs; mais cet endroit est le plus commode pour son exploitation, aussi l’appelle- t-on pierre de S . Ranieri . Elle s’étend non-seulement le long des rivages, mais dans le fond du détroit. Un jour que j’assis- tais à la pêche du corail , vis-à-vis le village de P ace y à six milles au nord de Messine, je me mis à examiner les morceaux de rocher que le filet détachait du fond de la mer ; tantôt ils étaient inunis de quelques branches de corail , tantôt ils en étaient dénués. Le plus souvent ils ne pré- sentaient à l’extérieur qu’une pépinière de zoo- phytes et de petits testacées vivans ; et dans l’in- térieur, qu’un amas de ces mêmes êtres privés de la vie , et mêlés avec de la terre calcaire. Quel- quefois cependant le filet amenait des fraginens de véritable pierre sablonneuse plus ou moins fine , plus ou moins grossière. Ces fragmens n’a- vaient point été pris errans au fond de la mer ; leur cassure toute fraîche témoignait assez qu’ils venaient d’être rompus et détachés du rocher dont ils faisaient partie. On les voyait couverts ' DANS LES DEUX SICILE S. î 9 de rameaux de zoophytes , excepté à l’endroit de leur séparation. Je ne bornai pas mes re- cherches à ces échantillons ; mais sachant que les pêcheurs avaient chez eux une collection considérable de ces fragmens qu’ils appelaient pierres de corail , je l’achetai toute entière pour examiner chaque morceau au-dedans et au-dehors. La plupart n’avaient rien de com- mun avec la roche sablonneuse , mais plusieurs lui appartenaient uniquement. Je ne serais donc pas étonné que cette substance pierreuse , accu- mulée dans le voisinage du fanal , couvrît le fond même du détroit. Si elle se laisse rarement entamer par les filets des coraillers, c’est qu’elle est très-dure et très-tenace Quant à sa présence sur les bords du détroit, on ne peut s’empêcher de la reconnaître : elle se manifeste depuis Messine jusqu’à la pointe du Pélore ; dans toute cette étendue , c’est elle seule qui compose les bas rochers , les massifs des cavernes et des petites collines baignées par les eaux de la mer. On la trouve toujours dis- posée par couches , ici plus dure, plus fine, parce qu’elle s’est formée de sable plus délié ; là , plus friable , plus grossière , parce qu’elle a admis des graviers, des cailloux, des fragmens de testacées , et autres matières hétérogènes, B 2 20 VOYAGES Cette lapidification n’est arrivée sans doute qu’à une époque où la mer couvrait ces lieux ; et comme le principe pétrifiant est répandu en grande abondance dans le détroit , qu’il paraît très-actif à la pointe du Pélore , où la mer n’a plus qu’environ trois milles de large, je ne serais pas éloigné de penser que le rivage s’avançant insensiblement , et gagnant chaque année sur les eaux, la Sicile ne dût un jour se réunir par ce point à la Calabre. Les habitans ont vu, pour ainsi dire de leurs yeux, la pointe du phare, ou l’extrémité du Pélore , durant l’espace des trente dernières années , se prolonger en mer de plus de deux cents pieds , de manière que les trembîemens de terre ayant ruiné la tour qui servait de fanal , il a fallu la rebâtir plus en avant. On a dû se trouver dans la même né- cessité à l’égard des autres tours préexistantes sur ce rivage : la dernière détruite avait été élevée dans le seizième siècle , et rapprochée plus près de la mer qu’une autre plus ancienne, dont les ruines gisent aujourd’hui sur un terrain planté de vignes. On ne peut pas supposer que la mer, au moyen de ses courans , et aidée de l’impétuosité des vents , puisse jamais détruire et reprendre les sables qu’elle accumule continuellement à la ( DANS LES DEUX SICILE S. 21 pointe du Pélore ; car ces sables , par la force du principe glutineux, se consolident en masses trop dures pour ne pas résister à la violence des vagues. Cependant on pourrait se faire une ob- jection qu’il convient de prévenir et de détruire. Il est certain que le détroit de Messine existait dans la plus haute antiquité. Or, si dans le court espace de trente ans, ce détroit a subi un ré- trécissement aussi considérable au rivage du Pé- lore , comment ne s’est-il pas entièrement fer- mé pendant la succession de tant de siècles, où la même cause a du perpétuellement agir ? Cette objection serait fondée^ si les obser- vations locales ne prouvaient qu’à l’époque où la mer couvrait les collines et les montagnes de Messine, si abondantes en madrépores , le gluten lapidifique ne se manifestait point par des effets sensibles. Il est facile de s’assurer, qu’à la réserve des bas rochers qui bordent le rivage, les autres ne sont point liés par ce ciment,, et que la pierre sablonneuse telle que nous l’avons décrite , n’en fait pas partie. On trouve , à la vérité , dans une petite colline , entre les Gravidelle et les Cata- ratte y un entassement considérable de sable quartzeux , mais peu ou point aglutiné , ce qui prouve qu’il n’a point été investi par le gluten. Concluons de là que ce principe n’existait point B 5 VOYAGES 5,2 alors dans la mer de Messine ? ou du moins qu’il n’y était contenu qu’en très-petite dose , soit que les eaux n’eussent pas rencontré les bancs propres à le fournir , soit qu’en les rencontrant elles n’eussent pu les dissoudre à cause de leur salinité , et se charger de leurs particules atté- nuées. Résumons ce que nous avons découvert jus- qu’à présent des matières qui composent la Si- cile : elles se réduisent au carbonate calcaire , au granit , au charbon fossile et à la pierre sa- blonneuse. En considérant bien la position et la direction du granit , on s’apperçoit que cette substance est toujours placée sous le carbonate 5 sa formation antérieure lui assigne cette place. Si en partant du bord de la mer, on chemine vers les montagnes , la première roche que l’on rencontre , c’est le granit, puis viennent les car- bonates calcaires qui composent une bonne par- tie de ces mêmes montagnes, et manifestent leur origine tirée de dépouilles d’animaux. Là , le granit perce quelquefois , et s’élève en forme de bosse : plus souvent il y reste enseveli. Mes- sine repose sur des dépôts marins 5 mais je ne doute pas que le granit ne pénètre sous ces dé- pôts ; il me paraît former une chaîne avec celui du cap Melazzo 5 peut-être passe- t-il sous le dé- DANS LES DEUX SICILE S. $3 troit , où il est recouvert par la roche sablon- neuse. Dans la contrée que j’ai parcourue , je n’ai rencontré aucun indice de volcanisation. La mer jette de temps en temps sur le rivage des pierres ponces; mais elles viennent de Vulcano ou de Lipari par les vents du nord. Outre le granit et la pierre coquillière qui se trouvent parmi les débris des maisons de Messine , on y reconnaît des ponces , tant légères que pesantes , et di- verses laves. On les apportait autrefois des îles de Lipari , et elles servaient à bâtir : aujourd’hui les habitans n’en font plus venir pour cet usage. Je puis donc assurer que dans cette partie de la Sicile j comme en beaucoup d’autres, il n’a jamais existé d’incendies volcaniques (1). Les insectes m’avaient paru très-rares dans les îles Æoiiennes, travaillées par le feu ; mais si la na- ture y est , pour ainsi dire , morte à leur égard , elle ne l’est pas aux rivages de la Sicile. A peine eus-je mis le pied sur le cap Meîazzo , que je me vis entouré d’un peuple de ces petits êtres, qui n’abondent pas moins aux environs de Messine ; (i) J’ignore ce qui a pu induire M, Chaptal en erreur, quand il assure dans sa Chimie que la Sicile a été toute volcanisée. Note de l’auteur. B 4 VOYAGES 24 quoiqu’aux derniers) ours d’octobre, ils n’en étaient pas moins pleins de vie , à cause de la chaleur du climat^ tandis que dans nos contrées le froid les saisit déjà à cette époque , et que la plupart se cachent sous terre. Outre le lézard , lacertus agi - lis ^ qui entre dans les maisons , on y surprend en- core le stellion , mais d’ordinaire celui-ci en sort vers la chute du jour. Il est très-muîtipîié dans les campagnes, où il cause beaucoup de dommage aux raisins. Ce reptile habite aussi les parties méridionales de l’Italie 5 j’en ai vu quantité à Gênes , où ils sont appelés mal-à-propos scor- -piojis y comme dans certains endroits de la Tos- cane , on leur donne le nom impropre de ta - rentules . Le passereau, ou merle solitaire, turdus cya • neus si recherché pour son chant plein d’har- monie et d’expression , n’est en quelque pays qu’un oiseau de passage : il vient le printemps et s’en retourne l’hiver. En Sicile il est de rési- dence. Vers la fin d’octobre , chaque matin je l’écoutais chanter sur un toit élevé , en face de la maison que j’habitais à Messine. Les insulaires, qui le connaissent bien et l’appellent avec assez de raison merle de roche > m’assuraient que non- seulement il nichait au printemps dans leur île, mais qu’il y passait tout le reste de l’année 5 DANS-LES DEUX SICILES. a5 descendant seulement des hautes montagnes dans la plaine à l’approche des neiges. J’appris aussi un fait qui m’avait été déjà rapporté à Lipari , concernant l’hirondelle do- mestique et le martinet (1). Quoique ces oiseaux délogent pour la plupart aux premières annonces de l’hiver, il en reste cependant quelques indivi- dus qui passent la froide saison , ne se montrant que dans les jours où la température se radoucit et le ciel devient serein. Personne n’ignore que Messine possédait vers la fin du siècle dernier une université célèbre par l’afïluence des étudians , et plus encore par le mérite des professeurs , au nombre desquels on comptait un Borelli , un Malpighi , ornemens de l’école italienne. Leurs noms vénérables sont encore répétés par les Messinois à qui toute cul- ture de l’esprit n’est pas étrangère; ils montrent avec un sentiment de respect les maisons que ces deux hommes illustres habitaient , les chaires où ils professaient leur doctrine. Avant les der- niers tremblemens de terre 3 on voyait encore à Messine quelques préparations anatomiques du célèbre médecin de Bologne ; on les y con- (i) Hirundo rustica , h. apus. Linn. / VOYAGES 2 6 servait précieusement; mais elles périrent à cette fatale époque , comme tant d’autres monumens des sciences et des arts. Aujourd’hui cette ville renferme un gymnase où l’on cultive les sciences et les belles-lettres. Les Messinois sont en général d’un esprit délié , avides d’instruction; mais leurs travaux littéraires sont trop peu récompensés pour exciter entre eux une émulation nécessaire aux progrès de leurs études. Ainsi qu’à Catane , j’ai rencontré à Messine les égards , la bienveillance , l’hospita- lité , et l’empressement à me seconder dans mes recherches et dans l’investigation de toutes les choses qu’il m’importait de connaître. Je dus enfin me séparer de mes hôtes , non sans être pénétré pour eux d’un vif sentiment de recon- naissance, et je m’embarquai le premier de no- vembre sur un bâtiment génois qui faisait voile pour Naples. En deux jours 3 un vent de sud me porta heureusement à Pouzzole , où j’eus le plaisir de revoir l’abbé Breislak , alors directeur de la solfatare 3 et d’embrasser mon ancien ami Fortis, qui venait de recouvrer la santé après avoir essuyé une maladie grave. Nous revîmes ensemble ces lieux où des étincelles volcaniques couvent encore sous la cendre , et nous partîmes ensuite pour la capitale voisine. DANS LES DEUX SICILE S. 27 CHAPITRE XXXIII. Fin de mes voyages dans les deux Siciles, Observations sur le lac d’ Orbitello. L’ouverture des écoles de l’université de Pavie exigeait mon prompt retour dans cette ville. J’étais en suspens si je prendrais la voie de terre , ou de mer en m’embarquant pour Gênes. Mes amis me détournèrent de la première idée , en me conseillant d’éviter les marais Pon- tins et leurs vapeurs infectes, sur-tout dans la saison où nous étions. Ils me firent envisager la brièveté du trajet par mer, pour peu que les vents me fussent favorables. Je suivis leur con- seil, et ne voulant pas m’exposer à la visite des corsaires barbaresques , je m’embarquai sur un bâtiment français qui mit à la voile la nuit du 16 de novembre. A la vérité , le vent seconda d’abord nos vœux ; en deux jours et demi nous joignîmes Porto- Ercole ; mais par la suite nous ne vîmes que trop se confirmer ce triste proverbe des mate- lots, qu’en mer , souvent avec un pain on fait cent lieues , souvent avec cent pains on n en VOYAGES fait pas une. Il nous fallut vingt-cinq jours pour achever le reste du chemin ; non que nous eûmes des tempêtes à essuyer , mais à cause des longs calmes qui nous retinrent sur les côtes , entre autres sur celle de Porto-Ercole. Ce n’est qu’un petit port , mais il offre une relâche assez sûre , étant environné de montagnes , excepté à l’est, par où le vent peut pénétrer au moyen d’une g orge qui s’ouvre dans cette direction. Le village est bâti sur une pente rapide , et dominé par un petit fort, si l’on peut cependant donner ce nom au gîte de quelques soldats napolitains et d’un officier invalide, comme le sont d’ordinaire tous ceux qui ne commandent que de si misé- rables postes. Sur la montagne opposée s’élève ce qu’on appelle aussi le fort de S. Philippe . Le carbonate de chaux s’étend sur toutes ces hauteurs; il est à-peu-près semblable à celui qui règne dans les autres parties de l’Apennin, dans les environs de Naples, et dans la campagne de Rome. Si, pendant les cinq jours que le calme nous tint dans ce port, je n’avais eu d’autre objet de contemplation , le temps m’eût paru bien long ; mais heureusement j’appris que le lac d’Or- bitelîo , si renommé par ses anguilles , murœna anguilla } que l’on pêche en toute saison ? et DANS LES DEUX SICILE S. 59 dont on fait un commerce considérable en les transportant et à Naples et à Rome , n’était éloi- gné de Porto -Ercole que de cinq milles vers l’ouest. Cette circonstance me rappela la fa- meuse controverse élevée parmi les naturalistes sur la génération de ces animaux , controverse qui , malgré tant d’observations et de recherches, tant anciennes que modernes, n’est point encore parfaitement terminée. Je fis réflexion à l’igno- rance où nous sommes encore sur les habitudes naturelles de ces animaux , qui pourtant sont très-communs et très- répandus dans une infinité de pays. Je pensai que l’étude des poissons, pour être utile, s’était trop renfermée jusqu’à présent dans une insignifiante nomenclature, et plein de ces idées, je résolus de consacrer tous mes instans à des recherches qui pouvaient éclaircir quelques points obscurs dans l’histoire des anguilles. Le lac d’Orbitello a dix-huit milles de circuit ; sa profondeur n’est pas considérable ; d’un côté il reçoit la rivière Albigna , de l’autre il se dé- charge dans la mer. Il communique de plus avec un canal tortueux nommé Peschiera , garni de claies d’osier , où l’on emprisonne , pour servir au besoin , les anguilles pêchées dans le lac. Ce canal est revêtu de murs; son fond est uni. Quoi- que les anguilles n’y trouvent rien à manger , VOYAGES 5o et qu’elles aient véritablement les boyaux vides pendant tout le temps qu’on les y laisse , cepen- dant on les en retire fort grasses. Le premier jour que je me transportai à la Peschiera * je ne pou- vais arriver plus à propos pour examiner la struc- ture interne de ces animaux 3 car peu d’heures auparavant il en avait péri un nombre si consi- dérable 3 qu’on pouvait l’évaluer à douze milles livres pesant. Leurs cadavres gisaient par mon- ceaux sur les bords du canal. Je demandai au directeur de la pêche* à qui cette mortalité cau- sait une perte de plus de cinq cents ducats na- politains* et aux pêcheurs consternés * d’où pro- venait l’accident. L’eau marine, me dirent ils , par sa communication avec le lac* entre dans la Peschiera à la marée montante * et y produit un courant 3 à la marée descendante elle en sort par un mouvement contraire* de manière qu’elle y opère une agitation continuelle. La nuit pré- cédente il n’y eut pas de flux * par conséquent la Peschiera est restée en stagnation 3 l’eau s’est échauffée* et son échauffemenfc a été fatal aux anguilles, qui peuvent bien supporter le froid* mais qui ne soufFrent pas de même la chaleur. — Ainsi raisonnaient-ils dans leur disgrâce. Pour moi* j’en attribuai uniquement la cause à la sta- gnation de l’eau. Sa chaleur est certainement plus forte en été qu’en automne * et cependant BANS LES DEUX SICILE S. 5 1 ces animaux la supportent. Mais une eau non renouvelée devait leur devenir mortelle , entassés comme ils étaient dans un bassin peu profond. Au reste, j’obtins aisément du directeur la per- mission d’en ouvrir tel nombre que je voudrais, et je procédai de suite à cette opération. Les pêcheurs du lac y distinguent deux sortes d’anguilles , celles qu’ils nomment fines , dont le poids ne s’élève qu’à deux ou trois livres , et celles qu’ils nomment capitojii , pesant huit, dix, et quelquefois douze livres. Ces dernières sont les plus nombreuses; elles sont aussi les plus esti- mées à cause de la délicatesse de leur chair. Les étrangers viennent les acheter sur le lieu pour les revendre en Toscane, dans les états de Rome et de Naples. Je fis l’ouverture de quatre-vingt-sept capi- toni , et de vingt-trois anguilles fines , en quatre visites consécutives à la Peschiera. Dans les premières , comme dans les secondes , les or- ganes intérieurs , tels que l’œsophage , les in- testins , le foie , la vésicule du fiel , le péricarpe, le cœur, les reins , la vessie natatoire, &c. étaient très-palpables; mais j’y cherchai vainement celui que je desirais le plus d’y trouver, je veux dire l’ovaire, ou tout autre organe analogue qui au- rait caractérisé le sexe des femelles; je ne dé- VOYAGE S 32 couvris pas mieux les laites qui distinguent les mâles. Tous ces individus étaient intérieurement configurés de la même manière. Les pêcheurs sont persuadés que les capitoni et les anguilles fines forment deux espèces dis- tinctes. Quand elles entrent dans le lac, disent- ils, elles sont toutes minces comme des cheveux, et cependant , au bout de deux ou trois ans, les premières atteignent au poids de douze livres, tandis que les secondes ne pèsent jamais plus de trois livres. L’information serait d’autant plus inté- ressante, qu’on ne connaît jusqu’à présent qu’une seule espèce d’anguille 5 mais je doute que celles du lac d’Orbitello diffèrent essentiellement entre elles ; aucun caractère spécifique, soit à l’exté- rieur, soit dans l’intérieur, ne paraît les séparer; et si les divers degrés de volume auxquels elles parviennent en font toute la différence , ils ne peuvent tout au plus les constituer que pour deux variétés. Ces mêmes hommes m’assuraient encore qu’ils n’avaient jamais pris une anguille qui eût des œufs ou des petits dans le corps , et m’en disaient au- tant de leurs prédécesseurs; ils croyaient qu’elles naissaient de la fange, non de celle du lac, car ils n’y avaient jamais découvert ni œufs, ni em- bryons, tous ceux-ci venant de la mer. S’ils BANS LES BEUX S î CIL ES. 33 S’ils étaient dans l’erreur sur la génération de Ces animaux , ils ne se trompaient pas du moins sur le lieu de leur naissance. C’est un fait avéré que dans les mois de mars , d’avril et de mai , les anguilles nouvellement nées entrent par millions dans le lac, sur-tout quand le temps est noir et ora- geux. Une fois entrées, elles en sortent difficile- ment,à cause des obstacles qu’elles y rencontrent ; mais leur inclination naturelle ne les porte à re- tourner à la mer que dans le mois de novembre 5 alors elles tentent ce retour dans les nuits obscu- res, et choisissent le moment des tempêtes. Voilà tout ce que j’ai pu apprendre sur le compte de ces poissons au lac d’Orbiteilo; j’es- pérais sans doute y étendre plus loin mes obser- vations y mais en les réunissant à celles que j’ai faites par la suite au lac de Commachio , et dont je parlerai plus bas, je me flatte qu’elles pré- senteront un ensemble propre à répandre quel- ques lumières sur l’histoire naturelle de ces ani- maux. Le chemin de Porto-Ercole au lac passe au fond d’une gorge, à travers des montagnes de carbo- nate calcaire, disposé non par couches, mais par grandes masses, dont les aspérités s’élèvent au- dessus du sol. Il a la même pâte , le même grain que les autres roches de ce genre qui se trouvent Tome C VOYAGES 34 dans les monts Apennins! Le lac est visité en hiver par une multitude d’oiseaux aquatiques ; j’y ai vu des lares , larus marinus l. cinereus $ des foulques, fulica atra$ des corbeaux marins, pelicanas carbo . Quoique le mois de novembre fût très-avancé , on rencontrait à cette extrémité méridionale de l’Italie des papillons volant dans les airs , des in- sectes bourdonnant dans les champs , et des gre- nouilles croassant dans les mares d’eau douce. Le 24, nous mîmes à la voile de Porto-Ercoîe; un ventdenord frais nous conduisit en huitheures à Porto-Longone. Ainsi je me trouvai dans l’île d’Elbe , et j’en sus le meilleur gré au capitaine du navire , qui du reste s’y arrêtait pour ses propres affaires. Nous y passâmes six jours, pen- dant lesquels j’eus le loisir de visiter les mines de fer si renommées de cette île. Plusieurs na- turalistes s’en étant occupés avant moi , et entre autres le Père Pini , ces visites ne purent servir qu’à ma propre instruction , ainsi je n’en rap- porterai rien , si ce n’est un seul fait qui me paraît digne d’être publié. Dans le flanc de la montagne d’où l’on extrait le fer , les mineurs avaient découvert , peu de temps avant mon arrivée, une galerie souterraine qui est évidem- ment un ouvrage de l’art. Son ouverture regarde 35 DANS LES DEUX SICILE S. Pest ; sa hauteur est telle qu’on peut y cheminer debout, à la réserve de deux endroits où il est nécessaire de se baisser un peu. Sa largeur égale à-peu-près sa hauteur, et elle a cent cinquante pieds environ de longueur. En l’examinant à la lueur des flambeaux , autrement il serait impos- sible d’y rien voir , on s’apperçoit qu’elle a été formée à coups de pics , et que sa direction est tortueuse. Quand on en fit la découverte , on y trouva un clou fiché dans les parois , et une lampe à terre. Il est possible que les Romains aient creusé cette galerie pour exploiter le fer; peut-être est-elle l’ouvrage des habitans de Pise qui furent autrefois les maîtres de ces mines. Quoi qu’il en soit, cette excavation, sur les pa- rois de laquelle on voit de toutes parts le minéral tout formé , nous apprend que non-seulement la croûte extérieure de la montagne, mais le noyau même , est une masse prodigieuse de fer. Le reste du chemin de Porto-Longone à Gênes, et de Gênes à Pavie, ne m’ayant rien offert qui mérite l’attention du lecteur, je terminerai ici la relation de mon voyagé dans les deux Siciles , et je passerai de suite à celle d’un autre voyage dans les Apennins , ainsi que je l’ai annoncé dans l’in- troduction à cet ouvrage. C 2 36 VOYAGES CHAPITRE XXXIV. Observations litho logique s sur les Apennins de M.odène, JS'oyage de Sassuolo à Fanano y et de Fanano au lac Scaffajolo y situé sur la cime la plus élêvée de ces montagnes . JLjes collines des environs de Modène et de Reggio renferment des testacées marins qui ne se trouvent presque jamais dans un état de pé- trification. Ils sont pour l’ordinaire , ou dans leur état naturel , ou plus ou moins calcinés. Les uns appartiennent à l’ordre des univalves , les autres à celui des bivalves. Parmi les premiers , on re- connaît aisément le buccin , buccinum galea 9 b. reticulatum ; la vis , strombus tuberculatus $ le murex ? murex trunculus ; le sabot, trocchus mûrie at us , t. umbilicalis ; le lépa s , patella mammillaris ; le dentale , dentalium elephan - tinum y d. minutum y le ver de mer, serpulla spirillum y s . triquetra , s. glomerata : parmi les seconds , la pholade , pholas dactylus ; le coutelier , solen seliqua ; la telline , tellina fra- gilis 'y l’oursin, echinus aculeatus 3e. serratus ; DANS LES DEUX SICILE 5. 5/ la came, chama cor ; l’huître , ostrea maxima y o. edulis . On rencontre encore diverses em- preintes de ces mêmes animaux, et quelques vestiges de pinnes marines. Il est très-rare que ces coquilles, ces noyaux 9 fassent corps avec les pierres $ d’ordinaire ils sont mêlés avec les terres argileuses ou marneuses. A mesure qu’on laboure ces terres , on en dé- couvre de nouveaux qui se répandent à la sur- face des champs. Ce mélange se fait sur-tout remarquer dans les ravins creusés par les eaux des pluies et dans les lits des torrens. Quelquefois il arrive que , selon les divers genres, les diverses espèces de ces fossiles, di- vers et séparés sont les sites où ils se trouvent : par exemple, en tel endroit on ne verra que des lépas , en tel autre que des dentales 5 ici existe- ront seulement des huîtres, là des telîines , &c. Ma is le plus souvent les genres et les espèces sont confondus. Il n’est pas de mon sujet de nommer et décrire les testacées des contrées voisines. Je dirai seule- ment qu’en passant des collines de Modène à celles de Bologne et de la Romagne 5 et dans une direction contraire , allant des collines de Reggio à celles de Parme , de Plaisance , et à C 3 VOYAGES 58 çelles situées au-delà du Pô , on rencontre par- tout de semblables dépouilles. Mais on les perd bientôt de vue, si Pon quitte les collines pour s’élever plus haut. Je partis de Modène le 26 juillet 1789 , me dirigeant vers Fanano, gros, bourg, et l’un des plus élevés des montagnes modénoises , célèbre par les hommes de mérite qu’il a produits , tels qu’un Corsini , un Sabbatini, dont le nom seul fait l’éloge. Mon intention était de m’approcher ensuite des som- mités de ces montagnes, et me rendre de -là aux feux de Barigazzo. Au-dessus de Sassuolo, dans le voisinage de Formigginé , les testacées s’offraient en abon- dance sous mes pas ; ils disparurent quand j’eus atteint une région supérieure. Je m’apperçus aussi qu’au lieu de cheminer sur un sol pure- ment terreux comme auparavant , je parcourais des sites où le carbonate calcaire pierreux per- çait plus ou moins. Cette roche me suivit jus- qu’aux environs de Fanano. J’examinai sa pâte, dont le grain est un peu gros 3 ses couches, qui ne sont presque jamais parallèles à l’horizon , mais qui gisent dans une situation oblique et quelquefois verticale. Quoique cette sorte de pierre recèle souvent des testacées marins, que souvent môme elle soit entièrement composée. DANS LES DEUX SICILE S. 3q de leurs dépouilles, cependant je n’en pus dé- couvrir aucun vestige dans celle - ci , aucune empreinte. Etant parvenu à un mille en-deçà du bourg , je vis succéder une autre roche de nature sablon- neuse , appelée macigno ou pierre sereine par les habitans de la Toscane. Comme cette pierre revêt les sommités de cette partie des Apennins, et environne les feux de Barigazzo , je m’arrê- terai plus long-temps à sa description. Elle s’of- frit d’abord sous la forme de gros blocs à droite et à gauche du chemin de Fanano. En entrant dans le bourg , je m’apperçus que non-seule- ment on l’employait dans la construction des. murs , mais qu’on la faisait servir à couvrir les toits des maisons et à paver les rues choisissant pour ces divers usages celles qui conviennent le mieux , soit par la finesse du grain , soit par la solidité. Ces différences dans le même genre de pierre constituent des variétés dont voici les principales. Il en est dont les grains paraissent si gros , qu’on dirait d’une brèche. Ces grains prennent en général la forme sphérique ; leur diamètre est d’environ quatre lignes 5 ils sont composés d’un quartz semi-transparent , tirant un peu sur la couleur de lait r semblable à certaines caîcé- C 4 VOYAGES 4o doines. Le ciment qui les lie a peu de consis-' tance , et se laisse facilement détruire par le temps et les météores. ïl en est d’autres qui ont plus de finesse et un ciment plus durable ; on les emploie aussi avec plus de succès dans la construction des édifices, ïl est vrai qu’après un certain laps de temps , le ciment se désunit , les grains restent à moitié découverts, et la pierre tombe en débris. Mais il s’en trouve dont les particules quart- zeuses sont tellement atténuées, que F œil ne sau- rait les distinguer sans le secours de la loupe. La pâte du ciment a une finesse égale , et ces qualités font qu’on les préfère à toutes les autres variétés. Le gluten de ces diverses générations de pierres n’est jamais composé de cbaux pure : ou il n’en contient qu’une petite dose , ou bien il est tout, ou presque tout argileux. Les grains de quartz, quel qu’en soit le volume, sont toujours accom- pagnés de nombreuses paillettes de mica argen- tin , qui brillent comme autant de diamans sur un fond plombé, couleur qui est celle de la base de toutes ces pierres. Elles sont schisteuses , sans toutefois se diviser en lames grandes a, distinctes et minces , ce qui DANS LES DEUX SICILE S. 4 1 est le propre de certains schistes plus parfaits. Les meilleures de ce genre qui servent de cou- verture aux maisons des Fananois , ont encore Besoin d’être travaillées et réduites à une épais- seur convenable. Leur base tient plus de la marne que de l’argile. Le grain en est très-délié ; on y découvre une infinité de petites écailles mica- cées. C’est à raison du mica que ce schiste a la cassure un peu écailleuse et comme ondulée. Il est médiocrement dur et pesant ; une odeur ter- reuse , une couleur bleu- livide sont encore deux signes auxquels on peut le reconnaître. Ces grands massifs de pierre sablonneuse qui environnent Fanano , sont des filons pour l’ordi- naire horizontaux , qui pénètrent dans l’intérieur des montagnes , qui les traversent de part en part. Sans sortir de ce bourg , on en voit la preuve en jetant les yeux sur un rocher situé au sqd , à la distance d’un quart de mille , qui s’étant à moitié écroulé de haut en bas, montre à décou- vert sa structure. Il est en pain de sucre, et on le dirait formé de tables rondes , d’un diamètre toujours décroissant, et posées horizontalement les unes sur les autres. A la vérité, il s’en trouve quelques-unes situées un peu obliquement, mais autant qu’il m’a paru, il n’en existe pas une seule qui coupe l’horizon à angle droit. 42 VOYAGES Ces filons , ou si Y on veut , ces couches dif- fèrent beaucoup entr’elles $ les unes ont depuis cinq jusqu’à dix pieds d’épaisseur , tandis que d’autres n’ont pas même l’épaisseur d’un pouce. On observe la même diversité dans le grain : ici il est grossier , là il est très-fin , et cela se ren- contre dans la même couche. On a souvent remarqué dans la stratification des roches, un intervalle entre les diverses couches qui les composent , intervalle occupé par un lit très-mince de matières hétérogènes , soit simple terre , soit substance lapidifiée , mais toujours de nature différente. Ici les couches se touchent par tous les points , nulle interposition de ma- tières étrangères : il est aisé de s’en convaincre , sur-tout quand on assiste au travail des mineurs. La position de Fanano ne saurait être plus heureuse pour observer de près la chaîne la plus élevée des Apennins que l’on appelle ici la che- velure des Ipe s. Elle commence à l’est, tourne circulairement au sud , et va se terminer au mont Cimone , ainsi nommé à cause de son sommet qui domine non-seulement cette même chaîne, mais le reste des Apennins , s’avançant d’un coté dans la Romagne , de l’autre dans la Lombardie et le pays de Gênes. On en voit les pics for- més de pierres sablonneuses 3 nus pour la phi- BANS LES BEUX S I C I L E S. 45 part ; on découvre parfaitement la direction des couches; celles du Cimone, depuis son sommet jusqu’aux deux tiers de son élévation , paraissent légèrement décliner du nord à l’ouest et au sud ; cette direction règne dans une bonne partie de la chaîne ; ailleurs l'inclinaison varie, sans cepen- dant s’écarter beaucoup du plan horizontal. Nous avons déjà remarqué comment la roche sablonneuse qui compose ces montagnes, est su- jette de sa nature à tomber en dissolution; com- ment le gluten qui en lie les grains , exposé aux influences diverses qu’exercent sur tous les corps le chaud et le froid, la sécheresse et l'humidité, s’altère insensiblement. Cette décomposition , jointe à celle des plantes , contribue à fertiliser un pays naturellement stérile et ingrat , en for- mant une croûte de terre végétale plus ou moins épaisse selon les divers sites , ou inclinés , ou planes , ou concaves. Cette terre nourrit des hêtres dans les régions supérieures , différentes espèces de chênes dans les régions inférieures , et sur- tout des châtaigniers , dont les fruits sont la principale ressource des Fananois. Quoique le froment ne soit pas une plante étrangère au sol , cependant il y croît en si petite quantité, qu'il n’en peut revenir à chaque famille qu’une très-mince part. Les vignes sont plus abondantes; 44 VOYAGES mais elles ne croissent pas à la hauteur où le bourg est situé} les premiers froids de l’automne, qui s’y font sentir de bonne heure, ne permet- traient pas à leurs fruits de mûrir : elles ne sont cultivées avec succès que dans quelques gorges de la partie. basse de la montagne. J’ai recherché attentivement si ces masses énormes de roches sablonneuses ne renfermaient point de corps étrangers. Sans me borner à un examen superficiel, j’ai fait briser sous mes yeux de gros blocs} la seule substance hétérogène que j’ai pu y découvrir, c’est le carbonate calcaire pierreux dont l’existence n’est point inconnue aux Fananois, qui l’emploient à faire de la chaux. Ce carbonate est-il adventif dans la roche sa- blonneuse, s’est-il formé par infiltration ? Aucun indice local ne m’a mis sur la voie de répondre à cette question } tout ce que je puis dire , c’est que l’un et l’autre sont si bien incorporés en- semble , qu’ils paraissent avoir été formés en même temps. On rencontre çà et là des filons de ce dernier , saillans hors de la roche sablon- neuse } je les ai suffisamment examinés pour me convaincre qu’ils ne contiennent aucune trace de corps marins. Il est peu de villages de montagne dont les habitans n’aient à vanter quelque rareté du pays. DANS LES DEUX SICILE $. 45 et ne se Fassent un mérite de la montrer aux étrangers amateurs de curiosités naturelles. Je logeais à Fanano chez le docteur Bartolommeo Jacobi ; j’y connaissais d’aiileurs le Père Muzza- relli , tous les deux jouissant d’une réputation distinguée , l’un dans la médecine , l’autre dans les belles-lettres. Empressés de seconder mes désirs, ils me parlèrent de trois objets différens qui , à leur avis , méritaient d’être vus : le pre- mier était le rocher dey Carli , le second le lac de ScafFajolo, le troisième le mont Cimone. Le lac et le mont m’étaient connus de réputation, et entraient dans le plan de mes voyages 5 quant au rocher , c’était la première fois que j’en en- tendais parler 5 mais après l’avoir vu , je n’eus pas lieu de regretter et mon temps et ma peine. Il gît au nord-est de Fanano , à la distance d’environ six milles, sur une petite colline sté- rile située au-dessus du torrent Léo. Quand le soleil le frappe de ses rayons , on Papperçoit de loin , plutôt par l’éclat dont il brille que par son volume. Cet éclat provient des petits cris- taux de quartz dont il est tout parsemé. Sa base comporte environ deux cent trente pieds de circonférence 5 sa hauteur est de soixante -dix pieds. Quant à sa forme elle est irrégulière ; coupé à pic du côté de l’ouest, il n’est praticable VOYAGES 46 que par les pentes opposées, et ce n’est pas sans peine et sans danger qu’on parvient à son sommet. De haut en bas , il est plein de cre- vasses 5 plusieurs morceaux s’en sont détachés et ont roulé au pied de la colline 5 d’autres menacent ruine : tous ces morceaux, ainsi que la masse du rocher, présentent à leurs surfaces une infinité de cristaux quartzeux très-brillans , de diverse grosseur , depuis un point jusqu’à trois quarts de pouce. La matrice en est également quartzeuse; par-tout où elle a trouvé du vide, elle s’est cris- tallisée. Il n’est aucun de ces cristaux qui soit prismatique; tous sont composés, ou d’une seule pyramide hexagone plantée dans la matrice, ou de deux pyramides unies par leurs bases , et ce dernier cas est le plus ordinaire. Quelques- uns n’ont point de couleur, les autres sont rou- geâtres ou vineux , et cette teinte pénètre dans leur intérieur. Ni le laps du temps , ni les injures de l’air , ni le changement des saisons n’ont pu les altérer , soit dans leur solidité , soit dans le vif tranchant de leurs angles , soit dans leur struc- ture intérieure. Le mérite de ce rocher consiste à montrer en ce qu’il est, un amas de silice, partie informe, partie cristallisée. Je laisse de côté quelques veines spathiques qui traversent le quartz , et certaines DANS LES BEUX SICILE S. 47 petites masses de stéatite tendre ensevelies dans les crevasses , et qui m’ont paru s’y être engen- drées par infiltration. Cet agrégat quartzeux a encore cela de re- marquable ^ qu’il ne communique en aucune ma- nière avec d’autres roches 5 une terre marneuse l’environne 5 nulle pierre sablonneuse dans son voisinage ; on ne trouve cette dernière qu’en se rapprochant de Fanano. Après avoir visité le rocher de 3 Carli^je me disposai à partir pour le lac de Scaffajolo , dit anciennement Scalfagiuolo , renommé par sa si- tuation au plus haut sommet des Apennins , et qui jouirait d’une célébrité bien plus grande, s’il était vrai qu’en jetant une pierre dans son eau, le ciel se couvrît tout-à-coup de nuages , et qu’il en sortît une tempête horrible , comme le pré- tend Gesner , et comme , avant lui , Boccacio l’avait écrit en ces termes : « Scalfagiuolo est un » petit lac des Apennins entre Pistoieet Modène, » moins admirable par le volume de ses eaux que » par le miracle qu’elles opèrent. En effet, comme j> l’assurent tous les habitans du pays, si quelqu’un, »soit de plein gré, soit par inadvertance , y jette »ujie pierre, ou tout autre corps qui en agite la » surface, aussi-tôt l’atmosphère devient nébu- leuse, et des vents furieux s’échappent , qui dé- VOYAGES 48 » chirent, abatent, arrachent de la terre les chênes »les plus robustes, les hêtres les plus antiques des » environs 3 malheur aux hommes et aux animaux »qui se trouvent alors dans son voisinage 5 la » tempête n’épargne quoi que ce soit, et dure quelquefois pendant un jour entier». Ce lac est situé au sud de Fanano 5 je choisis la route la plus propre à mon instruction en re- montant à pas lents le torrent Léo , qui prend sa source un peu au-dessous. Je savais par expé- rience combien , pour acquérir des lumières sur la nature et la direction des montagnes , il est utile de suivre le cours des rivières , des torrens qui roulant au fond des gorges des vallons, baignent les fondemens de ces montagnes; c’est en les examinant de bas en haut qu’on découvre mieux la position de leurs couches , de leurs filons ; et l’on a déjà une idée anticipée de leur nature, pour peu que l’on prenne la peine de ramasser devant soi les cailloux, les pierres que les eaux ont roulées. Le lit du Léo qui va se réunir à l’antique Scultenna pour former la rivière de Pannaro , abonde en pierres sablonneuses, plus ou moins arrondies par le roulement. Près de Fanano , on y trouve encore des carbonates cal- caires ; un peu plus haut ces derniers disparais- sent, on ne rencontre plus que des pierres sa- blonneuses • DANS LES DEUX SICILE S. 4g blonneuses ; à mesure qu’on s’élève , celles-ci se montrent plus grosses et moins arrondies. Bientôt le torrent se resserre entre deux ro- chers escarpés qui , s’élevant comme des murs immenses , laissent voir distinctement les divers filons dont ils sont formés ; tous , depuis le haut jusqu’en bas , sont horizontaux, ou du moins ils s’écartent peu de cette direction ; leur nature est par-tout la même, c’est-à-dire qu’on y découvre par-tout la même pierre de sable. Tel est en général l’aspect de ce groupe de montagnes interposé entre Fanano et l’Hôpital de Lamola , distant d’un mille environ en ligne droite du lac. Cet Hôpital est un petit hameau dont les habitans , plus voisins de la Toscane que ceux de Fanano, parlent un dialecte moins lombard. Les hommes et les femmes y jouissent d’une carnation qui ferait envie aux habitans des villes , et cependant ils ne mangent que des châ- taignes , ne boivent que de l’eau. Là véritable- ment commence à se faire sentir la rigidité du froid. Nous étions au 6 d’août , et le seigle et le froment de mars , semés en petite quantité dans quelques pauvres champs du pays , mon- traient à peine la pointe de leurs épis : il arrive souvent qu’avant de jaunir et de parvenir à leur maturité , l’hiver les surprend et les ensevelit Tome V*. D VOYAGES 5o sous ses neiges. Il est même , parmi les châtai- gniers , des individus qui , bien que vigoureux et de la plus belle venue, ne peuvent pas porter leurs fruits à terme. Là domine la roche sablon- neuse , ou pour mieux dire , elle est Tunique : divisée en lames , elle sert de couverture aux humbles chaumières des habitans. Un peu au-dessus de l’Hôpital on entre dans la région des hêtres. D’abord ils se présentent comme des arbrisseaux; à mesure qu’on avance, ils se développent davantage , et quand on est parvenu au milieu de leur région , on les voit s’élever dans toute leur force , étendre leurs ra- meaux toufFus , et former d’épais ombrages. J’ob- servais , non sans étonnement, comment certains troncs portaient à leur sommité divers caractères tracés sur l’écorce; mais l’appris ensuite que des voyageurs s’amusaient à les graver, quand, en hiver, passant de la Lombardie dans la Toscane, ils trouvaient la neige parvenue à la hauteur de ces arbres , et assez durcie par le froid pour pouvoir y marcher sans crainte. En effet, il existe dans ces montagnes un ancien chemin qui con- duit de Modène à Pistoie. Ces bois de hêtres forment une zone presqu’horizontaîe sur le dos des Apennins, laquelle n’a pas un mille de lar- geur. La même dégradation de force et de vi- DANS LES DEUX SICILE S. 5 1 gueur qui se fait remarquer dans leur végétation , du côté de l’Hôpital de Lamola , existe également sur la lisière opposée qui regarde Scaffajolo. Là, je l’attribue à la température de l’air, qui n’est point encore assez froide pour convenir à la na- ture de ces arbres , qui ne se plaisent que dans les lieux alpestres; ici elle dérive, non d’un excès contraire, mais du peu d’épaisseur de la couche terreuse, qui ne permet pas aux racines de s’é- tendre , et ne leur donne qu’une faible nourriture, ïl suffit de creuser le sol à la profondeur de quel- ques pouces pour trouver la roche sablonneuse. Je crois cependant que le vent du sud-ouest, qui souffle avec impétuosité sur ces cimes éle- vées , contribue beaucoup à leur dépérissement; en effet , tandis que plus bas ils sont abrités de tous côtés par leurs rameaux qui s’étendent au- tour du tronc , ici c es rameaux sont ployés dans la direction du vent , et ne leur servent d’aucune défense. En sortant de la région des hêtres , on rencontre plus haut une longue file de pieux très-élevés qui ont été placés de distance en distance pour servir de guides aux voyageurs durant les hautes neiges. En s’écartant du chemin , ils courent risque de tomber dans un précipice voisin , d’autant plus dangereux alors qu’il est caché à leurs regards. D 2 5a VOYAGES On l’appelle la Losse des morts , parce qu’on y a trouvé des hommes suffoqués par la neige: malgré les précautions que l’on a prises, ce mal- heur ne se renouvelle que trop souvent , et le printemps qui précéda mon voyage , on en avait retiré jusqu’à six cadavres. Bientôt je perdis de vue toute espèce d’arbres, d’arbustes et de buissons 5 je ne rencontrai plus que des prairies maigres et sauvages , servant à peine à nourrir des chevaux pendant l’été : quoique je les traversasse au milieu de cette saison , il y restait encore quelques bandes de neige , mais de peu d’épaisseur. Ici , je n’oubliai point le principal objet de mes recherches, qui était de reconnaître la nature des roches qui servaient de base aux différens sols que je par- courais. Au moyen de quelques excavations que je fis faire, je reconnus la même roche sablon- neuse que j’avais observée dans les régions moins élevées de la montagne. Enfin j’arrivai au bord du Scaffajolo 5 le lieu où il est situé s’appelle les Alpes de la croix. De cette hauteur , la vue se promène sur les mon- tagnes de la Lombardie et de la Toscane, qui s’abaissent au loin. Ce lac avait alors environ quatre cent quatre-vingts pieds de long sur cent soixante-dix-huit de large $ mais en d’autres 53 DANS LES DEUX SICILE S. saisons il s’étend davantage. Ses eaux sont claires et douces ; on n’y voit aucun poisson ; nul être vivant ne paraît l’habiter , si ce n’est la libellule ; plusieurs de ces insectes voltigeaient à sa surface, et notamment la libellula grandis > et la l. vul- garissima de Linnée. Dans la relation d’un voyage sur les mon- tagnes de Réggio que je -publiai il y a quelques années, je parlai d’un lac alpestre nommé Ven- tasso y qui passait pour n’avoir point de fond, et que je parvins à sonder au moyen d’un ra- deau. J’en voulais faire autant du Scaffajolo ; mais les troncs des hêtres que j’avais transportés sur ses bords , se trouvèrent insuffisants pour construire le radeau : la distance était trop grande, le jour trop avancé pour m’en procurer d’autres \ nul moyen de songer à passer la nuit dans cet horrible désert \ il fallait regagner l’Hôpital de Lamola , dernier gîte que l’on rencontre en gra- vissant la montagne. Pour juger de la profondeur de ce lac , je me contentai donc des indices que put me fournir l’examen de ses rives. Elle ne devait pas être considérable, puisque j’ap- percevais le fond en quelques endroits , et que là où il échappait à ma vue , l’eau n’avait point cette couleur bleue très-foncée qui dénote une grande profondeur. Quant à son origine , à sa D 3 54 VOYAGES forme , c’est un bassin creusé au sommet de la montagne qui reçoit l’eau des pluies et des neiges 5 celle - ci, malgré le soleil d’été , formait encore un peu au-dessous du niveau du lac , un grand amas durci , qui seul aurait suffi à remplir quatre glacières. On se doute bien que ni moi , ni mes deux compagnons de voyage , nous ne partagions point l’opinion fabuleuse d’un coup de pierre qui fait sortir de ce lac les tempêtes et les orages 5 mais nos guides , dont les uns étaient de Lamola , les autres de Fanano , y avaient la plus ferme confiance. Je ne saurais exprimer leur étonne- ment quand ils virent que, malgré tous les jets de pierres possibles , l’air restait calme et le ciel serein. Qui V aurait jamais cru ? disaient -ils avec l’air de la stupéfaction. Et cette honteuse crédulité , plus ancienne sans doute que le temps où écrivait l’ingénieux nouvelliste de Certaîdo, avait continué de passer de générations en gé- nérations parmi ces montagnards, sans qu’aucun d’eux eût osé s’assurer de la vérité ! Les leçons même de l’expérience ne sont pas toujours suffisantes. Quand j’allai au lac de Ven- tasso , je trouvai tous les habitans des environs bien persuadés qu’il existait à son centre un grand tourbillon et des eaux si profondes , qu’ils ne DANS LES DEUX SICILE S. 55 croyaient pas que je pusse venir à bout de les sonder. J’en parcourus toute la surface au moyen d’un radeau 5 je ne vis point le tourbillon , et la sonde me rapporta vingt-quatre pieds dans l’endroit le plus profond. Cette expérience faite devant un grand nombre de témoins ne put ce- pendant les guérir de leurs préjugés , et j’appris dans la suite qu’ils y étaient tout aussi attachés qu’auparavant 3 tant il est difficile de détruire l’erreur quand une fois elle a jeté ses racines dans l’esprit du peuple ! Mais les investigateurs de la nature doivent n’attendre leur récompense que d’elle seule 3 ils savent d’ailleurs que la philoso- phie , dans tous les temps, a été paucis contenta judicibus . Je reviens au lac de Scaffajolo 3 ses rives sont composées de pierre sablonneuse 3 le grain en est plus gros, le ciment moins fin 3 on voit çà et là de gros blocs sur lesquels des voyageurs ont écrit leurs noms , avec les dates de leur pas- sage en cet endroit : il y en a qui se rapportent au siècle passé. Ne trouvant plus rien sur ses bords qui fixât mon attention , je dirigeai mes pas vers l’ouest, me tenant à la même hauteur , et marchant ainsi l’espace d’un mille environ pour reconnaître la nature des roches 3 par-tout elle s’ofFrit la même. D 4 V O Y À G E S S6 En descendant du côté de Fistoie , à un quart de mille au-dessous du lac , je rencontrai plu- sieurs sources d’eau vive ; d’autres sourdent de même au côté opposé de la montagne , et à une distance presque égale de son sommet. Je ne puis croire avec les habitans du pays, que ces sources qui, au sud , serpentent vers la Tos- cane, et au nord vers la Lombardie, dérivent du Scaffajolo : l’effet serait plus grand que la cause : le volume d’eau qu’elles jettent toutes ensemble aurait bientôt épuisé ce lac , qui cependant ne reste jamais à sec. Quelle est donc leur origine > J’en dirai un mot quand je parlerai des sources du mont Cimone* Le chemin que je pris pour retourner à Fana- no fut celui que j’avais suivi en partant 5 je le préférai pour être plus sûr de mes premières observations , et je puis dire que je n’eus qu’a les confirmer. Je n’ajouterai donc plus rien, si ce n’est un fait d’un autre genre que j’ai cru plus convenable de placer à la fin de ma re- lation. Je veux parler d’un nombre infini de taupes qui habitent la région des hêtres. Je n’exagère point en disant que je les rencontrais par mil- liers, les unes courant sur la terre, les autres DANS LES DEUX S ï C I L E S. 5j' montant , descendant le long des arbres au pied desquels elles avaient établi leurs demeures. Elles me rappelèrent ces taupes de passage , entre autres les lemmus > qui habitent les Alpes de la Laponie; mais on m’assura que celles de Fanano étaient indigènes , qu’elles se nourrissaient de graines de hêtres ; que pendant les rigueurs de l’hiver, elles pratiquaient des chemins sous laneige pour aller à la quête de ces alimens ; que lorsque cette ressourceleurmanquait,ellesabandonnaient le bois , et descendaient plus bas dans les lieux cultivés , où elles dévastaient les blés en herbe. Il faut cependant qu’elles soient attirées et fixées dans cette région par quelque circonstance par- ticulière, car de tant de forêts de hêtres que j’ai traversées en d’autres parties des Apennins et dans les Alpes , il n’en est pas une où je me rappelle d’avoir vu une semblable colonie de taupes. J’aurais voulu en déterminer l’espèce ; mais elles étaient si agiles à la course et si sau- vages , que toute mon adresse n’aboutit qu’à en arrêter une avec le pied , encore lui fis-je tant de mal , que son corps défiguré n’était plus reconnaissable ; elle me parut seulement plus grosse du double que le mus musculus ; -elle avait le dos et les flancs tannés , le ventre blanc ; son estomac était plein de graines de hêtres , preuve que mes montagnards ne se 58 VOYAGES trompaient point sur le genre d’alimens de c es animaux. Le torrent Léo tire son origine de quelques sources situées au-dessous du bois ; à mesure qu’il s’approche de Fanano , il en reçoit d’autres qui grossissent ses eaux. Descendu dans la plaine , où il se confond avec un autre torrent nommé Scultenna > il a déjà acquis une certaine étendue. La truite , salmo trutta , est presque l’unique poisson qui y vive et s’y multiplie $ elle est petite comme toutes les truites de montagne, mais d’un goût exquis. La pêche en est curieuse et facile. On détourne l’eau du torrent dans une autre partie de son lit 3 celle qu’il abandonne reste à sec, à la réserve de quelques petits courans que l’on appelle des puits ; c’est là que se cachent les truites 5 on les prend avec un filet qui s’é- largit ou se rétrécit à volonté , selon les circons- tances. Ce torrent est leur demeure constante et fixe : si un débordement causé par des pluies exces- sives les emporte dans le Scultenna ou dans le Pannaro, elles remontent vers leur élément na- tal dès qu’elles en ont le pouvoir. Cette prédi- lection pour les eaux alpestres est commune à toutes les truites de montagne , soit qu’elles en aiment la température ? soit qu’elles y trouvent BANS LES BEUX SICllES. OC) une nourriture plus abondante ou meilleure 5 soit enfin que leur limpidité et leur pureté con- viennent mieux à la nature de ces animaux 3 pour qui les boues et les vases sont presque toujours mortelles. Eo VOYAGES CHAPITRE XXXV. Ployage au mont Cimone et à Barigazzo , Lieu célèbre par les feux qui y brûlent depuis un temps immémorial . Ju’a près- midi du 10 du même mois, je partis de Fanano pour le mont Cimone , et le soir je pris gîte dans une bergerie située sur la lisière des hêtres. A une heure du matin, je me remis en route à la faveur d’un beau clair de lune , voulant me trouver sur la cime du mont dès l’aurore naissante pour jouir du lever du soleil. Après avoir traversé le bois et monté quelque temps , j’entrai dans une vaste prairie appelée Piano Cavallaro , parce qu’on y fait paître des chevaux pendant l’été. Jusqu’à cet endroit le chemin est assez agréable; mais le reste est très- rapide , et tout encombré de blocs de pierre sablonneuse. Une heure et demie avant jour , j’atteignis le sommet du Cimone ; la lune s’était cachée sous l’horizon; mais au milieu de l’obscurité quj dans les DEUX SICILES. 6 1 régnait , je fus récréé par un spectacle auquel je ne m’attendais pas. Il faut savoir que la veille, comme je gagnais la bergerie , le ciel s’était couvert d’épais nuages poussés par un vent d’ouest très-impétueux ; qu’il était tombé un déluge de pluie et de grêle , accompagné de tant d’éclairs et de coups de tonnerre , qu’on eût dit que la montagne s’écroulait ; mais la tempête n’avait pas duré long-temps, et je m’étais mis en route, qu’il ne paraissait pas un seul nuage sur l’horizon. Cependant à mon arrivée sur le Cimone, je trou- vai que le ciel se voilait de nouveau , et c’est alors que je commençai à appercevoir, à travers les ténèbres nocturnes , des flammes volantes , ou , comme l’on dit , des feux-follets , dont ia plupart voltigeaient à mon zénith. Je jugeai qu’ils étaient autant élevés au-dessus de ma tête que ceux que j’avais pu voir du fond des plaines , ou des bords même de la mer : leur vitesse ne paraissait pas plus grande. Je les contemplai ainsi jusqu’au lever de l’aurore, qui les fit disparaître. Ces météores s’enflamment donc à des élévations bien plus considérables qu’on ne le suppose com- munément. J’aurais voulu mesurer la hauteur du Cimone 5 mais je manquais des instrumens nécessaires. Je rapporterai seulement que l’ayant considéré de- 6 2 VOYAGES puis en navigeant sur la Méditerranée, et à une distance d’où je pouvais d’un seul regard l’em- brasser de la base au sommet , j’estimai qu’il était élevé d’environ mille toises au-dessus du niveau de la mer. Ce qu’il y a de certain , c’est qu’il surpasse de toute la tête les autres monts Apennins, et que de sa cime on domine sur toute la chaîne supérieure de ces montagnes. Celles- ci , en été , ont déjà perdu leurs neiges , que le mont Cimone en est encore couvert. Le 24d?août, me retrouvant à Fanano, voici ce que j’eus oc- casion d’observer. La veille il souffla un vent de sud-ouest assez chaud, et par intervalles nous eûmes des ondées de pluies accompagnées d?é- clairs. Le vent tourna au nord pendant la nuit 5 le lendemain au matin , d’épais nuages nous ca- chèrent la cime des monts. Ces nuages étaient évidemment pluvieux , cependant ils laissaient tomber sur le Cimone je ne sais quel voile blan- châtre , qui parut un indice de neige aux habitans de Fanano. L’atmosphère s’était considérable- ment rafraîchie 5 mon thermomètre, qui la veille marquait dix-sept degrés , avait descendu à sept et demi. Vers les deux heures après midi , le ciel commença à s’éclaircir 5 bientôt la chaîne en- tière des Apennins se montra à découvert , et nous vîmes alors le Piano-Cavallaro et le Cimone resplendissans de neige , tandis que les autres \ BANS LES BEUX SICILE S. 63 monts n’en offraient aucune trace. — Je reviens à ma narration. J’étais parti de nuit pour contempler à mon arrivée le soleil levant 5 mais l’horizon nébuleux dans la partie de l’est me déroba ce magnifique spectacle ; les vapeurs de l’atmosphère m’em- pêchèrent également de découvrir les deux mers, l’Adriatique et la Méditerranée, perspective im- mense dont on jouit sur le Cimone, quand l’air est parfaitement pur et transparent. Ainsi privé de cette jouissance, je ramenai mes regards plus près de moi, je m’appliquai à considérer les ob- jets qui étaient à mes pieds ; je fis le tour du sommet de la montagne , je descendis sous ses escarpemens , je contemplai ses pentes rapides, ses flancs dépouillés 5 j’observai sa structure in- térieure , celle des montagnes voisines gisantes au sud-est , qui en sont la prolongation ; et je vis ces énormes masses toutes composées de roche sablonneuse dont les couches sont pour la plupart horizontales. Si elles s’écartent quel- quefois de ce plan , c’est pour pencher du même côté. J’en inférai qu’elles avaient été produites par une seule et même cause , toujours dirigée à opérer dans le même sens. Le Cimone représente par son sommet un cône obtus. Le plateau qui le termine a environ un VOYAGES 64 septième de mille de circonférence. Il est formé de grandes tables de la même roche sablon- neuse , mais détachées et sans liaison entr’elles. On pourrait plutôt leur donner le nom de pou- dings, car les grains quartzeux liés par le ciment s’y trouvent avoir jusqu’à un demi-pouce de dia- mètre ; leurs angles émoussés , leur figure arron- die, prouvent d’ailleurs qu’ils ont été roulés. Là, nulle végétation , quoique les neiges eussent totalement disparu : mes guides m’assurèrent qu’elles n’v séjournaient pas long- temps, ba- layées par les vents qui les transportent dans les parties basses de la montagne. En descendant de ce sommet , et me dirigeant vers Y est , je rencontrai à peu de distance un monticule dit le Cimoncino , parce qu’il est plus petit que le Cimone. Dans la réalité c’en est une véritable branche , où la nature a employé la même matière et la même forme. Dans le cours de ce voyage , comme dans celui que j’avais fait précédemment au lac de ScafTajolo , je fus très-attentif à épier les traces des corps marins, sachant combien les recherches de ce genre sont importantes pour la théorie de la terre. Je ne m’en fiai pas à la vue simple, j’eus recours au microscope , examinant les di- vers sables, et cherchant à y découvrir ces petits testacées DANS LES DEUX SICILE S. 65 îestacées fossiles qui , par leur ténuité , échappent à nos sens; mais quelqu’attention que j’apportasse à cet examen, je ne pus en appercevoir un seul , ni corps, ni empreinte. Je visitai avec le même soin , et avec aussi peu de succès , les roches calcaires , qui d’ailleurs se terminent vers les hau- teurs de Fanano. # C’est ici le lieu de raconter qu’avant d’entre- prendre mes excursions dans les Apennins , on m’avait dit à Modène, et répété à Fanano, qu’il existait vers la partie la plus haute du Cimone, une grosse veine de beau marbre mélangé. Pré- venu de cette idée, je fis les plus minutieuses, mais en même temps les plus vaines recherches ; enfin je m’adressai à un pâtre , qui connaissant parfaitement ce prétendu marbre , me conduisit tout droit sur le lieu , c’est-à-dire au sud de la montagne , et à un demi-mille de distance de son sommet. Je vis là deux pointes de roches , saillantes, peu écartées l’une de l’autre, et qui probablement se confondaient sous terre en une seule masse. Au premier aspect, il me fut évi- dent que ce n’était point du marbre ; je pris quelques échantillons pour les examiner à mon retour , et les soumettre à l’analyse. En voici les résultats. Cette roche est argileuse; elle ne con- tient qu’une très-petite quantité, de chaux; sa Tome V, E / 66 VOYAGES cassure est un peu écailleuse , quoique douce au toucher; sa pesanteur est médiocre; sa cou- leur d’un rouge foncé 3 interrompue çà et là par de petites veines blanches de quartz et de spath. Il faut noter que sa position locale est au milieu de la roche sablonneuse. Sous le plateau , à la distance d’environ un neuvième de mille , et dans la direction de l’est , coulent quatre fontaines perpétuelles., dont l’une dite Beccadella serait capable de faire aller un moulin. L’extrême hauteur d’où jaillissent ces eaux , est une contradiction dans le système uni- versellement embrassé sur l’origine des fontaines et des fleuves; car on y prétend que les pre- mières ne sourdent jamais à l’extrémité des mon- tagnes , mais qu’elles jaillissent de leurs flancs ou de leurs bases. On ajoute que si par hasard on en trouve quelqu’une qui sorte de terre au sommet d’un mont , on voit toujours dans le voi- sinage de ce mont une autre éminencesupérieure où cette fontaine prend son origine. La difficulté qui se présente ici contre ce système avait déjà été élevée par Galeazzi, pro^ fesseur de Bologne , au retour d’un voyage qu’il fit au Cimone en 1719 (1). Les sources qui dé- (1) Voy. les Comment, de i’Àcad. de Bologne, t. I. DANS LES DEUX SICILE S. 67 bouchent un peu au-dessous du lac de Scaffajolo ne trouvent pas mieux leur explication dans l’hy- pothèse où on les ferait dériver des eaux du Ci- mone comme d’une sommité supérieure. Il n’est pas même concevable comment le Cimone en peut procurer une suffisante quantité à ses pro- pres sources, pour qu’elles ne tarissent jamais dans les plus grandes sécheresses. Pour moi je ne vois qu’une réponse 5 si elle n’est pas entièrement sa- tisfaisante , elle ne choque pas du moins la vrai- semblance : c’est de supposer sous le plateau du Cimone , et sous le lac de Scaffajolo , de vastes réservoirs emplis des eaux du ciel , lesquels ne se vidant pas entièrement pendant la saison sèche, alimentent perpétuellement les sources situées à leurs bases. En effet , si les neiges ne peuvent fondre sur le Cimone , attendu qu’elles n’y sé- journent pas , et sont transportées ailleurs par les vents , il est toujours certain que les pluies ne déversent jamais par les bords du plateau ; que son sable les boit toutes, qu’elles pénètrent dans l’intérieur du mont , où elles trouvent de nombreuses fissures , de larges crevasses , des cavernes même , effet de la disposition irrégu- lière , confuse , de masses de roches qui n’ont aucune liaison entr’elles. Il était près de midi lorsque je songeai à quitter E 2 68 VOYAGES ces régions supérieures ; le ciel était devenu se- rein ; ie thermomètre , qui au point du jour ne s’élevait qu’à sept degrés et demi , en marquait actuellement treize et un quart. Cette variation de température , dont l’effet fut très-sensible sur mon corps , devait l’être bien davantage sur les petits êtres organisés et vivans qui habitaient ces lieux. C’étaient des insectes , peu nombreux à la vérité; parmi ces petites peuplades , je remar- quai des scarabées , scarabeus jimetarius , sans doute attirés par les excrémens des chevaux qui paissent sur le Piano Cavallaro ; des guêpes , apis rostrata ; des tipules, tipula lunata ; des taons , tabanus bovinus $ et quelques larves. Aux heures où le thermomètre ne marquait que sept degrés et demi, ces petits animaux, immobiles de froid , étaient dans une véritable léthargie. J’admirais ^ en eux cet instinct que la nature a donné à tous les êtres pour leur propre conservation; comme s’ils eussent prévu cet état de faiblesse, ou plutôt cette suspension momentanée de la vie, chacun s’était mis à couvert des injures de l’air, chacun avait cherché sa retraite , sa défense sous les pierres , sous les bancs des rochers ; mais com- mençant à ressentir la chaleur du jour , ils aban- donnaient leurs niches , couraient aux environs, ou voltigeaient dans les airs. Ce phénomène dans l’économie animale des insectes , je l’avais déjà \ , ' ; , - ' , BANS LES BEUX SICILE S. 6g observé plusieurs années auparavant , dans un voyage que je fis à la montagne d’Anghirina , peut-être moins haute que le Cimone , mais plus froide, située au-dessus de Purlezza, à quelque distance du lac de Lugano. C’était au milieu du mois d’août : en parcourant la montagne , je rencontrais fréquemment, depuis onze heures du matin jusqu’à deux heures après midi , des papillons voltigeant de fleurs en fleurs , et suçant le miel de leurs calices 5 mais après cette partie du jour , ils restaient immobiles à la même place et comme frappés de mort, jusqu’au moment où le soleil revenant sur l’horizon , leur restituait la chaleur et la vie. Je descendis du Cimone parla pente de l’ouest ; j’avais examiné sa structure et les matières dont il est composé, vers son milieu et à son sommet; il me restait à l’examiner de même dans ses par- ties inférieures et à sa base. Le chemin que je pris était conforme à mon but ; je gagnai avant la nuit le village de Fiumalbo , situé au pied de la montagne dans une profonde vallée. Pendant ma route , je ne perdis point de vue la roche sablonneuse , et je reconnus ainsi que cette subs- tance régnait par toute la hauteur du Cimone, du moins dans la partie qui regarde la Lom- bardie. Deux voyages que je fis dans la suite E 5 70 VOYAGES en deux endroits difFérens de la montagne , mais plus près encore de ses bases , me confirmèrent la preuve de ce fait. Je parlerai maintenant de Barigazzo et de ses environs. Pour m’y rendre , je pris ma route par Fanano et par Sestola , petit bourg dans les hau- teurs du Modénois, célèbre par son fort antique qui, situé sur un rocher escarpé, devait passer pour inexpugnable aux temps où il fut construit. Le rocher, semblable à ceux que j’ai décrits jus- qu’ici , est composé d’une pierre sablonneuse dont les couches inclinent un peu de l’ouest à l’est. Quelques-unes admettent entr’elles de petits fi- lons de substance hétérogène, soit marneuse, soit argileuse. Si l’on mesurait la distance de Sestola à Bari- gazzo sur une ligne droite, on compterait à peine trois milles, mais on en fait véritablement huit pour y arriver , à cause des montées et des des- centes continuelles. La même pierre sablonneuse se découvre tout le long de la route 5 on y re- marque cependant une différence , c’est qu’elle embrasse à sa surface des blocs de carbonate cal- caire veinés de spath. Ce mélange règne à Ba- rigazzo et dans les environs 5 le calcaire y est mis à profit : on l’emploie à faire de la chaux. Il ne faut pas oublier un autre fossile qui se DANS LES DEUX SICILE S. 71 rencontre très-fréquemment dans le pays : c’est le sulfure de fer, presque toujours dans Fétat’de cristallisation, tantôt isolé, tantôt incorporé avec la roche sablonneuse. Barigazzo n’est qu’un petit village à quarante- cinq milles de Modène , où passe la grande route qui conduit de la Lombardie dans la Toscane. Cette route est taillée en plusieurs endroits dans le vif des montagnes ; en joignant Barigazzo , elle traverse une roche sablonneuse , dont la coupe verticale met à découvert la direction des filons qui tendent de l’ouest au nord et au nord-est. Tout le pays est alpestre , couvert de hêtres , sur-tout dans la partie du nord. La température y est plus froide qu’à Fanano ; on moissonne plus tard 5 les récoltes sont plus modiques. Au nord-ouest du village est une montagne , la plus haute des environs , nommée la Cantiere ,* elle est entièrement boisée. De son sommet, on voit la chaîne des Apennins se déployer en amphi- théâtre , et le Cimone élever sa tête par-dessus tous les autres monts. On jiistingue l’inclinaison de leurs couches; on observe cette zone obscure de bois de hêtres qui forme autour d’eux une vaste ceinture , ayant par-tout la même largeur,, par-tout le même degré d’élévation. En réflé- chissant sur la disposition régulière de ces arbres, F 4 • „ \ VOYAGES 72 sur leur station invariable , on se persuade aisé- ment qu’elles sont le résultat des loix de leur organisation , qui ne leur permet de croître et de multiplier qu’à une hauteur donnée , et dans une température déterminée 5 c’est ainsi qu’une multitude d’autres races de plantes répandues sur le globe ont chacune leur domaine à part, et n’habitent spontanément que les lieux qui leur sont assignés par la nature. La roche de la Cantiere est sablonneuse ; ses filons courent de l’ouest au nord et au nord-est , comme les liions de celle qui sert d’encaissement à la grande route près du village. Je cherchai vainement à son sommet et le long de ses pentes, le carbonate calcaire 5 cette pierre ne commence à se montrer qu’auprès des feux de Barigazzo ; elle devient ensuite plus abondante à mesure que le sol s’abaisse , et elle présente dans son mé- lange avec la roche sablonneuse, les mêmes cir- constances que nous avons déjà remarquées ail- leurs. Ce ne sont pas des cavités qu’elle y est venue remplir, et l’on ne peut pas dire qu’elle se soit engendrée par infiltration : incorporée avec la roche sablonneuse , elle ne fait qu’un seul tout avec elle $ de manière que pour avoir l’une , on est souvent forcé de briser, l’autre. Il faut donc rapporter à la même époque la for- DANS LES DEUX SICILE S. 7 3 mation de ces deux pierres , et croire qu’elles sont contemporaines. Le carbonate est disposé par bancs , tantôt verticaux, tantôt obliques , niais rarement parallèles à l’horizon. Ils varient dans leurs dimensions ; souvent ils se trouvent avoir plusieurs pieds d’épaisseur , souvent ils sont réduits à quelques pouces. Ensevelis dans la roche sablonneuse , on n’en voit que l’extrémité qui saille au-dehors ; vainement y chercherait- on des vestiges de corps marins. Ces bancs ont le grain un peu gros , et la dureté de leurs congé- nères ; leur couleur est cendrée , tirant sur le rouge; leur cassure ne prend aucune figure dé- terminée; du reste, ils se dissolvent avec effer- vescence dans les acides , et font une chaux ex- cellente. En jugeant du volume respectif des deux substances, calcaire et sablonneuse, par ce qu’il en paraît à l’œil par-tout où elles sont mélangées, On peut dire que la première n’arrive pas peut- être à la centième partie de la seconde. Je rappellerai, en terminant ce chapitre, deux autres voyages que je fis quelques années aupa- ravant dans les montagnes de Reggio. Le pre- mier me fournit matière à des observations que je communiquai à Charles Bonnet (i) ; je lui par- (i) Elles furent publiées dans les Mémoires de la So- ciété italienne, t. II, part. n. 7^ V O Y A G E S lais de la nature des roches qui composent cette longue chaîne d’Apennins vulgairement appelée yîlpi di S. P ellegrino , et j’insistais principa- lement sur la roche sablonneuse que j’y voyais dominer par-tout, tant du côté de la Garfagnana que de celui de la Lombardie. La relation de mon second voyage fut adressée à Yalisneri (1). Il est vrai qu’ayant alors en vue tout autre ob- jet que la constitution de ces montagnes , je n’en- trai point avec lui dans de semblables détails ; mais je dois prévenir ici que ce second voyage ndofïrit à cet égard les mêmes résultats que le premier , et que dans l’un comme dans l’autre , jamais il ne m’arriva de rencontrer des dépouilles de corps marins. J’ai parcouru la partie des Apennins qui re- garde la Lombardie, très-peu la partie opposée qui correspond à la Toscane ; mais je suis porté à croire qu?elle est à-peu-près constituée de la même manière. Ce qu’il y a de sûr , c’est que d’après les observations très-exactes deTargioni, la roche sablonneuse domine dans les monts de la Toscane , et que ses énormes massifs forment en s’élevant de vastes gorges dans les Alpes de ce pays. Ce naturaliste en indique plusieurs dans la (j) Voyez Racolta calogeriana . DANS LES DEUX SICILE S. 7$ relation de ses voyages (i) ; il observe ensuite avec beaucoup de jugement comment les bases , ou plutôt les racines de cette rocbe s’étendent à de grandes distances , quoique recouvertes d’autres substances pierreuses , entr’autres la calcaire ; il en suit pour ainsi dire la trace, en montrant de loin en loin les endroits où elle perce au travers sous différentes formes. A la vérité , je n’ai pas été à même de faire de semblables remarques sur les montagnes que j’ai visitées 5 elles devaient m’échapper tant que je ne parcourrais que leurs sommets ou leurs ré- gions moyennes 5 mais descendant à leur pied, j’ai pu entrevoir à mon tour comment il serait possible que la pierre sablonneuse des Apennins de la Lombardie se propageât sans interruption jusqu’à leurs derniers fondemens. Quoi qu’il en soit , voici le fait sur lequel j’établis ma con- jecture. Un peu au-dessus du château de Scan- diano , situé au pied des collines entre Modène et Reggio , s’élève au sud-est une petite mon- tagne qui , formée de cette pierre , n’ofFre que ruines et précipices. Partie nue , partie couverte de champs , elle s’avance au sud , tourne ensuite au sud-est , et donne naissance à des rochers ap- (1) Viaggi délia Toscana, VOYAGES 76 pelés ripe délia Scajfa ; puis elle se cache sous terre, reparaît dans fa même direction à Castel- larano , village peu distant de la rivière de la Sec- cliia , sous la forme d’un vaste rocher entièrement nu, sur lequel est bâti le château de ce nom. A l’ouest, cette même montagne jette une autre racine qui , enterrée dans des substances cal- caires , passe sous le torrent de Tresinaro , pour reparaître à deux milles plus loin sur les bords du petit torrent de Fasano. Je ne veux point affirmer que cette pierre qui constitue une por- tion des bases de nos Apennins , soit en parfaite continuation avec celle de même nature qui en compose les parties supérieures : les terres, les diverses substances lapidifiées dont ces mon- tagnes sont recouvertes çà et là m’en dérobent la preuve. Ce n’est donc qu’une simple opinion que j’énonce , mais en l’environnant de toutes les probabilités qui peuvent la faire regarder comme la plus approchante de la vérité. Le lecteur , qui a remarqué avec moi la dis- position de cette pierre sablonneuse par couches horizontales , ne doutera pas qu’elle ne soit l’ou- vrage de la mer; mais l’attribuera-t-il plus parti- culièrement à son long et tranquille séjour sur notre continent, ou croira-t-il avec Dolomieu qu’elle est un effet de l’action violente de se& DANS 'LES DEUX SICILE S. 77 eaux (1) ? Je n’entrerai- point dans cette question , qui m’éloignerait de mon but 5 je préviendrai seulement une objection. Si la mer a formé ces montagnes , comment se fait-il qu’elle n’y ait laissé aucun dépôt de corps marins ? Le célèbre Saussure , dans une circonstance analogue , a montré comment les pierres sablonneuses des environs de Genève, qui tirent évidemment leur origine de la mer , sont cependant privées de ces sortes de dépouilles. Ce naturaliste a remar- qué avec raison que la mer ne produit pas par- tout des coquilles 5 que souvent des causes lo- cales, telles que les principes acides , les altèrent, arrêtent leur pétrification , opèrent même leur destruction. Dans ses voyages en Italie , il a ob- servé des collines , blanchissantes pour ainsi dire, de coquilles répandues à leur surface et dans leur intérieur 5 tandis que dans le voisinage^ il en existe d’autres qui n’en renferment aucune trace, bien qu’elles aient une origine commune. Je suis moi-même en état de confirmer ces preuves. On se rappelle la pêche aux bilancelles dont j’ai parlé plus haut , pêche qui se pratique à Gênes. Ce sont deux navires marchant de conserve , auxquels on attache un vaste filet dont les mailles (1) Voyez Roxier , Journal de physique , t. XXXIX, an. 1791. VOYAGES 78 sont si serrées , que le plus petit poisson ne sau- rait s’échapper au travers. Sa partie inférieure, au moyen des plombs qui y sont adaptés, rase le fond de la mer, balaye tous les corps qui se trouvent sur son passage , les saisit et les amène. J’ai assisté quelquefois à cette pêche; je m’amu- sais à jeter au-devant du filet de petites pierres marquées d’un signe pour les reconnaître : le filet les saisissait toutes. Je dirai donc, pour en reve- nir aux coquilles, que souvent il s’en prenait • par ce moyen de grandes et de petites d’espèces différentes ; que souvent aussi le filet n’en rap- portait aucune , bien qu’il cheminât l’espace de plusieurs milles. Il était donc évident que ces corps n’existaient point sur toute la surface par- courue. Quant au fait cité par Saussure touchant les collines de la Toscane, dont les unes sont si abondantes en testacées marins , et les autres en sont totalement dénuées , j’ai observé le même phénomène dans celles de Reggio. En écrivant à Charles Bonnet (1) , je lui disais que le granit ne s’était point offert à mes regards dans la partie des Apennins que j’avais visitée. Le voyage dont je donne actuellement la relation ne m’a pas fourni davantage l’occasion d’en voir. Ce- (1) Voyez la lettre citée. DANS LES DEUX SICILE S. 79 pendant ces montagnes ne sont pas absolument privées de cette roche ; elle existe en quelques en- droits de la Lombardie; j’en ai trouvé des échan- tillons à Parme, dans les cabinets du professeur Guatteri et du comte Sanvitali ; à Plaisance dans celui du marquis Casati. Ces granits très-vulgaires ne diffèrent point les uns des autres. Les proprié- taires m’ont assuré qu’ils les avaient rencontrés, non faisant partie de grandes masses , mais errans sur les lits des torrens qui descendent des Apen- nins. En 1790 , j’en recueillis de pareils dans la rivière de Stafora près Voghera, que j’ai décrits au chapitre XII de ce livre. Mais personne ri’a fait de rencontre plus heu- reuse en ce genre que l’abbé Spadoni , qui, dans son savant ouvrage intitulé : L ettere odeporicke su i monti Ligustici , parle de la découverte de deux sortes de granit en grandes masses. Il ob- serve qu’elles étaient détachées du corps de la montagne , et que probablement elles étaient descendues de queîqu’endroit plus élevé. Il serait à desirer que ce naturaliste entreprît une seconde excursion dans les mêmes lieux , et qu’en se remettant sur les traces de ces précieux dépôts de l’antique nature , il s’assurât s’ils ne tiennent pas à la montagne, et examinât les matières dont ils sont environnés. 8o VOYAGES Quoi qu’il en soit , on a toujours la preuve que cette roche primitive n’est pas étrangère à la longue chaîne des Apennins, fait qui était ignoré , ou plutôt contesté , avant que Spadoni eût publié sa découverte. / s CHAPITRE DANS LES DEUX SICILE S. 8l CHAPITRE XXXVI. Observations et expériences sur les feux de Barigazzo. Après avoir pris une connaissance générale des matières qui composent les montagnes de Modène, de Reggio , et sur-tout de Barigazzo, je me crus plus en état de rechercher la cause d’un phénomène qui excitait beaucoup ma cu- riosité 5 je veux parler des feux qui apparaissent auprès de ce dernier village. Ils occupent une pente tournée au sud , et ne sont éloignés de la grande route que d’un sixième de mille. Le 16 d’août , jour que j’y allai , ils n’étaient point allumés. Chemin faisant , mon guide m’apprit que la veille ils brûlaient , mais que l’orage qui s’était élevé pendant la nuit les avait éteints. Il attribuait cet effet, non à la pluie, quoiqu’elle eût été très-forte , mais à l’impétuosité du vent. Quand nous fûmes arrivés sur les lieux , il prit une mèche ardente, la jeta au milieu d’un petit espace couvert de poussière et dénué de plantes : ç’était-la le foyer des feux $ aussi-tôt ils se rallu- mèrent. Voici ce que j’observai en ce moment; Tome F Ba VOYAGES Avant que la mèche eût touché la terre, îl en sortit à Tiroproviste une flamme , d’abord peu considérable , mais qui en un cîin~d’œil se ramifia et s’étendit dans toute faire , comme si cette aire eût été semée de grains de poudre à canon* Ces flammes en s’allumant rendirent un bruit semblable à celui que fait un fagot de bois qui prend feu tout- à- coup après avoir long- temps fumé. Elles formaient un groupe qui à sa base avait tout au plus deux pieds de circonférence; les plus hautes montaient à un pied et demi ; les plus basses ne s’élevaient qu’à quelques pouces. Les unes se coloraient d’une teinte bleuâtre à leur naissance ; mais en s’élevant , elles prenaient une couleur blanche tirant sur le rouge : les aqtres paraissaient bleues par-tout. Cette re- marque fut faite trois heures avant le coucher du soleil ; on verra dans la suite qu’à l’égard de ces apparences de couleur, l’avertissement du temps n’est pas inutile. L’odeur qui se répandait à l’entour ressemblait à celle du gaz hydrogène quand il brûle. La première preuve que j’eus de l’identité du principe de ces feux avec le gaz hydrogène fut la suivante. A un pied et demi environ de leur foyer , il existait une petite fosse pleine d’eau trouble , du fond de laquelle s’élevait incessamment une . DANS LES DEUX SICILE S. 85 multitude de bulles d’air qui venaient éclater à sa surface. Ayant recueilli une certaine quantité de ce fluide aériforme,il s’enflamma sur-le-champ à l’approche d’une chandelle allumée. Je répétai l’expérience à la surface de l’eau , et les bulles s’enflammèrent de même en répandant une forte odeur de gaz hydrogène. Après avoir entrevu le véritable principe de ces feux , je cherchai à les étouffer en y versant de l’eau avec un arrosoir. Ils s’amortirent , mais sans s’éteindre tout- à - fait, et l’instant d’après ils reprirent leur vigueur et leur extension or- dinaire. Ce moyen ne m’ayant pas réussi, je me servis de mon chapeau de feutre rabattu en le faisant passer rapidement sur les flammes ; pour le coup elles s’éteignirent , ce qui me confirma dans l’opinion de mon guide et des habitans du village , que le vent , non la pluie , peut les supprimer. A la place où elles venaient de disparaître , je fis creuser une fosse de la profondeur d’un pied, que je remplis d’eau tirée d’une fontaine voisine, persuadé que le gaz hydrogène ne man- querait pas de monter aussi-tôt à la surface sous la forme de bulles. Ce que j’avais prévu arriva, et ces bulles se consumèrent en flammes au con- tact d’une chandelle allumée $ seulement elles F a VOYAGES 84 étaient petites , et leur nombre ne correspondait point au volume des feux qui brûlaient précé- demment à la même place. Je conjecturai , ou que l’eau apportait un obstacle à l’éruption du gaz , ou qu’en remuant la terre , j’avais bouché en partie les petites voies par lesquelles il se fai- sait jour : une nouvelle expérience contraria dans la suite cette dernière conjecture. Mais ce qui m’importait alors était de m’assurer de plus en plus du principe générateur de ces feux. J’examinai la terre extraite de la fosse ; c’était une décomposition de roche sablonneuse , de cette roche qui constitue les montagnes de Ba- rigazzo , mélange de petits grains quartzeux , d’écailles argentines de mica , réunis à une subs- tance pulvérulente argilo-calcaire. Cette terre était brune à la surface 3 on voyait que le feu l’avait attaquée ; mais à une certaine profondeur, elle ne manifestait aucune altération; sa couleur était cendrée; on y trouvait encore des fragmens de la roche sablonneuse. Ceux qui gisaient à dé- couvert avaient acquis un rouge de brique cuite:, les petits en étaient pénétrés jusqu’au centre ^ les gros jusqu’à certaines limites , conservant au- delà leur couleur naturelle , couleur qui domi- nait dans tous les morceaux ensevelis à quelques pouces de profondeur dans l’aire des feux. De / DANS LES DEUX SICILE S. 85 plus, par -tout où les pierres étaient teintes en rouge , elles se montraient friables 3 par-tout où elles gardaient leur couleur primitive, elles con- servaient aussi leur dureté native. De même que les matières terreuses , ces pierres avaient donc éprouvé en partie l’action du feu 3 et comme le gaz hydrogène ne s’enflamme qu’au contact de l’air, on conçoit comment la surface du foyer en avait seule ressenti l’effet. Ainsi il suffisait de l’aspect du sol pour reconnaître , non-seulement la place où brûlait actuellement le feu , mais celle où il avait cessé de brûler. En effet , les pierres qui se trouvaient hors de l’enceinte de l’in- cendie, à la distance de huit à dix pieds , étaient plus ou moins rouges comme celles du foyer ac- tuel 3 et j’appris des habitans du village que les flammes en certains temps devenaient plus véhé- mentes , et s’étendaient jusque là. On verra dans la suite , quand je traiterai des salses , que ces phénomènes ainsi nommés sont dûs au gaz hydrogène , qui en se faisant jour à travers la terre , chasse devant soi un limon semi- fluide qui engendre des monticules et de petits courans : les feux de Barigazzo n’ont jamais rien produit de semblable , soit à la place qu’ils occu- paient autrefois , soit à celle qu’ils occupent au- jourd’hui. F 5 V O Y A G E S Je réviens à mes expériences. Les étincelles d’une pierre à fusil dirigées sur l’aire des feux éteints, quoique très- copieuses et très-vives, furent incapables de les rallumer. Des charbons ardens répandus dessus ne firent pas davantage; au contraire , ils s’amortirent à vue d’œil , ce qui ne m’étonna point , sachant que le gaz hydro- gène, bien que très-inflammable , a la propriété d’éteindre le feu ; mais en approchant de l’aire un brin de papier enflammé , l’incendie se ré- veilla subitement , et son explosion se fit avec le même bruit sourd qui avait accompagné la première. J’essayai alors d’éprouver l’activité de ces flammes , en y exposant des matières combus- tibles. Il y avait des hêtres aux environs 5 j’en fis couper quelques branches , et je les plaçai sur l’aire. D’abord elles pétillèrent 5 le moment d’après elles prirent feu, comme si je les avais jetées dans un foyer ardent. La nuit s’approchant , je me retirai dans l’hô- tellerie située en face sur la grande route , dans l’intention de revenir le lendemain avant le jour. Eu effet je devançai l’aurore ; près d’arriver , je sentis à cinquante-cinq pieds de distance l’odeur du gaz en combustion, et à onze pieds sa chaleur; mais je dois prévenir que j’étais sous le vent , BANS LES DEUX S TC IL E S-. 8j qui soufflait du nord , et ne venait à moi qu’après avoir passé sur le feu. L’incendie paraissait un peu plus grand que la veille , à cause de certaines petites flammes qui effleurant la terre , ressem- blaient par leur couleur azurée, par leur légè- reté et leur peu de chaleur , à celles de I’alkool; mais au lever du soleil elles disparurent à ma vue , et l’incendie revint , en apparence , à ses premières limites. Curieux de savoir ce que produirait le re- muement de la terre dans l’aire , je l'éparpillai avec une pioche 3 aussi-tôt les flammes en sor- tirent plus vives, plus bruyantes 3 elles s’élevèrent plus haut, occupèrent deux fois plus d’espace qu’auparavant , et ce redoublement d’incendie se maintint ensuite constamment. Il ne parut aucune fumée , et les pierres enveloppées par les flammes ne devinrent point fuligineuses. En bouleversant ainsi l’aire de ces feux, j’avais exci- té, non loin de son enceinte , une petite flamme de la grandeur d’un pouce et demi tout au plus. Je donnai là un coup de pioche ; soudain la flamme s’éleva six fois plus haut. En continuant de piocher autour de ce nouvel incendie , if gagna du terrein , sans cependant passer cer- taines limites. La raison de ce phénomène n’est pas difficile à concevoir : en remuant la terre F 4 88 VOYAGES j’ouvrais de nouvelles voies à la sortie du gaz hydrogène ; mais cette sortie ne pouvait avoir lieu que dans un endroit déterminé , celui où aboutissaient les canaux souterrains de ce gaz. Je recouvris de terre et de pierres l’aire en- flammée ; j’en fis un lit épais que je pressai avec les pieds : les flammes diminuèrent sans dispa- raître entièrement ; leurs pointes perçaient çà et là. Quand je réussissais à les étouffer en accu- mulant sur elles de nouvelles matières , aussi-tôt elles se pratiquaient ailleurs de nouvelles issues. Ayant débarrassé Faire de cet encombrement, l’incendie reprit sa première vigueur. J’ai parlé plus haut d’une fosse pleine d’eau située dans le voisinage. Je la vidai entièrement; la vase qui restait au fond bouillonnait avec une sorte de sifflement : cet effet provenait de l’érup- tion gazeuse. En y appliquant la flamme d’une mèche allumée , elle prit feu ; mais l’eau qui sourdait au fond de la fosse eut bientôt éteint l’incendie. Je refis d’une autre manière l’expérience. La fosse s’étant de nouveau remplie , et l’ébullition venant à reparaître à la surface de l’eau , j’y plongeai presque jusqu’au sommet un grand en- tonnoir que j’avais envoyé chercher à l’hôtelle- 1 DANS LES DEUX SICILE S. 8g rie voisine , obligeant par ce moyen le gaz à sortir en lieu sec par l’ouverture du tuyau; alors j’en approchai une chandelle allumée ; tout-à- coup il s’y forma une langue de feu , qui con- tinua de paraître au sommet de l’entonnoir tant qu’il resta plongé dans l’eau, et je ne doute pas que si j’eusse pu le fixer à la même p-ace , ce météore ne s’y fût constamment attaché. Je ne poussai pas plus loin mes recherches dans ce premier voyage ; l’hiver s’avançait sur ces montagnes; les frimats , les neiges allaient s’en emparer ; je partis avec la résolution de revenir accompagné des instrumens nécessaires pour entreprendre l’analyse chimique du fluide aériforme , dont je n’avais observé jusqu’à pré- sent que les efFets physiques. J’efFectuai ce pro- jet le 4 d’août de l’année suivante, transportant avec moi un appareil pneumatico -chimique à mercure , plusieurs réactifs , et des bocaux de diverses grandeurs. On me dira peut-être que je pouvais me dispenser de tout cet embarras ; qu’il suffisait de faire venir à Pavie , dans des vessies bien fermées , le gaz que je me proposais d’analyser , ou , ce qui valait mieux encore , dans des bouteilles de verre à col étroit , bou- chées avec un tampon passé à l’émeril, et pour plus de sûreté , posées sens dessus dessous , avec ^ . - , VOYAGES 9° un peu d’eau dans l’intérieur pour couvrir l’ex- trémité inférieure du tampon. Mais j’observerai à l’égard des vessies , que les gaz s’y altèrent toujours plus ou moins , soit qu’en se desséchant elles laissent échapper des miasmes qui se com- binent avec ces fluides , soit qu’elles ne les ga- rantissent pas entièrement de toute communi- cation avec l’air extérieur : j’en parle ici par expérience. Quant aux bouteilles de verre , elles sont sans doute un excellent moyen de préser- vation , mais comment les transporter sans acci- dent à cent trente milles de distance ? Tout ce que je pus faire , ce fut de risquer le voyage pour quelques-unes seulement , et encore d’une très-petite capacité : je dirai dans la suite ce qui en résulta. Toujours est-il vrai que la meil- leure méthode est de faire ces sortes d’analyses sur les lieux même , et je la suivis. Lorsque j’arrivai à Barigazzô, les gens de l’ho- telîerie me dirent que les feux brûlaient déjà depuis plusieurs mois , et personne ne pouvait mieux le savoir qu’eux, toujours prompts à y conduire les étrangers pour l’appât de quel- qu’argent qui leur en revient. Je revis donc ces feux dans le même état , et à la même place qu’ils étaient l’année précédente. Malgré la con- tinuité de leur combustion 7 l’aire ne manifestait DANS LES DEUX SICILE S. gi aucune trace de suie; je remarquai seulement un principe de calcination , une croûte rougeâtre et friable sur les morceaux de pierre sablon- neuse que j’avais laissés dans son enceinte à mon premier voyage 3 et qui étaient alors parfaitement intacts. La fosse voisine que j’avais comblée avant de partir , s’était reformée au moyen d’un courant de pluie qui en avait emporté la terre ; de plus, une petite source supérieure s’y était fait jour , et l’entretenait d’eau constamment. Cette eau bouillonnait , et l’odeur du gaz se faisait vive- ment sentir. J’y plongeai mon thermomètre, qui marquait alors seize degrés trois quarts; il baissa de deux degrés et demi. En laissant ces feux dans leur état naturel , que pouvais-je en apprendre de plus ? il fallait y provoquer un changement. Ce que j’imagi- nai de mieux fut de susciter quelque grand in- cendie au moyen d’une excavation profonde ; mais auparavant il était nécessaire d’éteindre ce- lui qui existait ; ce que je fis en versant dessus tout- à-la-fois un seau d’eau. L’aire étant située, comme je l’ai dit , sur une pente de la montagne, je fis ouvrir plus bas, à la distance de seize pieds , une tranchée qui , prolongée horizontalement jusque sous les feux , devait avoir à cette place ga VOYAGES environ sept pieds de profondeur : je lui donnai six pieds et demi d’ouverture. A peine eut-on enlevé à la terre son écorce qu’elle parut hu- mide et fangeuse. Elle était noire , et parsemée d’une infinité de particules luisantes de mica. Elle exhalait en outre une très forte odeur de gaz hydrogène. La tranchée fut achevée le même jour , et conduite jusque dans l’aire des feux , dont une portion resta intacte. La terre se montra par-tout de la même nature , si ce n’est que la croûte de Faire fut trouvée plus dure , plus épaisse , à cause de la chaleur qui l’avait pénétrée. L’odeur, ou pour mieux dire , la puanteur du gaz était si forte , qu’on avait de la peine à la supporter. Le thermomètre appliqué sur le plan de l’excavation et sur les côtés , ne donna aucun indice de calorique in- terne; alors j’y entrai moi-même, et me plaçant à la distance de trois pieds du lieu où l’incendie se montrait avant que je l’eusse éteint , j’ordonnai à un des ouvriers d’y laisser tomber une mèche allumée. Au moment qu’elle toucha la terre , il s’en éleva une flamme si volumineuse , qu’elle remplit la moitié de la tranchée ; j’en fus entiè- rement couvert, et ma promptitude à m’échap- per n’empêcha pas que je n’eusse les cils et les cheveux brûlés en partie. Je me doutais bien que l’excavation accroîtrait l’incendie , mais je DANS LES DEUX SICILE S. 9^ n’imaginais pas qu’elle lui donnerait autant d’ex- tension. Les flammes avaient environ Luit pieds de hauteur, et cinq pieds de circonférence à leur base. Elles ne s’élevaient pas seulement du fond de la tranchée , mais elles s’échappaient encore par les côtés , par celui sur-tout qui regardait le nord. Là, de larges crevasses situées dans une direction presque parallèle à l’horizon, leur don- naient passage $ en sortant, elles se repliaient et montaient en l’air. Le gaz hydrogène , outre ses issues directes de bas en haut , parcourait donc des routes horizontales , du moins à la surface de la terre. Il était alors une heure après midi $ le soleil brillait sur la montagne. En ce moment, je vis au sommet du faisceau de flammes comme une vapeur tremblotante qui s’élevait à vingt-cinq et trente pieds ; assez transparente pour laisser distinguer les objets situés au-delà , tels que les arbres et le corps de la montagne , elle émous- sait cependant un peu les rayons solaires , et il en résultait sur la terre une pénombre toujours en mouvement. Cette vapeur décrivait sous le vent une courbe , et se raréfiait à mesure qu’elle s’élevait. Dans cette direction , on sentait l’odeur du gaz à deux cents pieds de distance , et à VOYAGES 94 trente-quatre la chaleur. Plus près , et à cinq pieds du foyer , celle-ci devenait intolérable. Du reste , l’incendie ne communiquait pas fort au loin son calorique au terrain environnant. Le bruissement des flammes ressemblait par- faitement à celui que produisent des fascines de bois en combustion : on l’entendait à cent cin- quante pieds de là. Pour pouvoir en même temps comparer la couleur de ce feu avec celle du feu de bois, je fis allumer à côté de l’incendie gazeux un grand tas de branches de hêtres ; ce second feu développa des teintes de rouge très-animées, et absolument conformes à celles du premier. On voyait au sommet des flammes la même vapeur tremblotante. Les carbonates calcaires du pays , et ceux qui environnent les feux de Barigazzo , abondent en veines apathiques ; à chaque pas on rencontre des fragmens de ce spath : il y en avait dans îa tranchée , et les flammes les enveloppaient alors comme elles avaient investi ceux de faire avant de l’avoir creusée; mais ceux-ci n’y avaient point éprouvé d’altération sensible , tandis que ceux-là perdirent leur transparence , et tom- bèrent en décrépitation , preuve évidente de l’augmentation du calorique. Ces nouvelles flammes produisirent un autre BANS LES DEUX SICILE S. g5 effet non moins remarquable , ce fut de noircir la terre et les pierres qu’elles touchaient , en les couvrant d’un léger voile de suie, effet que n’avaient pu opérer les anciennes après une con- flagration qui avait duré plusieurs mois. Ayant ramassé , au fond de la tranchée, quel- ques-unes de ces dernières pierres avec des mor- ceaux de terredmbibés d’eau , et imprégnés de l’odeur du gaz hydrogène, je les portai à mon auberge pour en faire un examen dont je vais rendre compte. La suie était une matière im- palpable , poudreuse , inodore ; touchée , elle teignait les dofgts ; unie à des corps, le souffle de la* bouche suffisait pour l’enlever 5 posée sur la langue , elle était insipide ; sur des charbons ardens , elle ne brûlait point, ne fumait point, ne donnait aucune odeur sensible. Quant à la terre , je l’éprouvai au feu. D’abord son odeur de gaz hydrogène devint plus piquante , ensuite elle s’évanouit; l’eau dont elle était pénétrée, peu à peu s’évapora. En se desséchant ainsi, de noire qu’elle était , elle devint grise , sans donner la plus petite flamme , le moindre indice de bitume ou de soufre , ou de toute autre substance qui , en brûlant , répande des émanations odorantes. Avant la fin du jour, je retournai vers les feux, et les trouvai dans l’état où je les avais laissés : VOYAGES 9S c’était même extension , même vigueur, même couleur ; seulement , à l’approche de la nuit , d’autres flammes bleuâtres parurent s’y réunir , qui de jour n’étaient point visibles à cause de leur trop grande raréfaction; semblables à de petites langues, on les voyait poindre tout autour du foyer du grand incendie, briller un moment, s’éclipser et renaître encore ; mais la nuit venue , elles se montrèrent persistantes. A ces heures nocturnes, je m’apperçus encore que les flammes du grand incendie qui , en s’allumant dans la tranchée , ne m’avaient paru s’élever qu’à la hauteur de huit pieds, en atteignaient actuellement neuf et même dix , non qu’elles eussent , je pense , réellement augmenté ; mais le passage de la lumière du jour aux ténèbres de la nuit laissant distinguer leurs sommités très atténuées , causait seul cette appa- rence. Les habitans du village accoururent en foule ; jamais ils n’avaient vu ces feux dans un tel développement. A quelle cause l’attribuer, si ce n’est à la sortie d’une plus grande quantité de gaz, au- paravant comprimé par la croûte terreuse de l’aire , actuellement trouvant une issue par toutes les crevasses intérieures que la tranchée avait mises au jour ? J’avais coopéré à la multiplication de ces feux avec DANS LES DEUX SICILES. 97 avec une satisfaction extrême 5 maintenant je souhaitais qu’ils s’éteignissent , et cela pour ob- server le gaz à son passage par les fissures de la terre. Mais le volume qu’ils avaient acquis était un obstacle à leur extinction : un seau d’eau versé dessus 11e suffisait plus 5 ils s’éteignaient dans un coin , continuaient de brûler dans l’autre, et bientôt l’incendie regagnait le terrain perdu. A quelque distance au-dessus , dans la direction du nord-ouest, jaillissaient trois petites fontaines qui , se réunissant plus bas , formaient un ruis- seau abondant, lequel descendait le long de la montagne et non loin du foyer. Son eau limpide ne paraissait avoir aucune communication avec les émanations gazeuses 3 elle n’en avait point l’odeur, et on ne voyait point de bulles s’éle- ver à sa surface. J’en fis puiser plusieurs seaux, qui , versés à-la-fois sur les feux , parvinrent à les éteindre entièrement. La terre étant fort spon* gieuse, eut bientôt absorbé l’inondation. Cepen- dant la chaleur continua de s’y faire sentir pen- dant plusieurs heures ; quand elle fut réduite à la température de l’atmosphère , ce que je re- connus au moyen du thermomètre , j’entrai dans la tranchée , et m’approchai des crevasses par où les flammes sortaient auparavant , voulant m’assurer de la présence du fluide gazeux qui naturellement n’avait pas dû cesser de s’en écou- Tome V. G C)8 VOYAGES 1er. D’abord je tins l’oreille attentive près de leurs ouvertures pour savoir si je n’entendrais pas quelque murmure , quelque sifflement ; je n’entendis rien. J’y appliquai le revers de la main , alors je sentis un vent léger • je pris des fils de soie , je les suspendis au-devant , et les fils oscillèrent et se courbèrent contre moi. Ces deux expériences prouvaient assez f écoulement d’un fluide invisible : était- ce le gaz hydrogène? je n’en doutais pas ; cependant pour en avoir la preuve certaine , j’adaptai à la bouche d’une crevasse l’extrémité d’un long tube de laiton , et je liai l’autre au cou d’une vessie comprimée et privée d’air. Je laissai ainsi l’appareil pendant quelque temps, après avoir pris la précaution de déployer la vessie pour en faciliter l’entrée au gaz , qui s’y rendit effectivement , mais avec lenteur. Quand il s’y fut amassé en quantité suffi- sante , je retirai le tube 5 j’approchai de son ou- verture une mèche allumée - en même temps je pressai la vessie ; le fluide sortit , s’enflamma au passage , et parut comme une langue de feu à l’extrémité du tube. L’oscillation des fils de soie, le souffle que j’avais senti en présentant la main devant les crevasses , étaient donc au- tant d’effets des émanations du gaz hydrogène, seul auteur des feux qui s’y manifestaient pré- cédemment. Je dois observer que ce gaz, à sa DANS LES DEUX SICILE S. 99 sortie de terre , ne marquait sur le thermomètre qu’une température égale à celle de l’air at- mosphérique ambiant. J’étais content du succès de mes recherches ; elles avaient autant contribué à mon amusement qu’à mon instruction 5 cependant ma curiosité n’était pas entièrement satisfaite 3 j’aurais voulu savoir si les crevasses horizontales servant, comme autant de canaux , à la sortie du gaz, continuaient vers la montagne dans la même direction , ou bien si elles se repliaient vers le centre de la terre. Cette connaissance était importante pour déterminer en quelque manière la localité de la mine de ce fluide aériforme. Profitant de l’ex- tinction des feux , je fis prolonger la tranchée d’environ six pieds du côté de la montagne* en même temps je fis vider la fosse , j’ordonnai qu’on la creusât davantage ; alors je m’apperçus que la veine de gaz qui y aboutissait ne venait pas du fond , mais qu’elle avait son issue sur les côtés et dans la direction de la montagne. J’essayai de la réunir à la grande veine, à la veine génératrice des feux , par le moyen d*un canal tiré jusqu’à la tranchée, et se terminant par un large bassin circulaire. Dans ce nouveau travail, on rencontra la même terre , une terre noire , trè?-humide , 'exhalant l’odeur du gaz hydro- G 2 ÎOO VOYAGES gène , indice certain que le courant passait au travers. Je laissai tomber au milieu du canal des morceaux de papier allumés : ce fut sans effet. Je provoquai de même l’incendie contre les pa- rois supérieures du grand bassin ; aussi-tôt les feux se produisirent tumultueusement , et j’ob- servai bien que l’ascension s’était faite , non dans le fond , mais sur les côtés , à la hauteur d’en- viron un pied. Les flammes en sortaient par une multitude de petites fissures situées dans une direction à-peu-près horizontale. Cette expé- rience m’apprit deux choses : la première, que le gaz de la fosse voisine était une dérivation de celui qui se rend au grand foyer; la seconde, que les courans ne parcouraient que des routes horizontales, du moins en cet endroit, lesquelles aboutissaient probablement à une ouverturedans la montagne voisine, qui n’est, comme je l’ai dit, qu’une masse énorme de roche sablonneuse. C’est -là, je pense, qu’il faudrait chercher la mine intarissable qui le produit, le renouvelle et l’entretient sans cesse. En efFet , comment con- cevoir que cette mine puisse exister dans la croûte de terre étendue sur les racines de cette montagne ? une croûte si mince pourrait - elle renfermer cette quantité prodigieuse de matières qui , de quelque nature qu’on les suppose, sont nécessaires pour alimenter si constamment, et DANS LES DEUX SICILE S. I O 1 depuis si long-temps , les feux de Barrigazzo ? mais cette question sera discutée ailleurs avec plus d’étendue. Je fis une station de quinze jours dans le pays; tantôt je me plaisais à contempler le nouvel in- cendie que je venais de susciter, plus animé, plus fort que le précédent 5 tantôt je réteignais par le moyen indiqué , pour me procurer avec des ves- sies la quantité de gaz dont j’avais besoin pour mes expériences. D’abord , et pendant quatre jours consécutifs , les flammes continuèrent sans interruption; à leur sortie des crevasses latérales du bassin circulaire , elles se repliaient en haut avec impétuosité , et surmontaient de quelques pieds la surface du sol. Malheureusement j’étais dépourvu du pyromètre de Wedgwood; ne pou- vant mesurer avec précision l’intensité de leur calorique , je ne laissai pas de tenter une expé- rience qui pouvait m’en donner un apperçu. Au- dessus de ces flammes, je fis élever une voûte fa- briquée avec des moellons de carbonate calcaire, de manière que la surface inférieure en fût inces- samment investie. Je voulais savoir si la pierre se convertirait plus ou moins en chaux. Au bout des quatre jours , je visitai l’intérieur de la voûte ». elle était noire à cause de la suie qui s’y étais formée ; en examinant les moellons , je les trouvai G 5 102 VOYAGES calcinés à la profondeur d’environ un pouce , et réduits en une véritable chaux, qui, tempérée avec de l’eau et unie au sable , composait un excellent mortier. Pendant que je m’occupais de cet essai , je reçus la visite d’un habitant d’Acquaria de Ses- tola , nommé Michel- A ngiolo Turini , homme très - industrieux , et tenant pour inutile toute spéculation qui n’apporte pas de l’argent. Ayant vu le succès de mon expérience , il imagina de construire à la même place un petit four à chaux ; les pierres ne manquaient pas aux environs; après la cuisson on pouvait recourir à la source voisine pour éteindre le feu , et le rallumer ensuite avec autant de facilité. Autre avantage. La grande route passait à deux pas de là : praticable en tout temps , elle offrait des moyens de transport, et des communications aisées pour le commerce de la chaux. J’approuvai beaucoup l’idée de mon nouveau spéculateur. Après mon départ, il ache- ta à très- bas prix le petit espace de terre occupé par les feux , mit aussi-tôt la main à l’exécution de son projet , et m’écrivit le 18 octobre de la même année dans les termes suivans : « Connais- sant l’intérêt que vous prenez au succès d’une tentative à laquelle vous m’avez encouragé, je » m’empresse de vous en donner des nouvelles. DANS LES DEUX SICILE S. Iû5 »A peine mon four fut-il construit sur la place »des feux, que je les rallumai par le procédé » ordinaire 5 les flammes investirent si bien la » pierre, que je ne doutai pas de ma réussite. En » effet, au bout de douze jours, une bonne partie » s’est trouvée parfaitement cuite 5 j’en ai mis à »part dans un petit sac que je vous enverrai par »la première occasion ». Cette chaux me parvint peu de temps après: les gens de l’art la trouvèrent excellente. Turini continua d’en faire les années suivantes , et j’ai appris , vers la fin de 1794, par un de mes amis qui, revenant de la Garfagnana en Lombardie, avait passé par Barigazzo , que le four était en- core à cette époque en pleine activité. Je croyais être le premier qui eût donné l’idée de faire servir les feux du gaz hydrogène à cuire la pierre calcaire , et de convertir leurs foyers en fours à chaux , lorsqu’en parcourant les Transactions philosophiques , je découvris que cet usage existait depuis long-temps en Perse. Le fait est rapporté dans une lettre de James Mounsey adressée au président de la société de Londres , et imprimée dans ses Mémoires de l’année 1748, n°. 48y. Comme ces sortes de livres ne sont pas entre les mains de tout le monde , je transcrirai ici les principaux détails G 4 VOYAGES 1 O 4 de cette lettre ; non-seulement ils sont propres à piquer la curiosité du lecteur , mais ils se lient naturellement à mon sujet. « A trois milles de la mer Caspienne , dans la » péninsule d’Abscheron , est un espace de terre » d’environ deux milles de largeur qui jouit d’une » merveilleuse propriété. Cette terre forme une » couche peu épaisse sur un sol très-rocailleux. » Si , après en avoir remué la superficie, on y rapplique le feu , il s’en élève subitement des » flammes qui ne s’éteignent plus , à moins que »l’on n’y jette de la terre, ce qui les sufFoque » promptement. Là, existe un caravansérail y » où vivent douze prêtres indiens et d’autres zélés » adorateurs du feu, lesquels, d’après leur tra- dition , donnent à celui-ci une durée de plu- sieurs milliers d’années. L’édifice est . en forme »de voûte; ses murs sont pleins de crevasses: »si l’on approche la lumière de l’une d’elles, il »s’y engendre aussi-têt une flamme qui se com- »munique à toutes les autres avec la rapidité »de l’éclair , mais qui s’éteint très-aisément, Sans » provision de bois, avec le seul secours de ces » flammes , les habitans de la maison cuisent leurs ^alimens dans des vases adaptés à des trous faits exprès. En guise de flambeaux , ils ont des ro- nasaux évidés , plantés en terre : veulent-ils les DANS LES DEUX SICILE S. lo5 rallumer , ils appliquent le feu à leur extrémité » supérieure , d’où sort tout- à-coup une flamme » blanche qui brûle sans les consumer; veulent- » ils les éteindre , ils en bouchent l’orifice avec de » petits couvercles faits en forme d’éteignoirs , »et destinés à cet usage. »Pour faire de la chaux , ces Indiens entassent »dans une fosse des pierres calcaires sous les- quelles ils mettent le feu ; les flammes s’élèvent » de terre , se répandent à travers le tas de pierres : »au bout de trois jours de combustion la chaux »est cuite. Quelque véhémentes que soient les » flammes, elles n’exhalent ni fumée, ni odeur. »A un mille et demi de cette terre ardente, on »voit des sources de naphte blanc très-inflam- »mable ; environ neuf milles plus loin , on trouve 5>du pétrole ; les habitans du pays s’en servent »pour faire bouillir l’eau où ils font cuire leurs »alimens; mais ce bitume a cela d’incommode, » qu’il leur communique son goût et son odeur » . En lisant cette relation , personne , je pense, ne doutera que les feux de la péninsule d’Abs- cheron ne soient engendrés par le gaz hydro- gène. Il faut cependant avouer qu’il y a dans la combustion de ce gaz certaines particularités qui ne se présentent pas ordinairement dans celle îo6 VOYAGES* des autres gaz congénères. La première est qu’en brûlant il n’exhale aucune odeur, chose d’autant plus remarquable ? qu’il est vraisemblablement le produit du naphte environnant ; la seconde est que la flamme suscitée à l’extrémité des roseaux plantés en terre paraît blanche, tandis que dans des circonstances analogues, celle du gaz hydro- gène naturel se montre plus oq moins azurée. Je l’ai vue telle à Barigazzo , et en d’autres lieux où des feux semblables ont pour principe le même fluide aériforme. Quoique dans les exemples ci- tés la masse de ces feux paraisse rouge , il n’en est pas moins vrai que les flammes en s’isolant se colorent de bleu. Je puis en donner une preuve bien sensible , en rappelant l’expérience de l’en- tonnoir plongé dans l’eau de la fosse située dans le voisinage des feux de Barigazzo : la flamme que j’allumai à son orifice était bleue, et j’ob- serve en passant que cet entonnoir faisait , à l’égard du fluide aériforme de la fosse, le même office que les roseaux des Indiens font à l’égard de celui de la terre d’Abscheron. La troisième particularité qui se remarque dans la combustion de ce dernier , est la faculté de réduire la pierre calcaire en chaux dans le court espace de trois jours. Il en faut huit ou neuf pour que la cuisson se fasse dans nos fours ordinaires chauffés avec du bois. Les feux de Barigazzo dont j’ai beau-? DANS 1ES DEUX SICILE S. I07 coup accru l’efficacité en demandent douze ; encore cette expression de l’entrepreneur Turini , une bonne partie de la pierre s’est cuite par- faitement en douze jours , montre qu’au bout de ce temps la cuisson ne s’était pas également opérée par-tout. Quel degré d’activité assigne- rons-nous donc aux feux du gaz hydrogène de Perse , si trois jours leur suffisent pour amener la pierre calcaire à l’état de chaux? Encore s’ils a gissaient comme dans un four à réverbère ; mais ces pauvres Indiens se contentent d’entasser les pierres dans une fosse, et d’allumer par-dessous le gaz hydrogène. Pour fonder quelque doute légitime touchant une activité si prodigieuse , il faudrait, en admettant le fait de trois jours, examiner si la pierre calcaire du pays n’est pas beaucoup plus caïcinable que la nôtre. Au reste, il est toujours certain que dans un lieu de la Perse, comme actuellement en Italie , on parvient à faire de la chaux , en n’employant pour combustible que le gaz hydrogène brûlant à la superficie de la terre 5 et ces deux exemples mériteraient d’être suivis par- tout où ces feux naturels existent , sur-tout si le. pays manquait de bois. Les habitans de Barigazzo sont dans l’opinion que lorsque le temps se dispose à la pluie , ou lorsque la pluie tombe , leurs feux deviennent VOYAGES ïoB toujours plus animés , plus étendus. Ce fait me parut assez important par les conséquences qui pouvaient en résulter pour que je le confirmasse par l’observation. Aussi fus-je très-attentif à épier à rapproche des orages et des pluies , ces pré- tendus changemens. Je ne perdis pas même cet objet de vue pendant mes diverses courses à Fanano , où je passai environ quatre mois de la belle saison en deux années consécutives, ayant laissé à Barigazzo un homme de confiance qui veillait pour moi , et me transmettait avec soin ses remarques. Mais avant d’en dire les résultats, qu’il me soit permis de raconter ce que j’ai ob- servé en général touchant les tempêtes dont j’ai été témoin en voyageant dans les Apennins de la Lombardie. Elles y sont beaucoup plus rares que dans les Alpes ; en été , elles s’abattent le plus souvent dans les environs du lac Majeur, du lac de Côme et de celui de Lugano. Là , il arrive quelquefois que deux, et même trois tem- pêtes se forment et se succèdent dans le même jour : il y en a qui durent long-temps. Je me souviens qu’une année , revenant des montagnes de Grigioni à Milan , et couchant à Laveno sur le lac Majeur , il survint le soir une tempête accompagnée d’éclairs, de pluie et de grêle, qui persista toute la nuit. Au contraire , dans nos Apennins, vingt jours d’été s’écoulent, et davan- DANS LES DEUX SICILE S. lof) îage , sans qu’il y tombe une seule goutte d’eau ; et quand un orage passe , rarement un autre lui succède dans le même jour $ ils sont courts, et ne durent guère plus d’une heure. Etant à Barigazzo ou à Fanano , je pouvais en quelque sorte prédire les changemens de temps. Si, dès Je matin , les sommets des montagnes parais- saient purs et dégagés de toute vapeur nébu- buleuse , c’était un signe presque certain de la sérénité du jour 3 mais si l’on y appercevait çà et là des groupes de nuages , si ces nuages al- laient croissant en nombre et en volume , s’at- tachant les uns aux autres , et s’élevant comme des tours resplendissantes , alors ils manquaient rarement de porter la pluie ou la grêle sur quel- ques cantons de ces montagnes. Ces nuages ora- geux ne venaient presque jamais de l’est, mais ils avaient leur direction du sud au nord , et plus souvent de Fouest à l’est. J’ai fait une autre remarque : les nuages seulement pluvieux s’ap- puyaient ordinairement sur les sommets des mon- tagnes , ou descendaient plus bas 5 les nuages qui devaient se dissoudre en grêles se tenaient à une plus grande hauteur , et flottaient bien au-dessus des pics les plus élevés. Je reviens à l’effet de ces bourasques sur les feux de Barigazzo. Durant mon séjour , il y ïio VOYAGES tomba deux fois de la grêle , une fois de la pluie , et ces divers météores furent accompagnés d’un vent très-violent. A leur approche , je me transportai auprès des feux, et j’y restai aussi long- temps qu’un parapluie put me garantir un peu de la chute de la grêle ou de la pluie. Quand ce se- cours me fut devenu inutile, je me réfugiai dans l’auberge voisine , d’où , muni d’une bonne lu- nette, je voyais tout aussi distinctement les feux - que lorsque j’étais auprès. L’orage étant passé, je retournai sur le lieu. Or voici le résultat de mes observations. Dans une de ces tempêtes , le volume des flammes s’accrut sensiblement $ dans les deux autres , elles ne parurent éprouver aucune modification. Une fois le vent fut si vio- lent qu’il renversa plusieurs arbres, et cependant il ne put éteindre les flammes, qui, à la vérité, avaient déjà pris une grande consistance à cause de l’excavation que j’avais faite auparavant dans leur foyer. L’ami qui, en mon absence, s’était chargé de suivre et de noter les modifications qui arriveraient à ces feux dans des circonstances semblables , m’assura que de onze averses de pluie , trois les avaient considérablement aug- mentés , et les huit autres les avaient laissés dans leur état ordinaire. Je ne pus donc entièrement adopter l'opinion 121 DANS LES DEUX /SICILE S. des habitans du pays ; leur ayant demandé ensuite sur quel fondement ils l’appuyaient, je m’apperçus que c’était moins sur le témoignage des sens que sur une ancienne tradition. Toutefois je fis cette réflexion , que pour bien en juger, il faudrait re- nouveler l’examen en d’autres saisons, le résultat pouvant être alors très-différent , et me rappelant les leçons que j’avais reçues de l’expérience , je m’appliquai ces paroles de Musschenbroek : « J’ai eu souvent occasion de reconaître, et à » ma grande satisfaction, que les mêmes corps pré- sentent des phénomènes très - différens , selon » qu’ils agissent pendant l’hiver ou pendant l’été, » dans le printemps ou dans l’automne y quand il » fait sec ou quand il fait humide ; et voilà pourquoi » des philosophes voyant leur attente trompée en » répétant certaines expériences , les ont regar- dées comme infidelles. Ces mêmes expériences » recommencées aujourd’hui , tantôt produisent des effets aussi étonnans que dangereux par les » puissances qu’elles déployent et les explosions » qu’elles font naître; tantôt se taisent, et n’o- »pèrent rien de plus que si on posait une pierre »sur une pierre , ou si l’on versait de l’eau sur de » l’eau (1) ». (1) « Didici sæpius maxima perfusus voluptate quam diversa phœnomena exhibeant eadem corpora hyeme aut 112 VOYAGES æstate , vere aut automno , régnante siçcissimo borea , vel afflante bumenti austro : atque una detexi quam- obrem qaædam tentamina à pbiiosophis inlida appellan- tur , quorum nunc insperati periculosique effectua prop- ter ingentes impetus et explosiones , quæ aliis tempori- bus silent, inertesque sunt , nec alia phœnomena edunt , quam si lapidem quiescenti lapidi tantum imposueris , vel aquam aquæ affuderis. De Methodo instituendi expé- rimenta physica . CHAPITRÉ £) À N S LES DEUX SICILE S. Il5 CHAPITRE XXXVII. Citation des auteurs qui ont fait mention des feux de Barigazzo . Observations sur d’ au- tres feux situés dans les environs . JLe premier auteur qui ait fait mention des feux de Barigazzo est Paul Boccone. Ce natura- liste nous en a laissé une description dans une lettre insérée au recueil de ses Observations naturelles , imprimé à Bologne en i684. Voici comme il s’exprime : « Dans la province de »Monte-Fiorino , sur la montagne de Barigazzo, »les habitans de ce lieu ont, depuis un temps » immémorial , remarqué pendant la nuit des » flammes qui brûlent comme des flambeaux, »et qui continuent encore de paraître depuis »le coucbér du soleil jusqu’à son lever. Elles » sortent par trois ou quatre soupiraux , qui ont y> à- peu-près chacun une ouverture du diamètre »d’un canon d’arquebuse. Dans les temps hu- »mides 5 pluvieux et orageux , elles augmentent » sensiblement , et produisent quelquefois des ex- » plosions semblables à celles du tonnerre. Près de » ces soupiraux , la terre est mêlée de soufre » , Tome V. H VOYAGES 114 Le même auteur dit ensuite , en parlant des flammes de Vetta : « Je les vis au mois d’oc- »tobre 1682, des fenêtres de l’hôtellerie de »Frassinoro ». Après cette exposition , il cherche à rendre raison de la cause de ces feux et de leur inflam- mation qu’il suppose spontanée 5 il a recours à des effervescences souterraines de sels acides et alkalinsjil apporte en exemple certaines subs- tances spiritueuses qui , étant froides, ne laissent pas de s’enflammer quand on les mêle ensemble. En rapprochant ces deux passages de Boccone, on juge assez que s’il fut témoin oculaire des feux de Vetta , il ne vit pas de même ceux de Bari- gazzo , autrement il l’aurait annoncé d’une ma- nière à-peu-près semblable. D’ailleurs sa nar- ration suffit pour montrer qu’il s’en est rapporté au témoignage d’autrui , et aux assertions sou- vent hasardées des habitans du pays. Il dit , par exemple , que les flammes de Barigazzo apparaissaient seulement depuis le coucher du soleil jusqu’à son lever. Comme elles sont ac- tuellement très-visibles de jour , je pense qu’elles l’étaient de même autrefois; mais pour les dis- cerner, il fallait aller sur le lieu, et c’est une peine que l’informateur de Boccone n’avait pas sans doute jugée nécessaire. Certainement avant DANS LES DEUX SICILE S. Il5 i’extension que je leur al donnée, si Ton s’étale toujours contenté de les observer de loin , on ne les aurait apperçus qu’aux heures de la nuit. Boccone ajoute que ces flammes sortaient par trois ou quatre soupiraux d’un diamètre un peu plus grand que le canon d’une arquebuse. Je n’ose contredire absolument cette assertion 5 mais voici ce que je donne pour certain , ce que j’ai observé moi -même : si le gaz hydrogène brû- lant sort d’une terre humide et molle , il l’ouvre quelquefois , et y forme un petit trou par le- quel il continue de s’échapper 3 si elle est sèche et pulvérulente , il ne pratique jamais de sem- blables ouvertures 3 celles qu’on peut y trou- ver sont toujours dues à des causes étrangères. Telle était Paire des feux de Barigazzo avant son excavation 5 on n’y appercevait ni crevasses ni soupiraux 3 le subtil fluide s’en échappait par des pores imperceptibles. Quant aux modifications qu’il éprouve pendant les temps de pluie et d’orage , je me réfère à ce que j’en ai dit sur la fin du chapitre précé- dent. Mais comment ne pas traiter de fabuleuses ces explosions semblables à des coups de ton- H 2 iiG voyages nerre, que produisaient fréquemment les feux de Barigazzo ? S’ils avaient alors cette puissan- ce , pourquoi l’auraient-ils perdue aujourd’hui ? Comme je n’ai rencontré dans les environs , et même dans toute l’étendue des Apennins, aucun vestige de soufre , je pense que ce minéral n’y existait pas davantage au temps de Boccone ; au reste , ce qui a pu donner lieu à cette sup- position , est le préjugé populaire que tous les feux qui viennent de dessous terre tirent l&ur aliment du soufre enflammé. Bernardin Ramazzini , dans une de ses lettres datée du i5 juillet 1698, et jointe au Traité de François Ariosto sur le pétrole dumontZibio, parle des feux de Barigazzo, mais d’une manière incidente , et sans se donner pour témoin ocu- laire. On retrouve dans son récit les mêmes inexactitudes -, les mêmes exagérations. « Il » existe , dit- il , en d’autres lieux , de semblables » soupiraux qui, pendant la nuit et à divers in- »tervalles, lancent avec bruit des globes de » flammes ; tels sont ceux que l’on voit à Bari- »gazzo. Aussi toute cette partie de la campagne »de Modèneet de Reggio qui s’étend au pied des » Apennins est-elle abondante en matières bitu- i) mineuses et sulfureuses (1) (i) Estant prseterea aliis in locis similia spiramenta, DANS LES DEUX SICILE S. 1 1 7 Mais le physicien qui en a raisonné avec le plus de connaissance est le docteur Galeazzi , qui j revenant en 1719 d’un voyage au mont Cimone, s’arrêta à Barigazzo pour les observer. Voici un extrait de son journal, imprimé dans le premier tome des actes de l’académie de Bo- logne. En arrivant sur le lieu , il vit sortir de terre diverses flammes qui s’élevaient à la hau- teur d’un ou de deux pieds, et dont la couleur ressemblait à celle des flammes ordinaires. Elles occupaient alors un espace d'environ six pieds de large 5 mais les habitans l’assurèrent que dans leurs fortes éruptions elles s’étendaient jusqu’à vingt ou trente pieds. Elles répandaient une odeur de soufre , ce qui montrait , dit Galeazzi , qu’elles tiraient leur aliment d’une matière sul- fureuse. Leur chaleur était faible , au point que l’alcohol d’un thermomètre pour ainsi dire plon- gé dans ces flammes, ne s’éleva qu’à huit lignes, mesure de Paris. Si l’on frappait la terre avec violence, tout-à-coup elles cessaient de se mon- trer pendant quelque temps , mais pour repa- quæ noctu et interdit! flammarum g^Iobos cum strepitu éructant , ut in loco qucdam dicto Barigazzio ; quare totus hic tractus mutinensis , et regiensis agri , qui ad Appennini radices jacet bituminosæ et sulphurese ma- terige valde ferax est. — pag. 16. H 3 VOYAGES ll8 raître ailleurs en plus grand nombre et plus vé- hémentes. Elles ne suivaient aucune règle cons- tante dans leur apparition , se montrant l’hiver comme l’été , excepté dans les cas d’une forte pluie ou d’un vent très - impétueux. Galeazzi tâche ensuite d’expliquer le phénomène en se prévalant de l’opinion commune qui attribuait l’origine de ces flammes à des exhalaisons sul- fureuses 5 lesquelles , dit-il , s’allument au con- tact de l’air comme le phosphore de Lemery ou de Homberg. Il s’est écoulé soixante et quinze ans depuis l’époque où ces observations ont été faites 5 en les comparant avec les miennes } on voit qu’elles s’accordent en partie y et que ces feux brûlaient au temps de Galeazzi à-peu-près comme ils brûlent aujourd’hui. C’étaient des flammes plus ou moins hautes > contenant peu de calorique à cause de leur raréfaction , et qui n’en con- tiennent pas davantage actuellement quand elles sont éparses et en petit volume. Les habitans d’alors disaient à Galeazzi qu’elles étaient suscep- tibles d’accroissement 5 ceux d’aujourd’hui m’ont donné les me m’es informations. Elles apparais- saient indifféremment en toute saison ; elles ap- paraissent encore en tout temps , à moins que le vent et la pluie ne se réunissent pour les DANS LES DEUX SICILE S. 1 1 9 éteindre , remarque qui n’est point oubliée dans le rapport de Gaîeazzi. Quant à leur couleur, qui lui parut ne point différer de celle des flammes ordinaires , ce fut vraisemblablement l’effet d’une illusion d’optique produite par la vive clarté du jour qui éclipsait leur azur natu- rel. Si Gaîeazzi les eût contemplées après le coucher du soleil, sans doute il eût remarqué comme moi ces teintes bleuâtres, qui se rendent d’autant plus sensibles que les flammes sont plus petites. Voilà les rapports entre nos relations : voici les différences. Gaîeazzi prétend qu’en frappant avec violence l’aire des feux , ils disparaissaient pour quelque temps 5 j’ai vu au contraire que pour quelque temps ils devenaient plus animés, plus brilians , soit en jetant une grosse pierre au milieu de l’aire, soit en la frappant des pieds avec tout le poids de mon corps. Une remarque semblable a été faite sur les feux de Pietra- Mala. Le même auteur dit que ceux de Barigazzo avaient l’odeur du soufre ; pour moi je leur ai trouvé celle du gaz hydrogène pur, ou tout au plus un peu sulfuré. Quant à l’hypothèse sur la- quelle Gaîeazzi établit l'explication de ces feux, il est inutile de s’y arrêter, puisque nous en avons découvert et démontré le véritable principe. H 4 Ï2Q VOYAGES Ma tâche étant de citer tous les écrivains qui ont fait mention de ce phénomène , il faut bien placer à leur suite Fougeroux de Bondaroy. On trouve dans les Mémoires de l’académie royale des sciences de l’année 1770 , un passage de cet auteur que je rapporterai dans ses propres termes : « Environ à dix lieues de Modène, dans » un endroit appelé Barigazzo > il y a encore »cinq à six bouches où paraissent des flammes »dans certains temps qui s’éteignent par un vent » violent 5 il y a aussi des vapeurs qui demandent l’approche d’un corps enflammé pour prendre »feu.... Mais malgré les restes non équivoques » d’anciens volcans éteints qui subsistent dans la » plupart de ces montagnes, les feux qui s’y voient » aujourd’hui ne sont point de nouveaux volcans »qui s’y forment , puisque ces feux ne jettent » aucune substance de volcans». Le lecteur qui m’a suivi dans la minéralogie des Apennins , et qui est au fait des accidens que présentent les feux de Barigazzo , s’apper- cevra sans peine de la confusion et de l’inexac- titude qui règne dans le récit de l’académicien français. Je ne parlerai point d’une erreur tou- chant la distance de Modène à Barigazzo , qui est , non de dix lieues ou trente milles, mais de quarante- cinq milles 5 je demanderai seulement 121 » DANS LES DEUX SICILE S. pourquoi cette distinction entre de prétendues flammes périodiques et spontanées, et d’autres flammes qui s’excitent au moyen de certaines vapeurs par le contact d’un corps enflammé? c’est mêler le faux avec le vrai et tout con- fondre. En effet , il n’y a point là de flammes spontanées , il n’y a point de flammes qui sortent par des bouches ; toutes s’exhalent de la terre par des conduits imperceptibles 5 toutes ont be- soin de l’approche d’une autre flamme pour exis- ter. N’est-ce pas encore une manière insignifiante et équivoque de s’exprimer que de dire : Les feux qui s’y voyent aujourd’hui ne sont point de nouveaux volcans qui syy forment > puis- que ces feux ne jettent aucune substance vol- canique { N’est - ce pas une supposition très- fausse d’avancer que dans la plupart de ces montagnes il subsiste des restes non équivoques dy anciens volcans éteints ? Qu’il dise la place où existent ces restes de volcans 9 qu’il y montre seulement un morceau de lave , de ponce , de tuffa j ou quelque fragment de verre volcanique, quelque trace de pouzzolane, ou enfin quelque vestige d’un antique cratère. Mais je suis sûr que nos Apennins n’ont jamais renfermé de semblables productions, et j’ai d’ailleurs trop bonne opinion des lumières de ce physicien pour croire que ses propres yeux aient pu le tromper à cet égard. I 22 VOYAGES De tous ces auteurs, Galeazzi doit passer pour le plus exacte le plus véridique, quoiqu’il n’ait pas connu la véritable cause du phénomène dont il était l’historien ; quant aux autres , nous de- vons encore leur savoir quelque gré, leurs re- lations ne nous eussent- elles appris autre chose, smon que depuis le temps de Boccone jusqu’à nos jours, ces feux n’ont point cessé de brûler. Or Boccone racontant lui -même, d’après le témoignage des habitans , que ces feux appa- raissaient depuis un temps immémorial , on peut sans exagération étendre à deux siècles environ les preuves testimoniales de leur existence. Mais voici à cet égard des renseignemens plus positifs. Ce même Turini dont j’ai parlé plus haut, qui venait me voir à Barigazzo , avait alors soixante- quatre ans ; il m’assurait avoir souvent entendu dire à un de ses oncles, mort à l’âge de soixante et dix-sept ans, que non-seulement ces feux brû- laient dé son temps , mais que son père disait la même chose du temps où il vivait , et tenait de son aïeul le même témoignage que celui-ci avait reçu à son tour des plus anciens du village. Au reste , en faisant remonter à deux siècles la tradition orale de leur existence , je ne prétends point en fixer l’époque première , qui vraisem- blablement est beaucoup plus ancienne. Il me suffit de ce laps de deux cents ans pour établir DANS LES DEUX SICILE S. avec fondement les conjectures que je formerai bientôt sur la nature des substances qui , sans cesse et depuis si long-temps , alimentent ces feux. Je passe maintenant à la description de quel- ques autres phénomènes de ce genre situés dans les environs. Le premier qui se présente est le feu de YOrto delV Inferno. On appelle ainsi un petit ruisseau à l’est de Barigazzo , et à un mille et demi de distance , qui , étant à sec , prend feu à l’approche d’un flambeau. Il passe dans un lieu bas, environné de côtes élevées , formées de roche sablonneuse ordinaire , et cependant revêtues d’une couche de terre végétale suffi- sante pour les rendre en partie susceptibles de culture. En arrivant auprès de ce ruisseau, et à trente-cinq pieds de distance , je sentis l’odeur du gaz hydrogène , bien qu’alors il ne brûlât pas. Son lit ne menait point d’eau : celle que l’on y voyoit dans divers petits bassins ne pro- venait que dffine faible source qui s’y épanchait. Là, cette eau était claire, sans couleur, sans odeur , sans agitation , sans ébullition ; ici elle paraissait trouble par la quantité de bulles qui s’élevaient à sa surface $ son goût , son odeur étaient également désagréables. Le thermomètre marquait à l’ombre seize degrés et demi 3 plongé 124 VOYAGES dans les bassins , il baissa d’un demi-degré , ex- cepté dans le plus profond , où il descendit de deux degrés de plus. Le lit du ruisseau conte- nait des pierres sablonneuses roulées ; il était couvert d’un limon argileux mêlé de particules quartzeuses et micacées. Des conferves formaient des tapis de verdure au fond des bassins où l’eau était limpide ; on y voyait aussi quelques petits insectes aquatiques : au contraire, nulle plante, nul être vivant dans ceux que troublait le fluide gazeux. Au dire d’une famille du pays qui habite à quelques pas de ce lieu , la source est per- pétuelle, mais le ruisseau ne court que dans les temps pluvieux. Ces villageois savaient très-bien qu’en approchant un corps enflammé des bulles, elles prenaient feu ; ils me disaient encore que ces bulles s’éteignaient bientôt si elles étaient allumées à la surface de l’eau , mais qu’en lieu sec elles brûlaient long -temps : c’est ce que l’expérience me confirma. Au reste, un homme de cette famille et moi , nous eûmes beaucoup de peine à mettre le feu à ces parties sèches ; il fallait les chercher en tâtonnant , la terre n’ayant aucune gerçure , et ne donnant aucun signe de la sortie du gaz. Vingt et un jets , tant grands que petits , s’élevaient du fond des bassins ; le plus considérable avait un pouce et demi de dia- mètre , et formait continuellement un bouillon BANS LES DEUX SICILE S. 125 à la surface de l’eau. Je renfermai celui-ci sous un large entonnoir , et ayant approché de son ouverture supérieure une chandelle allumée , tout-à-coup il en sortit une flamme pétillante haute de plus d’un pied, qui ne s’éteignit qu’au moyen d’une forte ventilation. Elle formait un spectacle très-agréable 5 sa couleur, sa vivacité, son odeur , et jusqu’à son bruissement , me rap- pelaient les flammes de Barigazzo : la ressem- blance était parfaite. Je mis le feu aux autres jets sans faire usage de l’entonnoir : ceux qui rasaient le bord des bassins continuaient de brû- ler, ce qui n’arrivait pas à ceux qui s’élevaient du milieu de l’eau. J’essayai ensuite de faire une excavation; mais l’eau qui s’y épanchait de toutes parts empêcha l’accroissement des flammes. La terre tirée de cette fouille était en tout semblable à celle qui gît sous les feux de Barigazzo : même odeur , même couleur brune, même humidité, mêmes principes constituans. Les feux de YOrto delV Inferno ne sont pas moins anciens que les feux de Barigazzo. Une tradition constante dans le pays les fait remon- ter à une époque très éloignée. Les habitans m’assuraient que lorsque la sécheresse venait à tarir les bassins , on pouvait susciter dans le lit "VOYAGES ïeG du ruisseau un incendie bien plus étendu, et qui serait perpétuel sans le retour des eaux gonflées par les pluies , ou des coups de vent également capables de l'éteindre. Ici j’eus la plus grande facilité de recueillir , au moyen d’un entonnoir et d’une vessie attachée à son ouverture , telle quantité de gaz qui m’était nécessaire pour mes analyses. Je pouvais même savoir au juste com- bien chaque jet en fournissait dans un temps donné ; la part du plus gros était de cent quinze pouces et demi par minute 5 celle des autres, pris ensemble , de cent trente-deux pouces dans le même intervalle de temps. Je ne fais point entrer dans ce calcul une multitude de bulles qui sortaient à mon gré de la terre humide con- tiguë aux bassins , en la piquant seulement avec un bâton pointu. Telle est donc la fécondité de cette mine de gaz hydrogène, qu’elle ne le cède point à celle de Barigazzo. A cinq milles de ce village et à deux de Sestola, existe , dans un champ ouvert et cultivé , un autre feu qui n’est également connu que des paysans. Le site s’appelle la Sponda del Gatto. C’est un fossé dont le bord est percé de six petits trous ; si l’on approche la main de ces trous, on sent un souffle léger ; l’oreille , on entend un sifflement ; une chandelle allumée , on suscite DANS LES DEUX SICILE S. 127 des flammes. C’est ainsi que j’en fis naître suc- cessivement six, mais faibles-, azurées, et point du tout bruyantes. Sans doute ces trous commu- niquaient ensemble , puisque deux étant bou- chés, les quatre flammes restantes devinrent plus animées , et perdirent une bonne partie de leur azur, qui se changea en rouge-blanc : elles du- rèrent environ une heure et s’éteignirent d’elles- mêmes Le bord du fossé qui leur donne issue est composé d’une terre argileuse , humide ; certainement je ne l’eusse jamais découvert si deux habitans du lieu ne m’y avaient conduit : c’étaient des maçons de profession 5 ils me ra-. contaient qu’ils avaient songé quelquefois à bâtir là une maison , et à placer la cuisine sur le foyer de ces feux pour épargner le bois 5 mais que le médecin de Sestoîa les avait détournés de leur idée , en prétendant que ces feux venaient de l’enfer. Ce bon iqédecin était probablement du pays de Y Orto delV Inferno , ainsi dénommé, je pense , par une semblable raison. â ;y , '••• fu- . > ■ ■ >■ . . ■ t Au reste, cela ne m’empêcha point de prendre avec moi une bonne provision de cet air diabo- lique , qui , soumis dans la suite à l’analyse , se trouva participer en tout à la nature du gaz hydrogène de Barigazzo ; après quoi je m’ache- minai vers les feux de Vetta , ainsi décrits dans 528 VOYAGES la lettre citée de Boccone : « De l’autre côté »de la montagne, vis-à-vis la terre de Frassino- »ro, à la gauche du ruisseau ou torrent JDra - vgone y se trouve un village appelé J^etta, près » lequel on voit constamment , pendant la nuit, »une flamme qui s’élève quelquefois à hauteur » d’homme, et qui s’augmente dans les temps plu- vieux comme celle de Barigazzo. Les habitans » rapportent que cette flamme s’engendre dans -une terre ferme, un peu poudreuse, qui occupe »un espace d’environ cinq brasses de circon- férence, ayant au centre un rocher où Ton -ne découvre aucun soupirail ; qu’elle exhale » l’odeur du soufre; que son activité est telle, » qu’elle brûle les chiffons de linge ou de drap -que l’on jette dessus, ou que l’on approche » seulement d’elle ; que l’on peut la multiplier -par artifice , la faire vaguer çà et là, en ré- sumant avec un bâton la terre comprise dans »s®n aire; voilà pourquoi, ajoutent-ils, on la voit souvent mobile , tantôt à une extrémité -de Faire, tantôt à l’autre. -Ces mêmes habitans assurent que l’existence -de ces feux ne date que de seize ans, c’est- -à-dire de 1666; qu’auparavant on ne connais- -sait dans le pays que ceux de Barigazzo , les- » quels en sont éloignés d’environ trois railles». Il DAttS LES DEÜX SICILE 3. 1^9 Il est remarquable que le relateur ne prit pas la peine de se transporter sur le lieu pour exa- miner ce phénomène , qu’il se contenta de le regarder par les fenêtres de l’hôtellerie de Fras- sinoro, et dans l’éloignement de quelques milles 5 du reste je ne connais pas d’autre écrivain qui en ait fait mention» Ce fut le 9 d’août que j’arrivai auprès de ces feux , qui alors étaient éteints. Je commençai par examiner le local; je le trouvai très -sec 5 nulle source d’eau ne paraissait exister dans le voisinage. Leurs foyers, car il y en avait deux, se trouvaient sur le penchant d’une montagne, l’un plus élevé que l’autre ; le premier appelé Torri - cello , le second Sassetello. Ils occupaient un ancien éboulement de la montagne , lequel en s’atterrissant avait couvert de ses débris plusieurs hêtres et des sapins dont on voyait encore les souches, seuls restes de ces deux espèces d’ar- bres , car le pays n’en produit plus aux environs. Toute cette côte de la montagne est dépouillée de végétaux ; la terre ou brûlent les feux est argileuse , mêlée de sables quartfceux et mica- cés. On rencontre à sa surface > comme dans son intérieur , une grande quantité de pierres sa- blonneuses. Mes guides , qui étaient de Vetta, me disaient que ces feux étant éteints, comme Tome V', I l3o v 6 Y A G E S ils se trouvaient en ce moment , ils ne reparaî- traient plus , à moins qu*on ne les rallumât par artifice ; mais qu’une fois rallumés , ils persé- véreraient dans cet état , si quelque coup de vent très-violent ne venait les abattre , comme cela était arrivé un mois auparavant. Cependant je ne voulus pas les ressusciter , que je n’eusse examiné la terre où ils se produisent. C’est une terre pulvérulente, plus noire qu’ailleurs , sen- tant le gaz hydrogène $ les pierres y sont revê- tues d’une croûte rougeâtre. L’aire d’un de ces feux a six pieds et un quart de circonfé- rence ; celle de l’autre en a cinq et demi : on n’y saurait appercevoir le moindre soupirail , la plus petite fente 5 cependant en approchant le visage de leur surface, on sent comme un souffle d’air très -léger. Si l’on y applique le thermo- mètre, il reste au même degré de température. Je dois observer à l’occasion de cette dernière expérience, que ce jour-là le ciel étant couvert, la terre n’était point réchaufFée par les rayons du soleil. Enfin j’allumai ces feux l’un après l’autre , à la manière ordinaire : ils s’enflammèrent comme ceux de Barigazzo , avec une sorte de bruisse- ment. Les flammes couvrirent les deux aires , s’élevant toutes à-peu-près à la même hauteur, DANS LES DEUX SICILE S. i3i c’est-à-dire à un pied et demi environ. Leur cou- leur au centre était rougeâtre ; aux limbes , elle paraissait azurée. Au moyen de deux chapeaux de feutre rabattus et liés ensemble , que je fis passer et repasser rapidement sur elles , je par- vins à les éteindre. Alors je creusai à la place de chaque aire deux fosses , auxquelles je don- nai une plus grande circonférence et quatre pieds de profondeur.' La terre , quoique moins dure dans l’intérieur qu’à la superficie , n’avait aucune moiteur. Cependant elle était fortement impré- gnée de l’odeur du gaz hydrogène. Les deux fosses étant achevées , j’y laissai tomber un mor- ceau de papier allumé 5 aussi-tôt les flammes se réveillèrent plus fortes qu’auparavant , mais pas * autant que je m’y serais attendu , d’après l’ex- périence de Barigazzo. Circonscrites dans leurs premières limites , elles n’occupaient que le centre des fosses , c’est-à-dire l’enceinte de leur aire 5 tout au plus avaient-elles acquis le double de leur volume précédent; elles étaient devenues presqu’entièrement rouges à raison de leur plus grande densité , et leur chaleur avait augmenté en proportion. Une branche de hêtre verte jetée au milieu de ces flammes commença subitement à fumer ; bientôt elle s’alluma , confondit ses flammes avec celles de l’incendie > et finit par se réduire en cendres. I 2 VOYAGES 102 Je ne poussai pas plus loin mes expérience^ sur les feux de Yetta , et croyant avoir passé en revue tous les phénomènes de ce genre qui existent dans le pays , j’allais m’en retourner , lorsque mes guides m’apprirent qu’il y avait aux environs trois autres feux dits délia Raina . Le fait excita d’autant plus ma curiosité qu’il n’était encore connu que des seuls habitans de l’endroit. Ces trois feux avaient leurs foyers sur la croupe de la même montagne; ils ne brûlaient pas en ce moment , mais le fluide aériforme qui leur donnait naissance répandait au loin l’odeur qui le caractérise. Je n’eus pas besoin cette fois que l’on me désignât leur place , je la reconnus de quarante pas à la seule couleur des pierres dont , elle était encombrée. Ces pierres paraissaient rouget, tandis que les circonvoisines conservaient leur couleur grise naturelle. L’aire du premier de ces feux avait onze pieds de circonférence ; en y laissant tomber un brin de paille allumée, elle s’enflamma toute entière avec une sorte de bruissement : on eût dit de plusieurs fascines qui auraient pris feu tout-à-coup. Les flammes de cet incendie , bien plus étendu que celui de Vetta , s’élevaient à quatre pieds et demi de hauteur ; leur frémissement se faisait entendre à soixante pieds de distance , et leur odeur se propageait encore plus loin ; quoique le soleil i33 DANS LES DEUX SICILE S. fût caché par les nuages , on voyait régner au- dessus d’elles cette vibration aérienne , cette va- peur vacillante que j*avais déjà remarquée sur les feux de Barigazzo : leur couleur dominante était un rouge vif au centre , avec des teintes bleuâtres sur les limbes. Les foyers des deux autres feux , situés un peu plus haut , avaient moins d’extension , ce qui parut après les avoir allumés l’un après l’autre. Ils occupaient tous les trois un terrain égale- ment aride et poudreux. Curieux d’en exami- ner les couches intérieures, je retournai au pre- mier comme le plus spacieux. Mais avant tout , il fallait éteindre l’incendie 5 faute d’eau , j’ex- citai avec plusieurs chapeaux un vent très- fort 5 ce moyen ne me réussit point 5 je crus mieux faire en jetant sur l’aire ardente une grande quantité de terre et de pierres ; mais les flammes étouffées dans un endroit reparais- saient dans un autre , et quand je parvenais à leur fermer ces nouveaux passages , elles trou- vaient moyen de s’en pratiquer ailleurs. A force de travail, je pensai une fois les avoir détruites 5 mais un moment après elles percèrent de toutes parts , et il ne me fut plus possible de songer seulement à m'y opposer. Alors je pris le parti de faire creuser le terrain en dépit d’elles > au I 3 VOYAGES moyen de pioches à longs manches qui mettaient les travailleurs hors de leurs atteintes. La fosse dont le circuit embrassait Taire des feux fut ou- verte jusqu’à la profondeur de cinq pieds et demi > et l’incendie pendant ce travail s’accrut du double. La couche de terre fut trouvée aride par soixante et dix-sept pouces $ plus bas elle parut molle , mais sans être imbibée d’eau. A quatre pieds et demi de profondeur, les pierres sablonneuses étaient plus serrées les unes contre les autres , plus grosses qu’à la superficie du sol; à cinq pieds et demi ? elles ne formaient qu’un seul bloc 5 et selon toute apparence , ce bloc était lié aux grandes masses qui constituent la charpente de la montagne. S’il fut impossible de creuser plus avant avec les pioches, à cause de la résistance de la pierre , l’obstacle même donna lieu à une observation importante. En examinant ce bloc, j’y découvris cinq fissures , qui se trouvèrent tout juste les seules issues par où sortaient les flammes de l’incendie. Son aliment, le gaz hydrogène, ne provenait donc point de la croûte terreuse de la montagne ; mais il émanait de la roche qui en forme le noyau. Une réflexion s’offrit à moi : d’où pouvait dériver celui des autres feux cir- convoisins , si ce n’est de ce même noyau ? La DANS LES DEUX SICILE S. l35 couche de terre avait-elle assez d’épaisseur pour renfermer la masse de substances génératrices de ce fluide ? En admettant avec Boccone que sa première inflammation n’eut lieu qu’en 1666, comment supposer que ces substances ne se fussent pas épuisées pendant ce laps de temps , si véritablement la couche terreuse en eût été le seul réservoir ? En 1719 , quand Galeazzi visita les feux de Barigazzo , les habitans lui dirent que ces feux avaient sans doute des communications souter- raines avec ceux de Vetta ; car, ajoutaient-ils, les uns cessant , les autres redoublent. Cette opinion règne encore taDt à Barigazzo qu’à Vetta. Le jour de mon arrivée , les habitans de ce der- nier village voyant que j’avais allumé à-la-fois les cinq feux de leur pays , me prévinrent que si celui de Barigazzo brûlait en ce moment, sa vigueur devait être bien afFaiblie. Curieux de vérifier le fait , je me transportai le soir même à Barigazzo ; mais je trouvai le feu tout aussi ani- mé que je l’avais laissé le matin. Le lendemain de très-bonne heure je le fis éteindre , et je retournai à Vetta ; mais les feux de Vetta brûlaient avec au- tant de vigueur que la veille. Cependant je ne suis point éloigné d’admettre une correspondance in- térieure entre ces feux 5 je les considère , avec I 4 VOYAGES i56 ceux de Y Orto delV Inferno et de la Sponda del Gatlo y comme les soupiraux d’un gaz hy- drogène qui suit invariablement divers canaux souterrains , et provient d’une grande et unique minière ensevelie dans la roche sablonneuse des monts circonvoisins. Dans cette hypothèse, l’inflammation d’un feu ne saurait nuire à un autre , car ces canaux débouchant à l’air libre, soit que le gaz s’enflamme ou non , il ne con- tinue pas moins d’en sortir en égale quantité. En venant cette seconde fois à Vetta, je m’ap- perçus que les deux feux à qui j’avais donné plus d’extension au moyen de l’excavation de leur aire , répandaient plus au loin leur odeur et leur chaleur. Les crevasses du massif de roche par où passait le gaz hydrogène étaient devenues noires par la suie qui s’y était attachée ; les parois de la fosse en étaient teintes , sur-tout dans les endroits où les flammes se portaient avec le plus de violence. Cependant on n’appercevait aucune fumée; la vapeur vacillante qui régnait au-dessus des flammes paraissait , à la clarté du soleil , s’élever à deux cent cinquante pieds. Ce météore qui accompagne toujours les feux de ce genre , je le crois produit, et par la matière fuligineuse extrêmement raréfiée, et par des va- peurs aqueuses nées de l’inflammation du gaz. DANS LES DEUX SICILE S. iZj Ainsi qu’à Barigazzo , on dit à Vetta que les temps pluvieux font croître ces flammes. Cette opinion est ancienne , puisqu’elle est rapportée dans la relation de Boccone. Un troisième et dernier voyage dans le pays me rendit témoin du fait suivant. C’était le 17 du mois d’août à midi ; un nuage , en épargnant Barigazzo, versa pendant une heure , sur Vetta et les environs, une pluie douce sans vent et sans tonnerre. Je m’approchai des feux , qui brûlaient tous les cinq à- la-fois 5 d’abord je n’apperçus en eux aucune augmentation , soit en hauteur , soit en largeur ; mais sur la fin de la pluie , ils devinrent sensible- ment plus grands ,plus bruyans ; ce redoublement dura environ trois heures, après quoi ils revinrent à leur état ordinaire. Ne pouvant attribuer celte anomalie qu’à la chute de la pluie , et me rap- pelant ce que j’avais observé dans les mêmes circonstances à Barigazzo , je sentis mes doutes diminuer, et j’appris que si les opinions vulgaires manquent quelquefois de fondement, elles mé- ritent au moins la peine d’être vérifiées. Quoique la réunion de tous ces faits montrât clairement que le générateur de ces groupes de flammes était le gaz hydrogène , il convenait cependant d’en recueillir une certaine quantité pour le soumettre à l’analyse chimique. Le pre- f i38 VOYAGES mier moyen que je mis en usage fut celui qui m’avait si bien réussi à Barigazzo. Ayant éteint quelques - uns de ces feux les moins considé- rables , je plantai la pointe de mon tube dans leurs aires , par-tout où je voyais quelque petit vide , et où je sentais sur le revers de la main un souffle léger ; mais aucun fluide n’entra dans la vessie, dépouillée d’air atmosphérique et atta- chée à l’extrémité du tube : creuser un petit bassin dans l’aire d’un de ces feux et le rem- plir d'eau , fut ma dernière ressource. Le torrent Dragone coulait à quelque distance de là. Par bonheur la pluie venait de l’enfler suffisamment pour que je pusse y puiser plusieurs seaux que j’allai verser dans le bassin ; les quatre premiers furent absorbés, tant la terre était aride et spon- gieuse 5 à force d’en ajouter de nouveaux , je parvins à le remplir : l’eau s’y maintint assez pour me donner le temps de recueillir à sa sur- face les bulles nombreuses de gaz qui s’y éle- vaient , et d’en remplir deux flacons que je portai avec moi à Barigazzo. Ici se termine ce que j’avais à dire sur les feux de Vetta et de la Raina. Il n’en existe pas d’autres dans le canton ; mais je joindrai à ces notices la découverte d’une autre source très- abondante de ce fluide aériforme , que j’ai été DANS LES DEUX SICILE S. l3$ le premier à convertir en un feu permanent. Elle se trouve sur les confins du Bolonnois près • Trignano , dans un lieu nommé la Serra dei Grilli , à trois milles de Fanano. Là , sur un terrain argileux , dénué de plantes , entrecoupé de petites mares , débouche un courant de gaz hydrogène , qui dans les endroits secs se ma- nifeste par de légers sîfïlemens , et dans les en- droits marécageux par des bulles qui éclatent à la surface de beau. Ce courant est tel qu’il surpasse en volume ceux réunis de Barigazzo r de Vetta et de la Raina. Le local en est très- connu ‘des bergers ; ils l’appellent le lieu qui bouillonne et qui souffle ; mais aucun d’eux ne l’avait encore vu brûler. Dans quel étonnement je les jetai, lorsqu’en approchant une poignée de paille enflammée de cette terre, ils la virent tout-à-coup se couvrir de feu dans le circuit de dix-neuf pieds ! Les flammes s’étendant des surfaces sèches aux surfaces marécageuses, ne formaient qu’un seul corps $ elles ne s’élevaient pas beaucoup : les plus grandes n’avaient guère qu’un pied et demi de hauteur. Je ne parlerai pas de leur couleur , de leur odeur , de leur activité , &c. rien ne les distinguant à l’extérieur des flammes de ce genre dont j’ai donné plus haut la description. Les bergers me montrèrent, à peu de distance , un autre espace de terrain VOYAGES 1 4° sur une colline en face du Panaro, qui autrefois u disaient- ils > produisait beaucoup de ces sortes de vents , et n’en rendait plus actuellement , à cause d’un éboulement considérable qui l’avait recouvert à une grande hauteur. Ce fut là le seul voyage que je fis à la Serra dei Grilli j mais j’appris ensuite par une per- sonne qui y avait passé trois jours après , que les feux dont j’avais été le promoteur brûlaient encore : je ne doute pas qu’ils ne continuent , tant qu’une cause extérieure quelconque n'en provoquera pas l’extinction. DANS LES DEUX S I C I L E S. l4* CHAPITRE XXXVIII. Des feux de V~ elle] a et de Pietra - Malet. Fontaine ardente du Dauphiné. Les montagnes du Modénois ne sont pas les seules en Italie qui offrent le spectacle de ces feux singuliers 5 celles de Pietra-Mala jouissent à cet égard d’une ancienne célébrité , et il y a peu d’années qu’un semblable phénomène fut découvert à Velleja dans les collines de Plaisance» Quoique les expériences pour recueillir le fluide aériforme de ces dernières collines et l’enflam- mer , soient dues au curé de Yelleja, cependant nous ne devons pas moins savoir gré à Volta , l’auteur des Lettres sur V air inflammable des marais , de s’être transporté lui-même sur les lieux pour examiner le phénomène , et le faire connaître au public. Ce physicien nous apprend que l’odeur de ce gaz en combustion ne difFérait point de celle du gaz inflammable des fossés, qu’il produisait un peu de suie , qu’il brûlait d’une flamme bleuâtre, mais un peu claire, et plus grande que celle du gaz des eaux stagnantes 5 qu’il ne s’allumait point par l’étinçelle électrique , VOYAGES l4 2 à moins d’être mêlé avec l’air atmosphérique dans la proportion de huit parties de cet air pour une de gaz (1). Yolta visita les feux de Pietra-Mala en 1780. Beaucoup de voyageurs en avaient donné avant lui diverses relations 5 mais il prouva le premier que ces feux étaient alimentés , non par des ex- halaisons sulfureuses ou bitumineuses, comme on l’avait dit jusqu’alors , mais par le gaz hydro- gène. On lit dans le Journal de physique de Rozier , t. XXIX , année 1786 , une dissertation du comte de Razoumowsky qui confirme les preuves de Yolta , mais élève en même teiüps quelques diffi- cultés touchant ses observations : je les exami- nerai plus loin ; ce qui me frappe en ce moment est un effet très-singulier de ces feux rapporté par Razoumowshy. Après avoir observé que les fragmens de pierres qui gisent sur leur foyer, sont des débris des rochers de cette partie des Apennins composée de couches de pierres mar- neuses ou calcaires, il ajoute « que quelques-uns »de ces fragmens ont tous les caractères d’une » véritable calcination ; que d’autres montrentdes t traces encore plus évidentes et plus marquées (1) O p us. Scelt. di Mil. DANS LES DEUX SI CILES. l/j3 »de Faction du feu 5 qu’ils offrent des parties » vitreuses en plusieurss endroits 5 que leur masse » est noire , et presque par-tout remplie de bour- » soufflures et de porosités »Ces couches marneuses et calcaires , conti- »nue-t-il, sont entrecoupées de lits d’un grès » micacé gris, ou coloré en rouge ou en brun, » argileux ou plus ou moins calcaire, qui rougit »ou noircit au feu. Les fragmens de ce grès que »que j’ai retirés de la flamme de Pietra-Mala, »baontrent des vestiges d’altération moins con- sidérables que les pierres dont je viens de faire » mention, mais qu’on ne peut pas plus mécon- naître. Quelques-uns se sont aglutinés , et ont » éprouvé un léger degré de fusion • d’autres se »sont couverts d’un enduit vitreux ». En supposant que ce voyageur ait bien vu ( et on doit l’attendre d’un homme aussi éclairé, connu d’ailleurs d’une manière avantageuse par ses ouvrages ) , j’avoue que le fait de la vitrifi- cation m’étonne , sur-tout après ce que j’ai si attentivement observé moi-même des effets de ces sortes de flammes , soit à Barigazzo , soit à Yetta et dans les environs. J’ai remarqué , à la vérité , un principe de calcination , une couleur rousse dans les fragmens , soit de pierre sablon- neuse , soit d’autre roche qui se trouvent dans 1 44 Voyages leurs foyers , mais en aucune circonstance je n’y ai apperçu , même avec l’aide d’une bonne loupe , le moindre signe de vitrification ou de simple fusion. Quand j’ai provoqué l’accroissement des feux de Barigazzo,il n’en est résulté autre chose, sinon qu’il a fallu moins de temps aux pierres sablonneuses pour s’y colorer en rouge , et aux calcaires pour s’y réduire en chaux. Cependant ces feux étaient bien autrement actifs que ceux de Pietra-Maîa , dont la faible température , sui-* vant le calcul de Razoumowsky , ne transmet aux corps qu’un degré de chaleur de moitié moindre que celle communiquée par un des plus faibles de nos feux artificiels , tels qu’un feu de cheminée ordinaire . Mais peut-être avaient-ils autrefois une plus grande intensité ? peut-être jouissaient-ils d’une énergie capable d’opérer la vitrification des pierres enveloppées dans la sphère de leur acti- vité ? Ce doute m’est venu, et pour l’éclaircir, j’ai cru devoir compulser les voyageurs qui ont fait mention de leur existence , en commençant par ceux qui ont précédé immédiatement Ra- zoumowsky , et remontant successivement aux plus anciens. L’auteur des Lettres sur l’air inflammable des marais observe que les flammes de Pietra-Mala sont BANS LES BEUX SICILES. sont très-légères , très- déliées ; qu’elles brûlent un peu les souliers ,• que leur ténuité est cause qu’on ne les voit presque point à la clarté du soleil . Diétrich, dans ses annotations sur Ferber, tout en disant qu’elles sont très-vives , qu’elles con- sument le bois , le papier , et d’autres matières inflammables, avoue cependant qu’elles donnent peu de chaleur. En 1772 , époque où elles furent visitées par Ferber, ce naturaliste les trouva très-volatiles; toutefois il observe que les pierres argileuses et marneuses posées sur leurs foyers se dur- cissent par la calcination , et les pierres cal- caires deviennent tendres et se réduisent en poudre (1). Plusieurs années auparavant , Scipion MafFei les avait décrites. Ces flammes , dit il, ont un peu moins d’intensité et d’activité que les flammes ordinaires ; cependant elles brûlent tout ce que l’on pose sur elles (2). Biancbini s’y transporta en 1706. Les détails qu’il donne de ce phénomène servent mieux à (1) Lettres sur la minéralogie de l’Italie. (2) De la formation de la foudre, Tome K l4Û VOYAGES faire connaître ce qu’il était à cette époque , que toutes les relations précédentes à nous le repré- senter tel qu’il existait au temps de leurs auteurs, sans en excepter Yolta. Nous jetâmes sur ces flammes ardentes , dit Bianchini, des branches d’épines et autres arbrisseaux , qui brûlèrent de la même manière que si on les avait je- tées dans le feu ordinaire. Filles durcissent les mottes de terre et les pierres gisantes sur leur foyer ; en communiquant aux autres une couleur plus brûlée que celle qui se trouve dans les mottes de terre et les autres pierres voisines . Une chose digne de remarque dans la relation de cet académicien^ /c’ est que les flammes dispersées çà et là en vingt endroits difFérens , occupaient un espace d’environ cent trente pieds quarrés (i). On trouve dans l’ouvrage de Faîlope, intitule de The r mis , le passage suivant : « Aux envi- erons de Florence, sur une montagne près du » château de Fiorenzole , est un feu qui brûle sans » cesse* mais pendant le jour il est éclipsé par la » lumière du soleil , et l’on n’en voit que la fu- »mée (a) ». Et on lit dans Cardan : « Ce feu qui (1) Mémoires de FAcad. des Sciences, année 1706. (2) In agro Florentino, in monte quodam qui est prope - ' “ ' ' DANS LES DEUf SICILE S. 1 47 »se cache par intervalles, et ne se rend visible »que la nuit, tel que nous l’observâmes dan^ » l’Apennin de Mugeilan, ne fait aucun mal ni »aux arbres, ni aux* plantes. (1)». Je pourrois citer un plus grand nombre d’au- teurs , mais je m’en abstiens, parce que leurs relations étant à-peu-près les mêmes que les précédentes, n’apprennent rien de plus sur la question qui nous occupe. Que résultera-t-il de ces recherches ? rien sans doute qui puisse don- ner lieu de croire que les feux de Pietra-Maîa , étaient plus actifs autrefois qu’ils ne le sont au- jourd’hui. Cette légèreté y cette ténuité y qui leur étoient propres, cette peine à les apperce- voir pendant le jour , ce peu de chaleur qu’ils donnaient, cette intensité inférieure à celle des flammes ordinaires , sont des circonstances qui prouvent que leur puissance à ces diverses épo- ques ne surpassait point celle dont ils jouissent aujourd’hui. On trouve à la vérité dans les mêmes relations que les corps combustibles y brûlaient castellurriFlorentiolam vocatum, evomitur continuo jgnis, quamvis dienpn appareat nisi fumus , prope magnum solis lumen. De Thermis. (i) Ignis qui interdiu latet , et solum noctu videtur, quemadmodum in Apennini Mugellano vidimus,innoxius est arboribus , atque etiam herbis. De Subtil. K 2 14$ V O J A G É S comme dans le feu ordinaire > que la terre et les pierres argileuses s’y endurcissaient , et les calcaires s’y réduisaient en poudre ; mais tous ces effets s’obtiennent à un degré de chaleur plus faible que celui de nos foyers. Revenons maintenant aux vitrifications obser- vées par Razoumowsky : puisque nous ne pou- vons nier qu’elles ne soient l’ouvrage des feux de Pietra-Mala, il faut bien que nous convenions avec ce naturaliste , qu’un calorique tempéré peut produire à la longue tous les effets connus de la fusion, de la vitrification , &c. Les preuves de ce fait que nous donne ici la nature , je les ai retrouvées dans mes propres expériences , qui montrent qu’un feu de fourneau maintenu dans un degré d’intensité toujours constante, toujours égale, mais trop faible pour fondre en peu de jours les substances pierreuses exposées à son action , réussit cependant à en opérer la fusion au bout d’un plus long terme sans qu’il soit né- cessaire d’augmenter son activité (1). Que si les feux de Barigazzo et autres lieux circonvoisins ne vitrifient point les pierres gisantes sur leurs foyers, cela vient probablement de la nature meme de ces substances moins faciles à se laisser (i) Voyez le chapitre XXIII de cet Ouvrage. DANS LES DEUX SICILE S. 1 49 altérer par cet élément que les roches de Pietra- Mala. Razoumowsky revient plusieurs fois à cette observation pour l’appliquer au feu des volcans ; il pense que ce feu n’a pas besoin d’être aussi actif et aussi violent que l’ont cru quelques au- teurs, pour produire les plus puissans effets ; qu’il n’agit au contraire que lentement et pour ainsi dire par degré comme celui de Pietra-Mala. Quand j’ai traité moi-même cette question , j’ai rapproché, comparé les faits $ si j’ai reconnu et avoué quelque circonstance où le feu volcanique semblait montrer peu d’activité x je l’ai vu dans un bien plus grand nombre de cas donner tous les signes d’une grande énergie (1). Je suis donc loin d’admettre la conclusion trop générale de ce physicien ; au reste, je m’étonne qu’après avoir découvert que le gaz hydrogène en combustion produit à la longue la vitrification des pierres , il n’ait pas songé que le même agent pouvait pro- duire des effets semblables dans les volcans où sa présence se manifeste souvent. Voici ce que m’é- crivait à ce sujet Sennebier de Genève 5 sa lettre est du 21 septembre 1793. « Vous devriez , me » disait-il , faire quelques expériences pour éprou- (1), Voyez le même chapitre. K 3 VOYAGES i5o »ver îa force du calorique du gaz hydrogène ^ » peut-être vous donneraient-elles des lumières »sur les effets du feu volcanique. Je, vois dans » votre introduction que le gaz hydrogène qui » brûle à Barigazzo est capable de calciner les v> pierres ; ne pourrait-il pas en certaines circons- tances , les vitrifier»? Sans doute Sennebier ignorait alors la découverte de Razoumowsky , et sa conjectureétaitbien fondée; rien n’empêche que cet agent ne soit l’auteur de certaines vitri- fications volcaniques ; pour cela, il faut le sup- poser à sa sortie de dessous terre , s’enflammant et investissant de ses flammes , pendant un long temps des filons de roche fusible, exposés à l’ac- tion de l’air atmosphérique. Leur conversion en verre s’effectuera d’autant plus vite, ou pour mieux dire, d’autant moins lentement, que la masse du gaz brûlant sera plus considérable ; on peut en juger par les feux de Barigazzo qui étant devenus plus volumineux , rougirent et calcinè- rent en moins de temps les pierres placées sur leur foyer. Si je me laissais entraîner à mes ré- flexions, je proposerais bien ici quelques autres idées sur les inflammations volcaniques ; mais elles me mèneraient trop loin; il faut revenir à mon objet principal. On peut donc compter actuellement en Italie BANS LES DEUX SICILE S. l5l r six endroits différens ou brûlent des feux produits par le gaz hydrogène : Pietra-Mala, Velleja, Barigazzo , la Raina , Vetta et la Serra dei Grilli . Mais il en existe de semblables hors de l’Italie qui dérivent du même principe. Parmi ceux-là, je ne citerai que la fontaine ardente du Dauphiné à cause de l’explication de ce phénomène, don- née par un membre de l’Académie des Sciences de Paris, Montigny, qui l’examina en 1768. On peut dire de ce physicien , qu’il a pressenti et annoncé le premier l’existence du gazhydrogène. Voici un précis de ses observations tel qu’on le trouve dans la Minéralogie du Dauphiné > par Guettard. « Nous approchâmes de cette fontaine » (qui n’est qu’un petit espace de terre susceptible »de s’enflammer), une bougie allumée 5 en un v> moment, la flamme se répandit sur une partie »du terrain que nous avions découvert avec la » pioche.,., chaque coup de pioche faisait sortir - »une flamme roussâtre , presque semblable à scelle que l’on allume au-dessus de l’orifice d’une » bouteille où l’on a fait une dissolution de fer par » l’acide vitriolique affaibli... Cette inflammation »doit s’attribuer à quelque vapeur souterraine »qui se développe, ou qui trouve de nouveaux » passages pour se répandre dans Pair , à mesure »que l’on fouille dans la terre.... Les fragmens d@ » pierres que l’an retirait des flammes avaient K 4 a I 52 VOYAGES rtous une odeur semblable à celle qui se dégage » d’une dissolution de fer par l’acide vitriolique...» . Ce physicien conclut de-là que cette vapeur in- flammable est produite par l’action de l’acide de vitriol sur une terre ferrugineuse , et princi- palement sur les pyrites martiales. Quant au prin^ cipe générateur de ce feu, Montigny l’avait de- viné : rien de plus évident. Seulement il laisse son lecteur dans le doute si lui , Montigny , a re- connu ce principe pour un fluide permanent , ou pour une simple exhalaison. Cependant l’auteur cité des Lettres sur V air inflammable des marais , intéressé sans doute à prouver qu’avant la connaissance de ce gaz on né pouvait expliquer les feux de ce genre , et fai- sant mention dans son Mémoire sur les feux de Pietra-Mala , de la fontaine ardente du Dauphiné, tout en partageant le sentiment de Montigny touchant la cause de ce phénomène, semble vou- loir lui ôter l’honneur de la découverte. « Mon- rtigny va jusqu’à dire, (ce sont les expressions »de Volta) que la vapeur inflammable qui se fait rjour à travers la terre en question, est sembla - »ble à la vapeur produite par la dissolution du »fer dans l’acide vitriolique, qui s’enflamme en rapprochant une bougie allumée de la bouche » du vase. De-là il conjecture que quelque chose DANS LES DEUX SICILE S. l53 »de semblable arrive sous cette terre , au moyeu »de Faction de Facide vitriolique sur des pyrites » ferrugineuses. Il aurait touché le but, en substi- tuant seulement le mot air ou gaz à celui de va- »peur; mais la grande différence qui existe entre »Ies vapeurs proprement dites, et les fluides »aériformes, n’était pas fort connue dans ce » temps- là (1) ». Ainsi , selon Volta, ce mot vapeur gâte tout le mérite de l’explication de l’académicien français. Mais, ou je me trompe fort, ou la censure est injuste et sophistique. Ne suflit-il pas d’être libre de toute prévention, pour comprendre d’abord qu’en se servant de l’expression de vapeur ,Mon- tigny n’a point voulu parler de vapeurs propre- ment dites ? Et cette expression, dans l’usage reçu , n’équivalait - elle pas à celle de gaz ou d’air inflammable ? Guettard lui-même qui a écrit dans un temps où ces fluides étaient connus, et qui convient que celui de la fontaine ardente du Dauphiné est un véritable gaz inflammable, ne l’appelle -t -il pas vapeur? Combien de fois Sigaud de la Fond, dans son Essai sur les diffé- rentes espèces d’air, n’emploie-t-il pas cette ex- pression pour désigner de Fair inflammable? Je (j) fojez les Mém. de la Soc. ital. t. IL V O Y A G E s J 5 4 pourrais citer des chimistes encore plus moder^ nés et se piquant de rigueur dans les expressions, qui ont désigné de meme le gaz hydrogène. La critique de Volta n’est donc qu’une pure subtilité : ne peut-on faire valoir ses propres découvertes* sans faire tort à celles d’autrui ? Mes observations, mes expériences sur les- feux de l’Apennin de Modène, et la description de leurs localités, montrent assez clairement que le gaz hydrogène inflammable , n’appartient pas exclusivement aux marais , quoiqu’il ait été ca- ractérisé comme tel , par l’auteur des Lettres. Ceci paraîtra plus évident encore quand je trai- terai des matières qui alimentent les sources iné- puisables de ce fluide aériforme. J’observerai seulement, dès à présent, qu’il y a des marais qui n’en fournissent que très-peu , ou point du tout , tels sont ceux dont le fond est sablonneux, dénué de plantes et d’animaux ; qu’il y en a d’au- tres qui au lieu de gaz hydrogène , produisent du gaz acido-carbonique , tel est le marais situé au-delà de Paullo de Modène. En se promenant 3e long de ses bords, on voit des bulles monter et éclater à la surface de l’eau ; j’en ai recueilli et analysé une assez grande quantité pour m’as- surer de la nature de l’air qu’elles renfermaient : non-seulement il ne s’enflammait point, mais il DANS LES DEUX SICILE S. ISO avait tous les autres caractères du gaz acido-car- bonique. Enfin je trouve que les meilleurs chi- mistes pensent de même à cet egard ^ et il me suffira de citer Fourcroy. a Je conclus, dit -il »dans ses Mémoires et Observations de Chimie, » que le nom de gaz inflammable des marais donné »à cet être par M. Volta, ne lui convient pas » parfaitement, puisqu’il n’est pas particulier aux » marais ; puisque ce physicien l’a trouvé dans les » terrains humides 5 puisqu’il existe dans les ri- vières , dans les étangs, dans les mares; puis- »que les chimistes français , à la tête desquels on »doit mettre MM. Delassonne, Bucquet et La- voisier, l’ont retrouvé dans plusieurs composés » chimiques; puisqu’enfin j’en ai retiré de toutes »les substances organiques en décomposition ». i56 VOYAGES CHAPITRE XXXIX. Expériences physiques et chimiques pour éprouver la nature des gaz hydrogènes de Barigazzo et autres lieux circonvoisins. O N a va précédemment que les feux produits par ces gaz, étaient au nombre de neuf : un à Barigazzo, un à YOrto delV lnferno , un à la Serra dei Grilli 9 un à la Sponda del Gatto . deux à Vetta et trois à la Raina. On se rappelle que je recueillis sur les lieux une partie de cha- cun de ces gaz ; ce ne fut pas sans surprise qu’a- près les avoir examinés tour -à- tour, je n’en trouvai pas un seul qui se distinguât des autres par quelqu’attribut , quelque propriété particu- lière. Cette identité de principe me confirma dans l’idée que ces feux dérivaient tous d’une même source de gaz cachée sous terre, qui s’alimen- tait perpétuellement, qui formait plusieurs bran- ches , qui arrivait par des canaux souterrains aux endroits où le passage à l’air libre lui était ouvert , marquant ainsi la place de chaque feu et lui donr nant l’existence. DANS LES DEUX SICILE S. l5y La connaissance que je venais d’acquérir me détermina à ne faire usage dans la suite de mes ex- périences que du gaz de Barigazzo , et de YOrto deir Infer no , ces deux endroits étant plus voi- sins de l'hôtellerie où j’avais établi mon labora- toire. Comme j’avais principalement en vue de comparer les effets du gaz de ces feux, que j’ap- pellerai désormais gaz naturel , avec ceux du gaz hydrogène métallique, je renouvelai ma provision du premier, et je travaillai à m’en procurer une égale du second en exposant à l’action de l’acide sulfureux coupé avec de l’eau , soit du fer , soit du zinc, très- purs, et réduits en petits morceaux. Tout étant prêt, je commençai par éprouver l’odeur de l’un et l’autre gaz avant de les en- flammer. Je pris un flacon du premier, que je portai à mes narines à l’instant même que je le débouchais 5 j’en fis autant du second , et je trouvai que , quoique leur odeur fût essentiel- lement la même , celle du gaz hydrogène natu- rel avait de plus je ne sais quoi de désagréable et de fétide , pour ainsi dire , qui me rappela le gaz hydrogène sulfuré. Passant à l’inflamma- tion, cette odeur devint plus forte, et prit quel- que chose de la puanteur du pétrole. Quant aux phénomènes appartenant à la combustion de ces deux gaz , en voici les résultats d’après des ex- î 58 VOYAGES périences souvent réitérées. Je commence par le premier. * Si le bocal est étroit, si son col est plus étroit encore , l’inflammation occasionnée par l’appro- che d’une bougie allumée se fait sans bruit ; une flamme bleuâtre et courte s’élève un peu au-dessus de l’orifice du col sans pénétrer dans le ventre , et meurt l’instant d’après. Si l’on applique de nou- veau la bougie à l’orifice du col , une nouvelle flamme s’élève moins grande que la première , et s’évanouit de même. Il en est ainsi d’une troi- sième , d’une quatrième inflammation ; j’en ai compté quelquefois jusqu’à sept 3 mais les der- nières étaient à peine sensibles , et plus elles s’affaiblissaient , plus elles devenaient bleues. Après avoir obtenu ces inflammations succes- sives et toujours décroissantes, si l’on plonge la bougie allumée jusqu’au fond du bocal , elle continue de brûler, preuve certaine que tout le gaz s’est dissipé et a fait place à l’air atmosphé- rique. Voyons maintenant ce qui se passe dans la com- bustion du gaz hydrogène métallique, en nous servant du meme bocal. L’inflammation est ac- compagnée d’une détonation faible à la vérité , mais sensible. La flamme gagne dans l’intérieur* DANS LES DEUX SICILE S. î5() quelquefois le gaz brûle tout- à-la-fois , et il n’eu paraît plus de trace , soit qu’on approche la bou- gie de l’orifice du bocal , soit qu’on la plonge jusqu’au fond. Si l’on répète ces expériences dans des bocaux qui aient plus de capacité et d’ouverture, la com- bustion du gaz métallique, comme celle du gaz naturel, arrive tout- à-la-fois , avec cette diffé- rence que le premier fait explosion , et que le second ne rend qu’un murmure semblable à celui d’un souffle. La flamme du gaz métallique est rouge tirant sur le bleu 5 la flamme du gaz naturel est bleue tirant sur le blanc. La pre- mière passe comme un éclair , de l’orifice au fond du bocal, la seconde y descend très -len- tement. Ces phénomènes s’expliquent aisément. Le gaz hydrogène naturel n’étant pas aussi pur que le gaz hydrogène métallique, comme nous le verrons plus bas , sa flamme est aussi plus faible, plus facile à s’éteindre, et voilà pourquoi elle ne dure qu’un moment dans un bocal dont le coi est étroit. Quant à la succession des inflamma- tions, on conçoit comment la combustion ayant enlevé la première couche du gaz qui est en contact immédiat avec le gaz oxigène atmosphé- rique , sans lequel il n’y aurait point d’inflamma- VOYAGES i6q tion, cette première couche est remplacée parla suivante spécifiquement plus légère que l’air atmosphérique : celle-ci étant allumée à son tour et consumée , fait place à une troisième , et ainsi de suite, tant qu’il reste du gaz dans le bocaL Mais quand on se sert d’un vase dont le ven- tre et le col ont beaucoup d’ampleur, le gaz y brûle de suite jusqu’à son entière combustion, parce qu’il présente une plus grande surface à l’air atmosphérique qui de son côté arrive en plus grande abondance par l’ouverture du vase. . ' > . ■ i . J’ai vu dans la déflagration des deux gaz une autre différence non moins remarquable, qui consistait dans l’inégalité d’expansion de leurs flammes : le gaz métallique, en brûlant, s’éten- dait dans un espace qui n’était que le double en- viron de celui qu’il occupait avant son inflamma- tion 5 au lieu que le gaz naturel présentait un corps enflammé dix fois plus grand que son pro- pre volume. Voici comment je m’en suis assuré. J’emplissais de gaz métallique un grand vase en forme de cylindre , et j’y mettais le feu : la flamme en cet instant venait à occuper non-seulement tout l’intérieur du vase, mais à se répandre au- dehors en volume presqu’égal. Je répétais cette expérience avec le gaz naturel; mais alors la flamme répandue hors du vase, paraissait dix fois BANS LES DEUX S X C I L E S. l6l fois plus volumineuse que celle contenue dans sa capacité. Au reste, que le vase eût telle ou telle forme, pourvu qu’il eût beaucoup d’ampleur, le phénomène avait également lieu 5 et toujours le gaz naturel surpassait le métallique dans l’ex- pansion de ses flammes. Jusques-là j’avais laissé brûler ces gaz en re- pos, sans leur communiquer aucune impulsion extérieure. Je variai l’expérience en les renfer- mant dans des vessies , et les faisant sortir plus ou moins rapidement par des tubes d’une ligne et demie de diamètre. Alors j’obtins de nou- veaux phénomènes. En pressant légèrement avec une main la vessie qui contenait le gaz naturel, et de l’autre approchant une bougie allumée de l’orifice du tube , il s’y forma à l’instant une langue de feu, longue de plus de six pouces, tranquille , colorée d’un bleu d’azur à sa base , d’un rouge-blanchâtre dans son milieu , et sur- tout à son sommet. En augmentant la pression , la flamme devint bruyante et plus longue ; elle for- mait un cône dont la base était fixée sur l’orifice du tube , et le sommet dirigé à l’opposite. En com- primant plus vigoureusement encore la vessie , le cône lumineux s’aîongea de seize à dix-huit pou- ces, et son bruissement augmenta à proportion : sa base cessant d’être contiguë à l’orifice du tube , Tome V\ L 0 VOYAGES s’en trouvait séparée par un intervalle de%deux ou trois pouces; on y remarquait une cavité en manière d’entonnoir , qui s’alongeait, s’accour- cissait selon que le gaz s’enflait avec plus ou moins d’impétuosité , et ces phénomènes divers continuèrent de se reproduire tant qu’il resta quelque portion de gaz dans la vessie. Mais il s’en Fallut beaucoup que le spectacle se renouvelât avec autant d’éclat quand je répé- tai Inexpérience avec le gaz hydrogène métalli- que extrait du fer. J’avais beau comprimer la vessie qui le renfermait , le cône de feu ne pou- vait jamais s’alonger au-delà de trois pouces, sa base ne se détachait qu’à peine de l’orifice du tube, et n’éprouvait qu’une légère dépression; sa couleur offrait des teintes de blanc-rougeâ- tre, et d’azur. La détonation du gaz était très- sensible , mais n’avait lieu qu’au moment de l’in- flammation ; seulement on voyait de temps en temps à la base du cône des points pétillans, et plus lumineux que dans les autres parties : c’étaient des molécules du fer, qui s’enflam- maient. J’éprôuvai ensuite le gaz hydrogène extrait du zinc : les effets furent les mêmes à la réserve des détonations qui me parurent un peu plus fortes. Au moyen de l’hétérogénéité du gaz naturel. BANS LÉS DEUX SIC1LES. ï(55 on explique sans peine pourquoi sa flamme est plus volumineuse que celle du gaz métallique. Dans celui-ci toutes les parties combustibles se touchent pour ainsi dire et brûlent , sans être écartées parla dilatation d’aucune matière étram gère : dans l’autre , les parties combustibles sé- parées par des molécules hétérogènes , donnent nécessairement à sa flamme une plus grande ex- pansion. J’emplis de gaz naturel un vase, puis une vessie armée d’un tube ; et j’essayai si les étin- celles d’une pierre à fusil en touchant le fluide aériforme seraient capables de l’allumer, soit dans le vase , soit à sa sortie du tube : elles n’eu- rent ce pouvoir ni dans l’un ni dans l’autre cas* Seulement dans ce dernier, j’obtins quelquefois son inflammation en substituant à la pierre à fusil certaines pyrites très-étîncelantes, comme celles de l’îie d’Elbe. Je voulus ensuite éprouver sa chaleur , en pîa^ çant au-devant de l’orifice du tube et à la distance d’une ligne , une petite lame de plomb : cette lame investie par la flamme, ne fut percée qu’au bout d’environ trois secondes. Je répétai l’expérience avec le gaz hydrogène extrait du fer : toutes circonstances égales d’ailleurs , le meme effet eut lieu en moins de deux secondes, VOYAGES 1.64 preuve sensible de la plus grande activité de ce dernier gaz. Etant sur les lieux, rien ne m’empêchait de renouveler ma provision de gaz naturel à mesure qu’elle s’épuisait. Cette facilité m’entraîna dans de nouvelles expériences. Au moyen d’une vessie armée d’un tube long et étroit, je fis entrer une certaine dose de ce gaz dans de l’eau où j’avais mis du savon en dissolution , aussi - tôt elle se couvrit d’écume. Ayant touché cette écume avec la bougie allumée, il s’en éleva subite- ment une flamme , non pas azurée , mais blanche tirant un peu sur le bleu, qui ne détona point, mais qui frémit comme un souffle léger. J’augmen- tai la dose du gaz jusqu’à vider tout celui que pouvoit contenir une vessie; l’écume qui avait plusieurs pouces d’épaisseur, remplissait entière- ment le bassin. Au contact delà bougie, la flamme apparut toute rouge et s’éleva de quatre pieds au-dessus du bassin. Son ascension fut prompte, mais pas assez pour que l’œil ne pût la suivre ; et le bruit qu’elle rendit fut semblable à celui d’un souffle violent. Sa force ne répondait point à son grand déve- loppement. Ayant renouvelé l’expérience avec la même quantité de gaz , je jetai au milieu de la DANS LES DEUX SICILE S. 1 65 flamme une feuille de papier blanc, qui parvint à peine à s’allumer. Ce gaz avait toujours brûlé sans fumée , lors même que ses flammes avaient le plus d’expan- sion. Cependant je voulus éprouver si elles dépo- seraient de la suie, en tenant un peu au-dessus d’elles, une feuille de papier blanc : mais le pa- pier sortit net et pur de l’épreuve sans contracter la moindre noircissure, ce que j’attribuai à la courte durée des flammes, plutôt qu’à une priva- tion de matière fuligineuse , puisque dans leurs foyers naturels, soit à Barigazzo, soit à Vetta, elles en laissent des traces sur les corps qu’elles touchent. J’observai seulement que la feuille de papier manifestait une légère humidité que je crus devoir attribuer , non à l’eau du bassin vapo- risée par la chaleur de la flamme , mais à la com- bustion du gaz. En efFet , j’avais déjà remarqué une humidité semblable , quoique moins sensi- ble, sur les parois intérieures des grands vases cy- lindriques où il avait brûlé , malgré le soin que je prenais de les bien essuyer avant de m’en servir. Voici à ce sujet une expérience qui mérite d’être rapportée. Je prenais deux tubes cylindri- ques de verre , qui pouvaient s’emboîter l’un dans l’autre. J’emplissais de gaznaturelunde ces tubes, et j’en couvrais l’orifice avec une peau moelleuse^ L 5 VOYAGES 1 66 mais assez épaisse pour empêcher l’évaporisation du fluide. Cela fait , je posais verticalement l’autre tube sur celui-ci, et tirant à moi la peau, j’introdui- saispromptement par un petit passage laissé entre les deux orifices, une mèche allumée qui mettait le feu au gaz. Alors la flamme s’élevait momentané- ment dans le tube supérieur. Quoique ces deux tubes eussent été bien essuyés , un voile humide s’attachait toujours après l’inflammation à leurs parois intérieures, sur-tout dans le tube supérieur. A mesure que je renouvelais l’inflammation , le voile prenait plus de consistance ; il finit enfin par se dissoudre , et je vis l’eau couler de toutes parts le long des parois intérieures de ce dernier tube. Cette eau était fort transparente , et insipide au goût. En répétant l’expérience avec les gaz mé- talliques extraits du fer et du zinc, j’obtins les mêmes résultats à cela près que les vapeurs aqueu- ses furent plus abondantes. Cette différence ve- nait sans doute de la pureté de ces deux gaz dans la combustion desquels il se combinait plus d’hy- drogène avec l’oxigène de l’air, que dans celle du gaz naturel mêlé de matières hétérogènes. Après avoir provoqué ces inflammations ex- pansives du gaz naturel renfermé dans l’écume savonneuse, il me restait à leur comparer celles du gaz métallique par le même procédé* Elles j DANS LES DEUX S I C I L E S. 167 furent accompagnées d’un bruissement plus fort ; les flammes parurent d’un rouge-Foncé ; mais elles ne se montrèrent pas aussi volumineuses que les précédentes. J’aurais été curieux de savoir la différence qui pouvait exister entre la gravité spécifique du gaz naturel, celle du gaz métallique et de l’air atmosphérique • mais n’ayant à ma disposition ni machine pneumatique, ni instrumens propres à peser les fluides aériformes, je ne pus me satis- faire en ce point. Toutefois les expériences sui- vantes me donnèrent à connaître que le gaz na- turel était plus léger que l’air atmosphérique, et plus pesant que le gaz métallique. Si à l’instant que je débouchais un grand bocal cylindrique plein de gaz naturel , et posé verticalement, j’ap- pliquais à sa bouche une bougie allumée , l’in- flammation était immédiate 5 mais si au lieu de porter la bougie à la bouche du bocal , je la tenais au-dessus à la distance de deux ou trois pou- ces, alors l’inflammation n’arrivait que quelques momens après , et se faisait en l’air. Si après avoir enlevé le bouchon du bocal, j’attendais huit ou neuf secondes pour y appliquer le feu , je n’obte- nais aucune inflammation soit au-dessus , soit au niveau de son orifice. Il est évident que cette variété de phénomènes dépendait de l’air atmo- L 4 V O Y A G E S 168 sphérique qui, spécifiquement plus pesant que le gaz naturel , entrait dans le bocal et forçait celui- ci de monter 5 de-là, l’inflammation avait égale- ment lieu, encore que la bougie fût tenue à quel- que distance de la bouche du bocal ; mais le moindre retard suffisait pourdonner à l’air atmo- sphérique le temps d’expulser entièrement le gaz , et alors plus d’inflammation. La bougie pou- vait brûler au fond du bocal , preuve évidente de l’absence du gaz et de la présence de l’air atmo- sphérique,. Au moyen d’une vessie pleine d’air atmosphé- rique et armée de son tube, je soufflai avec de l’eau de savon , une grosse bulle 5 et pour la ren- dre plus légère, j’eus soin de la dégager de la goutte qui pour l’ordinafire se forme à sa partie in - férieure 3 ensuite détachant adroitement cette bulle du tube, je la laissai aller : elle descendit lentement sur le plancher où elle creva. Je soufflai avec le gaz naturel une bulle de la même grosseur, du moins je la jugeai telle à la vue. Celle-ci au lieu de descendre, monta continuellement et alla se rompre contre le plafond de la chambre. Je fis d’autres bulles avec le gaz métallique, et leur as- cension fut plus rapide. Mais j’eus de la peine aies former ; d’une part , sollicitées à s’élever par la pression de l’air environnant 3 de l’autre, retenues DANS 1ES DEUX SICILE S. 169 à l’orifice du tube, elles éclataient souvent avant d’avoir atteint la grosseur requise. Ces expériences souvent répétées, ne variè- rent jamais dans leurs résultats. Elles prouvent non-seulement que le gaz hydrogène naturel est plus léger que l’air atmosphérique , mais qu’il est surpassé lui-même en légèreté parle gaz hy- drogène métallique. Quand les bulles de ces deux gaz étaient lâchées, je les touchais quelquefois avec la bougie allumée ; celles du gaz métalli- que produisaient en éclatant une petite flamme rouge accompagnée de détonation; celles du gaz naturel ne détonaient pas, mais elles lais- saient échapper une flamme beaucoup plus volu- mineuse colorée d’un rouge-clair. I ' i > ‘ 1 • • - * Je voulus voir ce qui arriverait dans l’inflam- mation du gaz naturel en le mêlant tantôt avec l’air commun, tantôt avec le gaz oxigène, et variant les doses. J’obtins les résultats suivans : Le mélange d’une moitié d’air commun avec une moitié de gaz naturel, produisit une inflam- mation à-peu-près semblable à celle du gaz na- turel tout pur, excepté que la flamme fut un peu plus claire. Avec la moitié et un peu plus d’air commun , il y eut un commencement de détonation; la VOYAGES 170 flamme parut plus resplendissante , plus prompte à se développer, elle s’étendit plus rapidement du sommet au fond du vase. En mêlant un tiers de gaz naturel avec deux tiers d’air commun, la détonation devint plus sensible, la flamme toujours plus prompte , mais en même temps moins volumineuse. En augmentant davantage la dose d’air com- mun et diminuant d’autant celle du gaz naturel , la flamme perdit encore de son volume $ mais sa détonation gagna de la force. Le mélange d’un dixième de gaz naturel avec neuf dixièmes d’air commun , ne laissa pas de s’enflammer et de détoner un peu. Enfin, en réduisant la dose du premier à un dix-huitième du mélange , il n’y eut plus d’in- flammation , plus de détonation. Je passe à sa combinaison avec le gaz oxîgène extrait de l’oxide de mercure. En mêlant ces deux gaz dans une proportion égale, j’obtins une flamme plus brillante, plus rapide , une détonation plus forte que dans les combinaisons précédentes où j’avais employé l’air commun. DANS LES DEUX SICILE S. 17I La détonation se fit encore mieux sentir quand je composai le mélange d’un tiers du premier et de deux tiers du second : la flamme perdit de son volume , mais elle ne parut que plus brillante. En continuant de diminuer la dose du gaz naturel, et d’augmenter celle du gaz oxigène, je vis et la détonation et la flamme s’affaiblir par degrés , jusqu’à ce que l’une ne se fît plus entendre , et l’autre ne manifestât qu’une simple corruscation. Personne n’ignore que le gaz hydrogène , quoi- que très-susceptible d’inflammation, éteint toute- fois les corps qui brûlent , et donne la mort aux animaux. D’après les propriétés déjà reconnues du gaz de Barigazzo et des lieux circonvoisins , je devais m’attendre qu’il produirait les mêmes efFets. Ayant plongé dans un bocal à col étroit plein de ce gaz , une bougie allumée , elle s’étei- gnit subitement 5 un charbon ardent , il se dé- colora sur-le-champ , et s’éteignit le moment d’après. Dans un bocal plus grand , je fis subir à un moineau (1) cette épreuve mortelle;il commença (1) Fringilla domestica. Linn. voyages 172 bientôt par ouvrir le bec, alongerle cou, comme s'il eut cherché à prendre de l'air ; sa respiration devint plus fréquente $ au bout de trois minutes il cessa de vivre. ( * l ' - ^i| . • ?JH A la place du gaz hydrogène naturel , je mis du gaz hydrogène métallique. Un second moi- neau aussi plein de vie que le premier fut plongé dans son atmosphère : l’oiseau ne mourut qu’au bout de trois minutes et demie. Pendant ces dëftx expériences le thermomètre marquait dix-huit degrés et demi, et le baromètre vingt-six pouces, neuf lignes. Le jour suivant on m’apporta quatre chardon- nerets (1), autant de mésanges (2), qui furent dévoués au même sacrifice. J?en pris deux de chaque espèce pour faire les parts égales , l’une pour le gaz naturel , l’autre pour le gaz métal- lique , et celui-ci fut encore le moins prompt à leur donner la mort. Plongés dans le gaz na- turel, les deux chardonnerets et une des mé- sanges moururent au bout d’une minute 5 l’autre cessa de vivre au bout d’une minute et demie. Mais le gaz métallique prolongea un peu plus long-temps l’existence des siens : les deux mé- (1) Fringilla cardueîis. Linn. (2) Parus major . Linn. DANS LES DEUX SICILE S. l'JO sanges et un chardonneret y vécurent deux mi- nutes , l’autre ne perdit la vie qu’au bout de deux minutes et quelques secondes. Le thermo- mètre s’élevait alors à vingt degrés , et le ba- romètre à vingt-sept pouces. Je dois observer que les bocaux de ces expériences étaient tous de même capacité, que je n’y plongeais qu’un oiseau à-la-fois , et que le gaz était renouvelé à chaque épreuve. « J’ai parlé de l’hétérogénéité du premier de ces gaz$ j’ai dit que son inflammation sans bruit, sa flamme peu active de couleur d’azur, la suie qu’elle dépose dans ses foyers naturels , étaient autant de preuves de son mélange avec des subs- tances étrangères. Il fallait donc recourir à l’ana- lyse chimique pour reconnaître ces substances. Les moyens d’y parvenir m’occupèrent assez long-temps 5 mais la recherche était importante, et m’engagea dans des expériences dont voici les principales. Ce gaz s’enflammant sans détonation quel- conque , il était assez évident que le gaz oxigène n’entrait point dans son mélange ; cependant je crus convenable d’avoir recours au gaz nitreux en le mêlant avec le gaz naturel , pour voir s’il y aurait excitation de vapeurs, ou diminution de volume : rien de cela n’arriva. VOYAGES *74 Je l’avais soupçonné d’être sulfuré, attendu son odeur un peu fétide, quoiqu’à vrai dire cette odeur fût bien loin d’égaler la fétidité du gaz con- nu sous le nom de gaz hépatique. Les premières expériences que je fis à Barigazzo , en 1790 , pour vérifier ce soupçon , me parurent décider pour la négative. Cinq ans après , je revins à Fanano , n’ayant d’autre objet que de jouir pen- dant les chaleurs suffocantes de l’été de la douce # fraîcheur des montagnes , et de revoir quelques amis que j’avais laissés dans le pays. C’est-làque, relisant ce présent chapitre composé depuis quel- que temps , et ne pouvant concevoir l’absence du soufre, indiquée par mes expériences passées, dans une substance qui en exhalait l’odeur , je résolus de me remettre sur la voie de la vérité. Barigazzo n’était pas loin; j’allai y faire provision de son gaz pour le soumettre à de nouvelles épreuves , et j’eus bientôt le plaisir de rectifier mes idées sur un point dont la décision me tenait à cœur. Les expériences par lesquelles il m’avait paru que ce gaz n’était point sulfuré, consistaient en ce que provoquant son inflammation dans des vases, je n’y voyais après la combustion aucune précipitation de soufre. A Fanano, je n’apperçus pas mieux cette précipitation dans ceux où je le brûlai, tant que je me contentai de la cher- cher à la vue simple 5 il n’en fut pas de même DANS LES DEUX SICILE S. lj5 avec la loupe , et j’avoue que cet expédient si facile ne m’était pas venu d’abord à l’idée. Ainsi armés , mes yeux virent distinctement les mo- lécules du soufre 5 je pus en recueillir une assez grande quantité pour le brûler. A son odeur, à sa flamme, à sa fumée pénétrante , il me fut impossible de le méconnaître , et dès ce moment je tins pour certain que le gaz hydrogène de Barigazzo est sulfuré. Mais je reviens au temps et au lieu de mes premières expériences. J’avais vu que le gaz oxi- gène n’était point mêlé avec le gaz hydrogène naturel 5 j’avais inutilement cherché à constater la présence du soufre dans ce dernier : une autre recherche m’attendait, celle du gaz acide car- bonique qui pouvait y être enveloppé , soit que ce gaz fût mêlé avec le gaz hydrogène naturel , soit que celui-ci en contînt seulement les élé— mens , et que , par son inflammation , il engen- drât le gaz acide carbonique. Je n’étais pas éloi- gné de croire que ce dernier ne se cachât de manière ou d’autre dans le gaz hydrogène natu- rel , attendu les matières fuligineuses que celui-ci déposait après sa combustion , et la couleur plus ou moins azurée de sa flamme. En effet, j’avais vu , après divers essais , qu’en unissant huit me- sures de gaz métallique à une de gaz acide car- VOYAGES 170 bonique , et mettant le feu à ce mélange , la flamme acquérait cette couleur d’azur qui est propre au gaz naturel. Je devais donc employer les moyens connus par lesquels on parvient à séparer le gaz acide carbonique des autres fluides aériformes. Le premier moyen fut de mettre dans un grand vase une mesure de ce gaz sur quatre mesures d’eau distillée, en plongeant l’extrémité infé- rieure de ce vase dans un petit baquet contenant également de l’eau distillée. La ligne qui sépa- rait l’eau du gaz fut marquée par une bande- lette de papier très-mince étendue horizontale-, ment , précaution nécessaire, et que j’ai toujours employée en cas semblable. Le vase resta dans cette situation pendant plu- sieurs jours, sans que jamais l’eau y marquât le plus petit degré d’élévation constante 5 je n’ap- . perçus en elle d’autre variation qu’un exhausse- ment et un abaissement proportionnés à la di- versité de la température. Cette eau n’avait donc absorbé aucune portion du gaz acide carbo- nique ; au bout de ce temps , le gaz n’avait non plus laissé aucun dépôt à la surface de l’eau. Sachant que l’on obtient plus facilement sa dissolution dans l’eau en agitant violemment les deux DANS LES DEUX SICILE S. 17 f deux fluides , je mis deux mesures de ce gaz et trois mesures d’eau dans un bocal , et après l’avoir bouché hermétiquement , je l’agitai pen- dant une demi -heure. Cela fait, je plgngeai le bocal sens dessus dessous dans l’eau du baquet; je le débouchai, mais je n’apperçus aucune ab- sorption. On sait que le gaz acide carbonique change en fougela teinture de tournesol 5 je n’observai point de changement semblable en faisant traverser à plusieurs reprises, par le gaz hydrogène naturel, une masse d’eau teinte avec cette plante. J’eus recours à l’eau de chaux , qui ne me donna non plus aucun signe de la présence de l’acide carbonique dans le gaz hydrogène naturel. Ayant rempli un bocal moitié de cette eau , moitié de ce dernier gaz, j’agitai fortement le mélange $ mais la liqueur ne se troubla point , et pas un atome de chaux ne se précipita. Enfin les alkalis caustiques appliqués au gaz hydrogène naturel , ne réussirent pas mieux à manifester en lui la présence du gaz acide car- bonique. Je répétai plusieurs fois ces expériences; à la fin de chacune , le gaz hydrogène naturel, tou- 0urs le même , ne présentait aucune diversité » Tome V. M 178 VOYAGES soit dans son inflammation , soit dans la couleur de sa flamme, soit enfin dans le bruissement sourd qui l’accompagnait, bruissement qui du reste ne pouvait être comparé à une véritable détonation. Me voilà donc assuré que le gaz acide car- bonique n’était point en mélange avec le gaz hydrogène naturel. Restait à savoir si du moins le premier se formait pendant l’inflammation ac- tuelle du second. Mais avant de me livrer à cette nouvelle recherche, je crus devoir traiter le gaz inflammable des marais comme je venais de trai- ter le gaz des feux de Barigazzo , pour compa- rer les résultats. Le pays ne manque pas de petits marais 5 non loin de Barigazzo , il en est un couvert de joncs et autres plantes marécageuses, dont l’eau ne tarit point, même dans les plus grandes chaleurs de l’été. Cependant on a beau en remuer le fond, soit avec un bâton , soit avec les pieds, on n’en fait pas sortir une seule bulle d’air inflammable. A Yetta , il en existe un autre d’environ deux cents pieds de circonférence également privé de cet air , quoique son eau stagnante et fangeuse tienne en décomposition une multitude de vé- gétaux. Le lac des Bœufs , situé au-delà du tor- rent Pannaro , à deux milles de Fanano , est un troisième petit marais où cette substance aéri- BANS LES DEUX SICILE S. XJQ forme ne se produit pas davantage. Si les tenta- tives que je fis pour m’en procurer dans ces trois* endroits difFérens ne remplirent point mon but , elles me furent cependant utiles , en ce qu’elles me montrèrent combien cette dénomination d 'air inflammable des marais appliquée à un gaz que tous les marais ne fournissent pas , est fausse dans son acception générale. Au reste , je parvins cependant à trouver cette espèce de gaz hydrogène qui naît de la décom- position des végétaux. Le hasard m’ayant con- duit dans un pré voisin de la maison d’un habitant de Fanano , nommé Pasquali , j’y découvris une fosse pleine d’eau où l’on tenait en macération des feuilles d’arbres et diverses plantes , pour ser- vir d’engrais. Je remarquai des bulles à la surface de cette eau putride, et les ayant reconnues pour inflammables, je remuai le fond de la fosse, et j’eus bientôt empli plusieurs flacons de ce gaz végétal. Je dirai maintenant les résultats des ex- périences qui suivirent ma découverte. L’inflammation ne fut accompagnée d’aucune détonation , pas même de ce bruissement sourd que rendait, dans de semblables circonstances / le gaz des feux de Barigazzo. Elle fut plus lente \ la flamme parut plus azurée, et moins volumi- neuse; l’odeur moins pénétrante, moins forte. 1 80 VOYAGES En agitant ensemble l’eau distillée et ce gaz , dans un bocal renversé et plongé dans le baquet, un septième environ du gaz fut absorbé. Il diminua de volume quand je le mis en com- munication avec l’alkali caustique 5 il colora en rouge la teinture de tournesol. Le gaz acide carbonique était donc mêlé avec ce gaz végétal. J’essayai d’en faire la séparation, autant que cela se pouvait , avec l’eau de chaux , en la renouvelant plusieurs fois , et j usqu’à ce qu’il ne parût plus en elle de blancheur 5 alors la mesure de gaz végétal avait diminué de près d’un tiers; En cet état, il ne brûla plus d’une flamme aussi lente , aussi azurée ; cependant il ne détonait point encore , et par conséquent il était loin d’avoir les qualités du gaz hydrogène pur. Je pensai qu’outre le gaz acide carbonique dont je l’avais purgé en tout, ou du moins en très-grande partie, il contenait de plus du gaz azote, qui n’avait pu être enlevé par les réactifs mis en usage. J’eus une nouvelle occasion de me procurer en abondance du gaz hydrogène végétal 5 celui-ci venait d’une fosse où l’on tenait du chanvre (1) (1) Cannabis saliva . Linn. DANS LES DEUX S I C I L E S. l8ï en rouissage depuis plusieurs jours. La décom- position de cette plante, sur-tout dans les par- ties pulpeuses des feuilles et de l’écorce, avait communiqué à l’eau une grande fétidité, et l’on voyait à sa surface des bulles qui se multipliaient par milliers pour peu que l’on en remuât le fond. J’obtins aisément tout le gaz nécessaire pour répéter les expériences précédentes. Ce nouveau gaz végétal se réduisit par des lavages dans l’eau de chaux , presqu’à moitié de son volume, preuve que l’acide carbonique y était contenu en plus grande quantité que dans le précédent. Il brûla rapidement ; la couleur de sa flamme tira plus sur le blanc que sur le bleu $ sa détonation fut presqu’insensible ; pour qu’elle devînt forte , il fallait le mêler avec le gaz oxigène. Ici, comme dans le cas précédent, je m’apper- çus que ce gaz, dépouillé comme il était du gaz acide carbonique , restait encore combiné avec le gaz azote. Il résultait de ces expériences comparatives; une différence remarquable entre le gaz hydro- gène végétal, et celui des feux de Barigazzo vie premier se trouvait uni au gaz acide carbonique , tandis que le second ne l’était pas. Ainsi, comme je l’ai dit , je n’avais plus qu’à éprouver si l’inflam- mation de ce dernier porterait avec soi le dévelop- M 5 1%2 VOYAGES pement ou la production du gaz acide carbo- nique. Je fis brûler sur Peau de cbaux une mesure donnée de gaz hydrogène naturel avec plusieurs mesures de gaz oxigène , en me servant de l’eu- diomètre de Volta. L’eau fut troublée , et des flocons, de chaux descendirent lentement au fond. En dernier résultat , le gaz hydrogène na- turel produisit un dixième environ de gaz acide carbonique. Quant à la manière dont ce dernier s’engendre dans l’inflammation du gaz hydrogène naturel , je l’examinerai dans le chapitre suivant. DANS LES DEUX SICILE S. l83 CHAPITRE XL. Des substances propres à produire et à renou- veler sans cesse le gaz inflammable des feux de Barigazzo et autres du même genre . Avant d’entrer en matière, je ne puis me dispenser de citer encore une fois l’ouvrage inti- tulé : Lettres sur l’air inflammable des marais . Quoique l’on sût avant leur publication que ce gaz existait, qu’il était inflammable, cependant on ignorait qu’il se trouvât en aussi grande abon- dance dans les eaux marécageuses. Le seul re- proche que l’on puisse faire à l’auteur, est d’a- voir trop généralisé sa découverte, en disant que cet air se loge en grande quantité au fond de toutes les eaux stagnantes y ou qui ont très-peu d* écoulement (i) , puisque nous avons vu plus haut que certaines eaux dans cet état, n’en recè- lent point du tout , et que d’autres au lieu de gaz hydrogène, ne fournissent que de l’acide car- (1) Voyez sa note sur Farticle air inflammable dans le dictionnaire de chimie de Macquer. Note de V auteur. M 4 VOYAGES ï84 bonique. J’en ai montré quelques exemples dan* les environs de Barigazzo ; mais dans les divers pays que j’ai parcourus, combien n’ai-je pas rencontré de lacs, de marais, de mares sta^ gnantes, dpnt j’ai remué le fond de toutes les ma- nières sans réussir jamais à en dégager la moin-* dre bulle de gaz hydrogène ? Au reste, l’on doit toujours savoir gré à ce physicien d’avoir observé le premier que le gaz des marécages est un produit de la simple macé- ration dans Beau, et de la putréfaction des subs- tances végétales et animales, occasionnée par la seule chaleur de l’atmosphère. Je passe sous si- lence plusieurs conjectures hasardées qui rem- plissent la majeure partie de son livre, tant parce qu’elles sont étrangères à l’objet de mes recher- ches, que parce qu’elles sont tombées dans l’ou- bli, et ont éprouvé le sort de toutes les hypo- thèses qui ne sont étayées d’aucunes preuves. Mais je reviens à sa première observation , avec d’autant plus d’intérêt , qu’il s’efforce lui-même de l’appliquer aux feux de Pietra-Mala, de Vel- leja, et en général à tous les terrains brûlans. Suivons-le donc dans tous ses raisonnemens , nous verrons du moins s’ils sont applicables aux feux de Barigazzo, de Vetta , &c. dont nous connais-, sons parfaitement la localité, D A K S LES DEUX SICILE^ l 85 Dans un Mémoire relatif à l’origine des feux de Velleja, cet auteur, ferme dans son principe que le gaz générateur de ces feux dérive de ma- tières végétales et animales pétrifiées et décom- posées, tâche d’en convaincre ses lecteurs en leur faisant voir que ce petit espace de pays a éprouvé des éboulemens de terre, et il ajoute: «Je ne puis m’empêcher de faire ici une réflexion. »La première fois que je parlai des feux de Pietra- »Mala, absolument semblables à ceux-ci, je sen- tis qu’il étaitnécessaire de recourir à une hypo- » thèse pour expliquer comment l’air inflammable » pouvait se trouver là, ramassé dans de vastes » cavernes souterraines, en assez grande abon- dance pour fournir perpétuellement à la con- sommation de ces flammes. Une idée me vint » alors, et je la proposai. Pourquoi, disais-je, ne » supposerions-nous pas un marais, ou un amas » quelconque de substances végétales ou anima- les enseveli en cet endroit par une de ces révo- ydutions faciles à imaginer? La décomposition de v>ces substances suffirait pour produire toute la » quantité d’air nécessaire à l’entretien de ces »feux. Mais ici , dans le terrain brûlant de » Velleja, cette révolution n’est plus une hypo- thèse, une supposition, une conjecture; c’est »un fait certain dont il existe un monument » parlant » , *86 VOYAGES Je connais trop la candeur d’ame de ce phy- sicien célèbre , et les principes qui le dirigent dans la recherche de la vérité , pour craindre de l’ofFenser en combattant ses opinions. Le para- graphe que je viens de citer va fournir matière à des remarques que j’exposerai en toute liberté. Il me semble d’abord que les observations locales de l’auteur ne confirment qu’une seule chose que l’on savait déjà , je veux dire l’ébou- lement d’une partie de la montagne voisine , qui ensevelit autrefois sous ses' ruines la mal- heureuse cité de Velleja. Tout ce qu’il ajoute à ce fait connu est purement hypothétique. Où sont les preuves directes , où sont seulement les indices , qu’à l’époque de cet événement il exis- tait là un marais qui aurait subi le sort de Velleja? Chaque année les pluies n’occasionnent- elles pas dans les montagnes de semblables chutes de terres qui n’engloutissent ni étangs , ni marais ? Et qui ne sent pas que des rencontres aussi for- tuites doivent être très-rares ? Mais admettons l’hypothèse j supposons que i’éboulement de Velleja ait recouvert un grand marais , que ce marais abondait en plantes aqua- tiîes propres à fournir par leur décomposition une grande quantité de gaz hydrogène, suivrait- il de là qu’elles auraient conservé cette propriété DANS LES DEUX SICILE S. 187 dans le sein de la terre? J’en doute beaucoup, attendu la privation de la chaleur solaire, qui ne saurait pénétrer à une si grande profondeur. Je dirai plus ; s’il existe sur les hautes montagnes, comme je m’en suis assuré , des marais qui ne pro- duisent point de gaz hydrogène, c’est à la faiblesse de cette chaleur, insuffisante pour opérer promp- tement dans le sein des eaux la putréfaction des plantes, que j’en attribue la cause. Tâchons d’user encore de plus de condescen- dance envers l’auteur; accordons -lui que les végétaux de son marais continuèrent d’avoir sous terre les conditions nécessaires pour opérer le dégagement de ce fluide aériforme, eurent-ils aussi la faculté de renaître pour se décomposer de nouveau, et alimenter perpétuellement, par cette succession de combinaisons , un feu qui dure depuis tant d’années ? Non sans doute. Ces végétaux étant une fois détruits par la décom- position , rien ne put les ramener à la vie , et le gaz hydrogène dut tarir dans sa source. Croit- on qu’il se renouvellerait dans les eaux stagnantes des marais, si les plantes qui l’engendrent ne se reproduisaient elles- mêmes annuellement ? Tout efFet cesse avec sa cause. Peut-être que par l’expression à' amas quel- conque de substances végétales , l’auteur a en- VOYAGES l88 tendu , non des plantes herbacées , maïs des plan- tes ligneuses , des arbres , par exemple, qui par leur lente décomposition auraient été propres à entretenir pendant une longue succession d’an- nées la source du gaz hydrogène de Velleja. Nous verrons , en traitant de l’origine du gaz de Barigazzo , si cette cause est admissible ; en at- tendant, passons aux substances animales qu’il lui a plu d’associer aux végétales.. A quelle classe faudra- t-il rapporter cette immense peuplade d’animaux qui, dans la se- conde supposition de l’auteur, aurait été ense- velie sous les ruines de la montagne de Velleja? A celle des insectes ? l’idée serait trop ridicule. A celle des vers , des testacées , par exemple , qui ne sont pas rares dans les environs ? Mais ne sait-on pas que si les coquilles dé ces animaux se conservent très-long-temps , leurs corps dé- licats se décomposent et se dissolvent très-promp- tement. D’ailleurs ignore-t-on qu’il existe sur le globe des montagnes entières de ces testacées où l’on n’a jamais su découvrir la moindre veine de gaz hydrogène ? Nous n’avons plus que les poissons et les qua- drupèdes , car je ne pense pas que notre auteur ait songé à tirer parti des amphibies, encore moins de s oiseaux. Quant aux premiers, ils pré- DANS LES DEUX SIC ILE S. 189 sentent la même difficulté que les vers : leur chair est aussi prompte à se corrompre et à tom- ber en dissolution. Ensuite , si par quelque ré- volution arrivée sur la terre ou dans la mer, une immense quantité de poissons eût été ensevelie auprès de Velleja , on trouverait du moins des vestiges de leurs dépouilles , sur-tout dans les ravins formés par les eaux des pluies • cependant il n’en est rien , et jamais, que je sache , on n’a rencontré à Velleja des ichthyolites /c’est-à-dire des pierres portant des empreintes de poissons* J’en dirai autant des os , des dents , des cornes de bêtes sauvages ou domestiques, dont la décou- verte pourrait faire soupçonner dans cet endroit une immense sépulture d’animaux quadrupèdes. Et quand elle existerait , je douterais encore qu’elle pût remplir le but de l’auteur, ayant vu dans l’île de Cythère une montagne entière de la circonférence d’un mille, toute composée d’osse- mens d’hommes et d’animaux, d’où n’émanait en aucune manière le gaz hydrogène (1). (i) Spaîlanzani a donné dans le recueil des Mém. de la Soc. ital. t. III , une description dexette île. Nous croyons faire plaisir au lecteur en rapportant ici cette description telle qu’elle a été traduite et imprimée dans la Décade philosophique, n°. 18, an 6. « L’île de Cythère a environ vingt lieues de circonfé- rence. Plus des deux tiers de son sol ne présentent que VOYAGES î9° La facilite avec laquelle l’auteur explique l’o- rigine des feux de Yelleja ne l’abandonne point des rochers arides et escarpés. La seule portion de Pile qui soit cultivée produit un peu de blé, et du raisin d’une excellente qualité. Le climat y est extrêmement doux et agréable ; les mois d’août et de septembre sont sur- tout remarquables par le passage des cailles qui, dans leur retour aux côtes d’Afrique, s'arrêtent quelques jours à Cythère qpour s’y reposer de leur pénible trajet. » On chercherait en vain à Cythère quelques restes du temple fameux de Vénus Uranie, qui, suivant le récit de Pausanias, était le plus ancien et le plus célèbre qu’elle eût dans la Grèce. La seule trace d’antiquité que les in- iulaires montrent aux voyageurs , et qu’ils appellent les Bains de Vénus , Bagni di Venere, consiste en une petite grotte formée dans l’intérieur d’un rocher sans le moin- dre ornement de l’art. » Ce qui mérite à Cythère l’attention des naturalistes, c’est que i°. Pile a été formée par des volcans ; 2°. qu’une partie des matières qui la composent , renferment un grand nombre de testacées pétrifiés qui n’ont éprouvé aucune altération par le feu ; 3°. que La totalité d’une de ses montagnes est remplie d’ossemens d’hommes et d’a- nimaux pétrifiés ; 4°. qu’il y a dans Pile une grotte sou- terraine avec de nombreuses stalactites calcaires. » i°. La plus grande partie de l’île est couverte, comme nous l’avons déjà remarqué, de rochers stériles. Ces ro- chers, du côté de la mer , ressemblent à des murs per- pendiculaires d’une hauteur considérable, et ne pré- DANS LES DEUX S I C I L E S. 1^1 pour rendre raison de celle des feux de Pietra- Mala 3 et comme il est très - fécond en hypo- sentent point dans leur section cet ordre de structure par couches , de grosseur et de matières différentes , qu’on remarque ordinairement dans les montagnes qui avoi- sinent la mer , et notamment dans celles qui entourent les îles voisines de Zante et de Corfou, Dans les mon- tagnes de Cythère , il serait difficile de trouver la plus légère trace de ces couches. Elles semblent toutes for- mées d’un seul jet et d'une matière uniforme. )> On aurait de la peine à décrire l’amas informe des montagnes et des rochers arides qui sont dans l’intérieur de l’ilej ils n’ont ni plaines , ni pente, mais ils s’élèvent presque tous en angles saillans et en pointes. Leur cou- leur dominante est le rouge plus ou moins foncé, ce qui probablement a induit en erreur les écrivains de l’anti- quité , qui , pour faire valoir Cythère , ont vanté avec emphase ses montagnes de porphyre. La couleur rouge paraît davantage sur les pierres marneuses , et comme elle a une grande ressemblance avec celles qu’on re- marque près des volcans , elle fait d’abord soupçonner que ces pierres ont éprouvé l’action du feu ; mais ce soupçon devient bientôt une certitude , lorsqu’on con- sidère i°. que dans différens endroits de l’île d’où l’on extrait des pierres pour faire de la chaux , on trouve qu’elles sont en partie calcinées , friables et de couleur de cendre ; 20. que les pierres ponces y sont très-com- munes , et adhérentes aux montagnes même et aux ro- chers. Les caractères de ces pierres ponces sont très- aisés à reconnaître j elles sont très-poreuses, légères. VOYAGES 192 thèses , si la première ne suffît pas à ses lecteurs, il en sait imaginer une seconde 5 si celle-ci ne rudes au toucher, à demi-brulées , et point sujettes à l’action des acides. 3°. Enfin, si on parcourt d’un œil exercé ces lieux déserts , il est impossible de ne pas re- connaître de toutes parts des traces de volcans éteints. Près de la grotte, dont nous parlerons plus bas, on dis- cerne aisément trois ou quatre cratères qui ont toutes les apparences d’avoir anciennement vomi des flammes. Outre la couleur rouge et les pierres ponces qui s’y trouvent en plus grande abondance , on voit en plusieurs endroits des masses considérables d'une matière qui res- semble à ces laves demi-fondues qui tiennent le milieu entre le terreau et les scories. Cette matière est d’un brun foncé , composée de paillettes de mica et de schorls , qu’on juge aisément avoir éprouvé un certain degré de chaleur, sans néanmoins avoir entièrement changé d® nature. » 2°. Le second phénomène est celui des testacécs joints aux matières volcaniques. Les coquillages sont de deux espèces , savoir , des huîtres et des pettinites ; les premières s’y trouvent en très-grand nombre et d’une grosseur considérable. Plusieurs d’entr’elles ont plus de neuf pouces de longueur et six pouces de largeur. Tous ces testacées sont parfaitement pétrifiés, sans qu'il pa- raisse à leur surface le plus léger indice d'altération causée par le feu. Ces deux genres de coquillages sont diversement placés dans les montagnes. Il y en a plusieurs attachés à la surface qui se présentent tout de suite à la vue ; d’autres eii plus grand nombre sont enfermés dans leur DANS LES DEUX SICILE S. 195 leur plaît pas davantage 3 il en a une troisième toute prête pour les satisfaire. Voici comment l’intérieur , et on ne peut les extraire qu’en brisant la pierre. Ils sont pour la plupart entiers et parfaitement conservés ; dans plusieurs endroits on trouve pourtant des grandes masses de pierres qui ne sont composées que de leurs débris. » Le phénomène de testacées pétrifiés trouvés sur les montagnes ou dans l’intérieur , n'a rien de nouveau ni d’extraordinaire dans la nature ; mais c’est peut-être un fait nouveau qui mérite la plus grande attention , que de rencontrer des testacées intacts dans des pierres qui ont des caractères volcaniques. Il semble en effet incon- cevable que l’action du feu qui altère plus ou moins toutes. les pierres , jusqu’à produire une véritable vitri- fication , n’ait pas calciné ni réduit en poudre ces tes- tacées ? comme cela aurait lieu par le feu ordinaire ; que si l’on était curieux de rechercher la cause de ce sin- gulier phénomène , je crois qu’on pourrait établir deux hypothèses sür les volcans de Cythère. Ou ces volcans ont exercé leur action sur l’île déjà existante , ou ce sont eux qui l’ont produite. Dans la première supposition, il faudrait admettre que les testacées se trouvassent dans l’île avant que le feu ait agi sur elle , quoiqu’il soit diffi- cile de concevoir comment ils n’ont pas été détruits ni altérés par son action. Il est néanmoins important de remarquer ici que ces coquillages ne se trouvent jamais enveloppés ni dans les pierres ponces , ni dans les laves qui ont subi une véritable fusion , mais seulement dans Tome JS, N i94 voyages il leur en donne le choix : « Supposons , dît-il , » qu’il existait autrefois en ce lieu ( où brûlenfc les pierres qui n’ont éprouvé qu’une légère action du feu. » Dans la seconde hypothèse, l’explication de ce phéno- mène paraît plus aisée. Qu’on suppose Cythère sortie du sein de la mer par l’effet d’un volcan ; les feux souterrains agissans sous terre avec une grande force, auront peu à peu soulevé le fond de la mer sur lequel ont dû se trou- ver ces deux genres de testacées, qui seront sortis de la mer en même temps que l’ile. La force du feu tem- pérée par l’eau n’aura pu produire sur elles un grand effet, quoiqu’il ait continué d’agir dans l’intérieur de ces grandes masses de terre qui ont servi à la formation de l’île , et à les pousser hors de la mer jusqu’à une hauteur déterminée. » On a un exemple frappant d’autres testacées qui n’ont point été endommagés par le feu , dans les huîtres trou- vées dans l’Isola-Nuova , que Faction d’un volcan a fait sortir du sein de l’Archipel en 1707. Il est néanmoins vrai que les vestiges de volcans éteints qui sont à Cy- thère , ne permettent pas de douter que l’action du feu ne se soit exercée pendant quelque temps sur la surface de l’île après sa formation ; mais il est essentiel de re- marquer qu’auprès des cratères des volcans on ne voit jamais de testacées, et qu’au contraire on les trouve toujours dans les endroits où l’action du feu a été moins sensible. » Une dernière observation vient à l’appui de ces DANS LES DEUX SICILES. Î05 » actuellement les feux de Pietra - Mala ) , un » grand marais qui aurait été enseveli dans la conjectures sur l’origine de Cythère. En côtoyant Pile , on voit que les monts qui se prolongent dans la mer , continuent d’être de la même nature jusque sous les eaux, et qu’ils forment une masse solide avec les parties exté- rieures, ce qui prouve encore que le feu a fait sortir cette île du sein de la mer. Plusieurs îles de l’Archipel ont été formées d’une manière à-peu-près semblable par des volcans. Strabon ( liv. i ) nous assure que de son temps les feux souterrains avaient produit entre les îles de Thérasie et de Théra , une île de douze stades , et que les Rhodiens , qui y étaient débarqués les premiers, y avaient bâti un temple dédié à Neptune. L’Isola- Nuova dont je viens de parler a eu la même origine , et il est plus que probable que la même cause a produit les deux îles qui l’avoisinent , savoir la grande et la petite Camméni , mot grec qui, malgré sa corruption, dénote encore brûlée. » Une autre chose digne de remarque , c’est que dans cette partie de la mer qui environne Cythère , on ne trouve point d’huîtres ni de pettinites semblables à ceux qui sont dans l’île. On pourrait supposer que les dé- pouilles de ces animaux appartiennent à des contrées étrangères , et que la mer les a apportées à Cythère ; mais il est plus naturel de croire que ces espèces ont été autrefois abondantes dans le fond de cette mer , et que la race en est épuisée , phénomène qui ne manque pas d’exemples en beaucoup d’autres endroits , tant pour Na VOYAGES ï 9 G » suite des temps par un de ce3 accidens qu’il »est facile d’imaginer 5 on conçoit sans peine les animaux aquatiques que terrestres, suivant le té- moignage des naturalistes les plus éclairés. » 3°. Les os fossiles qu’on trouve à Cythère sont l’ob- jet d’un phénomène non moins singulier. Ces os se ren- contrent dans une montagne escarpée , en forme de cône dont la pointe est coupée. Elle est située au midi de File à peu de distance de la mer ; cette montagne peut avoir un mille de tour à l’endroit où l’on commenoe à appercevoir les os, et de ce point jusqu’au sommet il n’y a aucune partie extérieure ni intérieure qui ne soit remplie de ces dépouilles d’animaux. Les habitans ap- pellent cet endroit la Montagna délit ossa. La plus grande partie sont des ossemens humains, quoiqu’il y en ait aussi qui semblent appartenir à des quadrupèdes. Leur couleur, tant dans l’intérieur que dans l’extérieur, est d’une grande blancheur ; ils sont si bien pétrifiés , qu’ils ont le poids et la dureté des pierres. » Tous ces os qu’on trouve entiers ou brisés en mor- ceaux , sont enveloppés dans une matrice de pierre cal- caire qui forme avec eux un seul et même corps. Il est donc clair que ces os ont été anciennement renfermés dans une terre molle , et qu'ils se sont pétrifiés simulta- nément. Dans les parties creuses de ces os , on trouve souvent de petits cristaux de spath, qui donnent à ces pétrifications une grande beauté. » Il y a pourtant une différence considérable entre la DANS LES DEUX SIC ILES. 107 >> comment les substances végétales et animales » en continuant de se décomposer , y ont laissé substance pierreuse qui enveloppe les testacées et celle qui renferme les os j car cette dernière n'a aucun signe volcanique. C’est un composé de marne dure , rouge jaune , sans le plus léger indice de fusion. Mais quel agent physique a pu apporter sur cette montagne une si grande quantité d’ossemens? et comment, et d’où ont pu être recueillis en cet endroit tant d'individus de notre espèce ? Si l’on en croit les insulaires , il faudrait sup- poser que ce lieu était autrefois le cimetière du pays ; telle est du moins l’opinion la plus vulgaire. Mais il est difficile de se le persuader, lorsqu’on réfléchit que les cimetières , quelle que soit leur ancienneté , ne sont pas propres à la pétrification des os. D’ailleurs , quelle est la ville assez peuplée pour pouvoir fournir la quantité prodigieuse d’ossemens qu’il a fallu pour former cette énorme montagne? Enfin, si pendant une très -longue suite d’années on eut inhumé les morts dans cet endroit, le degré de pétrification de ces os noterait pas égal par- tout, mais les premiers seraient mieux pétrifiés que les derniers ; or il n’y a pas ici la moindre dissemblance , tous ces os étant également et parfaitement pétrifiés. Il n’est donc pas permis de douter que ces os n’aient été apportés tous à-la-fois en cet endroit , et que la cause n’en ait été violente et extraordinaire. Mais dans quel temps et comment cela a-t-il pu arriver? c’est un de ces secrets de la nature qu’il n'est pas donné d’expliquer. » 4°. Le quatrième et dernier objet qui doit intéresse? les naturalistes à Cythère , c’est une grotte souterraine N 3 VOYAGES ic)8 »un dépôt d’air inflammable 5 comment cet air jetant retenu dans sa prison souterraine , et ne située à l’ouest de l’île près de la mer. Son entrée, qui M. Volta , toute naturelle qu’elle paraît, est démentie BANS LES DEUX SICILE S. 20 ï que deux réflexions. On a vu par un passage de Cardan , cité dans le chapitre XXXVIII , que ces feux existaient de son temps , c’est-à-dire vers le milieu du seizième siècle ; mais leur pre- mière apparition date d’une époque bien plus reculée. On sait qu’ils passaient anciennement dans l’opinion du vulgaire pour être une des bouches de l’enfer 5 en effet , on y a trouvé, et l’on y trouve encore des médailles de bronze des premiers empereurs romains , médailles que des passans y jetaient pour assister les âmes de )) par les faits et par l’observation. Si ce terrain avait été « autrefois un marais enseveli par la suite des temps , il » est clair qu’il devait être beaucoup plus bas que le » niveau actuel de son sol , et celui-ci ne devrait pré- » senter à l’œil que les matières qui ont, contribué à )) l’exhausser , que l’on suppose être ici les. pierrailles » et les débris détachés des montagnes. Mais nous avons )) fait voir plus haut que ces débris pierreux ne forment » que des amas superficiels , et la moindre partie de ce ?) sol dont le fond , comme nous l’avons dit , est une terre » de marais de même nature que tout le sol adjacent , » recouvert de verdure et au même niveau que lui. )> Ainsi donc , loin que l’on puisse inférer que sous le » terrain actuel ait existé jadis un marais enseveli par » les éboulemens des rochers, il nous paraît au contraire » évident que ce terrain lui-même n’était qu’un marais , )> ou plutôt un marécage peu spacieux , desséché par la « chaleur du feu de Pietra-Mala » . Note du traducteur . 202 VOYAGES leurs parens ou amis défunts, afin qu’elles pussent payer l’obole à Caron. Voilà donc pour ces feux une antiquité de plus de mille ans. Mais long- temps auparavant dut arriver sans doute la ré- volution qui engloutit à cet endroit le marais supposé ; autrement ce marais, exposé à l’air et plein d’eau , n’eût produit à sa surface que des bulles de gaz inflammable incapables de créer des flammes durables. Que l’on considère maintenant le temps qui s’est écoulé depuis cette époque $ que l’on dise s’il est dans l’ordre des choses possibles qu’un marais qui a cessé d’exister depuis un millier d’années , et par conséquent de reproduire des végétaux , puisse , avec les seules plantes dont il était muni au moment de son inhumation , fournir constamment , et pendant tant de siècles, un aliment aux feux de Pietra-Mala. Ma seconde réflexion porte également sur des faits. Il y avait au lieu nommé la Serra dei Grilli , un petit espace de terrain par où le gaz hydrogène transpirait en abondance ; un ébou- lement de terre étant venu à le recouvrir , le gaz cessa dès ce moment d’avoir des commu- nications au-dehors, et il disparut de cet endroit. Guettard raconte qu’étant allé voir la fontaine ardente du Dauphiné , il ne la trouva plus : une DANS LES DEUX SICILE S- 2o5 chute de terre l’avait détruite. On lit dans le voyage de Targioni, que l’on comptait autrefois quatre feux à Pietra-Mala : le premier s’appelait del Legno , le second del Peglio , le troisième l’^Lcqua Buja 9 le quatrième di Canida ; mais ce dernier, dit-il, n’existait plus depuis quelques années , ayant été étouffé dans un mouvement du terrain. On voit par là que de tels accidens, bien loin de concourir à la production de ces feux , en formant au sein de la terre de vastes magasins de gaz inflammable, ne servent souvent qu’à les éteindre, et la raison en est évidente: des matières terreuses qui s’éboulent , c’est-à- dire qui glissent les unes sur les autres , sont par cela même très-propres à s’insinuer dans les pores , dans les canaux étroits qui donnent issue au fluide aériforme , et à lui interdire tous les passages. Le gaz hydrogène d’un marais enseveli sous de semblables matières ne trouverait donc aucun moyen de se dégager au-dehors. Voyons maintenant si la seconde hypothèse de l’auteur est plus heureuse ; elle consiste à supposer une grande quantité de matières putréfiées , continuellement amenées dans une vaste caverne par des courans d’eau chargée de dépouilles végétales et animales qui s’y déchargent comme dans un égout. VOYAGES Si effectivement les ruisseaux , les torrens en- traînaient incessamment , et déposaient dans l’in- térieür des montagnes de Pietra-Mala un grand nombre de végétaux et d’animaux ; si dans ces profondeurs il régnait une température propre à les faire tomber en putréfaction , on trouverait là sans doute une source abondante de gaz hy- drogène capable d’alimenter constamment les feux naturels de ce pays ; mais ce moyen que l’auteur trouve si commode , n’est certainement pas celui de la nature. Quelles substances vé- gétales peuvent entraîner les eaux des pluies en sillonnant la croupe et les flancs d’une montagne ? des racines , des rameaux, des feuilles d’arbres, ou des herbes , encore faut-il attendre que la terre livre elle-même la plupart de ces dépouilles aux ruisseaux et aux torrens. Les feuilles des arbres , par exemple , qui , attendu leur multi- tude, seraient les plus efficaces dans l’hypothèse que nous examinons , ces feuilles ne tombent qu’à l’approche de l’hiver. La matière du gaz , cette matière qui doit toujours couler dans le grand réservoir souterrain , va donc manquer pendant une bonne partie de l’année. Mais sup- posons-la toujours abondante à la surface de la montagne , les ruisseaux , les torrens l’entraîne- ront-ils pendant l’été quand ils sont à sec 5 ou du moins qu’ils ont très-peu d’eau ? DANS LES DEUX SICILE S. 2o5 Allons plus loin ; accordons que le travail des eaux durant la saison des pluies supplée à leur inactivité pendant la saison sèche, encore faudra- t-il prouver que ces ruisseaux , ces torrens , au lieu de couler à la surface de la terre, comme on l’observe généralement dans les pays mon- tueux, font exception pour les montagnes de Pietra-Mala , et qu’ils s’enfoncent dans leur sein pour y déposer les débris des végétaux. Je ne me porterai pas pour témoin oculaire du con- traire , n’ayant jamais été sur les lieux , et je crois que l’auteur de l’hypothèse se trouve dans le même cas , lui qui a borné ses observations au site occupé par les feux du pays $ mais je dirai qu’ayant engagé par lettres divers habi- tans à faire des. recherches dans ces montagnes sur l’origine et le cours des fontaines , des ruis- seaux, des torrens, ils m’ont assuré que les eaux, bien loin de se perdre dans des souterrains, cou- laient à découvert dans leur lit , en descendant, les uns vers la Lombardie , les autres vers la Toscane. Si le physicien doft j’attaque ici quelques opi- nions ne jouissait pas d’une célébrité justement acquise , si je n’avais pour lui la plus sincère estime , je ne croirais pas devoir m’arrêter un seul moment à l’idée de faire charier des dé- VOYAGES 2 06 pouilles d’animaux par les petits ruisseaux des montagnes de Pietra-Mala , pour les réunir aux débris des végétaux, idée qui ne lui est venue, je pense , que par l’habitude où il était d’accoler ensemble d’un trait de plume ces deux subs- tances en écrivant sur la nature du gaz inflam- mable des marais. Quels seraient ces animaux? des quadrupèdes , des oiseaux, des amphibies, des poissons ? non sans doute. Des insectes? vé- ritablement ils sont très-multipliés dans la plaine et sur la montagne ; mais en quelle saison de l’année se laisseront-ils entraîner par les eaux ? L’hiver ils sont cachés dans la terre , l’été ils sont trop pleins de vie , et trop adroits pour ne pas se soustraire au danger. Je me suis quel- quefois promené au bord des rivières dans le temps qu’elles croissaient à vue d’œil , et je re- marquais , non sans plaisir , que les insectes qui habitaient leurs rivages savaient prévenir l’inon- dation qui les menaçait. Rarement se laissaient- ils surprendre ; à mesure que l’eau gagnait leurs habitations, ils délogeaient et cherchaient leur salut dans la fuite. Peut-être l’auteur n’a-t-il voulu parler que du transport des dépouilles de ceux qui meurent naturellement ; mais qui ne sait pas que la putréfaction et la dissolution de leurs corps suivent de très-près le moment où ils cessent de vivre ? DANS LES DEUX SICILE S. £c J Quant à la troisième hypothèse , que l’air in- flammable pourrait être fourni par une mine de charbon fossile, il ne lui manque que la réa- lité en ce qui concerne le sol du pays. « Non- » seulement, dit Razoumowski dans son Mémoire »sur les feux naturels de Pietra-Maîa , je n’ai » trouvé aucun vestige de charbon fossile dans les » environs , mais je ne crois pas même que cette » substance existe ( du moins en quantité assez » considérable pour produire une inflammation » continue ) dans toute cette partie des Apennins »cômprise entre Bologne et Florence ». Telles sont les raisons de fait qui m’obligent à rejeter les idées de Volta sur l’origine des sub- stances gazeuses de Yelleja et de Pietra-Mala. On me dira : puisque vous excluez les végétaux et les animaux , quels sont donc les corps aux- quels vous attribuez la faculté de produire ce gaz ? C’est à quoi je vais répondre en expo- sant mon opinion sur les causes des feux de Ba- rigazzo. Il est peu de pays qui aient été sujets à autant d’éboulemens de terre, il en est peu qui aient éprouvé plus de catastrophes et de révolutions de ce genre. Vis-à-vis YOrto delV Inferno , où nous avons dit qu’il existe un courant de gaz hydrogène , s’élève une colline nommée Sasso - 208 voyages lero y sur laquelle était bâti anciennement un petit village avec une forteresse entourée de fossés. On lit dans les registres de Péglise de Sasso , faisant partie du fief de Montecuccoïi , que ce pays fut couvert de ruines par une chute de terre arrivée il y a plus de deux cents ans 5 qu’une seconde chute postérieure le bouleversa de nouveau , et exhuma une grande quantité d’ossemens humains. Mais en est-il de plus terrible que celle qui, en 1786 , traversa la grande route près de Ba- rigazzo. C’était vers le milieu du mois de no- vembre 5 on remarqua d’abord au sommet du mont Groppo une lumière rougeâtre , qui dans les ténèbres nocturnes brillait comme une aurore boréale. La nuit du 27 du même mois* on vit le terrain s’ébranler, se mouvoir, et descendre en entraînant plus de quinze maisons qui étaient bâties dessus. En ce moment des crevasses s’ou- vraient dans les champs , et l’on entendait un bruit sourd qui semblait partir du sein de la terre. Bientôt le mont Groppo lui-même s’écroula depuis son sommet jusqu’à la rivière Scultenna , en couvrant de ses débris les arbres, les maisons dans un espace de plus de trois milles en lon- gueur et d’un mille en largeur. Cette immense quantité de matière ayant arrêté le cours des eaux DANS LES DEUX SICILE S. 20Q eaux de la rivière , elles remontèrent en formant un lac d’un mille et demi de longueur , qui sub- sistait encore en partie au mois d’août 1789, quand j’allai reconnaître cet horrible désastre. Il arriva en 1788 un événement à-peu-près semblable dans le voisinage de Boccasuolo, entre les feux délia Raina et ceux de Barigazzo. Une montagne s’écroula depuis son sommet jusqu’au torrent Dragone , dans un espace d’un mille en longueur et de deux cents pieds en largeur. J’examinai cette chute d’un bout à l’autre ; elle présentait un tableau vraiment déplorable. La terre en se détachant de la cime de la mon- tagne , y avait produit un escarpement d’envi- ron cent pieds de hauteur 5 les hêtres qui la couvraient , entraînés dans sa chute , étaient dis- séminés $à et là. Les uns avaient les racines en l’air, et le reste du corps plongé dans la terre; les autres gisaient horizontalement , ou à moitié ensevelis , et n’offraient que des troncs mutilés; la plupart étaient enfouis à une grande profondeur, à l’exception de quelques branches dont les pointes sortaient hors de terre. Tout cet espace était bouleversé , entr’ouvert par des crevasses et de profondes cavernes. Voilà sans doute , pour un observateur super- ficiel, qui n’approfondit pas les faits, qui ne les Tome V* O 210 VOYAGES considère pas sous toutes les faces, et s’aban- donne aux apparences 5 voilà, dis-je, une belle occasion pour assurer que le gaz inflammable des feux de Barigazzo et des environs , dérive de la décomposition des végétaux. En effet, cette forêt de hêtres récemment ensevelie, suppléera aux anciens arbres que des accidens semblables ont enfouis 3 elle tombera peu à peu en décom- position, et fournira pendant long-temps un ali- ment aux feux naturels du pays. Dans ces monta- gnes, où les éboulemens arrivent si fréquem- ment , bientôt d’autres végétaux subiront le mêm e sort , et iront au sein de la terre préparer les nouvelles matières qui serviront à l’entretien per- pétuel de ces feux. Je conviens volontiers que lorsque les substan- ces végétales éprouvent une putréfaction , ou , comme l’on dit, une fermentation putride , elles laissent échapper au -dehors du gaz hydrogène, c’est-à-dire que la majeure partie de leurs prin- cipes constitutifs se volatilisent sous la forme de ce gaz. Mais il est certain que cette fermentation , cette décomposition n’a lieu qu’au moyen de cer- taines conditions .parmi lesquelles il faut comp- ter le contact de l’air et l’abondance du suc vé- gétal. La première de ces deux conditions se ren- contre difficilement dans le sein de la terre 3 la DANS LES DEUX SICILE S. 211 seconde manque absolument à des plantes li- gneuses, qui de leur nature contiennent peu de suc : aussi les souterrains sont-ils plutôt pour elles des lieux de conservation $ et , sans nous écar- ter des faits que nous venons de citer, nous en trouverons la preuve dans les observations sui- vantes. Non loin de la place où est survenu le dernier éboulement de Boccasuolo , il en est arrivé un dont l’époque paraît très-ancienne ; les seuls monumens qui attestent cet antique désas- tre , sont des troncs de hêtres à moitié consumés dans les parties exposées à l’injure de l’air. Mais celles que la terre a recouvertes , se sont très- bien conservées. — Au printemps de 1789, un éboulement partit du sommet du mont Cimone^ se précipita du côté de la rivière de Scultenna , et dans sa chute alla frapper contre un monceau de terre , appelé la Rovinaccia , qu’un accident semblable avait élevé anciennement sur la pente de la montagne. Ce monceau fut entr’ouvert par le choc , et l’on trouva dans son sein une mul- titude d’arbres divers , et entr’autres des sapins , dont l’espèce est perdue dans l.e pays depuis très-îong-temps. Ces arbres ayrmt été enlevés et examinés intérieurement , parurent dans une par- faite conservation ; on les employa à divers ou- vrages, comme s’ils eussent été coupés tout ré- cemment dans les forêts. J’ai vu qaelques-uns de O 2 212 VOYAGES leurs troncs sciés en planches; la couleur en était unpeubrune;mais quantàlasolidité, à la densité, elles ne le cédaient point aux meilleurs bois de la même espèce. C’est donc en vain que l’on compte- rait sur depareiîs végétaux pour produire le gaz in- flammable 5 et si l’existence des feux de Barigazzo n’était fondée que sur cette ressource , sans doute ils cesseraient de brûler , ou plutôt ils n’auraient jamais commencé. Mais les éboulemens de terre ne sont pas les seuls accidens qui assurent ainsi la conservation des bois : toute révolution qui les enfouit dans le sein de la terre, opère le même effet. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter l’histoire. Près de Bruges, dans la Flandre, on trouve en creu- sant le sol, à la profondeur de quarante à cin- quante pieds , une multitude d’arbres enracinés comme ceux d’une forêt : leurs troncs , leurs ra- meaux, leurs feuilles sont si bien conservés, que l’on peut distinguer facilement l’espèce à laquelle ils appartiennent. Quelle date assigner à leur in- humation ? On saitseulement que la mer couvrait, il y a cinq cents ans, la terre où ils tiennent ac- tuellement par leurs racines 5 qu’en se retirant insensiblement , elle a laissé sur ces arbres une couche de terre d’environ quarante à cinquante pieds d’épaisseur. Ils existaient donc à une épo- DANS LES DEUX SICILES. 2l3 que où l’océan , par une révolution quelconque , vint envahir la terre ferme sur laquelle ils étaient nés ? — Dans Pile de Man, est un grand marais qui renferme , à dix-huit ou vingt pieds de pro- fondeur, des sapins avec leurs racines plantées dans la terre , et leurs troncs debout dans une direction verticale. — On a observé en général que ces arbres parfaitement conservés jusqu’à leurs feuilles , se trouvent pour l’ordinaire inhu- més dans les terres marécageuses. Ramazzini rapporte que dans les excavations des puits de la ville de Modène , bâtie sur un marais , on décou- vre à une grande profondeur, des noisettiers tout entiers portant encore leurs fruits, beaucoup de branches et de feuilles d’arbres. J’ai vu moi-même dans la sacristie de l’église de St.-Charles de cette ville , divers ouvrages faits avec ce bois exhumé , et Dieu sait combien de temps il avait resté sous terre ! Il était de couleur cendrée , très-dur, et sus- ceptible de recevoir un beau poli. — Ces faits prou- vent , ou plutôt confirment ce que nous avons avan- cé plu s haut, que les plantes ligneuses enterréespar les éboulemens de terre survenus dans les monta- gnes de Barigazzo , ne sauraient ni produire par elles seules les feux naturels du pays, ni concou- rir à leur production. Il n’est pas jusqu’à ces feuil- les si délicates , si faciles à se corrompre, trouvées entières et très-saines dans les souterrains raaréca- O 3 £21 4 VOYAGES geux , qui ne nous avertissent de ne pas précipiter notre jugement sur la prétendue décomposition des plantes des marais qu’une révolution quelcon- que aurait ensevelies dans le sein de la terre. Pendant que je me livrais à ces réflexions, en parcourant les divers sites de Barigazzo , il me vint en idée de rechercher quelle serait la qualité du gaz que j’obtiendrais dedivers végétaux mis en macération dans des bocaux pleins d’eau, plongés dans une cuvette. Je pris pour ces expériences des feuilles de vigne ,de mûrier blanc, de noyer, de sapin , de hêtre 5 chaque espèce eut son bocal à part, et le thermomètre se tint durant leur macération, entre le quatorzième et le seizième degré. Je ne rapporterai ici que les résultats y chacun de ces végétaux fournit quelque portion de fluide aériforme qui se dégagea avec plus d’abondance dans les premiers temps de leur dis- solution. Ce fluide, dans chaque bocal, fut un composé de gaz hydrogène et de gaz carboni- que \ la quantité de celui-ci surpassait beaucoup celle de l’autre, ce que je reconnus en faisant passer plusieurs fois ce mélange par l’eau de chaux : son volume se réduisit à la moitié , au tiers , quelquefois à moins , sans compter la por- tion du gaz carbonique qui avait dû s’absorber auparavant dans l’eau des bocaux. Voilà pourquoi BANS LES BEUX S I C I L E S. 2l5 ce fluide aériforme tel qu’il existait dans les bo- caux , ne s’enflamma point, ou ne donna qu’une flamme très-faible, et entièrement azurée , tan- dis que la flamme fut très-rapide , se colora d’un blanc-rougeâtre, et détona sensiblement après l’absorption du gaz carbonique. — Le gaz inflam- mable extrait des cinq espèces de végétaux ci- dessus nommés, et parmi lesquels se trouvaient des sapins et des hêtres, était donc différent de celui qui produit les feux de Barigazzo. Il fallut chercher un autre principe générateur de ce gaz. J’entrepris à cet effet l’analyse de l’eau fétide qui existe dans le voisinage des feux , et de la terre qui gît au-dessous. L’eau me donna, au moyen des réactifs et de l’appareil pneumato- chimique, une très-petite dose de gaz acide car- bonique, une plus forte d’acide sulfureux ; de la chaux et de l’argile en petite quantité , et une légère portion de fer. Je tirai les mêmes princi- pes de la terre, excepté que l’acide sulfureux et le fer furent plus abondans. La distillation de cette terre manifesta ensuite par des caractères très- décidés, la présence du pétrole. Je me flattais par-là d’avoir découvert , dans l’abondance de l’acide sulfureux et du fer, la véritable origine du gaz qui produit les feux de Barigazzo. Je disais : Cet acide délavé dans l’eau dont la terre O 4 5i 6 voyages est abreuvée , en facilite la décomposition , au moyen du fer ; son oxigène étant absorbé par ce métal , l’hydrogène reste libre 5 il se combine avec le calorique , et devient gazeux. Or , comme l’acide sulfureux et le fer sont très-abondans en cet endroit * ils doivent tenir sans cesse l’eau en décomposition j et perpétuer la source qui ali- mente ces feux. C’est ainsi que je raisonnais 5 et mon explication n’eût pas été dénuée de vrai- semblance , si le gaz inflammable eût pris véri- tablement naissance dans cette terre imprégnée d’acide sulfureux et de fer. Mais je ne tardai pas à m’appercevoir qu’elle n’était elle-même que l’é- corce de la montagne 5 que cette montagne était formée d’une roche sablonneuse 5 que le,gaz sor- tait réellement parles fissures de cette roche • que par conséquent il se produisait dans son sein 5 que là enfin reposaient les matières auxquelles il devait son origine. Après y avoir réfléchi , je n’en trou- vai pas de plus propres à expliquer sa formation que les pyrites dont l’existence dans l’intérieur de cette montagne n’est pas douteuse. Voici les raisons sur lesquelles je fondai mon opinion. Il est certain que la décomposition des pyrites dans le sein de la terre produit du gaz hydrogène pour l’ordinaire sulfuré j or ces pyrites existent à Barigazzo et dans les environs. Elles sont pour DANS LES DEUX SICILE S. 2 1 7 l’ordinaire conformées en masses globuleuses ou en cubes plus ou moins distincts $ et leur couleur est rouge ou jaune-pâle. Les eaux pluviales en sillonnant la terre, découvrent quelques-unes de ces pyrites 5 mais la plupart sont adhérentes à la roche sablonneuse. Je puis citer pour exemple une table de cette roche faisant partie de la couverture d’un toit peu élevé , et contigu à l’hôtellerie de Barigazzo; dans cette table était implantée une pyrite, et comme je l’ai laissée à sa place , il est possible qu’elle y existe encore. J’en avais ramassé un cer- tain nombre dans le pays, et je les tenais chez moi dans une chambre humide , l’hiver ; au bout de trois ans , elles sont entièrement tombées eu décomposition. Puisque ces pyrites s’ofFrent d’elles -mêmes à la surface du sol , il est probable qu’en les cher- chant à une grande profondeur , on les y trou- verait en bien plus grande quantité. On peut donc supposer avec fondement que les monta- gnes de Barigazzo en contiennent des amas con- sidérables, dont la lente décomposition fournit constamment ce gaz hydrogène sulfuré qui fait l’objet de nos recherches. Je ne doute pas non plus qu’il n’existe dans ces profondeurs des veines intarissables de pétrole. SlB VOYAGES Cette huile se manifeste dans l’inflammation du gaz ; on F extrait , par distillation, de la terre qui environne les feux de Barigazzo ; on la tire en abondance du mont Zibio, situé presqu’en facede Barigazzo ; enfin elle coule à Monfestino , autre village situé à peu de distance ,dans la haute mon- tagne de Modène. Si Fon conçoit maintenant que le gaz hydrogène de Barigazzo et des lieux circon- voisins, engendré par Feau en contact avec lespy- rites, traverse en s’élevant cette matière huileuse et en soit légèrement souillé , comme le démontre Fodeur qu’il exhale en brûlant ; que les parties de cette matière qui se sont attachées au gaz se dé- composent dans la combustion ; que leur carbone se combine avec Foxigène de l’air , il en naîtra le gaz acide carbonique qui se manifeste dans les in- flammations. Voilà, ce me semble,comment, sans se tourmenter l’esprit à imaginer des hypothèses, insuffisantes , on peut, par des observations loca- les , expliquer l’origine des feux naturels de Ba- rigazzo. Que si ces feux, durant les pluies, pa- raissent se ranimer un peu, c’est que Feau, en pénétrant par les fissures de la terre jusqu’aux endroits où gisent les amas de pyrites, provoque leur décomposition ; alors se dégage une plus grande quantité d’air inflammable. Quant aux feux de Pietra-Mala , je vois dans DANS LES DEUX S I C I L E S. 2ig la relation de Razoumowsky , que ce physicien a une opinion à-peu-près semblable sur leur ori- gine. Deux ans avant qu’il la rendît publique , cette même idée m’était venue au sujet de la salsa du montZibio, où j’avais également rencontré beaucoup de pyrites (1). Aucun physicien, que je sache, n’a examiné les feux de Velleja, ou du moins n’a rendu compte de ses observations , excepté l’auteur des Let- tres sur l’air inflammable des marais. Mais trop prévenu pourses hypothèses , il ne s’est pas donné la peine de faire les recherches locales et conve- nables, qui pouvaient seules l’éclairer sur l’ori- gine de cette autre source de gaz inflammable. J’ai diç comment il observa que ce gaz brûlait d’une flamme bleuâtre , un peu fuligineuse ; com- ment cette flamme ne s’obtenait point avec l’étin- celle électrique , à moins que l’on ne mêlât une mesure de gaz avec huit mesures égales d’air atmosphérique (2). Ce gaz n’était donc point un gaz hydrogène pur ; quelque substance hétéro- gène s’y trouvait combinée. Pour la découvrir, il fallait recourir à l’analyse, et ne pas négliger le seul moyen de recueillir du moins quelques (1) Voyez let. Yî des Opuscules de Milan, p. 407. (2) Voy. le chapitre XXXVIII. VOYAGES $20 lumières sur ce point important. La qualité de l’odeur produite par la combustion du gaz, était encore une circonstance qui ne devait pas être oubliée. Ceux qui accompagnaient cet. auteur, croyaient sentir le pétrole ; pour lui , il le croyait aussi; un moment après, il ne le croyait plus. Cependant à l’entour des feux, il ramassa à di- verses profondeurs, des morceaux de terre pour les analyser; et leur distillation montra, dit-il, qu’ils ne contenaient point de pétrole. Mais cette terre pouvait bien sentir le pétrole, sans que l’a- nalyse en fît paraître une seule goutte; pour cela , il suffisait qu’elle fût imprégnée de ses va- peurs. Nous verrons plus bas que la roche d’où s’écoule le pétroîé du mont Zibio porte avec elle l’odeur de ce bitume , sans que pour cela la distillation en fasse sortir la moindre particule. D’ailleurs, que pouvait conclure Yoîta de cette expérience ? il était clair que le gaz ne prenait point naissance à l’endroit où la terre avait été creusée , mais qu’il se formait à des profondeurs bien plus considérables. Il fallait faire de grandes excavations , examiner attentivement les con- duits étroits , les fissures par où le fluide aériforme s’échappait et s’élevait à la surface de la terre, peut-être ces tentatives eussent été inutiles, peut-être aussi eussent-elles con- duit à quelque découverte, comme celles qui BANS LES DEUX SICILES. 221 me réussirent si bien pour les feux naturels de la Raina (1). A Dieu ne plaise que je veuille déprécier les travaux de cet auteur; je l’invite seulement, si jamais il retourne dans ces lieux , à faire des re- cherches plus étendues , plus approfondies sur les causes éloignées d’un phénomène digne d’exer- cer toute sa sagacité. (i) Voyez le chapitre XXXVII. •/ 222 VOYAGES i CHAPITRE X L I. Des salses situées sur les collines de Modène et de Reggio. Observations et expériences sur la salse de la Marna . S i les hautes montagnes de Modène attirent l’at- tention du physicien par le spectacle de leurs feux naturels , les collines des mêmes contrées ne sont pas moins propres à piquer sa curiosité, par certains phénomènes réguliers, qui lui retracent en miniature l’image des volcans. Ce sont des ter- tres en forme de cône , dont le sommet est façonné intérieurement en manière d’entonnoir; une fange semi-fluide jaillit en l’air par cette bouche , re- tombe le long des pentes du cône, et s'écoule en ruisseaux ; ainsi se forment , s’accroissent ces ter- tres qui étant composés d’une terre salée, ont reçu dans le pays le nom de salse . Une de ces salses située sur une éminence à quinze milles de Modè- ne , s’appelle la salse de la Maina > parce qu’elle est voisine d’un édifice qui porte ce nom. Je m’y transportai pour la première fois , le 1 8 septembre 1785. J’en étais encore éloigné d’un mille, que DANS LES DEUX SICILE S. 223 je l’apperçus comme un cône de terre blanche. Plus près j et à cent pieds de distance environ , je commençai à sentir son odeur qui était celle du pétrole. Arrivé au pied de ce cône, j’en mesurai la base : elle avait environ quatre-vingts pieds de circonférence 5 la hauteur s’élevait à onze ou douze pieds 5 son sommet était obtus et pouvait avoir trois pieds et demi de tour 5 il était évidé dans l’intérieur comme un entonnoir; cet enton- noir s’enfonçait verticalement dans le cône à la profondeur de trois pieds , et ses parois étaient formées d’un limon très-tendre et presque fluide. Attentif à ce qui se passait au*dedans et au-dehors, voici ce que j’entendais, ce que je voyais. D’a- bord un murmure sourd partait du fond de la salse, s’élevait insensiblement, et allait, en crois- sant , gagner le sommet de l’entonnoir ; alors une bulle d’air, grosse comme un œuf d’autruche , soulevait un limon semi-fluide, l’obligeait de se répandre hors de l’entonnoir , de couler le long des parois extérieures du cône , en même temps qu’elle éclatait avec un bruit semblable à celui d’une bouteille vide que l’on débouche. L’instant d’après , le limon, délivré de la bulle, descendait dans l’entonnoir , pour y reprendre son premier état. Mais bientôt le murmure recommençait au fond du cône , il s’élevait , et une nouvelle bulle aussi volumineuse que la précédente , éclatait 2 2/| VOYAGES dans l’entonnoir en occasionnant une nouvelle expansion de limon , qui reprenait ensuite son assiette ordinaire. — Ces alternatives régulières constituaient ce qu’on peut appeler le jeu de la salse , dont le ressort principal est un fluide aériforme qui cherche par intervalles à se déga- ger de dessous terre , et qui monte le long du cône jusqu’à ce qu’il trouve le passage libre. Pour savoir si ce fluide était inflammable, j’ap- prochai de la bulle, à l’instant qu’elle éclatait, une bougie allumée. La bulle se transforma sur- le-champ en un globe de flamme trois ou quatre fois plus grand que son volume , mais qui dispa- rut presqu’aussi rapidement , à cause de l’inter- ruption du gaz. Je répétai plusieurs fois cette épreuve , et j’obtins les mêmes inflammations. Pendant leur durée, elles exhalaient l’odeur du gaz hydrogène 3 cette odeur s’évanouissait bien- tôt , je ne sentais plus que celle du pétrole qui était très-forte. J’examinai attentivement, soit pendant le jour , soit pendant la nuit, la couleur de ce gaz au moment que j’allumais la bulle 3 sa flamme était moins vive et plus azurée que celle des feux de Barigazzo 3 le bruit , toutes choses égales d’ailleurs , en était aussi plus sourd. Non loin de la circonférence du grand cône qui constitue le tronc principal de la salse , pul- lulaient DANS LES DEUX SICILE S. 220 ïulaient onze cônes beaucoup plus petits , por- tant également à leur sommet un entonnoir formé du même limon semi- fluide, où apparaissaient de petites bulles gazeuses , avec cette différence que les unes étaient intermittentes , les autres continues : du reste elles étaient toutes produites par le même gaz hydrogène , et s’enflammaient au contact d’une bougie allumée. Je crus d’abord que celles qui se succédaient sans interruption formeraient autant de petits jets de feu conti- nus 5 mais voyant qu’elles s’éteignaient d’elles- mêmes au bout de quelques minutes, je soup- çonnai dès -lors que leur gaz hydrogène était moins pur que celui de Barigazzo * et je n’en doutai plus quand j’eus fait les analyses néces- saires pour m’en assurer : on en verra ci-après les résultats. Le soleil était resplendissant $ le thermomètre marquait à l’ombre seize degrés et demi au- dessus de la glace ; plongé dans la salse , il descendit d’un degré et trois quarts. J’enfonçai la pointe d’un bâton dans ^entonnoir, elle descendit jusqu’à quatre pieds et demi • elle serait descendue plus bas , mais la résistance aug- mentait en raison de la profondeur i et il fallait une plus grande force pour la vaincre. Je vins à appercevoir dans les environs une Tome , P VOYAGES JS *2$ pierre large d’un coté , pointue de l’autre ; elle semblait taillée tout exprès pour boucher par- faitement l’entonnoir de la sajse ; je la pris , la transportai au sommet du cône , et la plaçai si heureusement dans l’ouverture , qu’elle défendit tout passage au gaz hydrogène : alors je restai dans l’attente de l’événement* Le gaz continua près d’un quart-d’heure à monter vers la partie supérieure du cône, comme l’indiquait le mur- mure souterrain qui suivait son ascension; mais arrivé au sommet, il s’arrêtait devant l’obstacle insurmontable de la pierre. Ensuite le murmure cessa tout-à-fait; mais en même temps les bulles des petits cônes devinrent plus volumineuses ; celles qui n’apparaissaient que par intervalles se succédèrent sans interruption , et les jets se multiplièrent. Il était donc évident que le gaz du grand cône communiquait par des voies sou- terraines avec celui des cônes subalternes, et que ne pouvant plus sortir par son passage ordinaire, il s’échappait par les issues pratiquées dans ces derniers. A trois cent cinquante pieds de la saîse vers le nord , il y avait une maison dont les habitans, témoins assidus de ce phénomène , pouvaient m’instruire de ses variations , et me donner à ce sujet des détails que j’ignorais. Voici les ré- DANS LES DEUX S I C t L E S. 22? sultats d’une conversation que nous eûmes en- semble. Telle que je la voyais , la salse jouissait d’un plein repos ; en d’autres temps elle bouil- lait comme une grande chaudière , et jetait à la hauteur d’un homme, de l’eau et du limon, avec un bruit qui se faisait entendre à un mille et demi à la ronde. Cette crise arrivait pour l’ordi- naire durant la pluie , ou à son approche; alors la salse devenait trois ou quatre fois plus grosse et s’élevait une fois et demie davantage. Mais cet énorme monceau de terre était ensuite dé- truit en partie par la chute et l’écoulement des eaux pluviales. « Il y a sept ans , me disaient-ils } »que nous eûmes la curiosité de boucher avec y> des pierres tous les trous par où le limon aqueux » s’échappait en bouillonnant ; quelques jours » après nous vîmes au nord , et à un quart de » mille de distance, sur la pente d’une colline, se » former une nouvelle salse , dont les déjections » endommagèrent beaucoup un champ cultivé » qui se trouvait au-dessous. Alors nous levâmes les » pierres qui bouchaient l’ancienne salse : celle-ci » revint à son premier état, et l’autre disparut». Je me transportai sur cette colline, où je vp encore des traces de l’événement. La place où le gaz avait fait irruption se trouvant fort au- dessous du niveau de la salse de Maina, je jugeai F a VOYAGES 228 que ce fluide prenait son origine à de grandes profondeurs; toutefois à mon retour à Maina, je fis creuser une fosse de sept pieds et demi sous le cône de la salse ; on en tira une terre extrêmement gluante , ayant l’odeur du pétrole; cette odeur était plus forte à mesure que l’on pénétrait plus avant ; les petites veines de gaz qui entouraient la salse et circulaient sous la superficie du sol , se perdirent dans l’excavation ; il ne resta que la veine principale du centre qui , par intervalles , donnait passage à de grosses bulles, et l’on voyait le fluide percer la fange , et s’échapper avec des sifïlemens. Curieux de connaître les changemens qui pou- vaient arriver dans la suite à la salse de Maina , j’y fis deux autres voyages , l’un au mois d’août 1789 , fautre au mois d’octobre de l’année sui- vante ; mais je ne vis entre son état actuel et son état passé aucune différence bien remar- quable. Il me reste à donner les résultats des analyses de la terre de cette salse, de l’eau qui l’accom- pagne , et du gaz inflammable qui s’en dégage perpétuellement. Quant à la terre, elle est blan- châtre , elle happe fortement à la langue , elle décrépite au feu , et elle a par conséquent les caractères de l’argile commune , c’est-à-dire. DANS LES DEUX SICILES. 22C) d’une argile mélangée avec d’autres terres, sur- tout avec la silice. Une preuve de ce mélange , c’est qu’elle se fond d’elle-même au chalumeau, et se convertit en un verre de couleur jaune tirant sur le gris. Son odeur de pétrole est assezpéné- trante pour passer à travers plusieurs feuilles de papier dans lesquelles on l’enveloppe ; mais au bout de quelques jours cette odeur s’évanouit , et la terre même ne i’exhale plus que par ses cas- sures fraîches. Placée sur des charbons, ardens , elle ne jette pas la plus petite flamme. Elle a une saveur salée ; on remarque même aux environs de la salse que cette terre , dans les endroits où elle s’est durcie aux rayons du soleil , est cou- verte d’une efflorescence de muriate de soude. Trois mille six cent vingt -quatre grains de cette terre , mis en distillation pendant huit heures au feu de sable , sous l’appareil pneumato-chi- mique à mercure adapté à une cornue , me don- nèrent deux pouces cubiques et demi de gaz acide carbonique , quatre cent cinquante - six grains d’eau amassés dans un petit ballon de communication entre la cornue et l’appareil, et environ trois grains et demi d’huile , qui surnageait sur l’eau : c’était du véritable pé- trole; elle en avait l’odeur, elle était transpa- rente ; elle brûlait avec une flamme un peu P 3 VOYAGES 3^0 bleuâtre, presque sans fumée sensible; et ses vapeurs attiraient la flamme d’une bougie. Il est donc démontré que la salse de Maina contient du pétrole, mais tellement délayé, qu’il ne peut se manifester dans les inflammations du gaz. Le résidu , pesant deux mille deux cent soixante- quatre grains, lessivé et bien édulcoré , me fom> nit quarante-huit grains de muriate de soude qui se cristallisa en petits cubes opaques dans l’inté- rieur , diaphanes à l’extérieur. Les plus grands l’avaient qu’une ligne et un dixième. Ce sel s’im* bibait médiocrement de l’humidité de l’air. Ensuite je procédai à l’analyse de cent livres docimastiques de cette terre. En voici les résul- tats. Silice. Alumine, . 3i. Chaux 1 5. Magnésie 5,2. Fer. . . , 4,6. Quant à l’eau trouble et limoneuse qui sort sans cesse de la salse, j’en puisai une certaine quantité , et j’attendis que les particules ter- reuses se fussent déposées au fond du vase. Après avoir filtré cette eau , j’en lis évaporer vingt - quatre onces à la simple température DANS LES DEUX SICTLES. de l'atmosphère , et j'obtins une once et demie de muriate de soude cristallisé en cubes que je conserve encore dans une petite fiole bien bouchée. Passant à l'examen du gaz hydrogène , sans lequel la salse n'existerait pas, je reconnus qu’il n’était point sulfuré. Non-seulement il n’avait pas l’odeur fétide du gaz hépatique-, mais on pouvait s’assurer à l’aide des plus fortes loupes , qu’il ne laissait aucun dépôt de soufre , soit qu’on le mêlât avec le gaz oxigène , ou bien avec l’a- cide nitreux, soit qu’on le brûlât dans des bo- caux. Pour le pétrole, son existence n’était pas équi- voque; il se manifestait par son odeur, sur- tout pendant la combustion du gaz... J’ai déjà observé que dans son inflammation sur le lieu même, ce gaz se montre inférieur à celui de Barigazzo , tant par sa détonation plus, sourde que par sa flamme moins vive et plus azu- rée ; cette différence me parut plus sensible quand je brûlai le premier dans les bocaux à large ven- tre qui m’avaient servi à éprouver le second. Ce- 1 ui-ci , comme je l’ai dit , prenait feu tout-à-coup depuis le sommet du bocal jusqu’au fond, et je- tait une flamme , plutôt blanche que bleue; Pau- P 4 V O Y A G E S tre au contraire, brûlait d’une flamme très-faible, toute colorée d’azur , qui descendait lentement dans le ventre des bocaux en léchant les parois, et disparaissait en très -peu de temps, indices certains qu’il était moins pur que çelui de Bari-» gazzo. Il colorait faiblement en rouge la teinture de tournesol si Pon agitait avec force et à plusieurs reprises les deux fluides , cette couleur augmem tait un peu en intensité. En faisant cette expérience avec l’eau de chaux, au lieu de la teinture de tournesol, il y avait absorption de la vingt et unième partie du gaz ; ce gaz se montrait donc de l’espèce que l’on appelle hydrogène carbonique , en tant que celui-ci est simplement mêlé avec le gaz acide carbonique. Toutefois, je m’apperçus que eette dénomi'** nation ne pouvait lui convenir entièrement , puîs^ qu’étant ainsi séparé de ce gaz acide carbonique, il n’en brûlait pas moins avec la même lenteur et la même couleur azurée. Alors j’eus recours à l’eudiomètre , en suivant les mêmes procédés que j’avais employés pour éprouver le gaz de Barigazzo. Après avoir purgé celui de Maina de la petite DANS LES DEUX SICILE S. s35 portion de gaz acide carbonique avec laquelle il était mêlé, je l’enflammai sur l’eau de chaux: l’eau se troubla considérablement $ le gaz hydro- gène perdit environ un tiers de son volume, et ce tiers fut l’expression de la quantité de gaz acide carbonique qui se développa dans l’inflam- mation. Il était donc évident que cette dernière quantité de gaz acide carbonique ne se trouvait point simplement mêlée avec le gaz hydrogène, autrement elle aurait été d’abord absorbée par l’eau de chaux ; mais qu’elle s’était réellement engendrée dans l’inflammation actuelle: l’analyse du gaz hydrogène de Barigazzo , m’avait con- duit à la même conclusion. Il me parut que l’existence du pétrole dans la salse de Maina, expliquait suffisamment l’origine de son gaz hydrogène. Cette huile qui se montre à fleur de terre autour de la salse, prend vraisem- blablement sa source dans des lieux souterrains beaucoup plus bas ; et il n’est pas douteux que cette source ne soit très -considérable, à en juger par les fontaines de pétrole du mont Zibio , situées dans le voisinage. Au moyen de cette huile , sou- mise à l’action de la chaleur souterraine, on aura la formation du gaz hydrogène carbonique , tout de même qu’on l’obtient par sa distillation. Mais quand ce gaz hydrogène carbonique, sous la S34 VOYAGES forme de bulles, se dégage de la saîse, il con- tient beaucoup de particules de pétrole , comme le démontre évidemment son odeur forte, soit que ces particules s’unissent avec lui dans sa for- mation actuelle $ soit qu’elles ne s’unissent qu’a- près , et pendant qu’il monte à la surface de la terre, en passant à travers d’autres veines de pé- trole. On doit donc s’attendre que durant la com- bustion , le carbone du pétrole par sa combinai- son avec Poxigène de l’air, donnera naissance à cette portion de gaz acide carbonique qui se manifeste dans l’épreuve de l’eudiomètre. Du reste , voici les différences et les rapports d’origine et de phénomènes, entre le gaz hydro- gène de Barigazzo et celui de Maina. Le premier dérive des pyrites 3 cela ne parak pas douteux, soit que l’on considère l’abondance de ces substances à la surface de la terre , et celle qui est à présu- mer dans son intérieur, soit que l’on fasse atten- tion au soufre que ce gaz tient en dissolution. Le second dérive du pétrole , et l’on a pour s’en con- vaincre des preuves également démonstratives. Celui-ci se trouve mêlé avec une portion de gaz acide carbonique 5 l’autre existe sans ce mélange , mais tous les deux ont cette conformité , que por- tant chacun avec soi des particules de pétrole * ils engendrent par la combustion une quantité DANS LES DEUX S I C I L E S. s35 relative de gaz acide carbonique, plus abondante dans le gaz hydrogène de Maina que dans celui de Barigazzo , le premier contenant plus de par-' ticules de pétrole que le second , comme le témoi- gne son odeur beaucoup plus forte. s56 VOYAGES CHAPITRE XLII. Observations et expériences sur la salse de Sassuolo . S i la salse de Maina n’a été connue jusqu’à pré- sent que des seuls habitans du lieu, celle de Sas- suolo jouissait depuis long-temps d’une célébrité qui lui était acquise par les descriptions qu’en ont donnée divers auteurs parmi lesquels on compte Frassoni, Ramazzini et Vallisneri. Les deux pre- miers nous la dépeignent avec des couleurs si noi- res , si terribles , que nous croyons avoir devant les yeux l’image d’un véritable volcan. Peut-être cescouleursont-ellesétéempruntéesde Pline qui s’exprime ainsi : « Sous le consulat de Lucius »Marcius et de Sextus Julius, ainsi que je le » trouvai écrit dans les livres des philosophes tos- »cans, il arriva dans la campagne de Modène un » tremblement de terre vraiment prodigieux : »deux montagnes vinrent à se ruer l’une contre » l’autre, et à s’entre-choquer avec un effroyable s> fracas , puis elles se reculèrent réciproquement $ » et à l’endroit où elles se séparèrent , on voyait »de temps en temps s’élever vers le ciel une DANS LES DEUX SICILE S. iZj » fumée mêlée de flammes; phénomène qui fut »vu de la voie Emilie par un grand nombre de » chevaliers romains, par ceux de leur suite , et » par tous les passans. Dans ce choc, toutes les » métairies furent brisées, et la plupart des ani- v maux qui y étaient en grand nombre , y périrent : »ce qui arriva un an avant la guerre sociale, épo- »que peut-être aussi funeste à l’Italie que ses » guerres civiles». Traduction de Poinsinet de Sivry (1). Il n’est pas douteux que ce naturaliste n’ait dé] signé dans cette relation le lieu de la salse dont les flammes , telles qu’il les décrit , devaient être très- visibles de la voie Emilia. Cette indication se trouve confirmée dans le chapitre ÇVII du même Livre , où il dit : « Dans la campagne de Modène , (i) Factum est et hoc semel , quod equidem in he- truscæ disciplinas voluminibus inveni , ingens terrarum portentum , L. Martio , Sex. Julio coss. in agro Muti- nensi : nam que montes duo inter se concurrerunt , cre- pitu maximo assultantes recedentesque , inter eos flam- mâ fumoque in cœlum exeunte interdiu , spectante è via Æmilia magna equitum romanorum , familiarumque et viatorum multitudine. Eo concursu villas omnes elisæ, animalia permulta quæ intrà fuerint exanimata sunt , anno ante sociale bellum , quod haud scio an funestius ips* terrse Italiæfuerit, quàm civile. Lib. II, çap. &4. 238 VOYAGES -le feu sort de dessous sterre aux fêtes de Vut* -cain (i) ». Voici maintenant comment Frassoni représente ce phénomène dans son ouvrage de Thermis montis Gibii 9 publié en 1660. «A la gauche de » la montagne (relativement à ces bains), et à-peu- -près à la moitié de sa pente , du coté de l’occi- -dent, on voit sur le chemin qui conduit à Sassuo- »lo, une colline de gravier appelée la Salsa . Au -sommet de cette colline , un gouffre est ouvert , -d’ou s'élance avec le frémissement d’un liquide -en ébullition, une boue violette mêlée d’une grande quantité de bitume noir très-foncé. Cette boue n’est autre chose qu’une craie très-pure, -très-molle , et imprégnée d’une odeurforte de bb -tume et de soufre. Si l’ouverture du goufFre vient -à se boucher , alors dans le lieu le plus proche , -la terre adjacente s’élève , se gonfle , crève , et -la boue^ par ce nouveau passage , fait une -bruyante éruption; si un pieu embarrasse cette - même ouverture , il est repoussé avec une force -merveilleuse ; les pierres qu’on jette dans le -goufFre y tombent avec fracas, et les cordes » qu’on descend pour le sonder, ont peine à tou- - cher le fond. (1) Exit ignis in Mutinensi agro statis Vuleano die- bus. Lib . II, cap. / DANS LES DEUX SICILE S. 20g r> On a vu plusieurs fois et en divers temps sur » cette montagne qui est toute caverneuse et pleine $de bitume et de soufre , éclater un violent incen- »die. Voici un de ses principaux pronostics , et le »plus étonnant de tous. Trois jours avant l’embra- »sement, tous les troupeaux prennent en horreur » et en aversion le chemin qui conduit à Sassuolo , ^quoiqu’il soit droit et battu. Ni force, ni mena- »ces ne peuvent les y faire entrer 5 ils refusent » même obstinément d’en approcher , s’arrêtent » tout-à-coup comme hébétés dé peur, et bientôt » rétrogradant malgré les efforts débours conduc- » leurs, ils suivent une route plus assurée pour eux* » L’incendie est encore précédé par des mugisse- »mens dans les cavernes et de fréquens tremble- »mens de terre dans tout le voisinage. Enfin la » flamme s’élance à une hauteur prodigieuse par la » dernière ouverture qu’elle s’est faite, et son ex- il* plosion est accompagnée d’un subit et horrible » fracas, comme si les montagnes, suivant l’ex- » pression de Pline, s’entre-choquaient. Aussi-tôt de » très-grosses pierres sont poussées dehors; mais ï> frappant dans les airs celles qui retombent, elles »s’entre-brisent, et les unes et les autres se précî- »pitant dans le gouffre , ajoutent un bruit épou- » vantable , comme de coups multipliés de canon , $>au bruit qui sort déjà des profondes fournaises » qui les reçoivent. Cependant d’épais tourbillons VOYAGES 34o »de fumée obscurcissent l’air et interceptent à la » terre la lumière du soleil qui semble plongé dans vie deuil d’une éclipse totale. La lueur desflammes » éclaire seule par intervalles ce noir horizon $ en » sorte que de moment en moment le jour succède »à la nuit et la nuit au jour. Ce grand embrase-^ vment vomit une flamme de feu dans la vallée » de Sassuolo-Tous ces phénomènesdurent jusqu’à » ce que l’incendie ayant dévoré tous ses alimens , » et entièrement consumé la colline dans les flancs »de laquelle il s’est allumé, une autre colline se » compose des monceaux de cendres, de terre, »de marcassites , et de pierres qu’il a jetées. Dans »le plus fort de cette calamité publique, tandis »que tout aux environs est tourmenté, ébranlé v et renversé par une tempête de feu, la mauvaise v fortune fait éprouver à ceux qu’elle poursuit » beaucoup de dommages qui frappent non-seu- vlement les campagnes adjacentes, les habita- tions et les troupeaux, mais encore les hommes » eux-mêmes qu’une prompte fuite n’a pas mis »en sûreté (1) ». (1) In sinistra montis quæ occidentem spectat , in via quæ Saxolum ducit , ad dimidiaffi fere montis par- tem collis conspicitur glareosus , qui dicitur la Satsa , cujus in vertice hiat spiramentum unde cum strepitu , quasi ollæ ebullientis cœnum quoddam violacei coloris L® DANS LES DEUX SICiLES. 24l La description des phénomènes de cette salse a. été faite encore trente -huit ans après par Bernardin Ramazzini , mais avec plus de briè- veté. « C’est , dit-il* un endroit. Curieux à obser- ver. Il y a au sommet de la colline uoe petite » plaine* et au milieu de cette plaine une ou- irisigni bituminis nigritali quanti immixtum expelli- tur , qûod creta est purisaima , maximeque mollis, bitumen sulfutque impense redoleris. Si vero foramen per quod cœnum eXit, occludatur , iri îoco proximiore exuberat illico êxtüriiéscitque adjaéehs terra, fermen- tique ad instar hiascit , ingeriti crepitu et riovo hialu cœnum erumpit ; quod si hiatus idem haéta obturetür, mirum quanto nisu ea detrudatur ; si vero saxa in eun- dem injiciantur', insigni ilia cum fragore iri barathrum illad occurrunt, cüjus si fundum funibiis pértentetur , vix pertingatur. . . f • ' . . , ' . • Ml • ! ■ ' ' < ' ; ’ )> Conspectum fuit pluries diversis temporibus in hoc monte, qui totus cavernosus est, bitvtminisque ac sul- phuris plenus , ingens incendium , quod signa nonnqlla præveniunt, quorum insigne illud est, maximeque mi- randum , viam siquidem illam , quæ Saxolum a monti- bus ducit , licet rectam atque detritam, jumenta omnia totô illo triduo aritequam conflagratio fiat , a entend ordinairement dans la ville, et pr’inci- » paiement là nuit , des explosions semblables à scelles du canon. J’ai appris des anciens du »lieu que la colline s’était prodigieusement e&- » haussée par ces jets de pierres et de matière »de craie /et avait presque comblé la vallée.... »Je n’ai pas eu occasion de voir de ces embra- rsemens, mais on m’a dit que c’était une chose » horrible , et que les habitans et les voyageurs »se hâtaient de fuir au loin , de peur d’être » écrasés par cette grêle pétillante de flammes » et de pierres (i) ». (1) « Satis curiosa est lmjus Vulcanii spiramenti q>b- servatio. In summitale collis parva planities sedet, in eu jus medio hiatus videtur crateris forma, eu jus diameter très ulnas cir citer non excedit , un de materia quædam bituminosa conlinuo sursum protruditur , ac ad modum pultis ebullit. Interdum vero , impendentibus præcipue ihagnis temporum mutationibus , ex illo hiatu ingéniés flammæ erumpunt , una cura saxorum , et cretaceæ ma- teriæ projectione, tanto quidem fragore, ut in ipsa civi- tate interdum noctu præsertim , strepitus non secus ac æneorum tormentorum exaudiri soleat. A senioribus loci •accepi collem ilium ex hujusmodi materiæ et saxorum re- jectione notabiliter in altum excrevisse,et subjectam val- lem fere cortiplanasse JMihi quidein hujusmodi confla- grationera videre non obtigit, rem taitren visu hotrendata Q a VOYAGES a44 Il parle ensuite de l’horreur que les troupeaux éprouvent pour ce lieu de désolation lorsqu’il est près de vomir des flammes. Enfin rappelant la première observation de Frassoni , il ajoute : « La » matière qui est vomie par ce gouffre est de cou- leur cendrée, et répand une odeur de soufre et »de bitume ; elle est si molle qu’il est dangereux » de poser le pied sur le bord du cratère ( 1) » . J’ai jugé à propos de transcrire ces deux rela- tions qui datent du siècle passé, pour les compa- rer avec celle de Yallisneri , publiée au com- mencement de celui-ci, et avec mes propres observations. Voici d’abord les principaux détails donnés par Vallisneri. « Cette salse, dit-il, bouil- lonnait continuellement ; elle avait alors une abouche du diamètre de deux pieds, qui vomissait » une petite quantité d’eau salée , mêlée avec du » limon, et imprégnée de pétrole noir et fétide. » Cette eau, ce limon, s’écoulaient par un côté »de la salse. Des efflorescences de sel marin se » formaient dans la terre environnante , desséchée esse aiunt, tat incolæ , ac viatores procul effugiant, ne a flammarum et saxorum crépitante grandine obruantur». (1) Materia porro quæ ex illo hiatu erumpit, cinerei coloris est , sulphureumque ac bituminosum odorem re- dolens , mollisque est ut pedem intra craterem ümmittere periculosum sit. Ramaz. Op. omn. U I. DANS LES DEUX SICILE S. 1245 »par les rayons du soleil. Quand on frappait cette » terre avec les pieds, elle retentissait profondé- s>ment, et les bouillonnemens du limon étaient »plus forts. L’aire de la salse avait environ deux cents pas de tour, et selon le dire des habitans, » tout cet espace ne présentait plus, lorsqu’elle » entrait en furie , qu’un gouffre infernal , vomis- sant des flammes, des fumées, du limon, des » pierres, des marcassites » . Yallisneri observa vers le sud une colline formée de ces déjections terreuses (i). Je dirai maintenant ce que j’ai vu et observé moi-même à trois époques différentes dont la première date du mois d’octobre 1789. A un mille au sud de Sassuolo, existait sur un monti- cule cette salse environnée d’un cordon de terre et de pierre. Elle se présentait sous la forme d’un cône terreux, haut de deux pieds, terminé par un entonnoir d’un pied de diamètre d’où sortaient, par intervalles, des bulles ayant quatre ou cinq pouces de diamètre , qui , à peine formées , écla- taient et disparaissaient. Ces bulles soulevaient une terre argileuse , couleur de cendre , impré- gnée d’eau, et semi-fluide, qui venant à déverser par les bords de l’entonnoir, coulait en bas le long des parois extérieures. Si l’on se penchait Q 3 (1) Vall. Op. in- fol. t. IL V O Y A G II 5 s 4 6 sur l’entonnoir , on entendait un bruit sourd qui accompagnait l'ascension des bulles ; et si Ton frappait la terre avec les pieds , ces bulles mon- taient plus vîtes et plus nombreuses à la sur- face du limon , par la même raison que les feux de Barigazzo, en pareille circonstance , deviennent plus animés : la pression des pieds comprime cette terre molle, et la force d’expri- mer au-dehors le fluide emprisonné dans ses fissures. A cette époque ses éruptions paraissaient très- faibles en comparaison de celles qui étaient survenues dans les temps passés : ces dernières avaient coulé à l’ouest jusqu’à la plaine où passe la grande route , et elles occupaient une aire d’environ trois quarts de mille de tour : les ma- tières de toutes ces éruptions consistaient en une terre argileuse et en carbonates calcaires de fi- gure irrégulière contenant di verses cristallisations spathiques, et une multitude de pyrites. Elle ne paraissait pas avoir cbangé.de place; elle était dans la même situation où l’ont vue les anciens auteurs que j’ai cités. Seulement, de petits soupiraux s’étaient ouverts de temps à autres dans les environs. Par exemple , on remarquait au sud-ouest à cent pieds de son aire un monceau de terre argileuse , formé par DANS LES DEUX, SICILE S. 2^7 les irruptions de quelques bulles gazeuses qui s’élevaient au centre ; mais cette terre n’avait jamais coulé à plus de quinze à vingt pieds de distance. Près de là , on voyait encore l’eau d’un fossé bouillonner continuellement en cinq ou six endroits différens. Ayant appliqué aux bulles de la salse princi- pale, la flamme d’une bougie, je reconnus le gaz hydrogène à la manière dont elles brûlèrent. Alors je fis travailler à une excavation dans le cône. La terre parut très - gluante ; plus on pénétra dans son intérieur, plus sa viscosité augmenta • à cinq pieds de profondeur , tout effort fut inu- tile pour descendre plus bas ; les bêches s’en- gluaient si fort , qu’elles ne pouvaient plus se détacher de la terre. Cependant les bulles con- tinuaient de se montrer , et un murmure sou- terrain annonçait leur ascension, La tranquillité actuelle dont jouissait la salse ne me laissant plus rien à observer , je m’a- dressai aux habitans d’une maison voisine pour en obtenir quelques informations sur les cir- constances qui accompagnent ses éruptions. « Il »y a trois ans, me dirent -ils, que nous en » vîmes éclater une très - forte 5 ce petit cône y>de terre que vous avez remarqué aujourd’hui , »et qui reste à-peu-près tel quand la salse est Q 4 ^48 VOYAGES »en repos , disparut , et à sa place s’éleva tout- «à-coup une grosse tu&eur de fange très-molle , » ayant plusieurs pieds de circonférence. Bien- tôt cette tumeur creva avec un bruit sem- blable à un petit coup de canon : au même «instant une immensité de terre, accompagnée «de fumée , fut lancée très-haut dans les airs* «et retomba sur la salse même et à l’entour. «Un moment après se forma une autre tumeur «semblable, qui crevant avec le même bruit, «projeta dans les airs une aussi grande quantité «de terre; il en fut ainsi des explosions sui- « vantes qui se succédèrent avec les mêmes in- tervalles. Plusieurs d’entre nous eurent la «hardiesse de s’approcher du centre de l’érup- «tion ; ils ne virent rien qui ressemblât à un «goufFre ; ils remarquèrent seulement une ca- «vité peu profonde qui se fermait aussi -tôt «après la rupture de la tumeur. La crise dura «trois heures; après quoi les tumeurs et les «jets de terre diminuèrent peu à peu : au bout «de quelques jours, la salse revint à son pre- «mier état, c’est-à-dire, à celui où vous la » voyez. Cette éruption forma un courant boueux «qui gagna le pied de la colline, et s’étendit «dans la longueur d’un demi-mille «. Ces hommes qui avaient été témoins d’autres; DANS LES DEUX SICILES. ^9 crises antérieures , m’ajoutèrent qu’une fois la salse lança au loin un gros bloc de pierre, qui servit ensuite à faire de la chaux ; qu’une autre fois elle occasionna un tremblement de terre qui ébranla leur maison, et qu’alors son aire s’affaissa en un endroit. Ils m’attestèrent unanimement que dans ses convulsions violentes, elle jetait des flammes très- distinctes pendant la nuit. Telles furent les notices que je recueillis dans ce premier voyage; je les communiquai à mon collègue Voîta, qui e.n fit usage dans son Mé- moire sur les feux de Yelleja. Le 12 juillet 1790, je retournai à Sassuolo avec d’autant plus d’empressement qu’il n’y avait que vingt-neuf jours qu’une nouvelle éruption avait éclaté. Voici dans quel état je trouvai la salse. Son cône tronqué avait environ quatre pieds de haut et onze de large à sa base. Il for- mait intérieurement une espèce d’entonnoir de trois pieds de diamètre d’où sortaient par inter- valles des bulles qui éclataient avec un bruit sourd en chassant au-dehors un limon aqueux; ce limon coulait en ruisseaux sur la pente de la colline. On voyait à l’entour quatre autres cônes inférieurs qui manifestaient les mêmes phéno- mènes. La matière vomie pendant la dernière éruption , était encore fraîçhe. Elle s’étendait s5o v O Y . A G; E 5 dans un espace de cent douze pieds de longueur sur trente-deux de largeur. Cette matière qui n’était, comme à l’ordinaire, que de l’argile cou- leur de cendre , par un effet de sa dessication extérieure, se trouvait gercée à sa surface, et divisée en feuillets comme il arrive au limon que les débordemens des fleuves ont déposé sur le rivage ; mais dans l’intérieur , elle était molle ; ce que l’on reconnaissait aisément, soit en y en- fonçant un bâton , soit en marchant dessus ; on la sentait céder sous les pas , et en quelques endroits on courait risque de s’enfoncer* Les bords de ce courant terreux s’élevaient de trois pieds; ayant fait creuser près de sa source, je trouvai sept pieds de profondeur. Les substan- ces mêlées au limon étaient des pyrites, des car- bonates calcaires entrecoupés de veines spathi- ques, et des fragmens de pierres marneuses. Je dirai maintenant les phénomènes de cette nouvelle éruption , tels qu’ils me furent ra- contés par les habitans de la maison voisine , témoins oculaires et dignes de foi. Le i3 du mois de juin dernier , à dix heures du matin , le ciel étant serein depuis plusieurs jours, et l’air tranquille , la saîse commença à faire en- tendre de petits murmures souterrains qui allè- rent en augmentant d’intensité ; à dix heures et DANS LES DEUX SICILE S. demie, elle chassa tout-à-coup par sa bouche du limon , d’abord à une petite hauteur , puis à une plus grande , ensuite à perte de vue , et avec un tel fracas , qu’on l’entendait à quelques milles à la ronde. Ce limon était comme un levain qui gonflait , qui crevait ensuite avec bruit ; au moment de l’explosion , les morceaux en étaient lancés dans les airs. La maison voisine tremblait jusque dans ses fondemens, et les ha- bitans furent contraints de l’abandonner et de se retirer à quelque distance. Les grêles ne du- rèrent que quatre heures , mais le limon con- tinua de couler pendant deux jours consécutifs 5 le troisième jour la salse reprit sa forme ac- coutumée , celle qu’elle avait actuellement. On me montra un bloc de pierre calcaire du poids de huit cents livres environ , qui , dans les plus fortes explosions, avait été projeté à la distance de vingt pieds. Dans mon premier voyage , en 1789 , j’avais, remarqué au sud-ouest une autre petite salse voisine , produisant au-dehors des bulles gazeuses et du limon. Je la trouvai encore telle , excepté que les bulles se succédaient sans interruption. A l’approche d’une bougie allumée elles prirent feu au milieu du limon , et. leur flamme dura plus d’un quart-d’heure. Un nouveau soupirail VOYAGES 2ÏD2 s’était ouvert à la distance de dix pieds environ de cette dernière salse ; il se trouvait également placé au sommet d’un petit cône tronqué, et chassait des bulles et du limon. Le gaz hydro- gène sortait donc alors par sept bouches , tant grandes que petites; et dans toutes, il se ma- nifestait par son inflammation au contact d’une bougie allumée. Mon troisième et dernier voyage a cet en- droit eut lieu le 2 novembre iyc)5. La salse principale , livrée, au repos , était réduite à un seul cône tronqué d’un pied et demi de hauteur^ au centre sortaient des bulles aussi petites qu’elles étaient rares. La salse inférieure , située au sud-ouest, avait également son petit cône, mais ses bulles se succédaient sans interruption. A l’est de celle-ci , et à la distance de quarante- cinq pieds, il s’en était forme une troisième plus abondante en gaz. Enfin une quatrième avait paru à la surface du sol de l’écurie attenante à la maison voisine ; et les habitans me dirent qu’ils l’avaient détruite en couvrant la place avec des briques. L’inflammation des bulles de ces divers soupiraux me témoigna que le gaz n’a- vait point changé de nature. La salse de Sassuolo a donc une extension bien plus grande que celle de la Maina. Le gaz en DANS LES DEUX SICILE S. J2&5 sort par plusieurs bouches, et souvent il s’ouvre de nouveaux passages 5 toutefois les grandes érup- tions éclatent toujours à la même place , quoique le gaz y paraisse, en certain temps, moins abon- dant que celui des sal ses subalternes. » J’ai déjà observé que les anciennes éruptions occupent une aire d’environ trois quarts de mille de circonférence 3 dans tout cet espace, il ne croît pas un seul brin d’herbe , à cause du mu- riate de soude dont la terre est pénétrée* Du reste , cette terre est argileuse comme celle des collines voisines. Me rappelant ces anciennes éruptions accompagnées de flammes, dont j’ai transcrit les relations au commencement de ce chapitre , je fis les plus exactes recherches pour m’assurer si dans ce lieu , il n’existait point de corps qui portassent des marques du feu 3 mais je ne remarquai rien de semblable dans les subs- tances que j’examinai 3 les simples pierres cal- caires et les spaths , mêlés avec le limon des divers courans , se trouvaient dans une conser- vation parfaite , et l’on sait que ces corps sont très-susceptibles de se laisser altérer par le feu; l’argile qui, exposée à l’action de cet élément, se durcit et rougit avec tant de facilité , parais- sait dans son état naturel. Enfin les pyrites qui lui cèdent tout aussi facilement , se trouvaient AT O Y A G Ê 8 .254 parfaitement saines ; et cependant tous ces corps étaient également sortis des entrailles de la salse. Mais peut-être les substances fondues, ou cal- cinées, ou simplement altérées par ces feux sou- terrains , se trouvent - elles dans les anciennes éruptions profondément ensevelies sous les nou- velles? Pour que cette objection eût quelque fondement , il faudrait que les accumulations de terres formées par chaque éruption fussent du- rables comme les dépôts volcaniques 5 mais il n’en est rien ; les eaux des pluies , en coulant sur ces terres , les entraînent et les dispersent, sinon entièrement , du moins en très-grande par- tie. Aussi nerpuis-je concevoir cet exhaussement dont , parle Ramazzini , bien qu’il s’appuie du témoignage des habitans 5 si le fait était vrai , la colline qui porte la salse ne devrait-elle pas à lalongue .surpasser en hauteur les collines envi- ronnantes? et cependant elle s’est toujours main- tenue à leur niveau. J’ajouterai encore qu’ayant eu la facilité de pénétrer dans son intérieur par de.prôfond^ crevasses occasionnées par les eaux ‘pluviales 3 je n’y ai découvert aucune substance affectée par le feu. Mais , si dans cette salse on ne retrouve aucun corps vulcanisé , que doit-on penser de ces ter- DANS LES DEUX SICILE S. 255 rîbles incendies qui ont anciennement éclaté dans ce lieu, et dont on a lu les descriptions? qu’il y règne un peu d’exagération, sur -tout dans celle de Pline, homme naturellement porté au merveilleux. Au reste , dans ce qu’elles con- tiennent, il peut y avoir plusieurs choses qui, pour nous paraître extraordinaires aujourd’hui, n’en soient pas moins vraies 5 et à l’égard des éruptions enflammées, il est très-possible qu’elles aient eu lieu sans que le feu ait laissé des ves- tiges sur tes Substances qu’il a touchées, sôit que les explosions fussent très-coürtes , soit que les substances fussent trop imbibées d’eau. Quant à l’origine du gaz de cette salse , il est bon d’observer qu’il’ n’existe dans les environs de Sassuoio /ainsi qu’à Maina , aucun indice qui puisée faire seulement soupçonner que des ma- rais , dès étatigs y aient été ensevelis , ou que des éboulemens aient recouvert l’ancien sol, les collines environnantés’n’offrant point d’exemplès de semblablesuccidens. Et cependant je vois que l’auteur des Lettres sur l’air inflammable des ma- rais , en rapportant mes premières observations sur la salse de Sassuoio , n?en est pas moins resté fidèle à son hypothèse. « Quelles sont , dit-il, » lès matières ~qüi peuvent produire tant d’air » inflammable? Spallanzani demande si ce ne sont VOYAGES 256 »pas les pyrites, nommées par Vallerius sulpliur y>ferro mineralisatum , attendu que la terre vo- » mie anciennement par ce petit volcan , et celle » qu’il continue de produire au -dehors, con- tiennent beaucoup de ces sortes de minéraux. »Pour moi , je crois plutôt que cet air tire son » origine, là comme ailleurs, de substances vé- gétales et animales décomposées ( i) » . Passons sur l’expression comme ailleurs y puis- que nous avons déjà reconnu combien cette opi- nion est fausse à l’égard des feux de Velleja et de Barigazzo : elle n’est pas certainement plus juste relativement à la salse de Sassuolo. Mais com- ment l’auteur n’a- t-il pas senti que , dans tous les cas, elle était hasardée ^n’ayant jamais été lui- même sur les lieux? Voici comment j’expliquerais sa confiance. Ayant vu que le gaz inflammable des marais , des étangs , des fossés , est le produit de la décomposition des substances végétales , et quelquefois de celle des substances animales, et ayant entendu répéter la même chose par d’autres physiciens , il s’est fait comme une loi d’admettre que partout où la terre exhale ce gaz , des substances semblables se trouvent là pour le produire 3 par elles subsistent les feux de Pietra- Mala 3 par elles, les feux de Velleja 3 par elles , (1) Mémoire sur les feux de Velleja, les DANS LES DEUX SICILES. Si. 5y les feux de Barigazzo ; et si les saîses exhalent aussi du gaz inflammable, c’est encore par elles que les salses subsistent. Dans l’analyse du gaz hydrogène , de l’eau et de la terre de la salse de Sassuoîo , je suivis les mêmes procédés que ceux employés pré- cédemment pour la salse de Maîna. En voici les résultats : le gaz a une odeur forte , pi^ quante, désagréable ; non-seulement il sent le * gaz hydrogène > mais encore le gaz sulfuré $ en le brûlant dans des bocaux 3 il y dépose des molécules de soufre , et son inflammation porte toujours l’odeur du pétrole. Il brûle plus len- tement que le gaz de Maina , et sa flamme est plus azurée $ il colore plus fortement en rouge la teinture de tournesol , et il est absorbé en plus grande quantité par l’eau de chaux : ce qui prouve que ce gaz hydrogène est carbonique , et en même temps plus impur que celui de Maîna. Enflammé sur l’eau de chaux dans Feu- diomètre , il diminue d’un tiers. Une mesure de Beau qui découle de la salse^ du poids de vingt-quatre onces , bien clarifiée et filtrée , exposée à l’évaporation , donne en- viron une once et demie de rauriate de soude cristallisé. Elle tient donc à-peu-près autant de sel en dissolution que celle de Maina. Tome JT. R VOYAGES a58 L’analyse de la terre n’offre guère plus de différences : c’est une argile d’un blanc cendré, qui a une saveur salée et sent le pétrole. La terre de la salse de Maina , et plus encore celle de la salse de Sassuolo , présentent comme des taches d’une substance noirâtre , que l’on pourrait prendre d’abord pour du pétrole ; mais elle n’en manifeste point l’odeur , et n?a pas comme le pétrole la propriété de s’enflammer. Du reste, la présence de cette huile dans la terré de Sassuolo n’est pas douteuse : trois mille six cent vingt-quatre grains de terre donnent à la distillation trois grains à-peu-près de pétrole , et trois pouces cubes et un cinquième de gaz acide carbonique. Deux mille deux cents soixante-quatre grains de la même terre, bien lessivée et édulcorée, rendent quarante-deux grains et demi demuriate de soude. Enfin l’analyse de cent livres docimastiques produisent : Silice 49* Alumine 38. Chaux io,3. Magnésie 3. Fer 3,6. DANS LES DEUX SICILE S. 269 Pour expliquer l’origine du gaz hydrogène de cette salse , il me suffit , comme à Maina , de l’existence du pétrole et de sa communication avec les sources voisines de celui du mont Zibîo, en admettant toutefois le concours d’un autre élément, je veux dire des pyrites si abondantes en cet undroit , et dont la décomposition est si propre à accroître le volume du gaz hydro- gène, qui en effet surpasse de beaucoup celui du gaz de la salse de Maina , dans laquelle on ne saurait découvrir une seule pyrite. Quant au pétrole, non-seulement il existe aux environs de Sassuolo dans son état naturel de fluidité , mais il se trouve encore uni à la terre avec laquelle il forme le charbon de pierre. Ce charbon, épars en petits morceaux, est com- pacte , pesant , noir , brillant dans la cassure 5 il brûle lentement et long-temps ; sa fumée est noire et piquante. En éteignant dans l’eau ce charbon allumé , j’en ai tiré une bonne quantité de gaz hydro- gène carbonique. D’après ces observations, il n’est pas difficile de rendre raison des divers phénomènes de la salse de Sassuolo. D’abord, en admettant comme réels ces feux plus ou moins violens , brûlant à R 2 VOYAGES fl Go l’air libre, dont Pline , Frassoni et Ramazzini nous ont laissé des descriptions , on ne peut douter qu’ils n’émanassent d’une inflammation souter- raine des pyrites et du pétrole, soit dans son état naturel, soit dans l’état de charbon de terre. Ainsi , dans ces circonstances, il y eut nécessai- rement un grand développement de gaz hydro*- gène et de calorique : ces deux fluides en se dilatant , heurtèrent contre les parois des ca- vernes où ils se trouvaient emprisonnés 5 ils les ébranlèrent , et produisirent ces secousses et tous ces accidens qui accompagnèrent les érup- tions dont parlent les auteurs cités. Desemblables incendies n’ont plus lieu aujourd’hui , sans doute parce que les matières combustibles sont en grande partie consumées , sur-tout le pétrole , dont on fait depuis long-temps une extraction considérable dans les puits voisins du mont Zibio. On conçoit avec la même facilité comment il se fait de temps en temps des éruptions , ou simplement boueuses , ou unies à des flammes légères. Les matières qui s’écoulent de la salse ont dû laisser dans l’intérieur de la terre des espaces vides qui , en certaines circonstances , peuvent être sujets à se remplir plus qu’à l'or- dinaire de gaz hydrogène , soit qu'il abonde da*= I> ANS LES.DEUX SICILE S. 20 1 vantage, soit que les issues souterraines par les- quelles il arrive à l’air libre se trouvent plus resserrées , ou tout-à-fait bouchées : ce fluide ainsi réuni, trouvant dans les parties supérieures des cavernes moins de résistance que par-tout ailleurs , fait effort contre elles, les déchire en morceaux qu’il lance dans les airs 5 si ces ma- tières une fois chassées au-dehors, laissaient au gaz te passage libre , il sortirait sans produire de nouvelles éruptions; mais comme ces ma- tières retombent en partie dans la bouche de la salse et la recouvrent , le gaz trouvant une nouvelle résistance , fait un nouvel efFort , de-là une seconde explosion ; et le même jeu se ré- pétant, donne lieu à toutes celles qui suivent. Cependant ces explosions s’affaiblissent succes- sivement en raison de la diminution de la masse intérieure du gaz. Enfin , la salse délivrée de la surabondance de ce fluide , reprend son état ordinaire et ses mouvemens réglés. Quant aux courans boueux qui se forment dans ces grandes éruptions , on en voit l’image en petit dans le jeu ordinaire de la salse. Chaque bulle soulève et fait déverser par les bords du cône une petite portion du limon semi-fîuide ; il n’est donc pas étonnant qu’une quantité con- sidérable de ce fluide chasse au-dehors un grand R 3 VOYAGES 262 volume de ce limon , toujours imbibé d’eau , soit de celle des pluies , soit de celle des sources souterraines. S’il est vrai que des flammes se mêlent à ces éruptions, comme l’assurent les habitans de l’en- droit, ce phénomène pourrait s’expliquer par la phosphorescence du gaz qui prendrait feu au seul contact de l’air libre ; mais comme je ne lui ai jamais reconnu cette propriété, que jamais je ne l’ai vu s’allumer qu’au contact d’une flamme, et que je ne saurais assigner les circonstances où ce gaz pourrait acquérir cette phosphorescence, je trouve plus naturel d’attribuer son inflamma- tion à celle des pyrites , et ses faibles clartés à son mélange avec une partie considérable de ga? acide carbonique, DANS LES DEUX SICILE S. 263 CHAPITRE XLIIL Des fontaines de pétrole du mont Zibio . Jl endant les vacances de 1793, je conçus et exécutai le projet de visiter ces fontaines , que je ne connaissais encore que de réputation. Elles sont situées au fond d’un vallon , à environ un demi-mille de distance en droite ligne de la salse de Sassuolo. A l’époque dont je parle , ces fontaines, ou plutôt ces puits, comme on les appelle dans le pays , n’étaient qu’au nombre de deux, l’un appartenant à la commune , l’autre au seigneur du lieu , tous les deux taillés dans une roche sablonneuse , tendre y décomposée à la superficie par l’efFet du temps et des mé- téores , et par conséquent très-friable. Le puits de la commune a une ouverture suffi- sante pour que l’on puisse y descendre commodé- ment au moyen d’un escalier composé d’un petit nombre de marches. Le fond présente un bassin rempli d’eau , à la hauteur d’un pied environ , où surnage le pétrole. Cette huile qui coule en R 4 / VOYAGES 264 même temps qu’une petite veine d’eau par une fissure de la roche , descend et s’amasse à la surface du bassin. Pour la recueillir , on la puise dans des seaux dont le fond est percé d’un trou par lequel on fait sortir l’eau jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le pétrole. Cette opération se renouvelle tous les huit jours. Il est remar- quable que , pendant l’été , ce puits donne une livre d’huile par jour , tandis que l’hiver il n’en fournit qu’une demi-livre , ou tout au plus huit onces (1). D’où vient cette différence ? je l’attri— bue aux pluies qui beaucoup plus abondantes l’hiver que l’été , pénètrent profondément la terre , y forment des amas d’eau qui font obs- tacle à la libre sortie du pétrole. Ce qu’il y a de certain , c’est que lorsque l’eau du puits vient à s’accroître et à couvrir 3a veine du pétrole , celle-ci cesse de couler ; et qu’après être restée couverte pendant plusieurs jours , si on la dé- couvre en enlevant la surabondance de l’eau , elle se montre plus abondante qu’à l’ordinaire. Le puits appartenant au seigneur du lieu est construit comme le puits de la commune, excep- té qu’il n’a point d’escalier. C’est un trou peu profond, rempli d’eau jusqu’à une certaine hau- (1) La livre de Blodène est de douze onces. DANS LES DEUX SICILE S. ^65 teur. Le pétrole y coule conjointement avec un filet d’eau par une crevasse de la roche : la quantité dans l’un et l’autre puits est à-peu-près la même. Ces deux fontaines bitumineuses sont encore désignées sous le nom de bains ; la fontaine pu- blique s’appelle le bain blanc , et la fontaine privée le bain noir , parce que le pétrole de la première est d’un jaune clair, et celui de la seconde d’un jaune foncé. Le propriétaire de cette dernière me montra la. place d’une autre fontaine qui lui appartenait également , mais qui restait ensevelie sous un éboulement de terre survenu depuis quelques années ; cependant il ne désespérait pas de la recouvrer 3 ayant l’exemple d’un accident sem- blable qui fut réparé par l’enlèvement des dé- combres. A peine eut-on débarrassé l’ouverture par où coulait le pétrole , que cette huile afflua en si grande abondance , que sa récolte s’éleva à plus de vingt livres en très-peu de temps. Tel est l’état où se trouvaient ces sources à l’époque de mon voyage ; j’ai fait sur leur exis- tence dans les temps passés des recherches dont je vais rendre compte. Le plus ancien auteur qui nous donne des renseîgnemens à cet égard est » VOYAGES François Arioste, dans un ouvrage manuscrit in- titulé : Francisci .Ariosti de oleo montis Zi - binii y seu petroleo agri Mutinensis > publié en 1460 par Oliger Jacob, et reproduit en 1698 par Ramazzini. Dès -lors on faisait l’extraction de ce bitume dans le mont Zibio , mais il paraît que l’on n’en connaissait qu’une seule source, ce qui n’est pas étonnant au commencement d’une découverte qui ne pouvait s’étendre que par l’observation et l’expérience. « Cette source , dit » Arioste, est environnée d’une terre noirâtre, »et huileuse 5 après l’avoir broyée et échauffée » légèrement dans une chaudière de cuivre , »on la renferme dans des sacs de laine pour $îa placer sous le pressoir, et l’on en exprime »de l’huile (1) ». Frassoni nous apprend dans son livre intitulé: Thermœ montis Zibii > et publié en 1660 , qu’à cette époque il existait différentes sources de pétrole , dont deux principales , l’une nommée bain vieux , qui fournissait un pétrole de cou- leur d’or ayant une odeur agréable ; l’autre le bain noir y qui donnait un pétrole plus épais , (i) Ex atra quoque ilia oleastri terra glebas effodiunt, in frustulaque sensim findunt, eaque aereo tepefaciunt aheno , et loculo obserant laneo , ac prelis idem ex iis exprimunt oleum. DANS LES DEUX. SICILE S. 267 de couleur violette, ayant une odeur forte. On descendait au fond de ces sources par un esca- lier de vingt-quatre marches. Je présume que ces deux sources sont les mêmes qui existent aujourd’hui : l’une a conservé sa dénomination de bain noir , et son odeur est aussi plus pé- nétrante que celle désignée sous le nom de bain blanc y nom qui lui a été donné à cause de sa couleur moins foncée, Ramazzini, en faisant réimprimer en 1698 le Traité d’Arioste , y ajouta une lettre, où il dit que l’on puisait actuellement le pétrole dans trois sources ; il parle d’un escalier de vingt-quatre marches par lequel on descendait dans l’une d’elles 5 il observe que le pétrole de celle-ci différait par sa couleur roussâtre du pétrole de la source dite le bain noir . Antoine Vallisneri a donné une description de ces sources en 1711 ; il dit qu’elles étaient au nombre de quatre, et que l’on travaillait à en mettre au jour une cinquième ; une d’elles s’ap- pelait le bain noir y à cause de la couleur de son pétrole. La profondeur des puits était de vingt à vingt-quatre pieds. Cet auteur ajoute que les habitans avaient pour règle de creuser les puits à la distance VOYAGE» s68 de cinq milles les uns des autres. C’est une er- reur : ils se trouvent situés, comme je l’ai dit, au fond d’une petite vallée sur le bord de deux ruisseaux , et leur distance respective est d’en- viron trois jets de pierre. La relation de Ra- mazzini , antérieure à celle de Vallisneri , indique ces sources comme peu éloignées les unes des autres. Si l’on avait mis entr’elles une distance aussi grande que le suppose ce dernier auteur, tout le territoire du mont ZJbio n’aurait pas suffi à les contenir ; on sait d’ailleurs que dans aucun temps elles n’ont existé hors des limites de ce territoire. Vallisneri prétend que l’on courait un grand dan- ger en descendant dans les puits avec une bougie allumée, à cause des miasmes du pétrole , qui, en s’enflammant tout-à-coup, pouvaient occasion- ner de funestes incendies. Je n’ai point éprouvé d’accident semblable : rassuré parle propriétaire même de l’un de ces puits , je suis entré dans tous les deux, j’en ai fait le tour en promenant nia bougie allumée à la surface du pétrole , au point de le toucher pour ainsi dire , sans donner fieu à la moindre inflammation. Là , cependant , l’odeur du bitume était si forte , qu’elle péné- troit la roche sablonneuse dans laquelle les puits sont creusés 5 du reste, ayant fait dis* DANS LES DEUX SICILE S. ^69 tiller des morceaux de cette pierre -, je ne me suis point apperçu qu’elle contînt du bitume sous une forme sensible. L’odeur se répand autour des puits, mais elle y est moins piquante. Si l’on creuse la terre à quelque profondeur , cette odeur se fait sentir davantage 5 souvent dans les temps de pluie, quand il se forme à la surface de cette terre , de petites mares d’eau , on y voit surnager des gouttes de pétrole. J’ai dit plus haut que les sources en four- nissent* chaque jour une quantité donnée, c’est- à-dire, une demi-livre en hiver et une livre en été. Ainsi , il coule sans interruption, excepté le cas où la salse de Sassuolo éprouve de violentes convulsions : alors , m’ont assuré les habitans du mont Zibio , il s’arrête, ou du moins il ne trans- pire qu’en petite quantité. Cette observation prouve la correspondance de la salse avec ce bitume , et démontre que les principes d’où elle tire son aliment , dérivent de cette subs- tance. D’un autre côté , la salse de Sassuolo n’est pas le seul canal par où s’écoule le gaz hydrogène fourni par le pétrole. Tout près du puits appartenant au seigneur du lieu, s’é- lève à la surface du sol, un monceau de terre argileuse, très-molle, même pendant les plus 2JO V O Y A G *li S grandes chaleurs de l’été , et accumulée par l’éruption de quelques bulles galeuses. A Ni- rano , pays situé sur les confins du mont Zibio , on rencontre trois petites salses ; et si elles n’ont jamais lancé dans les airs ni limon , ni autres matières, elles déversent cependant au-dehors une terre qui , semblable à celle de la salse de Sassuolo , forme de petits courans. Là , on voit encore des puits dont l’eau bouillonne comme si elle était sur le feu. Le gaz qui donne lieu à tous ces phénomènes , ne diffère point essen- tiellement de celui de Sassuolo. Enfin , pour revenir au mont Zibio , on trouve dans la mai- son d’un habitant , nommé Benincasa , un puits de soixante pieds de profondeur, dont l'eau bouillonne en certains temps, sur-tout quand la salse de Sassuolo éprouve de violentes com- motions. Il est donc très - vraisemblable , que toutes ces salses , grandes et petites situées au- tour des sources de pétrole du mont Zibio, ont entr’elles des communications respectives , et qu’elles doivent leur existence à ce bitume. Mais ce bitume que l’on extrait depuis si long- temps du mont Zibio , et qui paraît provenir d’une mine intarissable, comment existe -t -il sous terre? Est -ce dans son état naturel de fluidité ? forme-t-il , par exemple , de petits lacs DANS LES DEUX S I C I L E S. 271 qui , en communication avec des courans d’eau, fournissent la portion de bitume que ces eaux charient jusqu’aux puits destinés à le recevoir? Ou bien , uni au charbon de pierre , s’en dé- gage-t-il successivement en raison de la chaleur produite par la décomposition des pyrites, et les eaux l’emportent-elles ensuite ? Cette dernière supposition me paraît la plus naturelle. En effet, on trouve à la surface du mont Zibio , des frag- mens de ce charbon mêlé avec des pyrites , et l’on doit croire qu’il en existe de grands amas dans son intérieur. Une excavation peu coûteuse , suffirait pour lever toute incertitude à cet égard, et si l’Histoire Naturelle gagnait quelque chose à cette découverte, il faut convenir que lesha- bitans du pays en retireraient un bien plus grand avantage par l’usage d’un combustible qui suppléerait à la rareté du bois. 1 V O Y A G E S C H A P I T R E X L I V. Observations et expériences sur la salse de Querzuola . Cette salse située sur le penchant d’une col- line , entre Scandiano et Reggio , à cinq milles de la première ville et à huit de la seconde , pré- sente, par sa conformation et par ses phénomènes, le spectacle de plusieurs petits volcans réunis. Ce sont dix-sept masses de terre blanche , for- mées en pain de sucre ? et tronquées vers leur sommet à une distance plus ou moins grande de leur base. Chaque cône est terminé par une ouverture , façonnée intérieurement en manière d’entonnoir, dans laquelle bouillonne un limon semi-fluide qui , soulevé par des bulles gazeuses, se répand au-dehors et coule en ruisseaux sur la déclivité du terrain. Il est telle de ces bou- ches qui ne donne à ses déjections que l’im- pulsion nécessaire pour s’en débarrasser 5 il en est d’autres qui chassent et projettent leurs ma- tières à deux, à trois, et quelquefois à cinq pieds de hauteur ; chaque jet est accompagné d’un petit bruit qui se fait entendre à quelque distance» Nul doute que ces faibles détonations DANS LES DEUX SICILE S. 275 ne soient produites par le dégagement du fluide aériforme. Au reste , ce fluide prend feu au con- tact d’une bougie allumée , et prouve par son inflammation qu’il est de la nature du gaz hy- drogène. Le plus grand de ces cônes de terre s’élève à la hauteur de six pieds , et présente à sa base une circonférence de dix-neuf pieds et demi 5 le plus petit n’a environ que quatre pieds de circonfé- rence , et sa hauteur n’excéde pas deux pieds $ les autres ont des proportions intermédiaires. Ces cônes, par leur situation respective , forment une espèce de cercle 5 au centre sont deux cavités, l’une de trois pieds de profondeur, l’autre de deux, pleines d*une eau trouble qui bouillonne à la surface 5 ce bouillonnement est causé par l’émis- sion d’une multitude de bulles gazeuses. Tel était l’état de cette salse au mois d’août 1789 ; je ne manquai pas les années suivantes d’y faire jusqu’à trois autres voyages , et chaque fois , je trouvai des changemens qui attirèrent mon attention ; ce n’est pas que le gaz eût changé de nature , ou la salse de place ; ce n’est pas non plus que la quantité de ce fluide aériforme eût seulement diminué ou augmenté: les deux cavités pleines d’eau existaient tou- jours , et cette eau bouillonnait comme aupa- Tome V\ S VOYAGES 27 4 ravant : mais les changemens consistaient dans une distribution différente des masses coniques, et dans la formation de nouveaux cônes. Ces changemens n’ont pourtant rien qui doive sur- prendre : faire de la salse étant absolument dénuée de plantes, on conçoit comment elle se laisse pénétrer de Peau des pluies 5 comment , chargée de molécules terreuses , cette eau les dépose dans les canaux étroits où circule le gaz hydrogène 3 comment ce gaz , trouvant des obstacles dans sa route accoutumée, prend une autre direction, en suivant les divers conduits souterrains qui s’offrent à sa rencontre, et crée de nouveaux cônes à la surface du sol où il vient déboucher. Cependant lès anciens cônes que ce fluide vient d’abandonner restent exposés à l’ac- tion des pluies, sans que rien répare leurs pertes, se dégradent peu à peu , et finissent par s’é- galer au niveau du sol , sur-tout placés comme ils sont sur le penchant d’une colline où les eaux s’écoulent avec impétuosité 5 tandis que les nouveaux continuant de servir de soupirail au gaz, bien qu’ils éprouvent également l’action de ces eaux, s’entretiennent par l’accumulation de nouvelles matières, et ne font que s’accroître au lieu de diminuer. Les notes exactes que j’avais prises en 1 789 DANS LES DEUX SICILE S. 27 5 sur la grandeur respective , le nombre et la position des cônes , me mirent à même de juger des changemens qu’ils avaient éprouvés : tel d’entr’eux ne subsistait plus 5 tel autre était à moitié détruit-, plusieurs s’étaient maintenus dans leur premier état , ayant conservé le ressort qui entretient leur existence 5 d’autres s’étaient nou- vellement formés dans des places où il n’en exis- tait point auparavant. Je pus même en observer quelques-uns à leur naissance , et les suivre dans leur développement. Le concours de l’eau est toujours nécessaire à leur génération : d’abord sur un terrain sec et plane , on apperçoit une tache d’eau circulaire , du diamètre d’un pouce environ , ayant au centre un petit trou d’où sort une espèce de bouillie terreuse jetant par in- tervalles une sorte d’écume produite par le dé- gagement de quelques bulles gazeuses. Cepen- dant cette bouillie va en augmentant , et ac- quiert bien vite la forme d’un cône dont le som- met s’ouvre en entonnoir renversé. Le cône ne fait plus que s’accroître, parce que la veine de gaz devenant de plus en plus abondante, soulève et chasse au-dehors une plus grande quantité de bouillie : ainsi naissent et se développent ces monticules coniques , que l’on nomme salses. Si la salse de Querzuola surpasse par le nom- S u 276 V O Ÿ A G E S bre de ses cônes les deux salses de Maîna et de Sassuolo , elle doit les surpasser aussi par l’abondance de son gaz hydrogène. En effet , en plongeant dans les cônes de Querzuola , et dans les deux cavités pleines d’eau qui régnent au milieu , des entonnoirs liés à des vessies d’une capacité déterminée , et recueillant par ce moyen le gaz qui en émanait, je reconnus que la quantité de ce fluide pour chaque mi- nute , s’élevait à quatre cent vingt - quatre pouces cubes ; sans tenir compte de celui qui s’échappait par les plus petits cônes , et dont le volume ne laissait pas d’être considérable. Cette éruption générale de gaz hydrogène , souffre cependant des intermittences: par exem- ple, un cône jette son gaz pendant trois ou quatre minutes consécutives , puis il s’arrête tout-à-coup pendant huit à neuf secondes, après quoi il recommence. A cette émission qui dure deux , trois minutes , et quelquefois davantage , succède un nouveau repos, puis une nouvelle émission , et ainsi de suite. Ces alternatives furent cause que je ne pus d’abord satisfaire une curiosité , qui était de produire au sommet des cônes comme des jets de feu continus. Au moment que j’en approchai la bougie allumée , il s’élevait une DANS LES DEUX SICILE S. 277 flamme d’un bleu - rougeâtre , dont la durée marquait celle de l’émission du gaz $ elle s’é- teignait si - tôt que celui - ci interrompait son cours. Cependant il me prit fantaisie de bop- cber avec de la terre compacte , les ouvertu- res de tous les cônes , ainsi que les conduits aboutissant au fond de l’une des deux cavités , ne laissant libres que ceux de l’autre. Alors le gaz dont toutes les veines correspondaient sans doute intérieurement les unes avec les autres , vint affluer à la seule issue qui lui restait. Là , s’échappant avec bruit, il forma un jet auquel je mis le feu ; aussi-tôt la flamme s’éleva à la hauteur de trois pieds , et brûla sans interrup- tion 5 mais elle n’avait pas cet éclat , cette vive rougeur que manifestaient les flammes de Ba- rigazzo. Il suffisait pour l’éteindre , d’agiter l’air avec un chapeau déployé. Cette faiblesse provenait de l’hétérogénéité du gaz qui se trouve uni à une quantité considérable d’acide carbonique, comme je m’en suis assuré par l’analyse. On lit dans les ouvrages de Vallisneri , une description de cette salse 5 cet écrivain est le seul qui en ait fait mention , et sous ce rapport on doit lui savoir gré de ses peines ; mais il s’est livré à des exagérations qu’il importe de relever. S 3 VOYAGES 278 Voici divers passages où ses expressions ne sont point d’accord avec la vérité. « Non loin de Querzuola , dit Vallisneri , s’élève »une montagne scabreuse > d’un aspect livide, vau sommet de laquelle la terre bouillonne et ^ fume continuellement » , Je laisse de coté, et la prétendue aspérité de cette montagne qui ne présente réellement qu’une pente douce , et son sommet où la terre bouillonne y quoique dans le fait ce bouillon- nement qui constitue principalement la salse, ne se soit j amais manifesté que sur son penchant : ces erreurs sont peu importantes. Mais je dois prévenir que cette fumée perpétuelle que Pau-, teur fait sortir de terre , est purement imagi- naire ; jamais elle ne s’est montrée , ni à moi pendant mon séjour en ce lieu, ni aux habîtans qui demeurent dans le voisinage , et dont le témoignage ne peut être suspect. « Cette salse , continue l’auteur, dans les grands »changemens de temps, bouillonne excessive- »ment • elle entre en courroux, et vomit en l’air, » avec un bruit horrible , de la fange , des pierres, »du feu et des fumées » . Je combattrai d’abord cette assertion par le témoignage de plusieurs septuagénaires , habi-* DANS LES DEUX SICILE S. 279 tans du lieu, lesquels m’ont atteste n’avoir jamais rien vu , ni rien entendu dire de semblable à leurs aïeux qui vivaient du temps de Vallisneri. La même attestation m’a été donnée par le docteur Gentili , médecin et philosophe , qui passait une bonne partie de l’année à Querzuola dans une maison située à trois cents pieds environ de la salse, et qui faisait de la contemplation de ce phénomène son délassement habituel. Pendant l’automne de 1792, je voulus moi-meme vérifier le fait. Nous avions joui d’un temps constamment beau pendant près de deux mois, lorsque des nuages venant du nord couvrirent tout-à-coup le ciel, et annoncèrent une de ces longues pluies qui, dans la Lombardie , apportent pour l’ordi- naire les premiers froids et les premières neiges. C’était le i3 octobre 5 vers le soir $ je partis de Scandiano pour me rendre à Querzuola 5 en arri- vant, je trouvai la salse à-peu près dans l’état où je l’ai décrite. A l’entrée delà nuit, l’orage éclata ; le lendemain au matin la pluie tomba à verse 5 cependant la salse ne varia point ; elle ne montra ni plus ni moins d’activité, soit pendant le cours de la pluie , soit après sa cessation et au retour du beau temps. Au reste, les habitans préten- dent que les changemens de temps amènent quelquefois une plus forte ébullition dans la salse j mais il y a loin de- là à ces éruptions de S 4 VOYAGES 280 feux , de fumées , de pierres , dont parle Val- lisneri. « Les paysans , continue-t-il , m’ont raconté que des moutons, des porcs, et même des » bœufs , tombés malheureusement dans la salse , »y avaient été engloutis, et qu’au bout de quel- ques jours leurs membres corrompus avaient » été lancés en l’air » . A Querzuola , on trouve encore des gens cré-* dules qui disent avoir oui dire de pareils acci-> dens y mais les hommes sensés n’y ajoutent au- cune foi. Ce qu’il y a de sûr , c’est que dans au^* cune circonstance je n’ai observé dans les cônes de la salse , des profondeurs capables d’ensevelir de gros animaux tels que ceux dont il est ici ques- tion. J’ai sondé ces cônes , et j’ai vu que leurs plus grandes ouvertures ont tout au plus deux pieds de diamètre 5 en plantant un bâton poin- tu dans leur centre, j’ai eu peine à l’enfoncer à quatre ou cinq pieds de profondeur , tant la terre argileuse et gluante avait de ténacité. J’ai éprouvé la même résistance en sondant les deux cavités où les bouiilonnemens du gaz étaient très-nombreux. Du reste , Vallisneri a fait des remarques assez justes , et qui se rapportent avec les miennes ; DANS LES DEUX S I C I L E S. 281 par exemple, en parlant de la fange et de Peau de la salse , il observe qu’elles ont une saveur salée, et contiennent du sel marin en dissolution ; en parlant du bouillonnement de cette eau , il pré- vient qu’elle n’est point cbaude au tact , et qu’on y voit surnager des gouttes de pétrole; il ajoute que les soupiraux sont plus ou moins nom- breux dans un temps que dans l’autre. Toutes ces observations sont exactes ; mais celle qui prouve la présence du pétrole est importante , en ce qu’elle sert à expliquer et les accidens les plus ordinaires de cette salse , et ceux qui n’arrivant que très - rarement , n’en paroissent que plus merveilleux. Voici à ce sujet la relation d’une éruption , telle qu’elle m’a été donnée par les babitans de ce lieu. Elle arriva le 14 mai 1764 , époque remarquable dans cette famille- de laboureurs, par l’accouchement de la fermière , huit jours auparavant. Cette femme étant dans la mai- son, entendit un bruit semblable à celui d’une grosse pierre qui roule dans un précipice ; elle sortit aussi -tôt pour savoir ce que c’était, et elle s’apperçut que la salse était très - agitée. « Avant cet événement , me disait-elle , toutes »les bouches avaient cessé de vomir du limon, v>et la salse paraissait comme une grosse cou- VOYAGES s8n >poîe; mais au moment de l’éruption, le ter- vain s’applanit , la coupole disparut , et à sa » place , je ne vis plus qu’un amas de matières » terreuses qui bouillonnaient en murmurant , »et qui tout-à-coup furent lancées avec bruit »dans les airs , à la hauteur des plus grands » arbres , et retombèrent en grande partie sur »la place même. Peu d’instans après, je fus té- »moin d’une nouvelle explosion, semblable à »la première; d’autres succédèrent à celle-ci, »avec des intervalles plus ou moins longs , et »cela dura tout le jdür et toute la nuit sui- vante. Pendant ce temps > 1a, terre tremblait » aux environs ; ma maison tremblait aussi , et »tout ce qui était dedans, les lits, les meu- »b!es, les fenêtres et les portes. La journée »du i5 fut moins terrible ; les explosions di~ »minuèrent peu à peu , et au bout de quelques » jours, la salse rentra dans son état ordinaire, » c’est-à-dire , qu’elle n’ofFrit plus que diverses amasses de terre molle , qui bouillonnaient à »leur sommet. Cette éruption donna naissance »à un courant de fange liquide , qui couvrit »un assez grand espace de terrain». Ayant demandé à cette femme si dans les ex- plosions elle n’avait point apperçu de flammes : « Non , me répondit-elle , pas même dans la plu» DANS LES DEUX SICILE S. 283 » grande obscurité de la nuit. — Quel était l’état »du ciel ? — Il fut toujours serein ». Ensuite elle ajouta qu’après cette éruption violente , elle n’en vit plus de semblable , excepté une qui était arrivée depuis vingt ans environ. Comme celle-ci fut observée par le docteur Gentili , je rappor- terai en peu de mots la description que ce mé^ decin m’en donna lui-même. Elle éclata par un temps très-serein , et s’an- nonça avec un bruit semblable à un petit coup de canon : en cet instant tous les cônes de terre par où sortaient les bulles de gaz, furent proje- tés à perte de vue. Après quelques raomens de repos, il se fit une nouvelle explosion avec un nouveau jet de terres* à celle-ci, une troisième succéda , et ainsi de suite ; le bruit de ces ex- plosions était si fort qu’on l’entendait à Reggio , c’est à-diré , à huit milles de distance. Le lende- main , les jets furent encore plus vigoureux; ensuite ils se ralentirent, et au bout de quelques jours, tout cessa, et la salse revint à son état ordinaire de repos. Outre les projections verticales de fange et de pierré$, il y eut une coulée horizontale des mêmes matières , qui laissa sur l’ancien terrain une couche de plusieurs pieds d’épaisseur , sous la- quelle fut ensevelie une haie , dont il existait 284 VOYAGES encore quelques pieux. Le docteur Gentili m’as- sura qu’au milieu des plus fortes explosions , il n’apperçut aucune trace de feu ou de fumée. A la réserve de ces deux éruptions remarqua- bles , l’une arrivée en 1764 > l’autre en 1772 , la salse de Querzuola , suivant le témoignage des habitans, est toujours restée à-peu-près telle qu’on la voit aujourd’hui 5 d’où il faut conclure que ses crises sont très-rares ; et comme ces deux éruptions , ainsi que celle de la salse de Sassuolo en 1790, ont eu lieu par un temps se- rein , il est évident qu’elles n’ont point avec les changemens de temps, les relations que leur suppose Vallisneri. On ne peut douter que les éruptions de la salse de Querzuola , soit ordinaires , soit ex- traordinaires, ne dérivent du gaz hydrogène : dans le premier cas , ce gaz ne rencontrant que peu ou point d’obstacle à sa sortie , donne lieu à la formation de ces monceaux de fange qui s’élèvent sur l’aire de la salse ; dans le se- cond , ses issues ordinaires venant à se bou- cher, ou n’étant plus assez larges pour lui donner un passage libre , à cause de sa trop grande affluence , il éclate , et produit des explosions plus ou moins fortes. Cet état n’est pas fré- quent, sans dcute parce que les circonstances DANS LES DEUX SICjLES. 1285 propres à opérer un développement surabon- dant de gaz dans cette salse , et à la réunir en grande quantité dans ses cavités souterraines, sont elles-mêmes très-rares. On voit que je répète ici ce que j’ai dit à l’occasion de semblables phénomènes que présente la salse de Sassuolo : les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le pétrole s’annonçant par son odeur, et se rendant visible à la surface de l’eau qui dé- coule de la salse de Querzuola * c’est dans ce bitume qu’il faut chercher l’origine du gaz de cette salse , et l’explication que j’ai donnée plus haut à ce sujet, peut encore ici trouver sa place. Enfin, le sol sur lequel cette salse est si- tuée , ainsi que les matières de ses déjections, les plus récentes comme les plus anciennes , sont d’une nature argileuse , comme celles des deux salses de Maina et de Sassuolo. Elles ont la même couleur cendrée, et les mêmes ca- ractères spécifiques. Elles sont également im- prégnées de muriate de soude et de pétrole. Ainsi l’argile , le muriate de soude et le pétrole, sont trois substances qui ont des rapports di- rects et immédiats avec ces masses coniques auxquelles on a donné le nom de salses , et qui semblent en constituer les principaux élémens. Outre les trois salses ci-dessus décrites , j’en VOYAGES 2 86 ai vu une quatrième plus petite , située dans les collines de Reggio près de Canossa , et in- diquée par Yallisneri : comme elle ne diffère des autres , ni par ses phénomènes , ni par les matières qui la composent , je me dispenserai d’en parler. Seulement , pour confirmer les preuves de tout ce que j’ai avancé touchant ces phénomènes , je citerai l’exemple d’une salse étrangère, qui, après les quatre dont j’ai fait mention , est l’unique dont on trouve la description dans les ouvrages des naturalistes ou des voyageurs , du moins dans ceux qui sont à ma connaissance. Je veux parler d’un volcan de nouvelle espèce , ou volcan d? air y ainsi nommé par Dolomieu, et situé sur une mon- tagne de Sicile, dite Macaluba . Voici en abrégé les principales circonstances de ce fait , telles que les rapporte le naturaliste français (1). «Le 18 septembre 1781 , en allant d’Arra- »gona à Girganti , je quittai le chemin qui con- duit à cette dernière ville pour observer un »lieu dit Macaluba y que l’on m’avait annoncé » comme très-singulier , et sur lequel la variété (1) Pour l’intelligence du phénomène en question , nous avons cru devoir donner à l’extrait suivant un peu plus d’étendue qu’il n’en a dans l’ouvrage de Spallanzani, Note du traducteur. DANS LES DEUX 3ICILES. 287 -des relations avait fort excité ma curiosité. -Le sol du pays que je traversai est essentiel- lement calcaire. Il est recouvert de monta- -gnes et monticules d’argile.... Après une heure -de marche , je trouvai le lieu qui m’était dési- » gné 5 je vis une montagne d’argile à sommet -applati , dont la base n’annonçait rien de pàHi- -culier 5 mais sur la plaine qui la termine , j’^ob- -servai le plus singulier phénomène que la » nature m’eût encore présenté. » Cette montagne peut avoir cent cinquante » pieds d’élévation , prise d’un vallon qui est au- -dessous et qui en fait presque le tour. Elle -est terminée par une plaine un peu convexe -qui a un demi-mille de contour. Elle est de -la plus grande stérilité, et ne produit pas la -moindre végétation.... -On voit sur son sommet un très -grand nom- -bre de cônes tronqués lesquels sont placés à -différentes distances les uns des autres : le plus -grand peut avoir deux pieds et demi 5 les plus -petits ne s’élèvent que de quelques lignes. Ils -portent tous sur leurs sommets de petits cra- -tères en forme d’entonnoir L’intérieur de -chaque petit cratère est toujours humecté, et -on y observe un mouvement continuel. Il s’é- -lève à chaque instant de l’intérieur, et du fond VOYAGES 288 »de l’entonnoir 3 une argile grise délayée à sur- face convexe , qui en s’arrondissant 3 arrive aux » lèvres du cratère , qu’elle surmonte ensuite en » forme de demi-globe. Cette espèce de sphère » s’ouvre pour laisser éclater une bulle d’air qui » fait tout le jeu de la machine. Cette bulle en D crevant avec un bruit semblable à celui d’une » bouteille que l’on débouche, rejette hors du » cratère l’argile dont elle était enveloppée , et » cette argile coule à la manière des laves sur »les flancs du monticule ; elle en gagne la base, »et s’étend à plus ou moins de distance. Lorsque 5> l’air s’est dégagé, le reste de l’argile se pré- cipite au fond du cratère, qui reprend et garde s>sa première forme jusqu’à ce qu’une nouvelle » bulle cherche à s’échapper. Il y a donc un ^mouvement continuel d’abaissement et d’élé- »vation qui est plus ou moins précipité, et dont y l’intermittence est de deux ou trois minutes.... » Outre les petits cônes , il y a quelques cavités »dans le sol même , sur-tout dans la partie de »l’ouest, qui est un peu plus basse. Ces petits » trous ronds, d’un ou deux pouces de diamètre, »sont pleins d’une eau trouble et salée , d’où s’é- » lèvent et sortent immédiatement les bulles d’air »qui y excitent un bouillonnement semblable à 5> celui de l’eau sur le feu, et qui crèvent sans bruit DANS LES DEUX SICILE S. 289 »bruit et sans explosions. Je trouvai sur la sur- face de quelques-unes de ces concavités une » pellicule d’huile de pétrole. »Tel est l’état de cette montagne pendant » l'été et l’automne jusqu’au temps des pluies, »et c’est ainsi que je l’ai vue. Mais pendant l’hi- »ver les circonstances sont toutes différentes ; »les pluies ramollissent et détrempent l’argile » desséchée de son sommet; les monticules co- » niques sont dissous , ils se rabaissent et se mettent »de niveau, et le tout n’ofFre plus qu’un vaste » gouffre de boue d’argile délayée, dont on ne » connaît pas la profondeur, et dont on ne s’ap- » proche qu’avec le plus grand danger. Un bouil- lonnement continuel se voit sur toute cette 5> surface ; l’air qui le produit n’a plus de passage » particulier , et vient éclater dans tous les en- » droits indistinctement. » Ces deux états différens n’existent que dans »les temps de calme de cette montagne. Elle a y> aussi ses momens de grande Fermentation, où »elle présente des phénomènes qui inspirent la 5> terreur et la crainte dans tous les lieux voisins, »et qui ressemblent à ceux qui annoncent les » éruptions dans les volcans ordinaires. On éprouve »à une distance de deux ou trois milles , des se- cousses de tremblemens de terre souvent très- Tome V. T S()0 VOYAGES violentes ; on entend un bruit et des tonnerres » souterrains ; et après plusieurs jours de travail »et d’augmentation progressive dans la fermen- tation intérieure , il y a des éruptions violentes » et avec bruit , qui élèvent perpendiculairement, » quelquefois à plus de deux cents pieds, une » gerbe de terre, de boue, d’argile détrempée, » mêlée de quelques pierres. . . . »On est toujours tenté d’attribuer des effets » presque semblables à une même causer on a vu » cette montagne avoir des éruptions comme l’Et- na, et cela a suffi aux habitans des environs, et »au petit nombre de voyageurs qui l’ont obser- vée , pour supposer que tous ces phénomènes »sont uniquement dûs aux feux souterrains. J’y » arrivai avec cette prévention, mais je ne vis nien autour de moi qui m’annonçât la présence »de l’élément igné , qui, lorsqu’il est en action , »iniprime à tous ses produits un caractère dis— » tinctif , et je fus bientôt convaincu que la na- ture emploie des moyens bien dissemblables »pour produire des effets qui se ressemblent. Je » reconnus que le feu n’était point ici l’agent » principal , qu’il ne produisait aucun des phé- nomènes de cette montagne, et que si dans » quelques éruptions il y a eu fumée et chaleur, » ces circonstances ne sont qu’accessoires , et DANS LES DEUX S I C I L Ê S. 2qi » n’indiquent point la /vraie cause des explo- »sions. .. . »Le sol de tout le pays est calcaire \ il est » recouvert de montagnes d’une argile grise et » ductile, qui contient assez souvent un noyau sgypseux. Le hasard a placé au milieu de celle » dite Macaluba une source d’eau salée ; elles »sont en très-grand nombre dans un pays où »les mines de sel gemme sont très-communes. » Cette eau détrempe sans cesse l’argile, et s’ér » coule ensuite par suintement sur un des côtés »de la montagne. L’acide vitriolique de l’argile » s’empare par affinité de la base du sel marin , »et en dégage l’acide marin qui se porte sur la » pierre calcaire qui sert de fondement. Sa combi- naison avec cette nouvelle base produit un grand » développement d’air fixe qui traverse toute la » masse d’argile humectée qui le recouvre pour » venir éclater à sa surface. L’acide vitriolique » de l’argile peut encore se combiner directement »avec la pierre calcaire , et former continuell- ement du gypse. L’air en traversant cette argile y> lui fait éprouver un efFet qui ressemble au pé- trissage, et qui augmente sa ductilité et sa té- nacité. Pendant l’hiver, qui est la saison des » pluies, l’argile est plus délayée, l’air se dé- » gage plus facilement, et les bouillonnemens sont T % VOYAGES 2ÿ2 « plus multipliés. Pendant Pété Pargile se dessèche «à sa surface, et y forme une croûte plus ou » moins épaisse. L'air fait alors quelqu’efFort pour «sortir, et il se fait jour à Pendroit où il trouve «le moins de résistance. Il entasse peu à peu la «portion de terre qu’il enlève avec lui, et il « forme les petits cônes au milieu desquels il garde « son passage 3 mais lorsque les étés ont été longs, «chauds et secs , Pargile devient de plus en plus «compacte et tenace 3 elle n’est plus abreuvée «qu’imparfaitement par la source qui est au- «dessous et qui diminue 3 elle n’est plus per- «méable à Pair, à l’élasticité duquel elle fait ré- «sistance3 Pair qui continue à se dégager dans «la partie inférieure, qui est toujours humide, «fait de vains efForts pour s’échapper, et lors- « qu’il est accumulé et comprimé à un certain «point, il produit les tremblemens de terre, «les bruits souterrains, et enfin les éruptions dont «j’ai parlé 5 il a d’autant plus de force que la «résistance est plus considérable. C’est donc lui, «c’est donc Pair fixe qui peut être regardé «comme Punique agent de tous les phénomènes «de cette montagne (1) «. Je ne m’arrêterai pas à démontrer la parfaite (1) Voyage aux lies de Liparh DANS LES DEUX SICILE S. ^3 ressemblance de ce volcan d’air avec les salses d’Italie; je ferai seulement remarquer la présence du pétrole , de l’argile et du muriate de soude dans tous les phénomènes de ce genre, comme si ces phénomènes ne pouvaient exister sans le concours de ces trois substances. Du reste , je ne chercherai point à résoudre cette dernière question ; je laisse à d’autres naturalistes le soin de se procurer des données suffisantes pour ré- pandre plus de lumières sur un point de géologie qui mérite leur attention.. Un mot encore sur le volcan d’air de Maca- luba. Quoique Dolomieu ne fût pas éloigné d’ac- corder au pétrole la faculté de produire du gaz hydrogène dans les parties intérieures de la mon- tagne , il reconnut cependant que le fluide aéri- forme qui émanait de l’argile délayée et de l’eau avait tous les caractères du gaz acide carbo- nique. « Je recueillis , dit-il , dans une bouteille » une portion de cet air ; j’y plongeai une bougie » allumée qui s’y éteignit dans l’instant. Cet air »mêlé avec l’air atmosphérique , n’eut ni inflam- smation, ni explosion. Je n’avais pas la faculté »de faire d’autres expériences , mais celle-ci me » suffisait pour reconnaître l’air fixe , et pour voir » qu’il est l’unique agent des phénomènes que » j’ai décrits». T 5 2C)4 VOYAGES, ûc. Je ne contesterai pas à ce fluide son caractère carbonique , j’observerai seulement que le gaz hydrogène mêlé à une quantité considérable d’a- cide carbonique , peut également perdre la fa- culté de s’enflammer. En effet, ayant moi-même recueilli quelque part un gaz semblable , je n?hésitai pas d’abord à lui donner le nom d’a- cide carbonique > parce qu’il éteignait la lu- mière et ne s’enflammait point dans l’air atmo- sphérique \ mais après l’avoir éprouvé avec l’eau de chaux , je fus obligé de lui restituer le nom d ’ hydrogène carbonique. Cette expérience y aussi facile qu’elle est décisive , coûterait peu au voyageur naturaliste qui , en parcourant la Sicile , s’arrêterait à Macaluba. FIN DU TOME CINQUIÈME. TABLE ET SOMMAIRES des chapitres contenus dans ce cinquième volume. chapitre xxxn, page i. Fossiles et ani- maux des environs de Messine . Notices historiques et littéraires sur cette ville. Granit abondant auprès de Messine; se ramifie dans les collines et les montagnes d’alentour. Sa nature, 11 forme, non pas des couches, mais des amas irrégu- liers ; ne recèle point de testacées de mer , comme on l’avait assuré à l’auteur. Cause de cette erreur. Espèce distincte , peut-être nouvelle , de madrépores ensevelis dans une croûte pierreuse de carbonate cal- caire qui couvre le granit en plusieurs endroits. Des- cription de ces madrépores. Leur pétrification. Autre espèce. L’une et l’autre sont employées pour la chaux. Leurs analogues n’existent point dans la mer de Mes- sine. Exemples semblables d’autres testacées fossiles du pays de Gênes et des environs de Constantinople. Veine de charbon fossile et ses qualités. Pierre sa- blonneuse qui se régénère dans l’eau. Temps requis pour cette régénération. Elémêns de cette pierre. Ana- lyse du gluten qui lie le sable et le convertit en pierre. On en fait des meules de moulin. Brèches et poudings qui doivent leur génération à ce gluten, \ T 4 2$) 6 TABLE ET SOMMAIRES Flèches de fer , médailles antiques et squelettes hu~ mains trouvés dans ces pétrifications. Vraisemblance que le principe pétrifiant a non - seulement étendu ses effets à une certaine hauteur au-dessus du niveau des eaux quand la mer était plus élevée , mais qu’il a revêtu d*une croûte sablonneuse le fond même du canal de Messine. Ce canal devenu plus étroit qu’il n’était par l’action de ce principe. Raison de croire que cette cause toujours agissante le fermera entière-^ ment un jour à venir, et réunira la Sicile à la Calabre. Granit supportant toujours les carbonates calcaires. Probabilité qu’il s’étend sous la ville de Messine , et même sous le détroit. Ces lieux ne présentent aucun indice de volcanisation. Abondance d’insectes. Oiseaux qui sont de passage dans les contrées de l’Italie , et de résidence à Messine. Ancien état des sciences de cette ville comparé à l’état actuel. Hospitalité des Messinois envers les étrangers. Départ de l’auteur pour Naples. chapitre xxxrn5page 2 ’j. Fin des voyages dans les deux Siciles. Observations sur le lac d7 Orbitello, Description de çc- lac. Anguilles qui l’habitent. Morta- lité régnante parmi ces poissons; est une occasion pour l’auteur d’en ouvrir un grand nombre et d’examiner leur intérieur. Il n’y découvre aucune apparence de sexe. Les pêcheurs croient qu’elles composent deux espèces diverses; cette opinon est-elle fondée ? Erreurs sur la génération de ces animaux. On n’a jamais vu dans pe lac aucune anguille pleine , ni aucuns petits qui DES CHAPITRES. 297 y soient nés. Saison où ils passent de la mer dans le lac, et où ils retournent du lac dans la mer, après avoir acquis leur développement et leur grosseur na- turelle. Observations faites dans l’île d’Elbe. chapitre xxxiv, page 56. Observations lithologiques sur V Apennin de Modène . J^'oyage de Sassuolo à Fanano , et de Fa - nano au lac Scajfajolo , situé sur la cime la \ plus élevée de ces montagnes , Diverses espèces detestacées marins dans les collines de Modène et de Reggio. En quel état on les trouve; n’existent point sur les montagnes du côté de Fanano. Apparition des carbonates de chaux pierreux. Roche sablonneuse ; ses variétés; us3ge qu’en font les monta- gnards. Chaîne de montagnes les plus élevées de l’Apennin ; direction de ses filons. Décomposition de la roche sablonneuse qui fertilise le pays. Aucun corps étranger n’est renfermé dans cette roche , si ce n’est quelquefois le carbonate calcaire. Ces deux substances paraissent avoir éîé formées en même temps. Rocher nommé dé Carli situé sous Fanano ; est remarquable par ses cristaux quartzeux. Leur description. Filons de roche sablonneuse situés au- dessus de Fanano dans une direction au sud, exempts de carbonates calcaires. Groupe de maisons habitées par les montagnards. Ce lieu , nommé Ospitale di hamola , est environné de roche sablonneuse. Ses productions végétales. Région des hêtres commence un peu au-dessus , et s’étend comme une zone horizontale sur les épaules de l’ Apen- nin. Diversité dans la végétation de ces arbres. Rangée 298 TABLE ET SOMMAIRES de pieux fichés en terre pour guider les voyageurs dans le temps des neiges. Prairies sur la cime de la montagne. Lac de Scaffajolo ; son extension et son origine ; comparé à un autre lac situé sur une mon- tagne près de Reggio. Préjugés populaires sur la na- ture de ces deux lacs. Continuation de la roche sablon- neuse autour du lac de Scaffajolo et dans les environs. Fontaines jaillissantes au-dessous, dans les parties du sud et du nord. Les montagnards croient qu'elles dé- rivent du lac. Taupes singulières qui habitent dans les taillis des hêtres. Truites du torrent de Léo. CH A pitre xxiv, page 60. Voyage au mont Cimone et à Barigazzo , lieu célèbre -par les feux qui y brûlent depuis un temps im- mémorial. Zone de hêtres à traverser avant d'arriver au Cimone. Grande plaine herbacée au-dessus des bois. Roches sablonneuses. Feux follets voltigeans sur la cime du mont. Sa hauteur comparée avec celle des autres montagnes voisines. Sa description. De quelles ma- tières il est composé. On n’y découvre aucune trace de corps marins. Erreur des habitans sur l’existence d’une veine de marbre. Description de la pierre qu’ils prennent pour du marbre. Fontaines perpétuelles. Leur origine. Température de l’air. Insectes , sont en léthargie pendant la nuit. Preuves de fait que le Cimone, depuis le sommet jusqu’à la base , n’est formé que de roches sablonneuses. Montagne de Barigazzo ; sa des- cription. Perspective de la chaîne centrale des Apen- nins y direction de leurs couches. Carbonates calcaires DES CHAPITRES, 2gg existans dans les parties basses de Barigazzo ; sont en** sevelis dans la roche sablonneuse. La formation de ces deux susbtances paraît être contemporaine. Absence des corps marins. Mêmes observations faites par l’au- teur plusieurs années auparavant dans les montagnes de Reggio. Raison de croire que la masse entière des Apennins situés entre Reggio et Modène, est une im- mense accumulation de roches sablonneuses. La po- sition horizontale de leurs couches est une preuve qu’elles doivent leur origine à la mer. Pourquoi ces masses ne renferment aucune dépouille d’animaux ma- rins Le granit n’est pas absolument étranger aux Apen- nins. Exemples que l’auteur en donne. chapitre xxxvi, page 81. Observations t et expériences sur les feux de Barigazzo. Local de ces feux ; leurs phénomènes. Ils dérivent du gaz hydrogène. La pluie ne peut les éteindre, à moins qu’elle ne soit accompagnée d’un vent très-fort. Moyen artificiel d’en obtenir l’extinction. Bulles de gaz hy- drogène montant à la surface de l’eau quand on en remplit la fosse où brûlent les feux. Qualité du sol et des pierres. Couleur que prennent celles-ci après avoir été investies par ces feux ; elle est un indice certain du lieu de leur existence alors qu’ils ne se montrent plus. L’étincelle d’une pierre à fusil , la braise ardente , mais non enflammée , sont insuffisantes pour les rallumer. La plus petite flamme en a le pouvoir. Leur activité éprouvée avec du bois verd. Distance à laquelle on sent, pendant la nuit , leur odeur et leur chaleur ; on les accroît en remuant le sol où ils brûlent, et pour- 3oo TABLE ET SOMMAIRES quoi. Les flammes augmentées de cette manière ne produisent rien de fuligineux ; elles diminuent quand on couvre leur foyer avec de la terre. Incendie sus- cité dans une petite fosse voisine après l'avoir vidée. Comment cet incendie peut être perpétué. Observa- tions ei-dessus faites en 1789 ; les Suivantes en 1790. Appareil pneumatico - chimique à mercure , et autres préparatifs nécessaires pour analyser les gaz généra- teurs de ces feux. Ils brûlaient depuis plusieurs mois quand l’auteur arriva sur les lieux. Nulle trace de ma- tière fuligineuse après une si longue combüstion ; les pierres en partie altérées. Petite fosse voisine des feus; où l'on voyait uue ébullition gazeuse , et au fond de laquelle la chaleur n’était pas aussi grande que celle de l’atmosphère. L’auteur fait creuser profondément dans le foyer principal. Redoublement des feux à cet endroit. Qualité de la terre extraite par la fouille. Puanteur du gaz hydrogène. Les flammes ne venaient pas toutes du fond de la fosse , il en sortait une bonne partie par les crevasses horizontales. Elles offrent di- vers phénomènes. Carbonates calcaires spathiques à moitié calcinés , et en peu de temps, dans ces flammes nouvelles. Suie qu’elles produisent. Examen de cette suie et de la terre tirée de la fosse artificielle. Cause de l’extension de l’incendie. Moyen de l’éteindre et de recueillir le gaz hydrogène. Au moment qu’il sort, sa chaleur est égale à celle de l'atmosphère. L'auteur découvre que le gaz de la fosse est non- seulement une dérivation de celui qui produit les feux , mais que son courant parcourt des routes souterraines et hori- zontales qui communiquent vraisemblablement avec la montagne voisine formée de roche sablonneuse. DES CHAPITRES. ûo I Carbonates calcaires en partie calcinés après les avoir exposés à ces feux durant quatre jours. Four à chaux construit au milieu de leur foyer ; devient très-utile aux habitans. Autre exemple du gaz hydrogène em- ployé avec succès pour cuire la chaux. L’auteur exa- mine si les fortes pluies donnent réellement plus d’ac- tivité aux feux de Barigazzo , ainsi que le croyent les habitans. Il compare ensuite les tempêtes des Apen- nins à celles des Alpes. chapitre xxxvii, page 1 1 3. Ecrivains qui ont fait mention des feux de Barigazzo . Autres feux analogues situés dans les en- virons et observés par V auteur, i Paul Boccone est le premier qui ait parlé des feux de Barigazzo. Inexactitudes, exagérations dans sort récif. Il s’en est trop rapporté aux assertions d’autrui. Sem- blables défauts dans la relation de Ramazzini , et par la même cause. Galeazzi en a mieux parlé , parce qu’il les a vus de ses propres yeux. Phénomènes observés par cet historien en 1719- A cette époque ils ne diffé- raient point de ce qu’ils sont actuellement. Erreurs où tombe Galeazzi , croyant que ces feux dérivaient d’exhalaisons sulfureuses. Fougeroux de Bondaroy est celui de tous qui les a le plus mal observés. Leur existence peut remonter à environ deux siècles. — Autres feux situés dans le voisinage, en un lieu nommé Orto delV ïnferno : ont pour cause le mêtne principe gazeux. Circonstances locales. Observations , expé- riences. Antiquité de ces feux. Ceux appelés délia Spcnda del GattOj à deux milles de Sestola , et à cinq 5o2 table et sommaires de Barigazzo , sont alimentés par de petites veines de gaz hydrogène ; ces veines sont au nombre de six , et engendrent autant de petites flammes quand on y met le feu. Ce phénomène , comme celui de YOrto delY ln- ferno , n'était connu que des seuls habitans du pays. Feux de Vetta à trois milles de Barigazzo. Description qu’en fait Paul Boccone. Ce naturaliste ne les a vus que de loin. L’auteur les a observés sur le lieu même. Ils sont situés sur la pente d’une montagne , en un lieu aride où s'était formé autrefois un éboulement consi- dérable. Ils brûlent en deux endroits séparés; mais à l'arrivée de l'auteur , un vent très-impétueux les avait éteints. Comment on découvre leurs foyers. Une fois éteints, ils ne se rallument plus d’eux-mêmes. Quand on approche le visage de leurs foyers , on sent un souffle léger qui en sort , et cependant on n’y découvre pas la moindre gerçure. Inflammation artificielle des deux foyers. Redoublement des flammesau moyen d’une excavation. Trois autres feux appelés délia Raina , situés dans ce voisinage et examinés par l’auteur. En creusant au - dessous de l’aire d’un de ces feux , on découvre que le gaz hydrogène émane , non de la croûte terreuse qui couvre la pente de la montagne , mais de la roche sablonneuse qui en forme le noyau. De ce noyau dérive probablement tout le gaz hydro- gène des autres feux cireonvoisins. Opinion des habi- tans que lorsque les feux de Vetta et de la Raina sont allumés, ceux de Barigazzo deviennent très-faibles, et vice versa. Cette règle est sujette à des exceptions. Cependant ce ne serait pas chose invraisemblable qu’il existât une correspondance intérieure entre ces feux , en tant qu’ils émaneraient tous d’une seule mine de DES CHAPITRES. 3o5 gaz hydrogène profondément ensevelie dans ces mon- tagnes. Suie produite par deux de ces feux. Opinion des habitans de Vetta que les temps pluvieux sont propres à les augmenter. Veine très- abondante de gaz hydrogène découverte par l’auteur en un lieu nommé la Serra dei Grilli. Incendie qu’il y suscite pour la première fois. chapitre xxxviii 5 page i4i. Des feux de Felleja et de Pietra- JMala. Fontaine ardente du Dauphiné . Feux de Velleja situés dans les collines de Plaisance; sont observés pour la première fois par l’auteur des Lettres sur l’air inflammable des marais. Le même phy- sicien découvre que ceux de Pietra-Mala dérivent du gaz hydrogène. Observations postérieures de Razou- mowski sur leur activité , qui les rend capables de vitrifier les pierres. Singularité de ce fait. Auteurs qui ont parlé de ces feux. Leurs textes comparés pour savoir si ces feux étaient plus énergiques autrefois qu’ils ne le sont aujourd’hui. Conclusion qu’en ad- mettant le fait de la vitrification annoncée par Ra- zoumowski , on est forcé de convenir qu’un feu tem- péré produit à la longue les effets de la fusion et do la vitrification , opérés en moins de temps à l’aide d’un feu plus énergique ; que si cela n’arrive pas pour les feux de Barigazzo et des lieux circonvoisins , c’est qu’apparemment les pierres y sont moins susceptibles de fusion que celles des foyers de Pietra-Mala. Cet exemple montre comment des vitrifications volcani- ques peuvent avoir été produites par le gaz hydro- 3o4 TABLE, ET SOMMAIRES gène. Fontaine ardente du Dauphiné , citée à ce su- jet. Montigny en a assigné la véritable cause. Cri- tique non fondée de l’auteur des Lettres sur Pair in- flammable des marais. Preuves évidentes que le gaz hydrogène inflaipmable ne dérive pas exclusivement des marais, comme le suppose cet auteur. chapitre xxxix, page 256. Expériences physiques et chimiques pour éprouver la nature des gaz hydrogènes de Barigazzo et autres lieux circonvoisins. Ces divers gaz ne diffèrent pas les uns des autres quant à leurs principes prochains. Leur comparaison avec le gaz métallique hydrogène. Différence d’cdeur. Autres différences dans la combustion. Quelle en est la raison physique. Combustion beaucoup plus grande dans le gaz hydrogène naturel, présente un phéno- mène agréable ; ce gaz ne prend pas feu au contact de Fétincelle d’une pierre à fusil j s’allume au moyen du sulfure de fer. Activité des flammes du gaz métallique plus grande que celle des flammes du gaz naturel. Phénomènes variés dans la combustion d'un savonage fait avec ces deux gaz. Le gaz naturel ne produit aucune espèce de fumée. Génération de Peau dans les vases où brûle le gaz naturel ; moins abondante dans la combustion du gaz métallique. Gaz naturel spécifique- ment plus léger que l’air, et moins que le gaz mé- tallique. Différence dans les phénomènes , en allumant des bulles de gaz naturel et des bulles de gaz métal- lique. Combustion variée du gaz naturel mêlé , soit avec Pair commun , soit avec le gaz oxigène. Le gaz naturel / DES CHAPITRES. 5o5 naturel éteint plus vite la lumière d’une bougie , et donne plus rapidement la mort aux animaux. Soupçon que le gaz naturel dont il est ici question se trouve mêlé avec des substances étrangères ; ne contient pas du gaz oxigène ; contient du soufre en dissolution. Expériences pour savoir s’il renferme du gaz acide carbonique. Ni l’eau distillée , ni Peau de chaux, ni la teinture de tournesol, ni les alkalis , ne manifestent la présence de ce dernier gaz ; au contraire , ces réac- tifs prouvent que l’air inflammable des marais est uni au gaz acide carbonique. Il existe des marécages très- abondans en végétaux où l’air inflammable ne se pro- duit point. Les réactifs cités ne donnant aucun indice de l’existence du gaz acide carbonique dans les gaz hydrogènes naturels , l’auteur a recours à l’inflam- mation de ces gaz sur l’eau de chaux ; par ce moyen il rend sensible le gaz acide carbonique , et parvient à en déterminer avec précision la quantité. chapitre XL, page i85. Des substances propres à produire et à renouveler sans cesse le gaz inflammable des feux de Ba - rigazzo et autres du même genre. Citation des Lettres sur V air inflammable des marais. L’auteur de ces lettres est le premier qui ait fait con- naître combien est prodigieuse la quantité de ce gaz qui se dégage des fonds marécageux ; c’est à lui que l’on doit aussi la découverte que ce gaz est un pro- duit de la macération et de la putréfaction dans l’eau des substances végétales et animales , occasionnées par la seule chaleur de l’atmosphère. Application de Tome V. Y Soft TABLE ET SOMMAIRES sa découverte aux feux de Velleja et de Pietra-Mala. Selon cet auteur , il existait autrefois à la place ou brûlent ces feux , des marais chargés de dépouilles végétales et animales qui furent ensevelis dans la terre par quelque révolution. Preuves de l’insuffi- sance de cette hypothèse. Autres suppositions du même auteur touchant les feux de Pietra-Mala. Quels sont les corps propres à fournir le gaz hydrogène de Ba- rignzzo et autres lieux circonvoisins. Raison apparente pour croire que ce gaz dérive de la décomposition des amas d’arbres ensevelis dans les éboulemens qui ont eu lieu sur ces montagnes. Description de quelques- uns de ces éboulemens qui ont enseveli sous terre un grand nombre d’arbres. On démontre que ces végétaux s’étant parfaitement conservés dans la terre , ne sau- raient concourir à la production du gaz hydrogène. La présence de l’acide sulfureux et du fer découverte dans la terre sur laquelle brûlent les feux de Barigazzo suffirait pour expliquer la perpétuelle émanation du gaz hydrogène , si ce fluide n’avait pas d’autres issues par les crevasses profondes de la montagne, qui n’est presque formée que de roche sablonneuse. Vraisem- blance qu’il tire son origine de la décomposition des pyrites très-abondantes dans cette montagne. Senti- ment semblable du comte Razoumowsky touchant l’o- rigine du gaz de Pietra-Mala. L’hypothèse de l’auteur des Lettres sur Pair inflammable des marais ne pouvant convenir aux feux de Velleja , puisqu’il n’existe là ni substances végétales , ni substances animales capables de fournir l’aliment de ces feux, il est à desirer que ce physicien retourne sur les lieux pour en découvrir , s’il est possible, la véritable origine. DES CHAPITRES. 5o J chapitre xli, page 222. Des salses situées sur les collines de Modène et de Reggio. Observations et expériences sur la salse de la JMaina . Ce que l’on entend par salse. Comment ces salses ont quelque ressemblance avec les volcans. Salse de la Maina ; ses phénomènes. Un fluide aériforme en est l’origine. Ce fluide est le gaz hydrogène. Différence entre ce gaz et celui de Barigazzo. Odeur de pétrole qui s’exhale de la salse de la Maina. Le gaz de cette salse n’est pas propre à former une’flamme durable. Sa température. Si Bon bouche les issues actuelles de ce gaz, il s’en forme d'autres. Sorte de repos où se trouvait la salse à l’époque où elle fut visitée par Fauteur. Com- ment elle éclate en certain temps. Opinion des habi- tans du lieu sur ses crises. Excavation faite au-dessous d'elle. Observations nouvelles. Ignorance sur l’époque de son apparition. Inflammation de son gaz dans des bocaux , comparée à celle du gaz de Barigazzo. Ana- lyse de la terre de celte salse , de l’eau qui l’accom- pagne , et du gaz hydrogène qui en sort perpétuel- lement. Conjecture sur la nature des matières qui l’engendrent et le renouvellent sans cesse. chapitre xlii, page 236. Observations et expériences sur la salse de Sassuolo . Descriptions que Pline , Frassoni , Ramazzini et Val- lisneri ont faites de la salse de Sassuolo. En quel état elle se trouvait à l’époque où elle fut visitée par l’au- V 2 3o8 TABLE ET SOMMAIRES teur. Sa figure conique. Bulles gazeuses qui se déga- geaient par intervalles de l’intérieur du cône. Repos actuel de la salse ; sa situation ne différait point de celle qu’elle avait dans les temps passés. Le gaz qui en émane est hydrogène. Excavation faite sous le cône. Observations à ce sujet Description de quel- ques-unes de ses précédentes éruptions. Second voyage de Fauteur à cette salse , entrepris l’année suivante. Circonstances qui accompagnèrent une éruption peu de jours avant son arrivée. Troisième voyage deux ans après. Salses subalternes engendrées pendant cet intervalle. La salse de Sassuolo beaucoup plus étendue que celle de Maina. Stérilité qui règne à l’entour. Matières vomies , ne sont point affectées par le feu. En admettant les violens incendies de cette salse dé-* crits par plusieurs auteurs anciens , on explique com- ment ces feux ont été incapables de volcaniser les corps lancés par cette salse dans ses éruptions. Les deux salses de la Maina et de Sassuolo n'offrent au- cuh vestige d’anciens marais ensevelis , ou d’éboule- mens de terre ; ce qui détruit l’hypothèse de Volta, que le gaz hydrogène de Sassuolo dérive de la dé- composition de substances végétales ou animales. Ana- lyses chimiques du gaz hydrogène , de l’eau et de la terre de Sassuolo. Quelle est la source de ce gaz. Le pétrole existe non-seulement aux environs de la salse dans son état naturel de fluidité , mais il se trouve combiné avec la terre , et forme le charbdn de pierre. Explication des principaux phénomènes de cette salse. DES CHAPITRES. S09 chapitre xliii, page 263. Des fontaines de pétrole du mont Zibio. Leur nombre, leur situation. Manière dont on en tire l’huile. Pourquoi cette huile est plus abondante en été qu’en hiver. Auteurs anciens et modernes qui ont parlé de ces sources. Leur état présent comparé à leur état passé. Erreur d’un célèbre naturaliste touchant ces sources. Leur correspondance avec la salse de Sassuolo. Autres petites salses situées dans les envi- rons ; leur communication ; elles tirent leur origine du pétrole. L’auteur recherche si cette huile existe sous terre dans l’état de fluidité , ou si elle est unie au charbon de pierre. chapitre xliv, page 272. Observations et expériences sur la salse de Querzuola . Cette salse présente l’image d’un volcan. Changemens auxquels elle est sujette. Comment le gaz hydrogène qui en est le générateur et le conservateur , donne en général naissance aux salses. Quelle est la quan- tité de ce fluide qui émane de Querzuola. Ses inter- mittences. 11 diffère de celui de Barigazzo. Relation de Vallisneri,peu exacte. Description de deux grandes éruptions de cette salse. Son gaz dérive du pétrole. Terre argileuse , muriate de soude et pétrole , trois substances qui se rencontrent dans les salses de la Maina , de Sassuolo et de Querzuola ; on les observe également dans une salse de la Sicile nommée Afa- caluba. Description de cette dernière. Réflexions. FIN DELA TABLE DU TOME CINQUIÈME. VOYAGES DANS LES DEUX SICILE S. VOYAGES DANS LES DEUX SICILES ET DANS QUELQUES PARTIES DES APENNINS, ! Par Spallanzani , Professeur cPHistoire naturelle dans Puniversité de Pavie. Traduits de V Italien par G . TOSCAN , Bibliothécaire du Muséum national T Histoire naturelle de Paris x avec des Notes du cit. Faujas-de-St.-Fond. TOME SIXIÈME. A PARIS, Chez Mar ai* an, Libraire, rue Pavée - André - des- Ares * n°. 16. AN VIII. I . •’ l ' ■ • " . ; ' : ; .. 6: c r % \ J OU ‘ * ‘ iC.fi SOVu^'ü AVIS DE L’A UT ED R. i r t o fil Les Mémoires que je réunis dans ce volume , et qui forment le complément de mes voyages , sont relatifs à divers animaux , tels que les hirondelles , les hiboux et les anguilles , qui ont été l’ob- jet de mes recherches pendant mon sé- jour aux îles Æoliennes , en Sicile et au lac d’Orbitello, Occupé depuis plusieurs années à étudier l’instinct , les mœurs , les habitudes de ces trois genres d’ani- maux , j’ai pu reconnaître et relever des erreurs échappées aux naturalistes qui en ont écrit avant moi ; j’ai pu éclaircir quelques points obscurs ou douteux de leur histoire : assez heureux pour péné- trer dans plusieurs mystères de leur nature, Tome A 2 AVIS DE LAUTEUR j’ai pu encore offrir de nouveaux détails à la curiosité des philosophes 9 et espé- rer que mon travail méritera leur atten- tion. s VOYAGES DANS LES DEUX SICILES. PREMIER MÉMOIRE. Sur V hirondelle domestique , hirundo rustica. JLinn .. L’hirondelle dont je vais parler, est celle qui fabrique son nid dans nos maisons : son espèce est trop généralement connue pour que j’aie besoin de la décrire. Vers le milieu du mois de mars, ces oiseaux ont coutume d’apparaître dans les vastes plai- nes de la Lombardie \ leur arrivée est seule- ment avancée ou retardée de quelques jours y selon que la température est plus ou moins douce $ mais ils ne viennent habiter les hautes et froides montagnes des Apennins, où ils ni- A a VOYAGES chent également, quoiqu’en moins grand nom- bre, que dans le mois d’avril ou de mai. Dans les deux rivières de Gènes, où la température est beaucoup plus douce , ils se font voir dès les premiers jours du mois de mars. Une chose digne de remarque , c’est qu’il ne m’est jamais arrivé de rencontrer un seul de ces oiseaux dans les plaines de la Lombardie , vers la fin de février , ou au commencement de mars , quand par hasard nous avons dans ce pays une suite de beaux jours, aussi chauds qu’au milieu de ce dernier mois : ce qui me ferait croire qu’ils ne partent jamais des contrées où ils séjournent pendant l’hiver , qu’à des époques fixes et déterminées. . Souvent , après leur arrivée dans la Lombar- die , ils sont surpris par des froids aigus, occa- sionnés par les vents de nord ou de nord-est, vents qui nous amènent les neiges et les fri-, mats : si l’intempérie n’est que passagère , ces oiseaux restent ; mais ils s’éloignent tous , pour peu que le mauvais temps dure. On ne peut douter qu’ils ne se retirent alors sous un ciel moins rigide , et je ne crois pas me tromper en disant qu’ils vont gagner les deux rivières de Gênes. Au moins est - il certain que plu- sieurs fois m’étant rendu de Pavie à Gênes a DANS LES DEUX SICILE S. 5 au commencement du printemps , et de - là aux deux rivières , je les y ai rencontrés en bien plus grand nombre pendant les retours de froid en Lombardie , que lorsque ce pays jouissait à cette époque de sa température accoutumée. Dès que l’inclémence de l’air ne se fait plus sentir , ces oiseaux reparais- sent dans les lieux qu’ils avaient abandonnés, et leurs ailes rapides les ont bientôt transpor- tés des rivages de Gênes aux plaines de la Lom- bardie. Dans ces occasions , ce n’est pas tant le froid que le manque d’alimens qui les force de nous quitter , ne trouvant plus dans les airs les petits insectes dont ils font leur pâture , parce que ceux-ci restent engourdis à la surface de la terre. On a observé que ces hirondelles ayant une fois choisi une maison pour retraite , y revien- nent constamment chaque année , rapportant au printemps le petit cordon de soie qu’on leur avait attaché aux pieds l’automne précédente. Trois fois j’ai usé envers mes commensales de cet innocent artifice; les deux premières fois, j’ai vu les mâles avec les femelles retourner à leurs nids respectifs , portant sur eux les témoigna- ges incontestables de leur identité ; mais la troi- sième fois ils ne reparurent plus 5 peut-être une 6 VOYAGES mort naturelle ou violente les avait surpris en route. Ces expériences aussi curieuses qu’agréables , prouvent non-seulement que ces oiseaux revien- nent à leur premier nid , mais que le mariage qu’ils y célèbrent , devient indissoluble pour l’a- venir. On a remarqué les mêmes mœurs chez quelques autres espèces d’oiseaux. Au reste les père et mère sont lesseuîs qui retournent aux mê- mes lieux ; les petits vont s’établir ailleurs. Six ou sept couples de ces oiseaux nichent chaque an- née sous un portique de ma maison à Pavie $ de- puis dix-huit ans que je l’habite , rarement je les ai vus réparer ces anciens nids qui sont tou- jours restés en nombre égal aux couples, quoi- qu’il y ait eu constamment deux couvées dans la belle saison : j’ai fait la même observation à l’é- gard de deux hirondelles qui avaient adopté une autre maison , et qui, toujours solitaires, n’ont jamais vu leurs familles s’établir autour d’elles. Il est donc certain qu’en général ces oiseaux ne construisent point leurs nids aux lieux où ils ont reçu la naissance. Les premiers jours qu’ils se sentent habiles à voler, ils suivent bien le père et la mère , et reviennent le soir avec eux , dor- mir sous le toit natal ; mais dès qu’ils n’ont plus besoin de la becquée , et qu’ils ont appris à DANS LES DEUX SICILES. 7 manger seuls , ils disparaissent ! le père et la mère , restés seuls , préparent alors une seconde couvée* ... A <;r.; • Vers la fin du mois d’août, époque où les pontes sont terminées, les hirondelles domesti- ques abandonnent nos maisons et leurs nids , sans toutefois s’en éloigner beaucoup. On les Voit chaque jour volant çà et là à la quête de leur pâture , et se réunissant par petites trou- pes dans les lieux où elle est la plus abondante ou la plus agréable. Le soir , elles vont se per- cher sur les roseaux des marais , des étangs , souvent en compagnie avec d’autres volatiles, tels que des étourneaux (1) , des hirondelles de fenêtre (2) , et des hochequeues (3). Il y a quel- ques années que dans le voisinage de Rubiera de Modène, on en faisait une chasse assez cu- rieuse. Outre une multitude d’hirondelles do- mestiques et de hochequeues , il s’y rendait de toutes parts de nombreuses bandes d’étourneaux ; telles pendant l’hiver on voit accourir les cor- neilles noires (4) aux environs de Pavie, quand sur le déclin du jour elles vont se réunir dans (1) Sturnus vulgaris . Linn. (2) Hirundo urbica . Lirm, (3) Motacilla flava. Linn. (4) Corvus corone . Linn. 8 Y O Y A G E S les bosquets du Tesin. À cette même heure , non loin de Rubiera, ces divers oiseaux venaient tous s’abattre sur les roseaux d’un marais qui s’é- tendait comme une espèce de langue ; au mi- lieu 3 les chasseurs avait formé une nappé d’eau , au-dessus de laquelle ils attachaient un vaste filet. La chasse commençait à nuit close; on avait une corde qui traversait l’extrémité dé la langue de marais , opposée à la nappe d’eau ; des hommes la tenaient par chaque bout, et l’agitant doucement parmi les rôL seaux , ils s’avançaient ainsi formant tirié ligné courbe. A ce bruit inattendu , les oiséaux ef- frayés quittaient leur place et allaient se per- cher un peu plus loin'; bientôt troublés dans ce nouveau poste , ils l’abandonnaient , et pour- suivis ainsi de place en place , ils étaient forcés de se concentrer tous sur là portion de roseaux contiguë à la nappe d’eau 1 Alors les chasseurs donnant un mouvement rapide à la corde , toute cette multitude d’oiseaux se levaient' 1 précipi- tamment pour gagner les roseaux sitties à l’autre bord y mais le blet suspendu sur leur têtëA, tombait1 tout-à-coup , les ènveloppâlt dans' sës mai! les -, et les entraînait ainsi à la surface dé l’eau, où se débattant inutilement , ils restaient bientôt sufFoqués. Cetté chasse n’avait pas lieu une seule fois, elle se répétait souvent à cause de l’affluence DANS LES DEUX SICILE S. 9 Taffluence extraordinaire de ces oiseaux. Si elle était profitable en ce qu'elle détruisait un nom- bre considérable d’étourneaux qui font grand dommage aux fruits , et sur-tout aux raisins , elle sacrifiait sans utilité une foule d’hirondel- les, oiseaux que Vhomme devrait non - seule- ment épargner , mais chérir et protéger pour les services réels qu’ils lui rendent , en faisant une guerre continuelle aux cousins , aux cha- ransons , aux mouches , et à d’autrefs insectes nuisibles ou incommodes* Montbeillârd a observé en quelques parties de la France , que ces hirondelles , vers le commencement d’octobre , ont coutume de s’assembler pour le départ , au nombre de trois à quatre cents $ qu’elles choisissent pour rendez- vous un arbre très-élevé , et qu’elles partent ordinairement pendant la nuit, quelquefois aussi en plein jour. Hébert en a vu à cette époque, des pelotons de quarante ou cinquante , qui faisaient route au haut des airs, et il a observé que dans cette circonstance leur vol était non- seulement plus élevé qu’à l’ordinaire , mais en- core beaucoup plus uniforme 3 plus soutenu, et toujours dirigé au sud (1). (1) Hist. natur. de Buffon, oiseaux , t. XÏI , in- 12. Tome Kl. B IO VOYAGES Vers la fin de septembre , en Lombardie, et dans les montagnes qui l’environnent au midi , on les voit insensiblement diminuer de nombre et disparaître au bout de quelques jours , mais sans se réunir pour le départ. Souvent quel- ques-unes restent dans le pays , et y séjournent une grande partie de l’hiver : j’ai fait à ce su- jet des observations qui méritent d’être rap- portées. C’était le 11 novembre 1 791. Durant toute la matinée , le ciel de Pavie resta couvert d’é- pais nuages. Vers une heure après midi , il com- mença de s’éclaircir, et à une heure et demie, le soleil parut très -resplendissant. Je vis alors au-dessus de ma maison , située sur une émi- nence de la ville , deux hirondelles volant à peu de hauteur , et faisant des circuits en l’air : ensuite elles s’éloignèrent, et je les perdis de vue. Les deux nuits précédentes , il avait gelé à glace dans les campagnes , et à l’instant que j’observais mes deux hirondelles , le thermo- mètre marquait à l’ombre six degrés et demi au-dessus de zéro. Dans la suite de cet hiver, je ne rencontrai plus aucun de ces oiseaux. Le 9 de janvier 17 85, deux heures avant la nuit, j’apperçus dans Pavie, non sans surprise, une hirondelle domestique , qui d’un vol très- { Il f|h ' ■ : ® - 1™ DAîfS LES DEUX SICILE S. Il bas , rasait le pavé des rues. Le thermomètre marquait alors un degré au-dessous de zéro; la nuit précédente , il était descendu à deux degrés et demi. L’oiseau ne fendait point l’air avec cette agilité qui lui est ordinaire; il volait lentement , et je jugeai qu’il était très-affaiblf; Aucun nuage ne voilait le ciel , et le calme régnait dans l’air. J’ajouterai un autre fait dont j’ai été témoin plusieurs fois, quand je professais la philoso- phie à l’université de Reggio. Il existe dans cette ville une église de la Madone clella Ghiara , édifice célèbre par sa grandeur, par la beauté de son architecture, et par les belles peintures dont il est décoré. Souvent , pendant la belle saison , des hirondelles entraient par la porte du milieu qui est très-large , et ne sa- chant plus sortir, elles voltigeaient comme font tous les oiseaux prisonniers , en s’approchant des fenêtres , où la lumière est plus vive , et s’élevaient ainsi jusqu’à la coupole , très-large, très-éclairée , qui devenait pour elles un laby- rinthe dont elles ne pouvaient plus se tirer. Elles volaient et revolaient sans cesse autour , se repo- sant seulement sur les corniches pour reprendre haleine. J’en ai vu dont la captivité durait encore au milieu du mois de janvier, et je ne pou- B 2 VOYAGES 1 a vais comprendre comment elles y pouvaient vivre si long-temps , ne trouvant là pour toute nourriture que des mouches, des araignées, ou d’autres petits insectes dont le nombre devait être peu considérable , sur-tout pendant l’hi- ver : mais je m’arrête à une seule considération, c’est qu’elles paraissaient ne point souffrir des rigueurs de la saison , dont la coupole avec ses larges vitraux , n’était guère capable de les défendre. Ces faits prouvent que les hirondelles domes- tiques ne sont pas aussi ennemies du froid qu’on le croit communément, en les voyant fuir nos climats pendant l’hiver , et ne revenir qu’au printemps. Ils expliquent pourquoi celles qui arrivent au commencement de cette saison , et sont surprises par des retours de froid, ne s’éloi- gnent point , pourvu toutefois que ce froid ne soit pas de longue durée. En Lombardie, vers la fin de mars et même au commencement d’a- vril , il survient quelquefois des tourbillons de neige, au milieu desquels j’ai vu voler des hi- rondelles sans m’appercevoir qu’elles en fussent incommodées. Quand la bourasque dure long- temps , elles s’éloignent 3 mais si , comme je crois en avoir des preuves , elles vont alors se réfu- gier sous le climat de Gênes , il est indubita- DANS LES DEUX SICILE S. î3 ble qu’en traversant la haute chaîne des Apen- nins , elles n’éprouvent un froid bien plus vif, sans cependant y succomber. Voilà certainement des observations qui s’ac- cordent peu avec ce que dit l’auteur de l’article Hirondelle , dans l’Encyclopédie Méthodique ; je rapporte ses propres expressions. « Quand , au -printemps, le retour du froid succède à celui -des hirondelles, on les voit périr pendant le jour » à une température de quatre ou cinq degrés au- -dessus de la glace; et d’un ou deux au-dessous -quand elles y restent seulement exposées une -heure ou deux avant le lever du soleil». Pour lever tous les doutes à cet égard, je ré- solus d’en soumettre quelques-unes à un froid artificiel. Le 21 d’août 1792, le thermomètre marquant dix-neuf degrés un quart au - dessus de zéro, j’enfermai quatre hirondelles dans un bocal cylindrique de verre , plongé dans la neige : seulement je les retirais dehors de temps en temps pour connaître leur état; mais je ne m’ap- perçus pas qu’elles donnassent aucun signe de défaillance. Au bout d’une heure , je les ôtai du bocal pour leur rendre la liberté : aussi- tôt qu’elles l’eurent obtenue , elles se mirent à voler dans la chambre , non sans quelque len- teur dans le premier moment. B 3 VOYAGES *4 Alors je créai un froid plus vif en joignant à la neige du inuriate de soude ; le bocal plongé dans ce mélange, reçut de nouveau les quatre hirondelles , et j’eus soin de placer à coté d’elles un autre bocal plus petit , renfermant un ther- momètre destiné à faire connaître le degré de froid qu’elles allaient subir. Au bout de cent quatre-vingt-trois minutes, l’instrument iparqua dix degrés un septième au-dessous de la con- gélation. Les hirondelles, quoique très-affaiblies , vivaient toujours 5 elles avaient les yeux ouverts; si je les touchais, elles remuaient; et quand je levais le bouchon d’étoupe qui fermait le bocal * elles faisaient quelques efforts pour s’envoler au» dehors. Le thermomètre ne descendit pas davan- tage ; il se maintint à dix degrés un septième. Cependant je ne perdais pas de vue ces pauvres hirondelles , que je laissais ainsi exposées à un froid que nous ressentons nous-mêmes très-rare- ment : soixante minutes s’écoulèrent encore ; deux d’entr’ elles donnaient quelques signes de vie , les deux autres paraissaient mortes ; j’avais beau les secouer avec une baguette ; immobi- les , elles tenaient les yeux fermés et la tête pen- chée. Ce n’était qu’une asphixie , car les ayant sorties du bocal , la chaleur de l’atmosphère qui s’élevait alors à dix -neuf degrés un tiers au- dessus de la glace, les ranima peu à peu, et DANS LES DEUX SICILE S. 1 5 leur rendit au bout de soixante-huit minutes toute leur vivacité ordinaire. Quant aux deux premières , il leur fallut onze minutes de plus qu’aux secondes pour défaillir à leur tour dans le bocal : transportées à l’air atmosphérique , elles revinrent de même à la vie. Ce ne fut pas là leur dernière épreuve. Quand elles eurent bien recouvré leurs forces, je les ren- fermai une troisième fois dans le bocal, et le froid fut porté à dix degrés un septième, comme au- paravant. Elles le soutinrent sans périr pendant l’espace de dix -neuf minutes ; heureusement pour elles, le froid venant à diminuer à cause de la fonte de la neige, l’expérience en resta là, et elles reçurent la liberté. Le 27 mai 1793, je recommençai , ces ex- périences sur d’autres hirondelles domestiques, en employant les mêmes procédés , mais ajou- tant quelques degrés de plus à l’intensité du froid. Un de ces oiseaux , après l’avoir soutenu à onze degrés l’espace de dix minutes , fut tiré hors du bocal , et parut avoir perdu beaucoup de ses forces. Renfermé de nouveau au bout de quinze minutes du même froid, il fut re- tiré et placé sur le plancher \ il faisait des efforts avec ses ailes pour se lever de terre, et re- tombait aussi- tôt. J’augmentai sur-le-champ la R 4 VOYAGES 16 dose de la neige et du muriate de soude , et le thermomètre descendit à treize degrés et demi. L’oiseau fut replongé immédiatement dans ce froid ; dix minutes s’écoulèrent 5 il était à demi- mort et haletant : huit autres minutes lui ôtè- rent enfin la vie. Le même jour, je répétai cette expérience sur une autre hirondelle. Quoique je l’eusse choi- sie tout aussi vivace que la précédente , elle expira dans le bocal au bout de quinze minutes , par un froid de quatorze degrés. Une troisième hirondelle éprouva le même sort dans l’espace de dix minutes seulement. Ce n’était point une mort apparente; j’eus beau les tenir exposées à la chaleur de l’atmosphère, elles ne revinrent plus à la vie. Ces faits suffisent pour démontrer que si ces oiseaux succombent au froid , ils sont pourtant capables de le supporter à un plus haut degré qu’on ne le croit communément. DANS LES DEUX SICILE S. 17 SECOND MÉMOIRE. Sur V hirondelle de fenêtre > hirundo urbica. Linn , Un des caractères spécifiques de cette hiron- delle , est d’avoir le dos noir-azuré et le ventre blanc (1). Je suis étonné de lire dans Aldrovande , que cette espèce ne se rencontre point en Italie , ou du moins à Bologne , patrie de l’auteur (2). Il est possible que de son temps , elle ne fréquentât pas cette ville 5 tout ce qu’il m’est permis d’affir- mer à cet égard, c’est qu’étant très-jeune, et faisant mes études à Bologne , je me rappelle très -bien avoir vu plusieurs nids de ces oiseaux attachés sous les avant -toits des maisons. Quant aux autres contrées de l’Italie , il est certain (1) Hirundo urbica , rectricibus immaculatis , dorso ni - gro-cœrulescente , iota subtus alba. Syst. nat. ed. XIII, n°. U 7 , p. 3, p. 344. (2} Caret hujusmodi hirundine Italia, vel saltem hie ( in Bolonia ) mihi nunquam observare licuit, Ornith * t. Il VOYAGES l8 que les hirondelles de fenêtre y sont à elles seules plus nombreuses que les hirondelles do- mestiques et les martinets noirs : pas une ville, pour ainsi dire, pas une forteresse , pas un bourg ou un petit village , soit dans les plaines , soit sur les collines et les montagnes , où elles n’aient établi leurs manoirs. Je ne connais que Venise qui soit privée de leur présence , et j’ai remarqué en même temps que cette ville est peu fréquentée par les hirondelles domestiques, quoique le climat soit très-propre à les attirer , et que la construction des maisons leur offre toute facilité pour y attacher leurs nids. J’ai cherché la cause de cet éloignement, et je crois l’avoir trouvée dans la disette des subsis- tances, ces oiseaux se nourrissant de mouches, de moucherons , de phalènes , et d’autres pe- tits insectes ailés qui sont extrêmement rares à Venise , attendu que leurs œufs ne sauraient éclore sur un sol presque tout inondé des eaux de la mer. Montbeiilard , dans son histoire de l’hiron- delle de fenêtre , dit « qu’elle ne s’approche »de l’homme que lorsqu’elle ne trouve point » ailleurs ses convenances 5 mais que , toutes & choses étant égales , elle préfère pour l’em- » place ment de son manoir une avance de ro- DANS LES DEUX SICILE S. 1$ »cher à la saillie d’une corniche, une caverne »à un péristile 5 en un mot , la solitude aux » lieux habités ». Et s’appuyant de l’autorité d’Hébert, excellent ornithologiste, il cite l’exem* pie de celles qui abondent aux environs de la ville de Nantua , et qui , trouvant dans l’enceinte de ses murs tout ce qu’il leur faut pour s’établir commodément, préfèrent néanmoins les rocs escarpés de son lac. Je ne doute pas de la vérité du fait, mais on ne doit pas en tirer des conséquences gé- nérales. Le château de Scandiano est très-fré- quenté par ces oiseaux ; ils ont suspendu leurs nids au sommet d’une haute tour de cette for- ter esse , sous les avant-toits de quelques maisons particulières , et sur les murs du couvent des Capucins , principalement au sud où l’on en voit plusieurs groupés ensemble : tandis qu’à deux milles et demi plus loin , il y a au sud- est deux rochers escarpés , dont Lun appelé Ripe del Sasso , est absolument dédaigné par ces oiseaux; l’autre, connu sous le nom de Ripe délia Scaffa y n’est habité que par un très-petit nombre, quoique les fentes, les creux, les sail- lies de ces rochers dussent les attirer, en leur offrant des retraites aussi sûres que com- modes. 20 VOYAGES J’ai fait souvent cette remarque dans les Apennins : je rencontrais des rochers inacces- sibles dont ces hirondelles semblaient s’éloigner, aimant mieux s’établir dans les bourgs et les vil- lages des environs. Je me rappelle qu’allant à Rome en 1788 , et passant par Foligno (c’était au mois de juillet), jJapperçus sous les avant-toits des maisons de cette ville , une foule de nids construits par ces oiseaux : ce qui me frappa d’autant plus que les montagnes d’alentour ne m’en avaient pas offert un seul* Voici une autre observation qui date de mon séjour à Fanano , gros bourg situé dans l’Apen- nin de Modène. Parmi les rocs escarpés qui do- minent ce bourg , plusieurs étaient devenus le domicile d’une multitude d’hirondelles de fenê- tre ; sans doute , toutes celles du pays pouvaient également donner la préférence à ces habi- tations sauvages , et les maisons de Fanano comme celles de Nantua , auraient dû se trou- ver délaissées par elles : cependant Fanano avait aussi ses commensales , dont le nombre n’était pas moins considérable. Je conclus de-là que cette espèce ne préfère point les solitudes aux lieux habités par les DANS LES DEUX SICILE S. 21 hommes ; si elle s’en éloigne, c’est à cause de quelque circonstance locale , telle que la rareté des subsistances. Montbeillard observe qu’elle arrive en France huit ou dix jours après l’hirondelle domestique , et que les premiers jours elle se tient sur les eaux et dans les endroits marécageux. En Ita- lie, sa venue suit de même celle de l’hiron- delle domestique ; mais au lieu de s’arrêter à voltiger sur les eaux, elle se porte immédia- tement au nid. C’est ainsi du moins qu’elle fait à Pavie , et en cela , elle diffère de l’hirondelle domestique qui voltige plusieurs jours autour de son manoir avant d’y entrer. Quant aux variations de la température, et à leurs effets sur ces oiseaux, ce que j?ai dit des uns convient aux autres : si le froid dure long- temps, l’hirondelle de fenêtre comme l’hi- rondelle domestique s’éloigne de nous 5 si le froid n’est que passager , elle reste. On a dit de celles gui se retirent parmi les rochers et dans les solitudes , qu’elles se cons- truisent chaque année un nouveau nid. Je n’ai pas eu l’occasion de m’assurer de ce faitj mais à l’égard des autres qui ont choisi nos maisons pour demeure, je puis certifier que le même nid VOYAGES 22 leur sert plusieurs années. L’observation en a été faite par différentes personnes et en divers lieux. Linné raconte que les moineaux s’emparent quelquefois du nid de ces hirondelles ; mais il ajoute comme une vérité reconnue , que les hirondelles ainsi chassées de chez elles, appel- lent au secours leurs compagnes ; que les unes retiennent l’ennemi prisonnier, tandis que les autres, fermant promptement avec de l’argile l’entrée du nid , y claquemurent l’usurpateur , qui périt bientôt de suffocation (1). Cette histoire assez jolie, a été adoptée par son laborieux commentateur Gmelin 5 mais elle n’en est pas moins fabuleuse. A la vérité, il n’est pas rare que des moineaux , avant l’ar- rivée de ces hirondelles, aient déjà pris pos- session de leurs nids; mais qu’en résulte-t-il? que les maîtres légitimes font d’abord du train, vont et viennent autour des moineaux, se pren- nent de querelle avec eux , et finissent par leur céder la placer D’ailleurs , les additions que les moineaux sont obligés de faire à ces nids, les- quelles consistent en brins de paille , de bois , en fils d’étoupe, de coton , &c. les rendent dé- fi) Systema natiirœ. Hiu urbica, Linn, DANS LES DEUX SICILE S. $3 sormais inutiles aux hirondelles , qui ont les jambes trop courtes pour s’en accommoder. La configuration , la structure des nids des oiseaux , font une partie intéressante de leur histoire. Chaque espèce construit le sien sur un modèle qui lui est propre , qui ne change ja- mais , et se perpétue de génération en géné- ration. La forme des pieds , celle du bec sont avec les moyens donnés pour en faire usage , les types de ces industrieux ouvrages. Les hi- rondelles domestiques, et celles de fenêtre, y emploient à-peu-près les mêmes matériaux , c’est-à-dire , de la terre , des fétus de paille et des plumes 5 mais elles ne leur donnent pas la même figure : c’est bien toujours un segment de sphère , mais ce segment est plus grand dans le nid de l’hirondelle de fenêtre , et l’ouverture est en même temps plus étroite. Montbeillard assure qu’il a trouvé des pu- naises dans les nids des hirondelles de cette der- nière espèce. J’ai fait la même observation ; pres- que tous ceux que j’ai examinés, contenaient plus ou moins de ces insectes , et j’en ai compté jusqu’à quarante-sept dans un seul nid. Ils m’ont paru tout-à-fait semblables à ceux qui infestent souvent nos maisons. Ils se tiennent dans la pous- sière qui garnit le fond de ces nids , et regor- V O Y AGE S 24 gent de sang, sans doute de celui qu’ils sucent aux hirondelles , et sur-tout aux petits qui ne peuvent leur échapper tant qu’ils n’ont pas d’ai- les, mais qui n’en restent pas moins gros et gras. Cette poussière dont j’ai parlé, est recou* verte d’un lit de plumes fines, comme on en voit dans les nids des hirondelles domestiques et de plusieurs autres espèces d’oiseaux. Ces plumes sont évidemment destinées , non - seulement à fomenter et à conserver la chaleur pendant la couvée, mais encore à supporter moelleusement je corps tendre et délicat des nouveaux nés. Une maçonnerie de terre sert de fondement au nid, et en forme l’enceinte. L’hirondelle de fenêtre va ramasser cette terre sur le hord des rivières, des ruisseaux , des étangs $ elle recueille dans les lieux secs, les brins de paille et de bois, dont elle tapisse les parois intérieures de sa couche. Quant' aux plumes, elle les saisit dans les airs, courant après celles qui se détachent de divers oiseaux, et sont le jouet des vents. J’ai été témoin oculaire de ces petites chasses, et j’ai appris d’elles , étant encore très-jeune, l’art de tromper l’hirondelle et de la saisir elle- même avec sa capture. J’avais un brin de bouleau de la longueur d’un pouce 3 je l’enduisais de DANS LES DEUX S I C I L E S. 25 glu , et j’y appliquais en travers une plume très- légère ; puis je montais sur le faîte d’une maison , autour de laquelle voltigeaient ces oiseaux. Là , je donnais un souffle à la plume , qui , en s’é- loignant , descendait lentement , ou plus sou- vent encore , s’élevait suivant l’impulsion du vent. L’hirondelle ne manquait pas d’accou- rir; et saisissant la plume avec son bec , elle engluait ses ailes, et tombait à terre. Souvent en moins d’une heure , j’en attrapais plusieurs dixaines 5 mais ce qui me divertissait le plus , c’était l’étonnement des spectateurs qui, igno- rant le piège , ne pouvaient concevoir com- ment ces oiseaux tombaient au simple attou- chement d’une plume nageant dans les airs. On sent bien qu’ils ne se laissent prendre ainsi que dans le temps où ils sont occupés de Par- rangement de leurs nids > dont ils renouvellent les plumes chaque année ; pendant l’incubation , ils n’en ont que faire , et ne courent plus après elles. Ils pondent pour l’ordinaire trois fois par an , en mai , en juin et en juillet. Montbeillard , qui a fait cette observation avant moi , dit que la première ponte est de quatre ou cinq œufs , la seconde , de trois ou quatre , la troisième', de deux ou trois. Cela peut être vrai dans quel- Tome VI \ G VOYAGES 26 ques circonstances particulières , mais la règle n’est pas générale. Pendant plusieurs années con- sécutives, j’ai épié le nombre des œufs de la première , seconde et troisième ponte , et j’ai vu que ce nombre , le plus souvent de cinq ou six œufs , est à-peu-près égal dans les trois pontes. Me trouvant à Scandiano en 1796, je visitai vers la fin de juillet plus d’une cen- taine de nids que ces oiseaux avaient attachés aux murs du couvent des Capucins , et qui for- maient aux expositions du nord, de l’est et du sud , comme une espèce de cordon. Je fis deux remarques : la première que les petits avaient acquis à-peu-près toute leur maturité , quoi- qu’ils fussent encore sous l’aile de la mère 5 car en visitant leurs nids l’un après l’autre , d’un vol ferme et rapide ils s’enfuirent presque tous à mon approche ; la seconde , que chaque nichée était composée de quatre , de cinq, et quelque- fois de six petits. Je n’ai pas tenu note du temps nécessaire à l’incubation 5 mais je ne croîs pas me tromper beaucoup en fixant sa durée à un peu moins de quinze jours : il n’en faut guère davantage pour l’éducation de la famille, puisque les mères pondent trois fois dans l’espace de trois mois. Montbeillard dit que ces oiseaux ne construi- DANS LES DEUX SICILE S. X>7 sent, que très-rarement leurs nids dans rinlérieur de nos maisons , et cela est vrai. Tant de confiance et de familiarité n’appartient qu’aux seules hiron- delles domestiques. Mais il ajoute que l’affection des hirondelles de fenêtre pour leurs petits , dépend en quelque sorte du local, et voici l’ob- servation sur laquelle il fonde son sentiment : ayant fait détacher du haut d’une fenêtre un nid contenant quatre petits nouvellement éclos, et l’ayant laissé sur la tablette de la même fe« nêtre , les père et mère qui passaient et repas- saient sans cesse , voltigeant autour de l'en- droit où l’on avait été le nid , et qui nécessai- rement le voyaient et entendaient le cri d’ap- pel de leurs petits , ne parurent point s’en occuper. Je ne sais d’où'provenait cette insouciance , mais je ne puis la rapporter à une cause pu- rement matérielle 5 peut-être était-ce la crainte des hommes , le nid se trouvant sous les yeux de quiconque s’approchait de la fenêtre , allait ou venait dans la chambre 5 peut-être toute autre circonstance dont l’observateur ne se dou- tait pas. Quoi qu’il en soit , j’atteste qu?ayant plusieurs fois placé dans une cage différens nids de ces hirondelles avec les petits , et suspendu la cage dans le voisinage de l’endroit où exis- C 2 VOYAGES 28 taient les nids , j’ai vu constamment les père et mère leur porter la becquée , même au- delà du temps où ils auraient été en état de prendre leur vol. Cet amour pour leurs petits ne dépend donc pas du local ,* mais il tient aux besoins des enfans par des rapports étroits et immédiats. Ces oiseaux sont naturellement portés à ai- mer la société ; ce qu’ils prouvent en construis sant plusieurs nids dans le même lieu , et non loin les uns des autres quand les circonstances le permettent. Ils sont frileux : au milieu même de l’été , ils s’assemblent de bon matin sur les cordons des tours , des hautes maisons , du coté du levant , pour jouir de la chaleur des pre- miers rayons du soleil. Vers le commencement de l’automne, et quand il survient des pluies accompagnées d’un vent froid, tous ceux du canton , ou du moins la plus grande partie , vont y chercher un abri contre l’eau et le vent $ ils se serrent , se pressent les uns contre les autres , et sont tellement engourdis , que lors- qu’on peut arriver jusqu’à eux, il n’est pas difficile de les prendre avec la main : c’est ce que j’ai éprouvé moi-même pendant plusieurs années de suite , eu montant au faîte d’une haute tour située sur un rocher dans le pays de DANS LES DEUX SICILE S. 29 Modène, et entourée à son sommet d’un large cordon qui, du côté du sud et de l’ouest, se garnissait d’hirondelles quand la pluie venait du nord ou du nord-est. Ce cordon était en- trecoupé de fenêtres accessibles , par lesquelles je passais adroitement la main, et la retirais presqu’à chaque fois avec une poignée de ces pauvres oiseaux tout transis. J’observais que la plupart avaient la tête cachée sous l’aile , et appuyée sur le dos comme s’ils dormaient. Ce- pendant ils se sauvaient très-bien quand je me contentais de les troubler dans leur asyle , et leur vol ne manquait pas alors de rapidité. Après le temps des pontes, ils continuent de rester dans le pays; les uns passent la nuit dans leurs nids, les autres dorment sur les roseaux des marais , en compagnie avec les hirondelles domestiques. Vers la mi-septembre, ils disparaissent sans qu’on les voye s’assembler pour le départ ; c’est une chose rare d’en rencontrer encore quel- ques-uns au commencement de l’hiver, et ceux- là périssent infailliblement. Cependant on trouve dans l’ouvrage de Montbeîllard deux observa- tions qui prouvent que ces oiseaux ne suivent pas par-tout les mêmes habitudes. Dans la Brie, par exemple, Hébert avait une maison que ceux C 3 3o VOYAGES du canton prenaient pour rendez-vous general, et où ils se réunissaient en grand nombre pour par- tir ensemble 3 et Lottinger en a vu qui, quelques jours avant leur départ, s’exerçaient au vol, en s!élevant presque jusqu’aux nues (1). Les cir-î constances locales de chaque pays sont peut** être la cause de ces différences : on sait en gé«> néral combien elles modifient les habitudes des animaux. Je n’ai pas pris les précautions nécessaires pour m’assurer si les mêmes couples reviennent chaque printemps aux mêmes nids 5 mais j’ai ré- pété une expérience dans ce genre , non moins intéressante et connue depuis long-temps. Pour (1) « M. Hébert avait en Brie une maison qu’elles » prenaient tous les ans pour leur rendez-vous général. » L’assemblée était fort nombreuse , non- seulement parce » que l’espèce l’est beaucoup par elle-même , chaque » paire fàisant toujours deux, et quelquefois trois pontes; » mais aussi parce que souvent les hirondelles de ri- » vage , et quelques traîneuses de l’espèce domestique, » en augmentaient le nombre. Elles ont un cri^ parti- » culier dans cette circonstance , et qui me paraît être » leur cri d’assemblée. On a remarqué ( Lottinger ) » que peu de temps avant leur départ , elles s’exercent » à s’élever jusqu’aux nues , et semblent ainsi se pré- » parer à voyager dans les hautes régions » . Montbeil lard , Histoire naturelle des Oiseaux . BANS LES DEUX SICILE S. 01 recevoir très- promptement des nouvelles d’un ami éloigné, on lui envoyait en cage une hiron- delle saisie sur le nid pendant l'incubation : l’a- mi lui rendait la liberté , après avoir noué à ses pieds un fil dont les diverses couleurs exprimaient un langage de convention. L’oiseau impatient de revoir son nid chéri , y revenait avec une célé- rité extrême , apportant la réponse qui lui était confiée. Pline en cite plus d’un exemple. Sans avenir de nouvelles lointaines à donner ou à recevoir, et ne voulant que m’assurer du re- tour de ces messagers ailés , voici comment je procédais à l’égard de quelques hirondelles de fenêtre dont les nids étaient attachés aux murs d’une maison de campagne, où j’habitais alors, près de Modène. Après leur avoir coupé le bout de la queue pour les reconnaître aisément, je les faisais porter à Reggio , distant de six milles, chez une personne de confiance , qui les lâchait aussi-tot : attentif à leur retour , je ne tardais pas à les voir accourir, portant à leur bec les mou- cherons qu’elles avaient attrapés en route , im- patientes de soulager la faim de leurs petits , et pleines de joie de les retrouver vivans à la même place. A ce propos, je raconterai un petit événement qui s’est passé dans le couvent des Capucins de C 4 VOYAGES 52 Vignola , situé à quinze milles de Modène. Ces religieux avaient coutume de régaler chaque année un habitant de cette ville 5 de quelques douzaines de jeunes hirondelles prises dans les nids du couvent 5 et pour qu’elles ne leur échappassent pas , ils en faisaient la chasse à la nuit tombante. Une fois l’homme chargé de les porter à Modène , s’étant mis en marche aus- si-tôt après leur capture , eut la mal-adresse de les laisser évader tout près de la ville. Le pre- mier usage qu’elles firent de leur liberté , fut de retourner à Vignola a où elles arrivèrent avant le jour et au moment que les Capucins étaient assemblés dans le chœur» Les cris tumultueux de ces oiseaux , autour du couvent et à une heure où ils n’ont pas coutume de chanter 3 piquèrent la curiosité des religieux 3 qui étant allés visiter après l’office les nids qu’ils avaient dévastés la veille 3 ne furent pas peu surpris de les retrouver peu- plés comme auparavant. Ce fait 5 qui m’a été certifié par des témoins oculaires et dignes de toute confiance 5 suppose cependant que ces jeunes hirondelles avaient parmi elles pour les guider 5 des pères ou mères , pris par hasard x et confondus dans la chasse nocturne des reli- gieux $ sans cela 3 n’étant point orientées dans le DANS LES DEUX SICILE S* 33 pays , comment auraient- elles d’elles - mêmes , et sur -tout pendant la nuit, effectué leur re- tour ? Dans le temps que je demeurais à Modène , je fis transporter à Boulogne, c’est-à-dire à la distance de vingt milles , une hirondelle de fe- nêtre, occupée à couver ses oeufs ; en calculant le temps qui s’écoula entre le moment où elle fut relâchée, et celui où elle arriva au nid, je trouvai qu’elle n’avait employé que treize minu- tes. Le signe de reconnaissance était un fil de soie rouge qu’elle portait au pied, J’avais un ami à quinze milles de chez moi ; je répétai avec lui pendant les années suivantes, les mêmes expériences. Je lui envoyais des cou- veuses qui , recevant de ses mains la liberté , ne manquaient jamais de revenir au dépôt de leurs affections. Moi-même, je voulusun jour me char- ger des fonctions de mon ami , et devenir leur libérateur , pour examiner le vol et la direction qu’elles prenaient. A peine sorties de mes mains , elles s’élevèrent en l’air, jetant un crid’alégrese ; puis à la manière des faucons, elles firent des roues, d’abord étroites, ensuite très -larges, montant ainsi à une grande hauteur : alors elles prirent leur vol dans la direction du lieu où elles avaient leurs nids, et je les perdis de vue, Il esç VOYAGES 34 évident que ces oiseaux délivrés de leurs chaînes, et redevenus maîtres des espaces aériens , s’éle- vaient pour reconnaître le pays, et qu’attendu la grande finesse de leurs yeux , ils découvraient de cette hauteur le site de leurs amours 5 les re- gards constamment dirigés de ce côté , et les ailes tendues, sans hésiter, sans se dévier de la route la plus droite , ils avaient bientôt rejoint leur petite famille délaissée. Ceci nous explique pourquoi les hirondelles de cette espèce, et d’autres, à leur départ de certains pays de l’Europe, s’élèvent à une hauteur très- supérieure à celle où ils ont coutume de se mouvoir autour de nos maisons : leur instinct, en cette occasion, excité par des circonstances locales, dérive indubitablement de la puissance de leur vue; cette faculté les guide dans la route aé- rienne qu’ils doivent parcourir ; elle les empêche de s’égarer, et les conduit au terme de leurs voyages. Je suis persuadé que les martinets, dont je parlerai dans le Mémoire suivant , arrachés de leurs nids pendant le temps de l’incubation ou de l’éducatiôn de leurs petits , ne sont pas moins fidèles à l’instinct maternel ; et comme ils sont doués d’un vol très-supérieur à celui des deux espèces précédentes, au point de parcourir en DANS LES DEUX SICILE S. 35 tin quart-d’heure, ainsi que les milans et autres oiseaux de haut vol , un espace de soixante milles , ils pourraient à une distance considé- rable , porter des nouvelles intéressantes avec plus de célérité et non moins d’exactitude , et devenir ainsi des messagers de l’amour et de l'amitié. Pendant que je me livrais à ces délassemens philosophiques , j’éprouvai une colombe de l’es- pèce des bisets , ayant deux petits à qui elle donnait la becquée. Elle fut transportée à six milles de distance , mais elle ne revint point. Mise en liberté , elle ne se dirigea pas en haut comme l’hirondelle, mais dans son vol tout-à- fait irrégulier , s’élevant à peine au-dessus de la sommité des arbres , bientôt elle s’éloigna de la vue de celui qui avait eu la commission de la relâcher. La raison de cette différence est manifeste : le biset est un oiseau sédentaire qui s’écarte peu du berceau de son enfance; si quel- quefois il dirige son vol à une certaine hauteur, il ne sort point cependant des limites étroites du pays natal ; l’hirondelle au contraire , oiseau de passage , munie de longues ailes , et par con- séquent douée d’un vol rapide , qu’elle peut porter aussi haut qu’il lui plaît , parvient , des régions supérieures où elle s’élève , à voir , à 56 VOYAGES reconnaître le pays , le lieu , la place où elle a sa famille naissante. J’ai ajouté pour condition la force du vol , parce qu’il me paraît qu’être simplement oiseau de passage , ne suffit pas pour remplir toutes les données du retour à travers de six grands es- paces : autrement , on devrait en dire autant des cailles, des rossignols, des fauvettes à tête noire, des loriots , &c. ce qui n’est point probable. Je reviens à nos hirondelles. On a vu com- bien elles se ressentent d’un froid léger , comme est celui des premières pluies d’automne , le thermomètre marquant alors dix degrés au-des- sus de la glace. On croirait en conséquence qu’elles doivent périr par un froid plus aigu , par exemple , celui de la congélation. Il n’en est rien pourtant. Voici à ce sujet, les résultats de deux expériences, suivant les procédés ex- posés dans mon premier Mémoire. Un de ces oiseaux soutint pendant dix minutes le froid à treize degrés au-dessous de la glace y ses plu- mes hérissées , ses ailes tombantes manifestaient toutefois l’abattement de ses forces 5 onze mi- nutes de plus lui ôtèrent la vie. Un autre , éprouvé le même jour, c’était le dix de mai, donna des signes de défaillance au bout de quinzeminutes, par treize degrés et demi au-dessous de la glace $ DANS LES DEUX SICILE S. Sj dix minutes de plus le firent tomber en agonie $ dix minutes encore , et il expira. Ces faits prouvent que cette espèce peut ; comme la précédente , supporter les rigueurs du froid, quand elles ne sont pas excessives. 58 VOYAGES TROISIÈME MÉMOIRE. Sur le martinet y hirundo apus. Linn. Cette espèce est plus grosse que la précédente $ elle a la gorge blanche, et le reste du plumage noir. Aristote emploie le mot générique apodes , pour désigner toutes les espèces d’hirondelles , non que l’on crût alors que ces oiseaux manquas- sent de pieds , mais parce qu’ils s’en servent très- peu. Linné a conservé. cette qualification, en la restreignant aux sçuls martinets. Les hirondelles domestiques , comme nous l’avons dit, arrivent les premières en Lombardie 3 au bout de huit ou dix jours, elles sont suivies des hirondelles de fenêtre • les martinets vien- nent ensuite, et commencent à paraître vers le cinquième ou sixième jour d’avril, mais en très- petit nombre 5 ce n’est que sur la fin du même mois que tous les domiciliés du pays s’y trouvent réunis. De ces oiseaux de passage , ils sont ainsi les derniers arrivés 5 au reste , ce retard ne pro- vient point de ce qu’ils sont plus sensibles au froid que les autres, et nous verrons dans la suite jusqu’à quel point ils peuvent le supporter DANS LES DEUX SICILES/ 5g sans périr : mais ils ne sauraient rencontrer dans les airs les insectes dont ils se nourrissent , que lorsque le printemps est avancé, et ce besoin de première nécessité devient leur véritable guide. En effet, parmi cette immense tribu de petits êtres, les uns existent pendant l’hiver, mais ils sont engourdis par le froid et immobiles à la sur- face de la terre 5 les autres naissent au prin- temps. Ceux ensuite qui sont ailés ne s’élèvent à ces hauteurs où les martinets ont coutume de voler , que lorsque l’atmosphère y est suffisam- ment échauffée > ce qui arrive chez nous vers la fin d’avril , époque où ces oiseaux font leur ap- parition : par la même raison ils la font plutôt ou plus tard, selon que la contrée qu’ils vien- nent habiter est plus ou moins voisine des ré- gions du sud. A leur retour , au printemps , les martinets prennent possession des domiciles qu’ils avaient adoptés les années précédentes 3 j’en ai eu la preuve : deux de ces oiseaux nichaient chaque année dans une des tours de Pavie , où iis avaient choisi un trou de muraille peu élevé de terre 3 les ayant pris sur le nid, je nouai à leurs pieds un fil de soie cramoisie 5 l’année suivante , j’eus le plaisir de revoir l’un d’eux avec sa marque 3 l’autre ne parut point , ce que j’attribuai à un VOYAGES 4 O accident imprévu , plutôt qu’à une infidélité volontaire envers son compagnon. Les J.rous3 les crevasses des murailles , les avant- toits des maisons couvertes de tuiles y sont les asyles naturels où ces oiseaux se plaisent à cons- truire leurs nids ; mais il est chez nous des retraites artificielles que leur a préparées la main des hommes. Dans la plupart de nos colombiers , outre les larges cellules destinées aux pigeons * on pratique de petits trous disposés horizonta- lement y et formant quelquefois deux rangées circulaires l’une au-dessus de l’autre , qui tra*- versent l’épaisseur du mur , et dont le fond est plus large que l’entrée. Ces trous ont une porte en dedans du colombier , laquelle n’est souvent qu’une brique mobile , ou un petit guichet de bois 5 et l’on peut , soit debout > soit au moyen d’une échelle 5 visiter à toutes les heures du jour les martinets qui en prennent possession en y établissant leurs nids. C’est à la faveur de ces colombiers qu’il m’a été permis d’entreprendre sur des oiseaux aussi amoureux de leur liberté et de leur indépendance ^ une suite d’observa- tions qui eussent été impraticables sans l’avan- tage du lieu. Quant à leurs nids > ils en usent comme les hirondelles de fenêtres ; si on leur ôte l’ancien , ils DANS LES DEUX SICILES. 4% ils en fabriquent un nouveau ; si on le laisse à leur disposition , ils s’en servent plusieurs années de suite. Le tissu de ces nids, les matériaux dont ils sont composés , méritent une description par- ticulière. J’en ai examiné plusieurs; il me suffira d’en décrire un pour les faire tous connaître. Celui que je prends pour exemple présentait une cavité alongée, dont le plus grand diamètre avait quatre pouces trois lignes , et le plus petit trois pouces et demi. Il -pesait trois cent qua^ rante-deux grains. Son extérieur était revêtu des excrémens même de l’oiseau , c’est-à-dire de quelques parties d’insectes non digérées , comme des débris de jambes , de têtes , d’ajles membraneuses , &c. Son intérieur était encore en partie composé de ces matières unies à des brins de bois , de paille , et le tout revêtu de plumes , et de cette espèce de coton que les peupliers produisent au printemps ; mais ces diverses matières , trop incohérentes entr’elles , n’eussent pas eu la consistance nécessaire pour former un nid , sans le secours d’une substance propre à les lier , à les coller, pour ainsi dire, les unes avec les autres. Cette substance , le martinet lui-même la fournit ; elle consiste en une humeur visqueuse, de couleur cendrée, qui enduit constamment la gorge et le bec de cet oiseau , et lui sert comme de glu pour attraper Tome VI. D 4 2 VOYAGES les insectes. Cette humeur, déjà durcie, luisante, et conservant sa couleur naturelle , pénètre le nid de toutes parts, lui donne delà consistance, et même de l’élasticité; on peut le comprimer entre les mains , le rapetisser sans le rompre ; quand la compression cesse , il reprend sa pre- mière forme. Les excrémens dont le martinet se décharge dans la demeure qu’il a choisie, sont déjà des matériaux à sa portée , et tout prêts à être mis en œuvre. En parcourant les airs , il recueille le coton des peupliers qui voltige çà et là en flocons blancs dans les cantons où il y a de ces arbres. Plus d’une fois je l’ai vu courant après ces duvets légers, et saisissant en même temps les plumes qui s’offraient sur son passage. Cet instinct me rappelle les pièges que je tendais à l’hirondelle de fenêtre; je m’en suis servi pour attraper le martinet, mais avec un succès moins heureux ; et quoique la petite baguette de glu portée par la plume , restât attachée à son corps , cependant il ne tombait pas toujours à terre, grâces à la vigueur et à la force de ses ailes. Je ne sais si tout le monde connaît un moyen cu- rieux et bien simple de faire approcher ces oi- seaux , moyen qui ne réussit point à l’égard des autres espèces d’hirondelles. U consiste à agiter DANS LES DEUX SICILE S. 45 avec la main un mouchoir hors d’une fenêtre près de laquelle les martinets volent ; le jeu a plus d’efFet si l’on fait voltiger le mouchoir au bout d’une perche. Alors ils ^élancent vers ce fantôme , et l’effleurant de leurs ailes , ils passent outre , emportés par l’impulsion de leur vol ; ou bien , changeant de direction , ils fléchissent de côté 5 le moment après ils y retournent , puis s’en éloignent de même , allant et venant conti- nuellement à la rencontre de l’objet qui ofFusque leur vue. Les chasseurs pratiquent souvent cet artifice pour faire arriver les martinets à la portée de leurs armes 5 quelquefois ils se contentent de jeter à plusieurs reprises un chapeau en l’air , ce qui leur réussit également. Je ne saurais dire par quelle cause ces oiseaux sont attirés vers de semblables objets , si c*est par l’habitude naturelle de s’élancer sur les in- sectes qui voltigent dans l’air ^ ou s’ils pren- nent ces objets pour quelqu’oiseau nuisible, ayant observé qu’ils poursuivent avec animosité , et pendant un certain espace , les faucons , si par hasard il en passe dans le voisinage de leurs do- miciles. Quoi qu’il en soit , je me servais de ce moyen pour les faire venir à moi, au sommet d’une tour, ou à une fenêtre élevée , et profitant de ce moment , je leur lâchais dans bair des D 2 V O Y A G È S 44 plumes légères , qu’ils ne manquaient pas de prendre pour les porter à leurs nids ; mais après le temps de la ponte, ils ne se souciaient plus de ces plumes , parce qu’elles leur devenaient inu- tiles : j’ai fait la même observation sur les hi- rondelles de fenêtre. En quelques pays , on faisait anciennement la chasse aux martinets d’une manière analogue à la mienne. Belon raconte que dans l’île de Zante,îes enfans prenaient ces oiseaux au moyeu d’une plume sous laquelle était caché un hame- çon 5 ils attachaient cette plume à un fil suspendu au bout d’un bâton, et l’agitant dans l’air, ils atti- raient les martinets, qui, voulant happer la plume pour la porter au nid, restaient eux-mêmes pris à l’hameçon. En allant à Constantinople en 1786, je relâchai dans cette île le 2 4 septembre ; à cette époque , les martinets en avaient émigré 5 mais j’appris que la chasse dont parle Belon y était tombée en désuétude. Le même auteur rap- porte une autre chasse qui se pratiquait de son temps dans l’île de Candie. Au lieu de plume , on se servait d’une cigale vivante, en lui passant à travers le corps une petite aiguille recourbée en forme d’hameçon ; ainsi armé et lié à l’extré- mité d’un long fil tenu par la main du chasseur, l’insecte ailé s’envolant dans les airs , devenait DANS LES DEUX SICILE S, 45 bientôt la proie du martinet , qui lui-même res- tait celle de l’homme. Mais ici l'instinct seul de sa propagation n’attirait pas l’oiseau dans le piège j il ne cherchait pas la cigale afin de se servir de son corps comme de matériaux pour la construc- tion de son nid , mais afin de la manger, attendu que cet insecte ne sort de terre que lorsque la saison est très-chaude , et long-temps après la ponte des martinets. J’ai fait plus haut la description d’un de leurs nids, qui suffit pour donner une idée des autres , autant que ce travail leur appartient exclusive- ment 5 mais souvent ils y concourent moins que les moineaux. J’ai vu des nids de ces derniers rajustés par les martinets pour leur propre usage, soit qu’ils les eussent trouvés au gîte qu’ils avaient adopté précédemment , soit qu’ils eussent voulu s’épargner la peine d’en refaire un tout exprès. Des brins de fils de chanvre, de petits paquets de laine ou d’étoupe, des fétus de paille , des plumes , en formaient le tissu ; mais le gluten des martinets , semblable à un vernis , dur y élastique , de couleur cendrée et semi-transpa- rent, en revêtait l’intérieur. Façonnés par ces nouveaux ouvriers, ces nids ne retournaient plus à leurs anciens maîtres : ils restaient la propriété des martinets. DS VOYAGES 4S Les auteurs qui ont écrit sur les habitudes de ces oiseaux 3 disent tous qu’üs se plaisent à établir leur manoir à de grandes élévations 5 en effet j ceux qui habitent les tours de Pavie n’en occupent pour l’ordinaire que le milieu et le sommet 3 et se nichent dans les trous qui ont servi pour les échafaudages. Cependant cette règle n’est point générale ; on voit dans la même ville , sous les arches du pont du Tésin , et à quelques pieds seulement au-dessus du ni- veau du fleuve , plusieurs nids de martinets 5 souvent , de deux édifices voisins 3 le moins élevé est celui auquel ils dorment la préférence. En général , les édifices situés au bord des rivières ou sur des éminences , environnés d’un grand espace d’air libre que les arbres n’in- terceptent pas , et où ces oiseaux peuvent décrire sans obstacle les cercles mobiles et fugitifs de leur vol , sont ceux dont ils aiment à prendre possession. Voilà pourquoi nos co- lombiers 3 placés dans l’un ou l’autre de ces deux sites 3 sont les plus fréquentés par ces oi- seaux , quel que soit d’ailleurs l’aspect du ciel a car ils nichent également bien à toutes les expositions. Comme on ne les voit point se poser ni à terre , ni sur les arbres 5 on a conclu qu’ils s’ac- BANS LES DEUX SICILE S. 47 couplent dans leurs nids. L’avantage de les tenir, pour ainsi dire , sous mes regards dans un de ces colombiers dont j’ai donné la description , m’a mis à portée d’éclaircir le fait. Quand ces oiseaux arrivent au printemps , ils sont presque tous appariés , ainsi le mâle et la femelle se rencontrent souvent au gîte à certaines heures du jour, sur-tout un peu avant la nuit. Pour ne pas troubler les miens , je les épiais par un petit trou pratiqué dans le guichet qui fermait leur cellule. Plus d’une fois j’ai vu le mâle couvrir la femelle , et en user à-peu-près comme les hirondelles de fenêtre ; excepté que cet acte chez eux est de plus courte durée; Le mâle , dans ces doux momens , jette de petits cris dont l’expression est toute différente de celle des cris plus alongés, plus forts qu’ils poussent quel- quefois dans le nid , et qui s’entendent au loin pendant le silence de la nuit. Dès qu’ils sont entrés dans leur trou, une sorte d’inertie ou de stupeur semble les saisir. Qu’on les surprenne dans l’accouplement, ou dans l’in- cubation , ou occupés à donner la becquée à leurs petits, non-seulement ils ne fuient point l’aspect de l’homme , mais ils ne changent pas même de posture. Je pouvais lever la femelle de dessus ses œufs , la manier , la remettre à sa D 4 VOYAGES /O 4Û place , sans qu’elle témoignât le moindre désir de se sauver 5 tout au plus elle se blotissait dans un coin de la cellule, et y restait immobile. Si en ce moment le mâle arrivait du dehors, por- tant à manger à sa compagne , c’était la même stupeur qui le saisissait à l’entrée. Enfin quand je voulais les éloigner l’un et l’autre , j’étais obli- gé de les mettre dans la gaine de leur trou , et de les pousser pour les faire partir. Cette inertie n’est point sans doute une privation de l’instinct qui porte chaque animal à fuir les dan- gers , et à pourvoir à sa propre conservation ; elle est plutôt une conséquence des longues ailes et des pieds très-courts de cet oiseau , qui lui ôtent les moyens de se détacher facilement du plan sur lequel il se trouve posé» Parmi les sternes , qui habitent pour la plu- part la mer , il en est une que l’on désigne par fépithète de stupide (1) , parce qu’elle se laisse approcher et prendre avec la main : c’est qu’ayant les ailes très-longues , il lui faut plus de temps pour prendre son vol» Au reste, cette insouciance des martinets pour se soustraire au danger , cet abandon d’eux- mêmes ne les accompagne qu’au gîte, comme (1) Sternes stolida » DANS LES DEUX SICILES.' 49 s’ils pressentaient que dans un espace aussi étroit^ tout effort pour déployer leurs ailes serait inu- tile. Mais si on les pose sur le parquet très-uni d’une chambre vaste et bien éclairée , ils s’agi- tent pour se relever, et ils y parviennent, malgré ce qu’en disent Linné et d’autres naturalistes , qui leur refusent absolument ce pouvoir (1). D’abord , frappant subitement de leurs pieds contre terre, étendànt leurs ailes , et les battant l’une contre l’autre , ils se détachent du sol ; déjà ils peuvent décrire une roue basse et courte , puis une seconde plus large et plus élevée, puis une troisième, et les voilà devenus maîtres de l’air. J’ai fait dans une chambre cette expérience sur plus de dix individus , tant jeunes que vieux, et j’en ai même laissé deux s’envoler par la fenêtre. Il faut convenir cependant que si par hasard ces oiseaux s’abattent dans jun lieu fourré , couvert de buissons ou de hautes herbes , ce sont pour eux des écueils insurmontables,par l’impossibilité où ils se trouvent de faire agir leurs ailes. L^irondelle domestique fait pour l’ordinaire deux pontes ; l’hirondelle de fenêtre en fait trois 5 le martinet une seule; il ne redouble que lorsque (1) «.In terram decidentes non avolant ». Systema nat9 ïiirundo apus , 30 VOYAGES la première couvée est venue à mal , par des froids de mai qui font périr les petits dans la coquille , ou à peine éclos. Les œufs ne sont ni moins de deux , ni plus de quatre. La femelle prend elle seule le soin de les couver. Le mâle lui donne à manger quatre ou cinq fois le jour, en dégorgeant dans son bec une becquée d’in- sectes , tels que des fourmis ailées , des mouches de diverses espèces , des papillons, &c. Vers la fin du jour , ces oiseaux prennent une allure qui a souvent excité ma curiosité. Après avoir bien tourné autour des clochers , des co- lombiers, et autres édifices où ils ont leurs nids, et toujours en poussant des cris aigus , on les voit s’élever à des hauteurs plus qu’ordinaires, continuant de remplir l’air de leurs voix reten- tissantes. Divisés par petites bandes de quinze, de vingt , et quelquefois davantage , ils se di- rigent vers les campagnes , et bientôt ils dispa- raissent totalement ÿ alors on n’entend plus que le chant entrecoupé de’s femelles qui restent dans Les nids. Ce phénomène arrive constamment chaque soir, vingt minutes environ après le cou- cher du soleil. Le lendemain ils ne manquent point de revenir auprès de leurs habitations. Voulant les observer à leur retour , je me plaçâi au faîte d’une des DANS LES DEUX SICILE S. 5l maisons les plus élevées de Pavie , en devançant d’une heure et demie l’aurore. Déjà le soleil pa- raissait à l’horizon sans que j’apperçusse un seul martinet, douze minutés après j’entendis les cris de ces oiseaux , et les vis comme des points noirs dans le ciel • bientôt ils s’abattirent sur les tours de la ville , et recommencèrent leurs circuits or- dinaires. Ils ne descendirent point des airs comme ils s’étaient élevés la veille, c’est-à-dire, par bandes, au contraire ils étaient tous éparpillés 3 mais ils se réunirent lorsqu’ils furent près de leurs habitations , chaque bande se rendant dans son canton respectif. Quand les petits sont éclos , la mère les couve encore pendant plusieurs jours , la chaleur de l’atmosphère ne suffisant pas dans nos climats pour exciter et entretenir la fomentation dont ils ont besoin. « Lorsqu’ils ont percé la coque, » dit Montbeiïlard , bien difFérens des petits des » autres hirondelles, ceux-ci sont, pour ainsi dire, » muets , et ne demandent rien. Heureusement » leurs père et mère entendent le cri de la na- ture, et leur donnent tout ce qu’il faut : ils »ne leur portent à manger que deux ou trois »fois par jour». Je ne puis accorder ces obser- vations avec les miennes. Pendant l’été de 178g , étant à Fanano , bourg situé dans les Apennins, 52 VOYAGES j’occupais une chambre élevée dont le mur était percé d’un trou à l’usage des martinets , et où ils nichaient chaque année. Ce trou communi- quait dans la chambre , et pouvait se fermer et s’ouvrir à volonté au moyen d’une brique mo- bile.'La nichée était composée de deux petits que je vis éclore. Rien ne m’était plus aisé que de suivre les allures du père et de la mère, qui ne s’effarouchaient nullement de ma présence. Chaque fois qu’ils entraient dans le trou et s’ap- prochaient du nid , je voyais les deux petits ou- vrir le bec pour recevoir la nourriture , et en ce moment je les entendais pousser un cri très- faible, à la vérité , mais sensible et soutenu pen- dant quelques instans. Ils eh faisaient autant avec moi quand je touchais du doigt leur petit bec y alors ils étaient tout-à-fait nus. Les hirondelles domestiques , ainsi que les hi- rondelles de fenêtre , portent à manger à leurs petits quatre , cinq , et même six fois le jour • les martinets en font de même à l’égard des leurs, et la nature n’a point refusé à ces derniers le cri d’appel qu’elle a accordé si généralement à tous les oiseaux qui couvent. Les petits ont-ils acquis assez de force pour n’avoir plus besoin d’être réchaufFés par leurs mères , celles-ci , vers la fin du jour , s’élèvent DANS LES DEUX SICILE S. 53 dans les airs avec les mâles* disparaissent , et ne reviennent au gî^e que le lendemain au soleil levant. Ces départs , ces retours périodiques ont lieu tant que ces oiseaux continuent d’habiter nos maisons. Montbeillard en parle lui-même , mais comme d’un phénomène qui s’observe seu- lement dans le mois de juillet, et quand les mar- tinets touchent à l’époque de leur émigration. Ce naturaliste est persuadé qu’ils vont passer la nuit dans les bois pour faire la chasse aux in- sectes 5 je doute qu’ils soient assez clair-voyans pour cela , et la raison de ce doute est dans le fait suivant. Quand je posais des martinets sur le parquet d’une chambre pour examiner com- ment ils se relèveraient , je ne pouvais plus les ravoir une fois qu’ils avaient pris leur essor, parce qu’ils se tenaient toujours à la plus grande hau- teur possible , en tournant autour du plafond de la chambre. Je trouvai alors un moyen bien simple pour les remettre en mon pouvoir : ce moyen consistait à obscurcir la chambre en fermant les volets des fenêtres. A l’instant , perdant la di- rection du vol , les martinets se heurtaient contre les murs et tombaient à terre. La privation to- tale de la lumière n’était pas même nécessaire pour les jeter dans cette confusion : j’ai fait la même épreuve sur les autres espèces d’hiron- delles. 54 Voyages Au reste , je ne prétends pas que ces oiseaux se trouvent dans une cécité absolue pendant la nuit 3 sur- tout quand le ciel est serein et que les étoiles brillent 5 autrement ils ne se confieraient point au vol; je dis seulement que leurs yeux me semblent incapables de discerner de petits insectes voltigeant la nuit dans les airs 3 et cette opinion est confirmée par une seconde obser- vation. Un jour, de grand matin 3 assistant sur une éminence au retour journalier des martinets, il m’arriva d’en tuer deux avec un fusil , au moment qu’ils descendaient des hauteurs de l’air pour se rendre à leur gîte. Les ayant ouverts, je trouvai leur estomac vide, à la réserve d’un résidu d’in- sectes méconnaissables par l’effet de la digestion, qui n’eût pas fait tant de progrès si ces alimens avaient été pris pendant la nuit : sans doute ils appartenaient à la pâture du jour précédent. Pour peu que l’on ait étudié les allures de ces oiseaux, on connaît aisément si leur vol n’est que de simple amusement , pour exercer leurs ailes, ou s’ils le dirigent pour saisir leur proie. Dans le premier cas, ce sont des courbes conti- nuelles qu’ils décrivent dans l’air, des cercles sans fin , autour des clochers , des colombiers , ou des lignes droites le long des maisons, en se réunissant par bandes , et poussant des cris BANS LES DEUX SICILE S. 55 aigus ; dans le second cas , ils ont une manière lente de nager dans Pair ; souvent ils ne bat- tent pas des ailes 5 ils entrecoupent leur vol , d’élancemens subits, à droite, à gauche, dans tous les sens ; ils sont solitaires et silencieux : voilà justement leur allure , quand te matin ils reviennent au gîte, peu après le lever du soleil 5 et les chasseurs , qui ne l’ignorent pas , pro- fitent de ce temps pour les ajuster plus aisé- ment. La raison qui détermine ces oiseaux à quitter leur manoir et à s’élever dans les airs vers le crépuscule du soir, habitude particu- lière à leur espèce, c’est qu’ils trouvent dans les régions supérieures une température moins chaude que dans les lieux bas ; amis de la cha- leur , cependant ils l’évitent quand elle est trop forte. Le temps requis pour l’émancipation des pe- tits, est assez long; ce n’est guère qu’au bout d’un mois qu’ils abandonnent le nid et se con- fient à leurs ailes, tandis qu’au bout de quinze jours, un moineau, un chardonneret, et même des oiseaux beaucoup plus gros , tels que les étourneaux, s’essayent déjà au vol et prennent leur essor. Cette loi de la nature s’étend aux autres espèces d’hirondelles , mais avec des gra- duations : par exemple , l’hirondelle domestique VOYAGES 56 jouit plutôt de l’empire de l’air que l’hirondelle de fenêtre , qui , avec une égale puissance , n’ose encore sortir de son nid, et le martinet plus ti- mide qu’elles deux , diffère plus long-temps cette époque de son indépendance. Il me semble voir la raison de ces différences : quoique la terre ne soit pas proprement le domaine de ces oiseaux , cependant l’hirondelle domestique s’y repose assez fréquemment , tantôt sur les grandes routes, tantôt sur les arbres , tantôt dans nos maisons sur les barres de fer i sur les corniches qui avoisinent son nid. Cette aptitude lui donne la facilité d’ins- truire pour ainsi dire ses petits au vol ; quand ils prennent leur premier essor , c’est elle qui les ra- mène au gîte, s’arrêtant et reprenant haleine quand il le faut; et ce qui prouveque dans les premières sorties, leurs ailes ne sont point encore entière- ment développées , c’est la lenteur de leur vol, et les soins de la mère qui continue de leur donner la becquée dans le nid. Au contraire , les petits des hirondelles de fenêtre , n’ayant pas au- tant de point d’appui sur la terre , ne se hasardent au vol que lorsqu’ils ont un sentiment plus étendu de leurs forces; cette nécessité est encore plus grande pour les martinets destinés à se soutenir plus long-temps dans les airs : aussi attendent-ils pour prendre leur essor, que leurs ailes soient entièrement formées. J’ai comparé les pennes d’un BANS LES DEUX StCÎLËS: Sf d’an adulte s’échappant du nid , avec celles du père et de la mère , je n’ai trouvé aucune diffé- rence pour la longueur 5 son vol était aussi ra- pide ; posé à terre , il parvenait à se soulever en battant de l’aile, et gagnait aux champs. Cet instinct de ne sortir du nid qu’avec la sé- curité du vol, instinct accordé par la nature à ces enfans de l’air, ne se retrouve point dans les oiseaux terrestres. Une pie , un geai , un étour- neau , un merle , un pivert , &c. abandonne son berceau dès que sans tomber il peut sauter d’un arbre à l’autre; le père et la mère sont les pre- miers à provoquer ce faible essai de ses ailes. Les cailles , les perdrix attachées plus immé- diatement à la terre , sortent du nid avant même d’avoir l’instinct du vol; la plupart des oiseaux aquatiques suivent cet exemple ; mais la na-4 ture toujours veillant à la conservation des es^ pèces , a pourvu à la sûreté des unes et des autres; elle a donné aux pies, aux geais, &c. une conformation qui leur permet de s’arrêter, de se fixer sur les arbres , d’y chercher un refuge ; de se poser à terre , de s’en éloigner librement au moindre danger ; elle a mis dans la force et la rapidité des pieds le salut des cailles 9 des perdrix , trop jeunes encore pour s’aider de leurs ailes, et leur refuge au milieu des Tome VI, £ V O Y A G S S? 58- herbes, des buissons 5 c’est elle qui inspire ies petits des oiseaux aquatiques , inexperts dans le vol ,■ quand pour éviter les poursuites de leurs ennemis , iis se cachent dans les roseaux des fleuves ; enfin c’est elle qui retient les mar- tinets dans le nid jusqu’à l’entier développe- ment de leurs ailes : incapables de se fixer sur les arbres , presque certains de trouver la mort en se posant à terre , leur seul asyleest dans les espaces illimités de l’air 5 et ils ne s’y élancent qu’avec toutes les puissances du vol. En Lombardie , ils commencent à devenir adultes vers la fin de juin , à moins que des pluies froides n’aient retardé leur accroissement ; mais si cette intempérie a été capable de dé- truire les œufs ou de tuer les petits à peine éclos y les mères font une nouvelle ponte dans le mois d’août ; j’ai vu de ces secondes nichées , qui à la vérité sont rares. Un peu avant les six derniers jours de juin , époque où la plu- part des petits atteignent pour l’ordinaire leur émancipation , les père et mère volent en troupes plus nombreuses que jamais , autour des lieux qui recèlent leur progéniture ; ces attroupemens n’ont, pas lieu à t&ute heure du jour indiffé- remment 3 ces oiseaux craignent la chaleur 3 et quand ils en sont incommodés , ils se retirent DANS LES DEUX SICILE S. fîg dans leurs trous : vers les dix heures et demie du matin, leur nombre commence à s’éclaircir^ à midi, ils se sont presque tçus éclipsés; à cinq heures du soir, ils reparaissent en foule. Vou- lez-vous connaître leurs allures dans ces circons- tances ? observez -les autour d’un clocher ou d’un colombier pendant un jour d’été très-chaud ; à mesure que la chaleur du matin se fera sentir, vous les verrez d’un vol aussi rapide qu’assuré, couler successivement le long des murs , avec leurs ailes déployées ; puis les refermant tout- à-coup , pénétrer en un clin -d’œil dans leurs trous : ils y resteront blottis tant que la cha- leur durera; mais vers le soir, vous les verrez ressortir de ces mêmes trous, en se laissant tomber de la hauteur de deux pieds environ , les ailes fermées ; puis les déployant subitement, voler comme s’ils se mettaient à la nage dans l’air. Cette habitude n’est point ignorée des chasseurs qui vont à la quête de ces oiseaux; ils se prévalent de la chaleur du jour , pour surprendre dans les nids les jeunes et les vieux. Montbeillard a observé que les petits des hiron- delles de fenêtre pèsent plus que les père et mère ; j’ai fait la même observation sur les petits des martinets, et j’ai trouvé la différence encore E 2 VOYAGES 6o plus sensible. Ce point de physiologie mérite l’attention du naturaliste : je rapporterai ici les résultats de mes comparaisons. Le 26 juin , on m’apporta une nichée de mar- tinets, composée du père, de la mère, et de deux petits pris quelques momens auparavant : le père pesait trente-huit deniers et demi six grains ; la mère trente - neuf deniers cinq grains. Le poids d’un des petits s’élevait à quarante- huit deniers et demi neuf grains 5 le poids de l’autre , à cinquante deniers neuf grains : à peine leurs plumes commençaient à poindre. Une seconde nichée où se trouvaient seulement le père et un petit, m’ayant été apportée le même jour , je trouvai que le premier pesait trente-sept deniers dix grains , et le second , cinquante-six deniers onze grains; ses plumes étaient arrivées au quart environ de leur déve- loppement. Une autre fois , j’obtins un nouveau nid ren- fermant le père et quatre petits; le quatrième né, presque nu, pesait quarante- trois deniers deux grains ; le troisième , couvert d’un léger duvet, quarante-cinq deniers un grain et demi; le se- DANS LES DEUX S ICI LE S. 6i cond , un peu mieux fourni de plumes , cin- quante-trois deniers un grain et demi ; enfin le premier né, et le plus formé de tous, cinquante' sept deniers six grains. Le poids du père s’élevait à trente-neuf deniers onze grains. Ces faits suffisent pour établir la preuve que chez ces oiseaux , les jeunes sont plus pesans que les vieux. Cette prépondérance dérive princi- palement de la graisse qui couvre tout le corps des premiers, et y pénètre même en plusieurs endroits. Les vieux en sont totalement privés. Cette graisse et la chair qu’elle recouvre, étant agréables au goût , les petits sont recherchés pour les tables délicates 5 mais ce danger n’en- vironne que leur berceau 3 dès qu’ils sont adultes , ils deviennent durs et coriaces. On a vu que les petits qui m’avaient donné ces termes de comparaison , n’étaient point encore venus à maturité $ que chez les uns, les plumes ne perçaient point encore 3 que chez les autres , elles ne faisaient que de paraître , ou qu’elles n’étaient parvenues tout au plus qu’au quart de leur développement. En poursuivant cet exa- men, je tombai sur des martinets mieux formés , et j’observai, non sans surprise, qu’ils devenaient E 3 VOYAGES 6a toujours plus légers en raison de leur âge et de leur accroissement , et qu’ils finissaient par ne peser ni plus ni moins que les père et mère. Cette diminution de poids chez les adultes prove- nait , non de la maigreur de leur chair, mais de la disparition de leur graisse , qui fait que l’on confond souvent à l’œil les vieux avec les jeunes. Voilà donc dans l’accroissement du même ani- mal , deux termes très-remarquables et qui sem- blent impliquer contradiction : l’un du plus grand poids du petit qui l’emporte sur celui du père , tandis qu’à cet âge il devrait être moin- dre : l’autre de la diminution de ce poids, dans le temps même qu’il devrait augmenter par la maturité du corps. Mais les martinets sont-ils la seule espèce d’hi- rondelle dont les fonctions vitales offrent ce dou- ble phénomène ? Le premier, c’est-à-dire la prépondérance des petits sur les père et mère, a été observé par Montbeillard dans l’hirondelle de fenêtre. « Cinq petits qui n’avaient encore »que le duvet, dit ce naturaliste, pesaient en- semble trois onces, ce qui faisait pour chacun » trois cent quarante -cinq grains ; au lieu que les* »père et mère ne pesaient à eux deux qu’une »once juste, ce qui faisait pour chacun, deux DANS LES DEUX S I C I L E S. 63 »cent quatre-vingt-huit grains ». Voici les poids comparatifs d’une nichée entière de cette espèce , que j’ai eue entre les mains 5 elle était composée du père , de la mère, et de quatre petits. Le père pesait douze deniers onze grains et demi ; la mère , quinze deniers dix-sept grains. Quant aux petits , le premier, déjà revêtu de plumes molles, pesait dix-neuf deniers sept grains 5 le second, dont les plumes commençaient à poindre, dix- huit deniers seize grains ; les deux autres, pres- que nus , dix-sept deniers chacun. Ainsi le poids augmentait chez eux en raison de leur dévelop- pement ; mais on voit que les moins avancés en âge pesaient encore plus que les père et mère. La cause de cette prépondérance est la même que chez les martinets; comme eux, dès leur paissance , ils sont couverts d’une graisse qui se dissipe à l’époque où ils entrent en maturité. A cette époque , et quand ils vont jouir des fa- cultés du vol , leur poids est pour l’ordinaire , au-dessous de dix-neuf grains ; quand ils ont pris leur essor, ce poids égale à peu de chose près celui du père ou de la mère. Je m’en suis assuré par plusieurs expériences qui seraient tFop fas- tidieuses à rapporter ici. Les hirondelles domestiques m’ont fourni à- peu-près les mêmes observations : les premiers E 4 VOYAGES m nés , revêtus de plumes, et déjà habiles au voî , pesaient moins que les derniers nés qui étaient en partie nus, et un peu plus que les père et mère. J’ai trouvé des proportions semblables entre les hirondeaux de rivage. Dans un voyage que ]e fis en 1780 sur le Pô , de Favie à Guastalla , passant sous une berge que ces oiseaux avaient pour ainsi dire criblée de trous où ils entraient, et d’où ils sortaient sans cesse, je m’arrêtai pour leur donner la chasse. C’était le sept de juillet, époque où les petits s’approchent de la maturité 3 les uns étaient en état de voler, les autres com- mençaient à se revêtir de plumes ; au moyen d’un bâton armé d’un crochet de fer , je les tirais hors des trous avec leurs nids. Je ne puis donner ici leur poids comparatif, dont je n’ai tenu compte, ne songeant point alors à c es sortesd’expériences; j’affirmerai seulement que les plus gros et les plus gras étaient les plus jeunes , que ceux qui tou- chaient à leur maturité avaient très- peu de graisse , et que les pères et mères n’en avaient point du tout. Il est remarquable sans doute que la prépon- dérance des petits dans ces quatre espèces d’hi- rondelles dérive , non d’une plus grande quantité de chair, mais principalement de la graisse qui couvre plus ou moins leur corps, et qui est si DANS-LES DEUX SICILE S. 65 épaisse dans les martinets , qu’ils ressemblent alors à de petites pelottes de beurre. A la vérité, les gésiers , les intestins de ces oiseaux plus volumi- neuxdans le premier âge, ont aussi quelque part à ce phénomène. Montbeillard en a fait l’obser- vation sur une nichée d’hirondelles de fenêtre. Les gésiers des petits, dit-il, étaient distendus par la nourriture , au point qu’ils avaient la forme d’une cucurbite , au lieu que les deux gésiers des père et mère étaient tellement res- serrés , qu’ils ne contenaient presque rien. Il en conclut que l’excès de poids dans les «petits provient en partie de ce que les père et mère se refusent le nécessaire pour leur donner le superflu. Je ne doute point du fait, mais je le crois pu- rement accidentel ; ayant ouvert un grand nombre de vieilles hirondelles prises parmi les quatre espèces ci-dessus mentionnées , j’ai tou- jours trouvé leurs gésiers plus ou moins remplis de mouches et autres insectes ailés, et tout au- tant que ceux des petits à qui elles donnaient la becquée. J’ai élevé moi-même plusieurs nichées d’hirondelles de fenêtre et de martinets nouvel- lement éclos, en leur donnant pour nourriture divers insectes ; quand ils commençaient à se couvrir de plumes, ils étaient pour ainsi dire 66 VOYAGES insatiables > demandant à manger à chaque mo- ment , et aveüant avec une extrême avidité. Mais cette voracité diminuait à mesure que le corps se développait davantage ; elle se per- dait tout-à-fait quand il avait acquis tout son développement. Nul doute que la surabondance d’ali mens que dans l’âge tendre ces oiseaux re- cevaient de moi, ils ne l’eussent reçu également de leur père et mère trop empressés par un ins- tinct naturel à seconder ce besoin de première nécessité. Ainsi , sans recourir à d’autre explica- tion du fait > il est tout simple de penser que la graisse de ces oiseaux , et par conséquent leur poids , doit augmenter d’abord et diminuer en- suite , en raison de l’augmentation et de la dimi- nution des alimens (1). Après la ponte qui finit ordinairement en juil- let , les martinets quittent leurs domiciles et nos (1) Je ne sais si Ton a fait une autre observation touchant l’embonpoint des oiseaux. Parmi ceux qui s’engraissent vers le commencement de l’automne , les vieux en sont plus susceptibles que les jeunes. Un loriot, un rossignol , une tourterelle , un beefigue , &c. sont médiocrement gras en septembre s’ils sont nés dans l’année 5 ils le sont beaucoup si leur âge est plus avancé. Ce fait très-connu des chasseurs , mais ignoré peu-être des savans , mérite l’attention de ceux qui s’occupent de la physiologie comparée. Note de l’auteur. DANS LES DEUX SICILE S. 67 maisons $ ils disparaissent peu à peu et à me- sure que les petits prennent leur essor 5 une fois sortis du nid , ceuxrci n’y reviennent plus , et en cela ils différent des hirondeaux domestiques et de fenêtre, qui y retournent plusieurs fois et n’ont pas d’autre couchée pendant un cer- tain temps. Veut-on prendre une nichée de ces derniers', alors qu’ils sont déjà maîtres de l’air et ont fait le premier essai d^e leurs ailes ? il suffit de s’approcher du nid pendant la nuit et en silence, pour être sur de les y trouver réunis, et de s’en emparer ; au lieu que si on laisse sor- tir une fois les petits martinets , on ne doit plus espérer les revoir de l’année. Ce n’est pas qu’à cette époque ces oiseaux quittent le pays 5 mais s’accommodant mal des chaleurs cuisantes d§ l’été, aussi-tôt que les père et mère peu- vent conduire avec eux les petits , ils aban- donnent nos plaines et se transportent sur les montagnes , où ils séjournent jusqu’aux appro- ches du froid. Il m’est souvent arrivé en voya- geant dans les Alpes et les Apennins , de ren- contrer de nombreuses bandes de ces oiseaux, qui volaient à peu de hauteur , et passaient d’un lieu dans un autre sans faire entendre leurs cris accoutumés. De toutes les hirondelles, celle-ci a le vol le 68 VOYAGES plus rapide , le plus soutenu , attendu la lon- gueur et la conformation de ses ailes. On a beaucoup vanté la finesse , l’extension de la vue du faucon 5 on a prétendu que des hauteurs où il s’élève et échappe à notre vue , il dis- cerne les petits lézards , les rats des champs , les oiseaux qui voltigent à la surface de la terre, et choisit ceux sur lesquels il veut fondre. D’a- près des calculs géométriques 5 il pourrait ap- percevoir ces petits animaux à la distance de trois milles. On a célébré de même la rapidité de ses ailes , la facilité avec laquelle il précipite sa course et l’arrête, la souplesse de ses évolu- tions ; on a dit qu’il paraissait plutôt nager que voler. S’il y a de la vérité dans ces éloges, il y a aussi de l’exagération ; et les oiseaux qui font le sujet de ce Mémoire , sont, à mon avis, pour la vue et pour le vol , supérieurs aux faucons. Pendant mon séjour à Constantinople , j’avais continuellement devant les yeux une multitude de ces oiseaux de proie de diverses espèces, qui vivent et multiplient dans le pays. J’ai pu les étudier tout à mon aise, et j’en réserve l’histoire pour la relation de ce dernier voyage. Je dirai seulement ici que je n’ai jamais eu l’occa- sion d’admirer en eux cette finesse de vue si DANS LES DEUX SICILE S. f $ vantée $ je les ai observés quand ils planaient sur cette immense cité ; souvent ils se perdaient dans les nues ; mais de ces hauteurs , jamais je ne les ai vu fondre sur les lézards et autres petits animaux amphibies du pays, quoiqu’ils en soient très-friands , et qu’ils les cherchent avec un grand soin. Quand ils s’élançaient sur eux, c’était à la distance de trois cents ou trois cent cinquante pieds au plus. Comme ils craignent peu les hom- mes dans ce pays-là, parce qu’ils n’en reçoivent point de mal , ils se livrent à ces petites chasses dans les lieux les plus fréquentés ÿ je m’y suis trouvé présent plusieurs fois , et je ne crois pas me tromper dans mon calcul. Les martinets se nourrissant d’insectes ailés qui échappent à notre vue, nous ignorons la distance à laquelle ils les apperçoivent , et s’élan- cent pour les saisir. Je ne sais si Beîon ne va pas au-delà de la vérité , en assurant que ces oiseaux peuvent discerner une mouche d’un demi-quart de lieue. Tout ce que je puis garantir, c’est l’observation suivante dont je suis redevable à un pur accident. Vers la mi-septembre, allant de j Genevretto au mont Beccaria, je rencontrai à moitié chemin une troupe de martinets qui par leur manière de voler et de tourner continuelle- I ment dans un espace fixe, me donnèrent à con- t VOYAGES 70 naître qu’iîspourchassaient des insectes : c’étaient des fourmis ailées. A mesure qu’elles sortaient de terre et s’élevaient en l’air, les martinets fon- daient sur elles et les happaient. Cette petite scène attira ma curiosité. Outre plusieurs four- milières dans les environs , il y en avait une grosse dans la cour d’une maison de paysan ; et comme les martinets avaient quelque crainte de ma pré- sence , je me cachai dans la maison , d’où je pou- vais tout voir sans être apperçu. Quand une fourmi sortant de son monticule de terre , par un trou pratiqué au centre , s’était élevée à dix ou douze pieds de hauteur, le martinet, qui auparavant vaguait dans l’air sans direction déterminée, prenait cette fois un vol rapide, arrivait à la rencontre de l’insecte , le re- cevait dans son bec ouvert , qui en se re- fermant aussi-tôt, faisait entendre un petit cla- quement. Souvent l’oiseau s’élançait d’en-haut sur la fourmi, et alors je Savais d’autre com- pas que mes yeux pour juger de la portée à laquelle il l’appercevait 5 souvent aussi prenant son élan vers elle du sommet de quelques ar- bres voisins , j’avais le point fixe du départ , et je pouvais mesurer exactement la distance; je trouvai qu’elle était de trois cent quatorze pieds. Il est donc démontré que les martinets apperçoivent distinctement à la distance de trois DANS LES DEUX SICILE S, 71 cent quatorze pieds un objet de cinq lignes de diamètre, car telle était la dimension des four- mis. Je doute que les faucons soient doués d’une telle finesse de vue. Mais ce qui nous confirme la netteté , la précision de cet organe dans les martinets , c’est de les voir descendre du haut des airs avec la rapidité d’une flèche , jusqu’à effleurer la terre , remonter d’une vitesse égale , et dans une direction contraire , entrer , ou plu- tôt s’élancer dans leurs trous étroits 5 enfin raser de leurs ailes les murs des tours, des clochers, sans jamais se heurter. Leurs cris joyeux et sou- vent répétés en se jouant ainsi dans les airs , dé- montrent eh même temps que leurs poumons ne fatiguent pas plus que leurs ailes dans cet exer- cice. Quant à la continuité du vol , le martinet l’emporte encore sur le faucon. Il est vrai que ce dernier se complaît dans le séj our de l’air ; que là , tantôt il trace des cercles , tantôt il se balance sur ses ailes, sans aucun mouvement sensible; mais il est certain , d’un autre côté , que non- seulement il s’abat et prend quelque repos sur les arbres , de temps en temps pendant le jour, mais qu’il s’y perche chaque nuit. Le martinet , au contraire , n’a pas plutôt abandonné son nid , qu’il se transporte sur les montagnes où il séjourne VOYAGES 72 pendant les mois de juillet , d’août , de septembre et une bonne partie d’octobre > toujours dans le sein de l’air, et sans jamais se poser sur aucun appui. Je me rappelle d’en avoir vu passer une troupe sur la ville de Reggio le 7 novembre 17795 c’est la seule fois que j’ai observé cette prolon- gation de leur séjour dans nos centrées 3 mais elle prouve néanmoins leur facilité extrême à vivre et à se soutenir dans l’air pendant un temps très- long. Linné prétend qu’ils hivernent dans les tem- ples (1), et par le mot temple, ce naturaliste entend sans doute tout édifice élevé , et percé de trous où ils fabriquent leurs nids. C’est aussi l’opinion de Klein, Heerkens, Herman , &c. mais ils se trompent. Montbeillard ayant fait visiter un grand nombre de ces nids vers la mi-avril , c’est- à-dire douze ou quinze jours avant l’apparition des martinets, ne trouva pas un seul de ces oi- seaux qui s’y tînt caché. Ce que j’ai rapporté touchant leurs habitudes , suffirait également pour prouver leur émigration à l’approche de l’hiver, si pendant cette saison je ne m’en étais encore mieux convaincu en voyant leurs retraites délaissées , dans les colombiers et sur-tout dans (1) Hybernant in templorum foraminibus. les T) ANS LES BEUX SICILE S. 75 les tours de Pavie , pour lesquelles ils ont tant de prédilection. Je suis persuadé que ces oiseaux , ainsi que les hirondelles domestiques et celles de fenêtre, n’abandonnent nos contrées que parce qu’ils n’y trouvent plus de quoi vivre : c’est la disette dans un pays qui les force de passer dans un autre mieux approvisionné selon leur goût. La froidure * du climat ne saurait être leur raison détermi^ nante , et en voici la preuve. Ayant placé six mar- tinets , choisis parmi des pères et mères , dans au- tant de bocaux de verre plongés dans la glace pilée , ils ne tardèrent pas à éprouver chacun le degré de congélation marqué par le thermo- mètre; je les laissai dans cette situation pendant trois heures et trois quarts ; au bout de çe temps, je les touchai avec un petit tube de verre, ils s’agitèrent et s’efforcèrent vainement de monter le long des parois du vase. Alors je les tirai dehors, et ils me parurent avoir conservé toute leur viva- cité naturelle ; posés sur le parquet de la cham- bre , ils se mirent à courir, à sautiller avec leurs ailes plus ou moins déployées ; ils parvinrent même à se soulever de terre , et probablement ils m’auraient échappé, si je n’avais eu la pré- caution de fermer les fenêtres. A cette épreuve , j’en ?s succéder une plus Tome VI, F 74 V O Y A O E S forte , en mêlant avec la glace du muriate de soude. Toutefois ce mélange fut progressif, de manière que les martinets passèrent successive- ment du terme de la congélation , à dix degrés et demi au-dessous. A mesure que le froid augmen- ta , ils donnèrent des signes non équivoques de souffrance 5 ils se débattaient et haletaient , bien que l’air intérieur des vases ne fût point altéré , puisqu’il communiquait avec l’air extérieur. Etant restés trente - cinq minutes dans cette dernière situation où le thermomètre marquait dix degrés et demi au-dessous de la glace, je les retirai, et les posai sur le parquet. Ils étaient vivans ; ils avaient les yeux ouverts 5 ils se mouvaient, mais sans changer de place. Cet abattement chez les uns, se prolongea pendant six minutes 5 chez les autres, pendant dix et même davantage . après quoi se ranimant , ils essayèrent de se sauver , d’abord en se traînant à terre , ensuite en se met- tant à voler par la chambre. Renfermés de nouveau dans les vases , où le froid était maintenu au même degré , je les y laissai cette fois pendant trois heures consécu- tives , observant moi-même par l’ouverture les divers symptômes de leur état. La première heure , je les vis se débattre de temps en temps; la seconde heure , ces mouvemens furent moins DANS LIES DEUX SICILE S. 7 5 fréquens, la troisième heure, ils parurent immo- biles, quoique sans léthargie 3 ils avaient les yeux ouverts , et quand je les touchais , ils s’agitaient aussi- tôt. Rendus à la température de l’atmo- sphère (elle était ce jour-là , 27 de juin, à dix-huit degrés trois cinquièmes au-dessus de zéro ) , et posés sur le parquet, ils persistèrent dans leur im- mobilité 3 si je les mettais sur le dos, ils restaient dans cette position. Mais cette extrême faiblesse ïie dura pas long-temps 3 d’abord ils essayèrent de se redresser, et y parvinrent 3 insensiblement, les uns plutôt , les autres plus tard , recouvrèrent leur première vigueur. J’observai qu’à mesure qu’ils reprenaient des forces, ils faisaient des ins- pirations et des expirations très-longues. Cependant j’avais préparé une quatrième et dernière épreuve , où le froid devait être plus considérable. Quand le thermomètre eut marqué treize degrés au-dessous de zéro, je remis chaque martinet dans son bocal 5 l’un mourut au bout de six minutes , deux autres subirent ce sort au bout de vingt-cinq minutes , les trois restans paraissaient morts 3 mais ayant été exposés pen- dant une heure à la température de l’atmo- sphère , ils revinrent à la vie , ensuite ils la per- dirent sans retour , après avoir supporté encore dix minutes le froid du vase. F 2 7 6 VOYAGES Ainsi ces oiseaux peuvent résister à un froid plus qu’ordinaire, et s’ils s’éloignent de nous à l’approche de l’hiver, c’est moins , comme je le disais tout-à-l’heure , la rigueur du climat qui les y dispose, que la diminution, et ensuite la disparition totale des insectes dont ils se nour- rissent. Quelquefois un froid subit détruit ces petits êtres au commencement du printemps , et après le retour des martinets ; alors ces der- niers ne manquent pas de quitter le pays pour quelques jours, et cela arrive par un froid moins vif que celui qui chas.se les hirondelles domes- tiques et les hirondelles de fenêtre. Vers la mi- mai, et plus tard encore, nous avons des pluies qui rafraîchissent tellement l’atmosphère , que le thermomètre qui marquait auparavant douze ou quinze degrés, descend à huit, et même à sept. Les hirondelles domestiques, ainsi que les hirondelles de fenêtre , n’abandonnent pas pour cela leurs nids ; mais les martinets disparaissent tous , et ne reviennent que lorsque le ciel a repris sa sérénité. Ce n’est pas que la pluie provoque leur fuite ; au contraire , ils se complaisent en elle , et pendant les averses d’été, on les voit, joyeux, s’élever très-haut dans les airs, battre lentement des ailes sans changer, pour ainsi dire, de place , et donner tous les signes du plaisir , tandis que les autres oiseaux courent chercher DANS LES DEUX SICILE $. 77 un abri contre Forage , soit dans les trous des murailles et sous les toits des maisons y soit dans l’épaisseur des bois. Mais les martinets s’éloignent parce que les insectes ailés y engourdis par les pluies froides du printemps , ne peuvent plus s’élever à la hauteur où ces oiseaux ont coutume de voler j et les hirondelles domestiques y avec les hirondelles de fenêtre , restent , parce que ces mêmes insectes , qui n’ont pas le pouvoir de s’élever si haut y conservent cependant assez de vigueur pour voltiger à leur portée. 78 VOYAGES. QUATRIÈME MÉMOIRE, Sur V hirondelle de rivage x hirundo riparia. Linn. L’ epithète donnée par Linné et par d’autres naturalistes à cette hirondelle, indique les lieux qu’elle habite 5 ce sont les rivages des fleuves , et quelquefois ceux de la mer. J’ai fait plusieurs voyages sur le Tésin et sur le Pô , depuis l’en-- droit où ce fleuve mêle ses eaux avec celles du Tésin , jusqu’à son embouchure dans la mer près de Goro. Ayant à ma disposition la barque qui me portait , cheminant à ma fantaisie , et libre de m’arrêter devant les bords les plus fré-^ quentés par ces oiseaux , j’ai eu toute facilité d’étudier leurs habitudes , d’observer de près leurs allures, et d’ajouter quelques faits à leur histoire. ■ L’hirondelle de rivage, plus petite que les trois espèces précédentes , est blanche dans la partie inférieure de son corps , excepté sous le cou3 où elle porte une espèce de collier gris 5 cette der- nière couleur s’étend sur toute sa partie supé- rieure. Ses pieds sont courts comme ceux des DANS LES DEUX SICILE S. 79 oiseaux de son genre ; son vol est plus rapide , mais d’ordinaire plus bas que celui de l’hiron- delle de fenêtre ; si elle vient à se poser sur la terre , ce n’est que pour un moment. Elle imite plus l’hirondelle de fenêtre que l’hirondelle do- mestique et le martinet, dans son cri d’appel, et dans tous ceux qui forment le langage de ces oiseaux , langage très-limité , mais suffisant sans doute pour exprimer leurs besoins et leurs di- verses affections. C’est vers le milieu d’avril que l’hirondelle de rivage commence à se montrer en Lombardie; elle arrive peu de temps après l’hirondelle do- mestique et celle de fenêtre ; s’il survient des intempéries dans l’air, elle suit leur exemple, en quittant le pays pour quelques jours ; à son retour , elle se rend aux rivages où elle a cou- tume de nicher ; on la voit voler continuellement au-dessus des eaux , allant , venant , sans jamais s’écarter beaucoup du trou où elle a placé son nid. Cependant tous les fleuves ne lui conviennent pas; elle n’habite que ceux dont les bords sont sablonneux, tels que les rives du Pô et d’une partie du Tésin , parce qu’elle y creuse plus faci- lement sa demeure. Linné prétend qu’elle suit une direction tor» F 4 VOYAGES Bp tueuse en pratiquant son terrier (1)5 cela lui arrive lorsqu’elle rencontre des obstacles , tels qu’une pierre , une racine qui la forcent de se dévier de la ligne droite ; mais quand rien ne l’arrête , elle ne se détourne point , et avance toujours devant elle. On a dit que cette hirondelle s’empare quel- quefois du nid des guêpiers , et des martins- pêcheurs. Cela est possible, mais je donne pour certain , d’après mes propres observations , et celles des chasseurs qui vont à la quête des hi- rondeaux de rivage , excellens à manger quand ils sont très -jeunes , que les pères et mères creusent eux-mêmes leurs trous. Comment s’y prennent-ils ? On supposerait d’abord qu’ils tra^ vaillent avec le bec, qui est le principal instru- ment des oiseaux, et l’unique chez quelques-uns pour la fabrication du nid ; mais ici l’analogie induirait en erreur. Les habitudes des animaux sont aussi variées que leurs instincts , et c’est l’ouvrier lui-même qu’il faut interroger, si l’on veut obtenir la solution de ce petit problème. Quoique les mêmes trous servent plusieurs an- nées, cependant chaque printemps il y a tou- jours quelques hirondelles qui en creusent de (1) Habitat in Europæ collibus à renosis abruptis , for amine serpentino. Linn. DANS LES DEUX SICILE S. 8l nouveaux 5 ce sont probablement celles qui , l’an- née précédente, ont reçu le jour sur ces mêmes rivages. Pour les surprendre dans ce travail, au- quel elles se livrent d’ordinaire vers la fin d’avril, il suffit de parcourir les bords du Pô, et de s’ar- rêter sur une de ses berges élevées les plus fré- quentées par ces hirondelles 5 on est sûr d’en voir toujours quelqu’une tout occupée avec ses pieds à gratter la terre , et à préparer son do- micile souterrain sur la pente du rivage. Leurs ongles, plus longs que courts , sont parfaitement appropriés à ce genre d’ouvrage ; ils leur servent encore à s’accrocher aux rochers les plus escar- pés , qui sont les seuls endroits où elles se posent, ne s’arrêtant ni sur les arbres , ni sur les toits des maisons , ni sur les terres. On prétend qu’elles ont un pressentiment de la crue des eaux , et qu’elles annoncent le débor- dement des fleuves en s’établissant dans la partie la plus élevée de leurs rivages. Ce pressentiment n’est pas plus réel que celui communément at- tribué à l’hirondelle domestique , qui , dit-on , présage la pluie toutes les fois qu’elle vole en rasant la terre (1). Au moment même où j’écris ceci à la campagne , je vois des fenêtres de mon appartement une troupe de ces hirondelles qui (1) Dum volitat juxta terram , pluvias præsagit. Linn, 82 VOYAGES voient de concert , terre à terre, depuis le matin jusqu’au soir le long d’une prairie 5 il y a plus de vingt jours qu’elles ne font autre chose, sans qu’il soit tombé du ciel une seule goutte d’eau. L’hirondelle de rivage ne prévoit pas mieux les inondations , dont elle est presque toujours à l’abri , en se logeant d’habitude à des hauteurs où les eaux arrivent rarement 5 elle a d’ailleurs îa précaution d’établir son nid dans les pentes les plus rapides des fleuves , comme pour les mettre à l’abri des atteintes de l’homme. Le terrier de ces oiseaux s’étend dans une longueur de onze à dix-huit pouces ; il a une largeur proportionnée au diamètre transversal de leur corps ; c’est aussi la mesure des hiron- delles de fenêtre en façonnant l’entrée de leur nid , dont l’ouverture n’excède pas le volume de leur corps. Ainsi travaillent les guêpiers , ainsi les pics-verds , qui , avec leur bec dur et pointu, sculptent dans le bois carié des troncs d’arbres le berceau de leurs petits 5 et les sitelles , qui nichant de même dans le tronc des arbres, mais s’emparant des trous qu’elles y trouvent , en réduisent l’ouverture à la juste dimension de leur corps , en faisant tout autour une maçonnerie de limon et de fumier mêlés ensemble. L’hirondelle de rivage place son nid au fond DANS LES DEUX SICILE S. 85 du trou qu’elle a creusé en terre. Ce nid, dont la forme représente un segment de sphère con- cave, est composé de petites racines tissues en- semble 5 les plus délicates, auxquelles sont réu- nies quelques plumes , en revêtent l’intérieur. Elle y pond cinq ou six œufs blancs, obtus d’un côté, pointus de l’autre, comme ceux des poules domestiques. Montbeiîlard , qui semble n’avoir jamais vu cette hirondelle , et n’en parle que d’après les assertions d’autrui , affirme , sur l’autorité de Frisch, qu’elle ne fait qu’une seule ponte par an. Je ne sais jusqu’à quel point les circonstances du lieu et du climat peuvent influer sur la multi- plication de son espèce , mais il est certain que le long des rives du Pô et du Tésin , elle fait constamment deux pontes , quelquefois elle va jusqu’à trois 3 la première est terminée pour l’or- dinaire vers le huitième jour de juin , la dernière vers la fin d’août. Durant l’incubation , les père et mère s’éloignent peu de leur progéniture; ils tournent dans un espace déterminé , et toujours très-borné , en rasant d’une aile rapide la surface de l’eau ; entrent fréquemment dans leur trou , en sortent de même , vont et viennent sans cesse sur les mêmes traces à la quête des' insectes ailés dont iis font leur nourriture. 84 VOYAGES Non loin de Pavie , vers le sud , est un canal d’eau stagnante renfermé entre deux rives escar- pées et sablonneuses , qui sont trouées çà et là par ces oiseaux. Un jour que j’observais leurs allées et venues sur ce canal dans le temps de l’incubation , je songeai à l’hirondelle domes- tique qui , enlevée à ses petits , et transportée à la distance de plusieurs milles , n’est pas plutôt libre qu’elle revoie auprès d’eux ; et j’eus la pensée de mettre à cette épreuve l’hirondelle de rivage. Je choisis le moment où un couple venait d’entrer dans le nid pour m’emparer du père et de la mère , en les tirant dehors au moyen d’une verge de fer un peu recourbée à son ex- trémité. Ce jour-là des affaires m’appelaient à Milan ; je partis avec mes deux oiseaux. A mon arrivée dans cette ville , je leur donnai la clef des champs; à peine échappés de mes mains, ils s’élevèrent dans les airs et je les perdis de vue : l’un et l’autre portaient à leurs pieds un fil de soie. Je m’étais entendu avec un ami , qui , au moment où je leur rendais la liberté à Milan , se tenait en observation sur le canal tout auprès du nid abandonné. Pour avoir la juste mesure du temps, nous avions mis nos montres d’accord. L’heure convenue du départ ayant sonné, il compta treize minutes, et vit arriver le couple fidèle au berceau de leurs petits. Quatre DANS LES DEUX SICILES. 85 jours après, étant moi-même de retour à Pavie, j’allai m’assurer de l’identité de ces deux hiron- delles , je les fis prendre sous mes yeux , et re- connaissant le fil de soie qu’elles portaient au pied , je le leur laissai ; ce qui me valut l’année suivante un autre renseignement non moins in- téressant sur l’instinct de ces oiseaux, qui re- vinrent nicher au même nid. Après la saison des pontes , les hirondelles de rivage quittent nos contrées , et n’y reparaissent plus qu’au printemps suivant. Leur départ pré- cède celui des autres espèces d’hirondelles. J’ai fait deux voyages sur le Pô à diverses époques , l’un vers la fin d’août , pour me rendre de Pavie à Gualtiero dans l’état de Modène ; l’autre vers le commencement de septembre, pour descendre de Bogaforte jusqu’à Goro , et à l’endroit où ce fleuve se divisant en plusieurs branches, se jette dans la mer 5 et dans ces deux navigations, j’ai été à portée d’observer de très-grands espaces de rivage troués par ces hirondelles 5 cependant p’as une seule ne s’est offerte à mes yeux , tandis qu’à cette même époque, les hirondelles do- mestiques et les hirondelles de fenêtre habitaient encore le pays. C’est le sentiment de quelques naturalistes que les hirondelles de rivage se tiennent cachées, dans VOYAGES 86 leurs trous pendant l’hiver , et Terreur qui a fait attribuer la même habitude aux hirondelles de fenêtre provient , disent-ils , de ce que Ton a confondu les premières avec les secondes. Mont- beillard observe que celles de rivage craignent moins le froid que les autres , attendu qu’elles séjournent pour l’ordinaire sur les eaux $ que , selon toute apparence , elles ont aussi le sang 1 moins chaud, et que les excavations qu’elles font pour pondre leurs œufs , ressemblent beaucoup au domicile des animaux sujets à tomber dans l’engourdissement ; que d’ailleurs elles trouvent dans la terre des insectes ou des chrysalides en tout temps. D’après ces raisons, on doit présu- mer que si dans le genre des hirondelles , il s’en % trouve qui soient disposées par instinct à se ca- ’ cher sous terre pendant la mauvaise saison , ce sont celles de rivage, sans prétendre toutefois que cette habitude s’étende à l’espèce entière. Le fait suivant , publié par Achard de Privy- Garden , paraît se concilier avec les observations y de Montbeillard. En 1791 , sur la fin de mars, Achard descendait le Rhin pour se rendre à Rot- terdam 5 parvenu un peu au-dessous de Bazilea, où le rivage méridional du fleuve est escarpé et composé de terre sablonneuse , il suspendit sa navigation pour regarder quelques enfans qui , DANS LES DEUX SICILE S. 8? attachés à des cordes , se glissaient le long des falaises, et, munis de baguettes armées de tire- bourres, fouillaient dans les trous , et en tiraient des oiseaux : c’étaient des hirondelles qui , au dire des bateliers , ont coutume de s’y cachet* pendant la mauvaise saison. Achard acheta quel- ques-uns de ces oiseaux , et les trouva d’abord engourdis et comme inanimés ; il en plaça un dans son sein , entre la chemise et la peau , et un autre sur un banc au soleil. Celui-ci ne put jamais recouvrer assez de forces pour s’envoler. Pair étant trop froid; mais le premier se réveilla au bout d’un quart- d’heure. Achard le sentant remuer, le posa sur sa main; mais ne lé trouvant pas suffisamment ranimé pour se servir de ses ailes, il le remit dans son sein , où il le tint pen- dant un autre quart-d’heure ; alors plein de vie, l’oiseau prit son vol et s’enfuit (1). Ainsi qu’il convient à tout ami de la vérité, je dirai franchement ce que je pense des ré» flexions de Montbeillard et de Pobservation d’Achard , et j’exposerai en peu de mots ce que l’expérience m’a appris sur ce point. Quoi- que les lieux aquatiques soient exposés à un plus grand froid que les lieux secs , à cause de (1) Transactions philosophiques, ann. 1.^63. V O Y A G- E g 88 l’évaporation , j’observe cependant que les hi- rondelles de rivage, celles du moins qui passent en Lombardie, ne commencent à les habiter que vers la mi-avril , époque où , sur les bords du Tésin et du Pô , la chaleur atmosphérique s’élève pour l’ordinaire au-dessus de dix degrés. D’ail- leurs , il paraît qu’elles ont le sang tout aussi chaud que les autres hirondelles, le thermo- mètre mis en contact avec leurs corps , tant à l’extérieur que dans l’intérieur , ne marquant aucune différence relative. A la vérité , les ex- cavations qu’elles font dans la terre dénotent une habitude et des rapports conformes à ceux des animaux qui passent l’hiver dans un état de torpeur comme les marmottes ; mais ces exca- vations ressemblent tout autant , et peut-être encore plus , aux trous des taupes , lesquelles retirées sous terre , ne tombent point pour cela en léthargie. On peut ajouter l’exemple de cer- tains animaux, tels que le muscardin qui , sujets à la torpeur , ne passent point l’hiver dans des souterrains. Quant à la supposition que les hirondelles de rivage trouvent en tout temps des insectes dans la terre , je puis assurer qu’ayant fait rompre une multitude de nids , je n’y ai découvert acci- dentellement que quelques araignées , quelques chenilles DANS LES DEUX SICILE S. 89 chenilles ou lézards , et je doute fort que ces animaux, bien différens des insectes ailés qu’elles prennent dans les airs , soient de leur goût et deviennent leur pâture. L’observation d’Achard prouve seulement qu’il existe des hirondelles sujettes à une véritable lé- thargie , mais elle n’en détermine pas l’espèce; les circonstances du lieu pourraient tout au plus faire croire que cette espèce est celle qui nous occupe : ainsi , malgré tout ce que l’on a dit et écrit jusqu’à présent sur cette question , nous restons encore dans le doute et dans l’incerti- tude. Voici à ce sujet le résultat de mes propres recherches. En deux saisons différentes , c’est- à-dire en octobre et en février , j’ai fait ouvrir sur les rives du Pô plus de cinquante trous pra- tiqués par les hirondelles de rivage ; l’ouverture se faisait dans la partie supérieure du rivage , de manière que l’on pouvait voir dans toute la longueur des trous; mais rien n’y apparaissait que le nid ou ses débris. Il me fut ainsi démontré que les hirondelles propriétaires de ces nids étaient allé hiverner en d’autres climats. Ceci me rappelle une observation semblable faite en Angleterre pendant le mois d’octobre 1767 , par Collinson , qui ayant fait ouvrir avec la plus scrupuleuse exactitude, une digue cri* Tome V^I% G VOYAGES idée des trous de ces oiseaux , ne trouva pas une seule de ces habitations souterraines qui ne fût absolument déserte. Si tant il est vrai qu’en certains pays , ces oi- seaux passent l’hiver dans l’engourdissement , cette considération devait m’engager à les éprou- ver par le froid artificiel. Le i5 de juin , j’en en- fermai quatre dans un bocal de verre plongé dans un mélange de muriate de soude et de glace. Le thermomètre étant descendu au terme de la congélation , je ne m’apperçus point qu’ils en fussent incommodés 5 les ayant retirés et mis en liberté, ils se mirent à voler par la chambre. Je les renfermai de nouveau dans le bocal où le froid avait augmenté 5 ils commencèrent à se dé- battre 3 ils cherchèrent à s’échapper , ce qui me fit croire que leur situation était douloureuse. Le thermomètre descendit insensiblement jusqu’au dixième degré au-dessous de zéro , et s’arrêta là. Vingt minutes s’étant écoulées , j e pris ces oiseaux et les posai sur une table 5 à peine avaient-ils la force de se mouvoir, d’étendre les ailes 3 leurs yeux étaient fermés. Us revinrent cependant peu à peu, et au bout d’une demi-heure ils volaient déjà dans la chambre. Je recommençai l’épreuve* ils subirent le même froid pendant trente mi- nutes , sans cependant perdre la vie $ en les re~ / DANS LES DEUX SICILE S. gi tirant du bocal , je les couchai à la renverse sur la table ; d’abord ils restèrent immobiles , ensuite ils essayèrent de se redresser , et après beaucoup d’efforts , ils y parvinrent ; les ayant posés à terre , ils se promenèrent par la cham- bre, mais ils n’eurent pas assez de force pour prendre l’essor. Attentif aux symptômes qui accompagnaient le retour de leurs fonctions animales , j’observai que la respiration com- mençait peu à peu à se rendre sensible, et de- venait à chaque instant moins lente ; que les yeux s’ouvraient ensuite , et qu’enfin le mou- vement et la vie renaissaient par degrés. Trois heures s’ét.ant écoulées depuis le moment que je les avais retirés du bocal , je ne dirai pas qu’ils eussent entièrement recouvré leur première vi- gueur ; mais ils en avaient assez pour se soule- ver j et se soutenir en l’air avec les ailes. Je mis de nouveau du sel dans la glace, et le froid s’accrut jusqu’au quatorzième degré. Les quatre oiseaux y furent exposés pendant vingt minutes: deux périrent; les autres paraissaient avoir perdu également la vie ; au bout de cinq heures , ils reprirent leurs esprits ; mais il leur resta une faiblesse qui les empêcha désormais de se servir de leurs ailes. Si l’on compare maintenant les symptômes de G a VOYAGES 92 l’état de ces Hirondelles plongées dans le froid artificiel , avec ceux que les trois autres espèces ont manifestés dans la même situation, on verra que toutes les quatre ne souffrent point sensi- blement dans le degré de la congélation ; que dans le Huitième et le neuvième, elles donnent des signes certains de souffrance , sans que la mort s’ensuive 5 et qu’enfin elles ne succombent que dans le treizième ou quatorzième degré. Certainement, je ne me serais jamais douté que ces petits oiseaux qui ne viennent Habiter nos climats que dans la belle saison , et qui s’enfuient à l’approcHe de l’hiver , fussent doués d’un tem- pérament assez vigoureux pour supporter les atteintes d’un froid aussi aigu 5 et je pense que le lecteur partagera ma surprise, en songeant sur-tout que ces êtres si délicats passaient tout- à-coup d’une température très -chaude, à une température excessivement froide , et que l’é- preuve était beaucoup plus rude, que s’ils y eussent été amenés par des degrés insensibles, tels que ceux qui unissent l’automne à l’Hiver. Cet engourdissement que nous avons observé dans les Hirondelles de rivage , en les soumettant à un froid rigoureux, est-il véritablement léthar- gique, semblable à celui que nous appelons fort improprement sommeil chez un grand nombre DANS LES DEUX SICILE S. q3 d’animaux ? L’immobilité du corps , la respira- tionpresque nulle , l’usage des sens suspendu, et le recouvrement de toutes ces facultés dans une douce chaleur , le feraient présumer 5 mais ces symptômes peuvent aussi accompagner une as- phixie semblable à celle qu’éprouveraient ces animaux si on les tenait plongés un certain temps dans l’eau , ou dans la sphère de quelque gaz méphitique, asphixie essentiellement différente du sommeil léthargique en ce que celui-ci étant prolongé pendant plusieurs mois, ne nuit point à l’existence de l’animal , au lieu que l’autre après un temps plus ou moins court , le prive de la vie. Curieux de résoudre ce problème , je pensai que si quelqu’hirondelle était véritablement sujette à tomber en léthargie , cet accident devait arriver par un degré de froid appro- chant de celui de la congélation , et peut-être encore moins vif , d’après l’exemple des hi- rondelles du Rhin , observées par Achard. A la vérité, ce même degré de froid, suscité ar- tificiellement , je l’avais déjà éprouvé sur di- vers individus de chaque espèce , sans qu’ils eussent manifesté le moindre signe d’engour- dissement 5 mais je n’avais point donné à cette température le temps d’agir suffisamment ayant G 3 i )4 VOYAGES incontinent après, redoublé l’intensité du froid. L’idée d’établir de nouvelles expériences dans une glacière , se présenta à moi , et je m’y li- vrai avec d’autant plus d’empressement , qu’elle allait me donner lieu de relever une erreur que j’avais commise autrefois, en parlant incidem- ment de la léthargie de ces oiseaux. Dans une de mes notes sur la Contemplation de la nature 9 de Charles Bonnet , traduite et imprimée pour la première fois à Modène , en 3770, je disais que plusieurs hirondelles domestiques que j’avais te- nues trois heures dans une chambre contiguë à une glacière, où le thermomètre s’élevait à cinq degrés au-dessus de zéro , étaient mortes sans tomber en léthargie. De-là je concluais que ces oiseaux étaient incapables de supporter le froid. Dans mes opuscules de physique animale et végétale , en raisonnant sur la cause immé- diate de la léthargie des animaux , je reproduisis la même observation , et j’ajoutai qu’elle avait été vérifiée par Buffon. Le fait était vrai ; mais j’en tirais une fausse conséquence. Long- temps avant d’en venir aux expériences artificielles décrites dans ces Mé- moires, je m’étais apperçu de mon erreur en voyant la facilité avec laquelle ces oiseaux , de retour avec le printemps , supportent les DANS LES DEUX SICILE S. $5 intempéries de l’air qui troublent si fréquem- ment en Lombardie les premiers beaux jours de cette saison. — Il ÿ a environ dix ans, une chute de neige ^urvirit à Pavie dans le com- mencement d’avril ; elle dura plusieurs heures, et fu,t suivie d’un froid si rigoureux , que l’eau des rues se couvrit de glace. Cependant les hi- rondelles domestiques et celles de fenêtre, de retour en très-grand nombre à cette époque , ne s’éloignèrent pas de la ville $ comme elles ne trouvaient point dans les airs de quoi man- ger , elles s’accrochaient aux murailles , aux voûtes des greniers et des magasins ouverts, cherchant sans doute des mouches et des arai- gnées. DèsS-îors je reconnus que ces oiseaux n’é- taient point aussi sensibles au froid que je l’ima- ginais, puisqu’ilspouvaient le supporter au degré de la congélation , sans en paraître incommodés, et mes dernières expériences me convainquirent ensuite qu’ils pouvaient le tolérer à un degré bien plus considérable. Toutefois je n’ignorais pas que certains ani- maux sujets à tomber en léthargie quand l’a tem- pérature est au terme de la congélation , n’en- trent véritablement dans cet état que lorsque cette température se soutient plus ou moins long-temps; peut-être en était-il de même des G 4 hirondelles, et dans ce cas le séjour d’une gla- cière devait les amener peu à peu à cette sus- pension des fonctions animales. Ma première expérience eut lieu dans le courant du mois de mai. Je renfermai cinq individus de chaque es- pèce d’hirondelle dans des corbeilles d’osier cou* vertes de toile cirée pour les préserver de l’hu- midité ; j’ensevelis ensuite ces corbeilles dans la neige , et j’eus soin d’y pratiquer au-dessus plu- sieurs trous correspondans avec autant d’ouver- tures faites à la toile pour établir une communi- cation entre Pair extérieur et l’air intérieur. De temps en temps je visitais mes oiseaux ; au bout de douze heures de réclusion , aucun n’avait perdu la vie , ils conservaient tous assez de viva- cité 5 et pour se garantir du froid autant que pos- sible , ils se tenaient très -serrés les uns contre les autres; douze heures après, je les trouvai dans le même état. J’en pris deux dans la main, et les ayant liés par le pied à un fil , je les lâchai ; ils se mirent à voler dans la glacière , mais avec lan- gueur. Trente-cinq heures s’étant écoulées, qua- tre d’entr’eux n’existaient plus, c’est-à-dire, deux hirondelles domestiques, une hirondelle de rU- vage et un martinet ; les autres étaient tombés dans un abattement général , ceux-ci étendus à terre , ceux-là se soutenant mal sur leurs pieds : si je les prenais dans ia main , ils ne faisaient au- DANS LES DEUX SÏCILES. 97 cun effort pour s’envoler ; si je les jetais en l’air, ils retombaient avec les ailes à moitié déployées. Cependant ces signes étaient plutôt chez eux des indices d’infirmité que de léthargie ; leurs yeux n’étaient point fermés , et ils ressemblaient en tout à des oiseaux malades et sur le point de mourir. Cinq heures de plus en firent périr sept; les autres étaient moribonds , et je ne vis en eux que les symptômes du passage de la vie à la mort; encore cinq heures, et il n’en resta pas un seul vivant. Je répétai ces expériences dans le mois de juillet sur le même nombre et les mêmes espèces d’hirondelles. Elles expirèrent toutes dans l’es- pace de quarante-huit heures avec les mêmes symptômes. J’ai dit que pour préserver ces oiseaux de l’hu- midité de la glacière, j’avais enveloppé les corbeil- les d’une toile cirée ; je ne tardai pas à m’apperce* voir combien cela était nécessaire. Deux hiron- delles que j’avais exposées en même temps dans la glacière sans user de cette précaution , mou- rurent au bout de deux heures et demie; je les trouvai mouillées comme si elles eussent été plon- gées dans l’eau, et voilà sans doute ce qui fit pé- rir celles dont je parle dans ma note sur la Con- VOYAGES SS templationde la nature yme rappelant très-bien qu’en les prenant dans la main , je les sentis très- humides. Malgré la multitude des preuves de fait que je venais d’obtenir, la question ne me parut point encore décidée. Des expériences antérieures sur certains animaux, soit à sang chaud , soit à sang froid j de la classe de ceux qui, selon l’expression commune , dorment l’hiver, m’avaient appris qu’à la vérité ils tombent naturellement à cette époque dans un état de torpeur, mais qu’ils s’y refusent en d’autres saisons , bien qu’on les tienne exposés au même degré de froid , ou , si l’on veut, à un froid plus vif. Je pensai qu’il était nécessaire d’éprouver les hirondelles à l’approche de l’hi- ver , puisque cette saison était la seule où elles dussent tomber naturellement en léthargie, si jamais elles en étaient susceptibles. L’expérience ne pouvant avoir lieu sur les martinets et les hirondelles de rivage qui disparaissent , ceux-ln en juillet, celles-ci en septembre, je songeai à me procurer quelques individus des deux autres espèces plus tardives à partir , et j’attendis pour cela jusqu’au dernier moment. J’avais observé plusieurs hirondelles de fenêtre qui , après leur dernière ponte , venaient chaque soir dormir dans leurs nids suspendus sous les toits de quel- DANS LES DEUX SICILE S. 99 ques maisons voisines ; cependant à mesure que Ja saison s’avançait , leur nombre diminuait , et Je 22 septembre, il n’en restait plus que huit à dix. La nuit même, je fis fouiller dans les nids; on en surprît quatre, les autres s’enfuirent. Quant aux hirondelles domestiques , j’en pus différer la capture jusqu’au 26 septembre. Celles-ci , au nombre de cinq , se laissèrent prendre au filet dans un lieu planté de roseaux où elles venaient dormir depuis plus d’un mois : c’était peut-être les dernières qui restassent dans le pays. Ces neuf hirondelles furent enfermées dans la gla- cière , où elles languirent sans entrer en léthar- gie , perdirent insensiblement leurs forces , et moururent au bout de quarante et une heures. Pour l’exactitude de mes expériences, il fallait m’assurer que la mort de ces oiseau^ était occa- sionnée , non par le manque d’alimens, mais par le froid. J’ajouterai donc que ma précaution or- dinaire était d’enfermer dans une cage à part, et de laisser sans nourriture quelques individus de l’espèce que j’éprouvais dans la glacière : je tenais la cage dans ma chambre ; plusieurs de ces derniers combattirent la faim jusqu’au cin- quième jour, et il n’y en eut pas un qui ne lui résistât pendant trois jours et demi , tandis que les plus vigoureux dans la glacière perdirent 10O VOYAGES la vie au bout de quarante -buit heures : ainsi l’accélération de leur mort ne pouvait être attri- buée qu’à la privation de la chaleur. Je mis une égale attention à observer les symp- tômes des hirondelles languissantes de faim dans les cages , leur défaillance et leur mort. Ces symp- tômes n’étaient point ceux d’animaux qui tom- bent en léthargie ÿ ces hirondelles souffraient et mouraient à-peu-près comme les habitantes de la glacière. Je doute que l’on puisse imaginer des expé- riences plus concluantes pour démontrer que le froid n’agit point sur las hirondelles , sur celles du moins qui fréquentent l’Italie , comme sur certains animaux qui passent l’hiver dans un état d’engourdissement. Quoiqu’elles soient moinssen- sibles au froid qu’on ne l’aurait imaginé, cepen- dant elles ne le supportent pas autant que les oiseaux de résidence , tels que les moineaux , les pinsons, les pics- verts, les chardonnerets, &c. sur qui j’ai fait les mêmes expériences. Ceux-ci pouvaient résister pendant plusieurs heures à une température de douze , treize , et même quinze degrés au-dessous du terme de la con- gélation , et recouvrer après l’épreuve leur vi- gueur ordinaire. Cette trempe plus forte contre les assauts du froid tient sans doute à leur cons- loi DANS LES DEUX SICILES. titution organique , et leur a été donnée par la j nature , qui les destinait à vivre en tout temps dans nos climats. Je terminerai ce Mémoire par une considéra- tion générale qui m’est offerte par la saison dans laquelle j’écris (1). Il est bien difficile que nous ayons jamais un automne aussi riant ; une pluie abondante a ranimé et reverdi les campagnes brûlées par les ardeurs de l’été $ une douce tem- pérature toujours égale règne dans l’air* la nuit, le thermomètre se soutient au dixième degré 5 le jour il monte jusqu’au seizième. La végétation a puisé une nouvelle vie ; des plantes qui ne se couvrent de fleurs qu’au commencement du prin- temps, en gratifient l’automne 5 on cueille en oc- tobre la violette odorante sur le bord des ruis- seaux, et parmi l’herbe des prairies. Les insectes, qui , aux premières fraîcheurs de cette saison , ou cessent d’exister, ou s’engourdissent et se cachent sous terre , bourdonnent actuellement dans les airs 5 leurs métamorphoses ont même devancé le temps prescrit par la loi ordinaire de la nature , et l’on voit des papillons du mois de mai , dégagés de leurs chrysalides , voltigeant et goûtant le suc miellé des fleurs , tandis que les cigales chantent à l’heure de midi. (1) En septembre et octobre 1793. 102 VOYAGES Si ce n’est le froid , quelle autre cause exté- rieure que le manque d’alimens peut forcer les oiseaux de passage d’abandonner un pays pour se transporter dans un autre ? Les hirondelles de la Lombardie auraient dû cette année y séjour- ner davantage ; la constante sérénité du ciel, la douce température de l’air, l’abondance des in- sectes , étaient des causes assez fortes pour les retenir encore quelque temps dans le pays 5 ce- pendant elles ne cédèrent point à de si puissantes sollicitations : à la fin de septembre elles eurent toutes effectué leur départ 5 il y a plus, les autres oiseaux de passage , tels que les rossignols (1) , les têtes noires (2),lestorcols(3), lespie-grièches(4)> les loriots (5) , les engoulevens (6), qui se nour- rissent également de vers et d’insectes, avaient suivi leur exemple. Sans doute il est dans ces oiseaux une faculté , une puissance secrète qui se réveille à des époques fixes, et les détermine, indépendamment de la température de l’atmo- sphère et de la disette des alimens, à changer de climat. (1) Motacilla lusdnia. Linn. (2) M. atricapïlla. Linn. (3) Yunx torquîlla, Linn* (4) Lanius . Linn. (5) Oriolus galbula* Linn. (6) Caprimulgus europœus. Linn» DANS LES DEUX SICILE S. loS Cette vérité est confirmée par plus d’une ob- servation. L’illustre BufFon dit que dans le temps du passage, les cailles apprivoisées sont inquiètes, agitées, qu’elles se débattent, se heurtent contre les barreaux de leur cage , qu’elles tentent tous les moyens de se sauver. J’ai un ami qui s’amuse à élever des rossignols ; il m’a assuré que vers la fin de septembre , époque ou ces oiseaux émi- grent , ils éprouvent une semblable agitation , sur-tout pendant la nuit. Ce désir de s’échapper ne peut s’attribuer ni au manque d’alimens , ni à l’impression du froid , dont on a grand soin de les garantirai ne paraît être que le résultat d’une puissance intérieure qui agît par des causes que nous ne connaissons point. VOYAGES io4 CINQUIÈME MEMOIRE, Le grand martinet à ventre blanc , hirundo melba. Linn. Quoique cette espèce d’hirondelle n’ait pas été inconnue aux anciens, et qu’elle ne soit pas rare dans les contrées de l’Europe, cependant nous savons peu de chose touchant ses mœurs, attendu qu’elle n’habite que les montagnes et les rochers escarpés (i). Je l’ai rencontrée dans quelques parties de la Suisse , dans les îles dé Pannaria , d’ischia et de Lipari 5 j’aî vu à Cons* tantinople d’anciens édifices très- élevés où elle avait fixé son domicile 5 mais nulle part je n’ai pu l’approcher d’assez près pour m’instruire de ses habitudes privées. Dans les airs, son plumage blanc en grande partie la fait distinguer du mar- tinet ordinaire , qui est noir presque par tout le corps 5 elle est le double plus grosse 5 ses ailes sont aussi plus longues à proportion , et son vol plus rapide 5 comme ce dernier , elle vole en (1) Voyez Montbeillard , de tous les naturalistes celui qui a le plus écrit sur cet oiseau. troupes DA1VS LES DEUX SICILE S. lo5 troupes plus ou moins nombreuses , et circule sans cesse autour des pointes de rochers qui s’élèvent au-dessus des précipices où elle a placé son nid 5 mais les cris qu’elle jette dans ces cir- constances sont plus retentissans, plus soutenus. Les grands martinets se font encore remar- quer par une habitude qui leur est particulière. Au milieu de leurs circuits, ils s’arrêtent et s’a- crochent par les ongles aux blocs de pierre , aux rochers situés dans le voisinage de leurs nids 5 à ceux-ci d’autres viennent s’attacher , et à ces derniers d’autres encore, formant ainsi une chaîne oscillante et animée 5 un instant après ils se séparent , volent , et recommencent leurs cris accoutumés. Plusieurs fois j’ai été témoin de ce jeu , en me plaçant au-dessous des précipices et des ruines inaccessibles au sein desquels ils établissent leurs nids ; mais la manière dont ils construisent ces nids, la ponte, l’éducation des petits, cette partie la plus intéressante de leur existence m’était tou- jours inconnue 5 et encore aujourd’hui je serais dans la même ignorance , si je n’avais appris qu’il existe à Guiglia , dans les montagnes de Modène, une haute tour dépendante du château de Mon- tecucolli , où ces oiseaux se rendent chaque an- née ; qu’ils s’établissent dans des trous d’un accès Tome VI. H VOYAGES 106 très-facile , et qu’enfin le concierge qui les sur- veille avec le plus grand soin , en envoie chaque année les petits y excellens à manger , aux pos- sesseurs du fief. C’est du concierge lui-même que je tiens les renseignemens que Ton va lire. «Leur arrivée à Guiglia a lieu vers le 12 de >> mars. Ils ne tardent pas beaucoup à pondre dans »les vieux nids 3 ou à en préparer de nouveaux, »si les anciens sont détruits. Pour leur en faci- liter les moyens, on a soin de jeter en Pair, »par les fenêtres supérieures de la tour, de pe- tites plumes qu’ils saisissent avec empressement, »et qu’ils portent dans leurs trous. Ils font deux » pontes 5 la première est de trois ou quatre œufs, »et les petits deviennent adultes à la mi-juillet 5 »la seconde n’est pour l’ordinaire que de deux s» œufs 5 les petits de celle-ci parviennent à leur » maturité vers la mi-septembre : l’incubation »dure trois semaines. Pendant les chaleurs , ils » volent la nuit autour de la tour en poussant <>des cris. Ils séjournent dans le pays jusqu’en octobre 3 mais aux premiers froids , ou à i’ap- »parition des premières neiges de ce mois, ils S) s’éloignent. Quoiqu’on leur enlève chaque an* »née leurs petits , ils ne laissent pas de faire » chaque année de nouvelles couvées » . Ges détails nous montrent quelques différences DANS LES DEUX SICILE S. I07 d’habitudes entre les grands martinets et les mar- tinets communs : d’abord l’arrivée des premiers est beaucoup plus hâtive 5 ils pondent deux fois, tandis que les seconds ne redoublent que lorsque leur première couvée est venue à mal $ enfin ceux-ci partent en juillet , et ceux-là n’aban- donnent leurs retraites qu’en octobre. La relation ne dit pas si les grands martinets, une fois entrés dans leurs trous , sont frappés d’inertie au point de se laisser prendre avec la main sans songer à fuir 5 mais je le présume , d’après ce que j?ai observé d’un jeune individu vivant qui me fut envoyé de Guiglia au mois de juillet 1794, et que j’ai conservé après sa mort dans le muséum de l’université de Pavie , où il figure à côté des autres espèces de ce genre d’oiseau. Ce martinet avait atteint tout son dé- veloppement 5 attaché à un fil et jeté en l’air, il volait avec une rapidité incroyable $ posé à terre , il parvenait à prendre son essor 5 toute- fois il fallait l’exciter, l’aiguillonner, autrement il ne faisait que s’agiter , étendre les ailes et les battre lentement contre terre sans se détacher du sol. Ainsi que le martinet commun de cet âge , il était médiocrement gras ; son poids égalait presque celui de deux martinets com- muns déjà vieux 5 il avait la partie supérieure H a V O Ÿ A & E S 108 du corps, ainsi que les ailes * noirâtres, le coü gris , la poitrine et le ventre blancs. Je renvoie pour une plus ample description à l’histoire de Montbeillard , m’arrêtant seulement à faire re- marquer ici la longueur extraordinaire des ailes chez un si petit oiseau : de la racine à la pointe , elles avaient huit pouces , et dépassaient la queue de trois grands pouces. Recourbées en manière d’arc , il suffisait de les voir pour juger combien le vol de ces oiseaux doit être rapide et soutenu. On m’envoya en même temps un nid parfai- tement conservé. Sa concavité était un peu plus grande dans toutes les dimensions que celle dû nid des martinets communs , et sa construction montrait une plus grande industrie. Des fétus de bois et de paille , du coton des peupliers , des plumes , des excrémens , sont les matériaux employés par ces derniers , et ils ne les unissent ensemble qu’au moyen du gluten qui sort de leur bouche. On ne voit point cette colle dans le nid du grand martinet; l’intérieur est revêtu d’un léger tissu de plumes délicates; sous ce tissu on trouve des brins de paille 3 de petites bûches de bois, entrelacés en cercles concentriques; ces cer- cles sont étroitement liés entr’eux,et fortifiés par une multitude de feuilles d’arbres qui en occupent DANS LES DEUX SICILE S. 109 tous les vides. Mais comment des oiseaux qui ne se posent jamais ni sur les arbres^, ni sur la terre, qui ne mangent, ne boivent qu’en volant, peuvent-ils recueillir ces feuilles ? sans doute ils les saisissent lorsque le vent les emporte dans le vague des airs. Quand le jeune martinet m’arriva de Guiglia, il y avait déjà trente et une heures qu’il était à jeun 5 après une si longue abstinence , il de- vait avoir perdu de ses forces 5 cependant je ne laissai pas de le faire passer par les épreuves du froid. Il resta sept heures sous un bocal où le thermomètre marquait huit degrés et demi au-dessous de la congélation 5 il mourut ensuite dans une glacière , après en avoir soutenu le froid vingt-cinq heures de suite : dans ces deux situations , il ne donna aucun signe de léthargie. Il est donc bien prouvé que cette affection passive ne s’empare point des diverses espèces d’hirondelles dont j’ai parlé jusqu’à présent , qui sont l’hirondelle domestique , celle de fenêtre , celle de rivage , le martinet commun et le grand martinet. Dans le quatrième tome de mes Voyages, j’ai déjà prévenu le lecteur que ces cinq espèces nichent non-seulement dans les îles Æoliennes, mais que quelques-unes d’entr’elles , à la réserve H 3 3 lO VOYAGES de l’hirondelle de rivage, y séjournent pendant l’hiver. En effet , dans les beaux jours de cette saison , quand le ciel est serein , et que l’atmo- sphère est réchauffée par les vents du sud , on les voit voltiger, principalement le long des rues de la ville de Lipari. A mon départ de ces îles, vers la mi- octobre, on remarquait encore dans les airs des hirondelles domestiques et des grands martinets. Sans doute quand le temps devient sombre et froid 5 ce qui arrive rarement dans ce pays où l’hiver est assez doux , ces oiseaux se cachent dans les retraites qui leur offrent le plus de sûreté. Je ne dirai pas pour cela que dans ces intervalles ils tombent en léthargie, puis- que j’ai démontré le contraire $ mais je sup- pose qu’ils s’abandonnent à un état de repos et d’inertie dont ils sortent à l’apparition d’un jour chaud et riant , qui réveille en même temps les insectes 5 alors ils vont à la chasse , et pour- suivent leur proie avec d’autant plus d'empres- sement , qu’ils ont souffert plus long - temps la faim. Cette abstinence au reste est d'autant moins pénible , qu’ils portent avec eux une sorte de provision propre à les nourrir plus ou moins pendant un certain temps, je veux dire cette graisse abondante dont ils sont fournis à cette époque , ainsi que je l’ai observé dans des hirondelles domestiques et de fenêtre prises BANS LES DEUX SICILE S. 111 vers la fin de septembre, au moment quelles s’apprêtaient à s’éloigner du pays ( J^oyez le mémoire précédent ). Excepté îe petit nombre de ces oiseaux qui hivernent dans les îles Æoliennes et dans quel- ques parties de la Sicile , je crois que les autres, auxquels se joignent ceux de nos contrées , passent en Afrique. Nul autre climat ne leur offre ni un trajet plus court , ni une tempé- rature plus appropriée à leur constitution. Dans mes diverses stations sur le détroit de Mes- sine où j’étais occupé à pêcher des méduses phosphoriques , je me suis souvent arrêté à les voir passer dans les airs , et voler par troupes au-dessus du détroit dans la direction du nord au sud , c’est-à-dire dans celle de l’Afrique^ W 4 ï 12 VOYAGE» SIXIÈME MÉMOIRE. V ' - ..... • ' o : ' Sur le scops , ou petit duc (1). Strix scops, Linn , D ans le genre des hiboux, nous ne connais- sons pas en Europe d’espèce plus petite que celle qui fait le sujet de ce mémoire. Elle a sept pouces de longueur depuis le bout du bec jusqu’aux ongles , et dix-huit pouces trois lignes de vol ou d’envergure : son poids est d’environ cinq onces. Son plumage est varié de jaune , de roux, de brun , avec de petites bandes longitudinales marquées d’un blanc cendré sur les bords , et de noir dans le milieu. Elle a la tête grosse , un peu proéminente $ le bec crochu , d’un noir bleuâtre 5 l’œil noir , large et saillant 5 l'iris d’un jaune vif 5 les narines renflées et ovales, ombra- gées de petites plumes soyeuses et pendantes 5 laîangue un peu longue, fourchue 5 quatre doigts au pied, trois antérieurs , un postérieur 5 les on- gles courts , crochus , aigus j dix-huit pennes à l’aile et douze à la queue. (O En italien , chivini , DANS LES DEUX S I C I L E S. 1 1 5 Sa tête est surmontée de deux aigrettes sem- blables à des oreilles. Linnée , Aldrovande , Buf- fon, ont cru que chacune de ces aigrettes n’était composée que d’une seule plume , et ils en ont fait un caractère spécifique pour distinguer le petit duc des autres hiboux qui portent des ai- grettes à plusieurs plumes. Sans doute ces grands naturalistes n’ont pas eu l’occasion d’examiner un seul individu de l’espèce que je décris, au- trement ils auraient reconnu que les mâles comme les femelles ont six plumes à leurs aigrettes. En traitant de l’histoire de cet oiseau , je le considérerai d’abord dans l’état de nature , jouis- sant de son indépendance originaire 5 ensuite dans l’état de domesticité, apprivoisé par mes soins, et déployant sous mes yeux son instinct et son caractère. La plupart des autres oiseaux df proie noc- turnes , tels que la chevêche (1) , l’effraie (2) , le grand duc (5), sont de résidence dans le pays 5 mais le petit duc n’y est que de passage 5 il arrive en avril , et pour l’ordinaire apparié. Il choisit son domicile dans les cantons parsemés de col- (1) Strix passerina. Linn. (2) Strix Jlammea. Linn. (3) Strix bubo. Linn. VOYAGES ll4 lines boisées , dans les sites un peu montueux ; rarement il s’établit sur les hautes montagnes; il se nourrit d’insectes et de vers terrestres, ce que j’ai reconnu en ouvrant l’estomac à plusieurs individus en diverses occasions ; et c’est justement à l’époque de son arrivée que ces insectes et ces vers sortent de terre. Durant le jour , le petit duc se tient à l’ombre dans les bois ; juché sur une branche d’arbre , il y reste immobile , avec ses oreilles pointues dressées en l’air. ïl se laisse approcher de très- près , et ne fuit que pour aller se cacher de nouveau dans l’épaisseur des feuillages. Vers le crépuscule du soir , il sort de sa retraite , se perche sur un arbre dans un lieu ouvert , et chante. Sa voix se fait entendre chaque nuit pendant la belle saison ; elle consiste en une espèce de sifflement court et fréquent qui rend à-peu-près le son du mot chivi , d’où lui est venu le nom de chivini . Les oiseaux nocturnes , pour la plupart , ne se construisent point de nids, et ne pondent pas non plus dans des nids étrangers : le petit duc est de ce nombre; la femelle dépose ses œufs, au nombre de cinq ou six , dans des creux d’ar- bres , sans se donner la peine d’y mettre de la mousse , des feuilles , ou des brins de paille^ DANS LES DEUX SICILES. Il5 J’ignore quelle est la durée précise de l’incu- bation; je sais seulement que les petits sont déjà adultes et dispos pour le vol au commencement du mois de juillet ; ils suivent pendant la nuit le père et la mère pour en recevoir la becquée* jusqu’à ce qu’ils aient appris à manger seuls, et à poursuivre les sauterelles , les grillons , les scarabées , et autres insectes dont ils se nour- rissent ; alors les liens de la famille se rompent; le père * la mère , les petits , chacun se sépare , se disperse; chacun vit solitairement* sans ce- pendant s’éloigner encore du pays natal. Ces hiboux ne font qu’une seule ponte par an ; toutefois ils habitent nos climats jusqu’au com- mencement d’octobre, et c’est à cette époque qu’ils deviennent très-gras , sur-tout les vieux , c’est-à-dire ceux de l’année précédente. Leur chair, savoureuse , délicate , serait un très-bon manger, si elle n’avait une odeur un peu sau- vage et désagréable ; elle n’est pas pour cela dédaignée des chasseurs , qui surprennent ces oiseaux vers le crépuscule du soir en imitant leur cri : les petits ducs accourent en répon- dant , et se perchent sur l’arbre le plus voisin sans paraître du tout intimidés. Pourquoi cette espèce est- elle la seule de son genre sujette à émigrer ? Je ne saurais attribuer VOYAGES Ïl6 son départ aux fraîcheurs de la saison ; je crois plutôt qu’elle est sollicitée par la disette à quitter le pays ; alors les petits animaux dont elle fait sa pâture ou cessent de vivre , ou se cachent dans la terre , tandis que la chevêche , l’effraie, le grand duc , peuvent chasser en tout temps les taupes , les rats , les petits oiseaux qui sont les objets de leurs rapines. Mais où va-t-elle? Je l’ignore, ou du moins je ne puis former que des conjectures qui, quoi- que très - plausibles , ne tiennent pas lieu de preuves. J’ai vu et entendu chanter des petits ducs dans l’île de Lipari vers la fin d’octobre, trois semaines environ après leur disparition en Italie; quelques-uns s’y arrêtent même tout l’hiver; or, comme cette île volcanique nourrit très -peu d’insectes , n’est-il pas vraisemblable que le plus grand nombre de ces oiseaux passent en Afrique, où le climat et le sol leur procurent d’abon- dantes subsistances dans le temps même qu’elles manquent dans les pays qu’ils abandonnent? l’iti- néraire des oiseaux de passage , cette partie la plus intéressante de leur histoire, est peut-être celle que nous connaissons le moins. A la vérité, nous avons la certitude que les hirondelles do- mestiques et les cicognes hivernent en Afrique, et nous devons cette connaissance au voyageur DANS LES DEUX SI CI LE S. 117 Àdanson , qui les a observées au Sénégal ; mais combien d’autres oiseaux de passage dont la vie errante nous est cachée ! Les têtes noires (1) , par exemple , les rossignols (2) , les loriots (3) , les torcols (4) , les engoulevents (5) , les orto- lans (6) , &c. qui viennent habiter nos climats au retour du printemps , pondent , élèvent leurs famill es dans nos champs, et disparaissent à l’ap- proche de l’hiver. Indépendamment du froid , que l’on pourrait compter au nombre des causes de leur émigration , il est évident que venant à manquer de ces vers , de ces insectes , de ces semences végétales dont ils se nourrissent , la nécessité les contraint de passer dans les pays qui en sont pourvus ; et telle étant l’Afrique pen- dant l’hiver , nous en inférons qu’elle devient l’asile et la ressource de ces oiseaux. Ce n’est là cependant qu’une simple induction $ pour avoir des preuves directes de la vérité , il fau- drait aller sur les lieux. Où sont les voyageurs qui , comme Adanson , auront le courage de (1) Motacilla atricapilla. Linn. (2) M. luscinia. Linn. (3) Oriolus galbula. Linn. (4) Yunx torquilla. Linn. (5) Caprimulgus europœus . Linn. (6) Emberiza hortulana. Linn. VOYAGES I 18 parcourir ces climats brûlans , de s’exposer à des fatigues de tout genre , dans l’unique but de lever les doutes qui offusquent encore cette partie de l’histoire des oiseaux de passage ! Tant il est vrai que les sciences naturelles ne s’ac- quièrent qu’au prix des efforts les plus soutenus, et de la constance la plus invariable. Il m’a toujours paru que le tableau des mœurs d’un quadrupède, d’un oiseau, n’était jamais plus complet que , lorsque réunissant l’art et la na- ture , on les montrait tour-à-tour et dans l’état sauvage, et dans l’état domestique. Les animaux sauvages se laissent difficilement approcher par l’homme ; et s’ils sont forcés de rester sous ses regards , la crainte que sa présence leur inspire les tient toujours dans la réserve 3 mais une fois apprivoisés par ses soins et ses bienfaits , leur confiance est sans borne , et ils se livrent devant lui à tous les mouvemens de leur instinct. C’est ainsi que je me suis conduit à l’égard du hibou dont je trace l’histoire. Les premiers dont je fis l’éducation étaient si petits, si faibles , qu’à peine un léger duvet couvrait leur corps. Au bout d’un mois, je les avais tellement captivés qu’ils ne pouvaient plus se passer de ma présence ÿ ils mangeaient de toute sorte de chair coupée par petits morceaux ; quand ils étaient stimulés par DANS LES DEUX SICILE S. 119 la faim , ils me suivaient en volant , et venaient se poser sur ma main pour recevoir la becquée, non-seulement pendant le crépuscule du soir , mais en plein midi, et lors même que leur chambre donnait entrée aux rayons du soleil , ce qui me démontra qu’une vive lumière n’était point ca- pable de leur ôter la vue des objets. Néanmoins ils paraissaient souffrir de cette grande clarté j souvent ils fermaient les yeux , et si-tôt qu’ils avaient satisfait leur appétit, ils se retiraient dans les coins les plus obscurs. Une autre année , j’élevai sous un berceau de mon jardin six autres individus qui ne faisaient que d’éclore ; ce berceau , dont le feuillage les garantissait de la trop vive clarté du jour , fut leur unique habitation tant qu’ils restèrent avec moi. Quand je les appelais en imitant leur cri, ils répondaient à ma voix , me suivaient par- tout ! où je voulais; le soir ils sortaient de leurs niches, volaient sur mes épaules, et prenaient entre mes doigts la nourriture que je leur apprêtais. Quand ils étaient rassasiés , ils voltigeaient toute la nuit dans les environs , se perchaient sur les arbres du voisinage , et le matin revenaient au berceau : alors ils faisaient un second repas qui les con- duisait jusqu’à la fin du jour. Pendant l’espace d’un mois, ils me restèrent ainsi afFectionnés, î 20 VOYAGES s’envolant chaque nuit dans les campagnes voi- sines , et revenant au logis chaque matin. Mais un jour je m’apperçus qu’il en manquait deux; les ayant cherchés et appelés , ils me ré- pondirent du haut d’un orme situé à la distance de trois cents pieds environ du berceau ; j’eus beau les inviter à descendre , ils restèrent à leur place; le soir ils s’enfuirent sans que je pusse savoir où ils étaient allés ; le lendemain leurs cris m’avertirent de leur retour sur l’orme. Deux jours s’étant écoulés sans qu’ils eussent reçu aucune nourriture de mes mains , sans qu’ils se fussent même souciés d’en recevoir, je soupçonnai que la nature leur avait appris à se passer de mes soins. En effet, d’un coup de fusil ayant sacrifié l’un d’eux à ma curiosité , je lui trouvai dans l’estomac des restes de sauterelles , tandis que les alimens que je leur donnais en ce temps-là n’étaient autre chose que des morceaux d’intes- tins hachés très-menus. Je ne pouvais me trom- per en prenant un hibou sauvage pour un des miens apprivoisés; car , pour éviter toute équi- voque , chacun d’eux avait un Fil de soie noué au pied , et celui que j’avais tué portait justement cette marque. Bientôt après , l’exemple de ces deux fuyards fut imité par les autres ; et quoique le temps de l’émigration fût encore assez éloigné , ils DANS LES DEUX SICILES. %2t Ils ne reparurent plus dans les environs , ayant probablement pris leur essor au loin , dégagés de toute dépendance de l’homme. Ainsi se comportent presque tous les animaux sauvages par instinct , mais que nous avons su captiver pour un temps. En les élevant tout pe- tits , en conversant fréquemment avec eux , ils deviennent aimans , caressans, et cela dure tant qu’ils ont nécessairement besoin de nous$ sont-ils assez forts pour se passer de nos soins , leur familiarité diminue peu-à-peu , leur confiance s’affaiblit 3 d’amis qu’ils étaient auparavant ils de- viennent nos ennemis 3 ils nous échappent enfin , et nous fuient comme les tyrans de la nature. Qu’il me soit permis de raconter à ce sujet l’histoire de trois jeunes faucons que j’avais éle- vés pendant mon séjour à Scandiano. Ils étaient si bien apprivoisés, qu’après avoir erré la journée entière sur les plaines et les collines d’alentour, ils revenaient fidèlement chaque soir à la maison que j’habitais et qui leur avait servi de berceau ; chaque soir ils me demandaient leur pâture , puis allaient se coucher sur un chêne voisin très-élevé 5 le lendemain de grand matin ils s’abattaient sur mes fenêtres , me réveillaient par leurs cris , voulant que je leur donnasse à manger , et ne s’éloignant que lorsqu’ils étaient repus. Plusieurs Tome FI» I Ï22 VOYAGES de mes amis , et entr’autres le professeur Cre- mani , des étrangers même , se rendaient tout exprès chez moi pour être témoins de cette scène intéressante ; et certes , malgré ce que Ton sait de l’art de la fauconnerie , c’était tou- jours une chose curieuse de voir ces trois oiseaux maîtres d’eux-mêmes , et jouissant de l’empire des airs , à l’appel de leur bienfaiteur, descendre en tournoyant des hauteurs où l’œil les distin- guait à peine , s’abattre sur son poignet , recevoir ses soins et ses caresses sans se laisser intimider par la foule des spectateurs. Cependant cette confiance , toute parfaite , toute entière qu’elle était , ne dura pas long- temps. Sans doute leurs visites assidues , soir et matin , ne provenaient que de l’obligation de sa- tisfaire à un besoin physique de première né- cessité , et de l’ignorance des moyens que la nature leur avait donnés pour y pourvoir d’eux- mêmes. Soit qu’ils reçussent cette instruction d’un quatrième faucon qui se mêla avec eux pendant quelques jours , soit que le moment fût venu où leur propre instinct devait se dévelop- per et les rendre plus industrieux, ils ne me re- cherchèrent plus avec le même empressement; bientôt ils ne parurent plus à mes fenêtres, mal- gré que je me fatiguasse à les appeler ; toutefois DANS LES DEUX SICILE S. 123 Ils conservaient encore un reste de familiarité en venant dormir sur le chêne voisin ; mais ce faible reste vint aussi à s’effacer , et enfin ils ne connurent , ils ne suivirent plus que les mœurs sauvages de leur espèce : tant il est vrai que la nature , chez les animaux , ne perd jamais ses antiques droits (i) ! Pour revenir à l’histoire de nos petits ducs , je dois parler d’une troisième nichée de six pe- tits, dont j’entrepris l’éducation dans le but de (1) Ces faucons avaient des caractères particuliers qui les distinguaient des autres espèces connues. Leur tête était brune, tachetée de jaune; leur cou entouré d’un collier jaune - cendré , et entrecoupé de deux taches noires, longitudinales ; le bec, et cette membrane que l’on nomme la cire , étaient couleur d’azur. Ils avaient l’œil vif et noir, le limbe des paupières jaunâtre, la partie supérieure du corps brune, la partie inférieure jaune avec des taches noires alongées, le croupion roux- clair , les cuisses piquées de noir et de jaune, les pennes des ailes noires , avec des bandelettes transversales d’un jaune roussâtre ; les pennes de la queue au nombre de douze , brunes en dessus , et d’un jaune blanchâtre en dessous ; les pieds nuds et jaunes, les ongles noirs. Ils avaient la grosseur d’un pigeon bizet , mais des ailes beaucoup plus longues ; ces ailes , dans l’état de repos , passaient sous la queue et se croisaient par le bout ; ils volaient tantôt avec lenteur , tantôt avec un© ï 2 I VOYAGES 124 m’éclairer toujours davantage sur l’instinct et les habitudes de l’espèce , en tâchant de les conserver tout l’hiver, et de les observer dans une saison pendant laquelle ils ont coutume de s’absenter. Je me procurai en même temps une nichée de cinq chevêches (1) qui avaient à peine des plumes, et j’élevai tous ces oiseaux en com- mun dans la même chambre. La chevêche et le petit duc diffèrent peu de couleur et de gros- seur, mais ils ont d’autres traits qui les distin- guent : la chevêche ne porte point d’aigrette 5 extrême rapidité au gré de leurs appétits ; ils se com- plaisaient à s’élever très-haut, à rester, comme les milans, des heures entières dans le vague des airs , et à lutter contre le vent. J’ignore si leur espèce n’est que de passage dans le pays, je sais seulement que ces trois faucons y étaient nés ensemble. Ils avaient deux cris différons, l’un vif, aigu , dont ils se servaient sur- tout le matin et le soir , ou quand ils étaient frappés de crainte ; l’autre moins vif, mais plus soutenu et toujours plaintif, qu’ils faisaient entendre toutes les fois qu’ils demandaient à manger. Si les noinenclateurs trouvaient ces caractères suffisans pour établir une nouvelle espèce de faucons, ils pourraient désigner celle-ci par l’épithète de plaintive , et tracer ainsi leur phrase ; Falco cerâ rostroque cœrulescentïbus , pedibus nudis flavis , collari flavo-cinereo , maculis duobus nigris , corpore supra fusco , rectricibus supra ferrugineis , apice flavo pallidis . (1) Strix passerina . Linn. 120 BANS LES DEUX SICILE S. sa tête n’est point proéminente , elle est plutôt applatie ; son bec est d’un jaune foncé 5 ses jambes sont couvertes jusqu’à la racine des on- gles de plumes courtes et fines , tandis que chez le petit duc , cette couverture ne s’étend que sur les tarses. La chevêche déchire sa proie avec le bec à la manière des faucons , et l’engloutit immédiatement ; le petit duc , après l’avoir dé- chirée , la saisit avec les articulations du pied , et la porte à la bouche, comme fait le per- roquet. Ces deux espèces ont aussi des instincts très- opposés ; autant le naturel du petit duc est do- cile, autant celui de la chevêche est rebelle; l’un s’apprivoise aisément , l’autre se refuse à toute familiarité. Les chevêches dont je pre- nais soin , couvertes à peine d'un léger duvet , ouvraient alors volontairement le bec quand je leur présentais à manger ; mais devenues plus grandes et capables de courir dans la chambre, elles ne voulaient plus rien recevoir de ma main , je laissais tomber à terre les morceaux que je leur destinais , elles les prenaient et couraient se cacher dans un coin pour les dévorer sans être apperçues ; si je me mettais en devoir de m’emparer d’elles de vive force , elles s’avan- çaient pour mordre , ou se couchaient sur I© I 5 VOYAGES 12 S dos en alongeant les pieds et la tête pour frapper du bec et de l’ongle. Ces cinq chevêches vivaient comme je l’audit avec les petits ducs qui étaient au nombre de six 5 un matin je n’en trouvai plus que cinq , quoique la porte fût restée exactement/ fer- mée ; en cherchant dans tous les coins, j’ap- perçus des jambes et des pointes d’ailes , uni- ques restes de celui qui manquait 5 nul doute qu’il n’eût été dévoré. Mon soupçon tomba sur les chevêches , et avec justice , car la nuit sui- vante j’en surpris une sur le corps d’un petit duc tout occupée qu’elle était à le déchirer. Cependant la faim ne l’avait point poussée à cet acte de cruauté 3 sa pâture ordinaire ne lui avait point manqué 5 elle en avait même au-delà de ce qu’elle pouvait consommer. Pour garder vivans les quatre autres petits ducs , je renfermai les chevêches dans une cage 3. mais quelle fut ma surprise au bout de deux jours, d’en trou- ver une tellement dépécée par ses propres com- pagnes 9 qu’il n’en restait que les ailes, le bec et les pieds ! Cet événement me fit connaître combien le naturel féroce de cet oiseau s’éloigne de celui du petit duc qui ne fait que pourchasser les insectes. Cependant ces deux espèces très-voi- DANS LES DEUX SICILE S. l'2j sînes l’une de l’autre , diffèrent peu de grosseur et de force 5 elles ont dans le bec et les ongles , des armes à-peu-près égales : ce qui montre que c’est, non la force précisément, non les armes , mais le courage ,' la hardiesse qui sou- vent décident de la supériorité chez les animaux. Quel oiseau plus petit , plus faible , plus inca- pable en apparence d’attaquer ou de se dé- fendre que le colibri d’Amérique , dont le bec si délié ne paraît propre qu’à sucer , comme la trompe des abeilles , le miel des fleurs ? Ce- pendant nous en connaissons de si hardis, qu’ils s’élancent sur des oiseaux vingt fois plus gros qu’eux , et les harcèlent au point de leur faire prendre la fuite. Les pie-grièches donnent la chasse aux geais , aux pies ; les faucons ( et il s’en trouve qui ne sont pas plus gros que des merles ) attaquent et tuent de gros oiseaux , tandis que les milans , les buses , qui ont en partage la force du corps , du bec et des on- gles , ne se jettent que sur des charognes , ou ne pourchassent tout au plus que les petits ser- pens et les lézards. Il faut donc admettre dans les chevêches une audace d’instinct qui manque absolument au petit duc dont nous traçons l’his- toire. De savans naturalistes avaient prétendu que I 4 VOYAGES 2 28 ces oiseaux appelés nocturnes , ne discernaient pourtant pas les objets au milieu des ténèbres de la nuit , et qu’ils méritaient plutôt le nom à' oi- seaux crépusculaires . Mes petits ducs si bien apprivoisés, m’offraient une occasion trop favo- rable de vérifier cette conjecture , pour ne pas la saisir avec empressement. Dans la fami- liarité dont ils usaient envers moi , j’ai dit qu’ils avaient l’habitude de voler sur ma main pour recevoir la becquée ; je commençai par éprouver s’ils en feraient autant la nuit dans une chambre où je ne laisserais entrer qu’une lumière crépus» culaire , au moyen d’une chandelle allumée placée contre la porte , devant un petit trou que j’y avais pratiqué tout exprès pour ne donner passage qu’à quelques rayons. Cette lueur toute faible qu’elle était , me fit distinguer par mes oiseaux , qui vinrent à l’ordinaire volti- ger sur mes épaules. J’éteignis la chandelle et rendis la chambre totalement obscure : ils res^ tèrent immobiles à leur place 5 je les appelai, les invitai de la voix à s’approcher, ils répon- dirent avec le cri d’appel , le répétèrent inces- samment , mais sans avancer d’un seul pas, quoi- que très-pressés par la faim. Je rétablis la lumière crépusculaire et leur jetai des morceaux de chair sur une table , ils DANS LES DEUX S I C I L E S. î?9 Volèrent dessus pour les manger; j’éteignis de nouveau la lumière et recommençai l’épreuve, ils ne bougèrent pas. Alors je les pris et les plaçai sur la table tout à côté de la chair ; ils n’y touchèrent point , preuve certaine qu’ils ne la voyaient pas, et qu’ils avaient même l’odorat très-faible puisqu’avec le seul secours de ce sens , ils auraient pu la trouver. Les observations suivantes me confirmèrent toujours davantage dans l’opinion que ces oi- seaux ne discernent nullement les objets dans une obscurité totale. Les volets de leur chambre ne fermaient pas si bien qu’ils ne laissassent pas- ser quelques rayons de lumière extérieure ; et quand il faisait clair de lune, j’entendais distinc- tement de mon lit les petits ducs voltiger çà et là ; mais jamais aucun bruit semblable ne frappait mes oreilles quand la lune ne brillait pas. Quelquefois au commencement de la nuit, je leur donnais à manger à la lueur de la chandelle, et en me retirant je les posais tout exprès sur le plancher ; je revenais ensuite les visiter avant le point du jour. Si la lune s’était levée de bonne heure , j’étais sûr de ne jamais retrouver mes oi- seaux où je les avais placés la veille, les uns étaient perchés sur les chaises , les autres sur les corniches ; mais je les retrouvais infailliblement VOYAGES IOO à leur première place quand l’astre de la nuit avait été caché sous l’horizon, ou voilé par d’épais nuages» Dans ce dernier cas, environnés d’une obs- curité absolue dès le moment que je m’éloignais d’eux , ne sachant de quel côté diriger leurs pas ou leur vol , ils restaient où ils se trouvaient. Un soir que je leur donnais à manger comme à l’ordinaire, un d’eux se détacha de la corniche pour venir à moi dans le moment qu’un autre re- tournait à sa place en volant ; le hasard voulut que celui-ci donnât de ses ailes dans la flamme de la chandelle et l’éteignît : le premier qui était en l’air tomba au même instant à terre , tant la lumière leur est nécessaire pour la direction du Au reste , cette lumière peut se trouver tel- lement raréfiée qu’elle ne suffise plus pour les conduire. Plus d’une fois je suis entré la nuit dans leur chambre lorsque le ciel était resplendissant d’étoiles ; je ne discernais aucun objet environ- nant, et cependant je m’appercevais très -bien que l’obscurité n’était pas absolue. Au milieu de cette lueur extrêmement atténuée, mais encore sensible à mes yeux , les petits ducs répondaient à ma voix sans oser sortir de leur place. J’ouvrais ensuite les fenêtres et donnais un passage libre à 3a lumière des étoiles qui auparavant n’entrait DANS LES DEUX SICILE S. l3l que par les fentes des volets : cet accroissement de clarté n’opérait point assez sur mes yeux pour y imprimer l’image des objets ; mais il suffisait pour guider mes oiseaux qui se mettaient à volti- ger , et venaient manger dans ma main. J’ai répété ces expériences dans un lieu ouvert; la nuit , je les portais dans mon jardin et les posais sur les branches inférieures d’un arbre ; ensuite je m’éloignais de cent pieds environ , et les appe- lais : si la lune était levée , ou si les étoiles bril- laient dans le ciel , les petits ducs ne manquaient pas d’accourir à ma voix ; seulement ils étaient moins prompts à quitter l’arbre et moins fermes dans leur vol , quand ils n’étaient dirigés que par la lumière des étoiles. Mais en l’absence de la lune, et quand le ciel était voilé d’épais nuages, j’avais beau les appeler en me rapprochant d’eux, ils restaient perchés sur la branche répondant par des cris continuels , mais ne faisant point un pas pour venir à moi. Il me semble que la question qui nous occupe est suffisamment éclaircie pour asseoir notre juge- ment. Je dis donc que l’œil du petit duc est con- formé de manière qu’il ne reçoit aucune im- pression des objets , non -seulement dans un milieu totalement obscur, mais encore pénétré d’une lumière qui n’est pas tout-à-fait inappré- VOYAGES î52 ciable à l’œil humain ; que si cetteiumière éprouvé une légère augmentation , quoiqu’insuffisante pour nous faire distinguer les objets, elle suffira au petit duc qui verra parfaitement à se conduire. Ainsi l’épithète de crépusculaire que l’on voudrait donner à cet oiseau, n’est point exacte, puis- qu’au milieu de la nuit à la seule clarté des étoiles, il peut diriger son vol et exercer dans les champs et sur les arbres ses petites rapines. J’aurais désiré des renseignemens semblables sur d’autres espèces de hiboux ou de chouettes 5 mais pour les obtenir, il aurait fallu les appri- voiser au même degré , ce qui est impossible. On a vu combien la chevêche conserve son ca- ractère indocile , lors même qu’elle est élevée dès la coquille. Il est vrai que les chasseurs s’en servent pour attraper d’autres oiseaux en l’ac- coutumant à se tenir au sommet d’un bâton re- vêtu de drap rouge , à sauter du bâton à terre , et de la terre au bâton , ofFrant ainsi un spectacle ridicule aux petits oiseaux des champs qui accou- rent en foule pour se moquer d’elle, et vien- nent se prendre à des gluaux ; mais cette che- vêche est attachée par un cordon , autrement elle ne manquerait pas de s’enfuir : elle est réduite non dans l’état de domesticité , mais dans celui de servitude. DANS LES DEUX SICILES. l33 Un jour l’on m’apporta trois petites effraies (i), dont les plumes commençaient seulement à pa- raître. Je devais espérer que ces oiseaux qui pla- cent leurs nids dans nos villes , qui naissent et vivent sous nos propres toits , seraient suscep- tibles d’une éducation plus facile : tout au con- traire, je les trouvai plus rebelles que les chevê- ches elles-mêmes ; je ne parvins jamais à leur faire avaler des alimens , et ils périrent de faim au bout de quelques jours ; la même chose arriva à une autre effraie qui avait été prise dans un lacs, mais celle-ci était adulte, et conserva assez de vigueur pendant deux jours pour me donner l’occasion d’éprouver ses facultés visuelles , en l’associant dans ces expériences aux chevêches que je nourrissais à cette époque. Voici les résultats. Quand un faible rayon de lumière, émanant d’une chandelle allumée, per- çait dans les ténèbres de la chambre où ces oiseaux étaient renfermés , ils volaient librement et avec confiance ; quand cette lueur était affai- blie au point que je ne pouvais moi-même la discerner , qu’après avoir resté quelque temps dans la chambre , ils ne bougeaint plus de leur place; je les harcelais , et ils n’étendaient point leurs ailes pour s’envoler; je les jetais en l’air, (1) Strix flamme a, Linn. y t l34 V O Y AGES et ils retombaient sur le plancher, ou bien ils allaient donner de la tête contre les murs : preuve certaine que la lumière trop raréfiée dans ce dernier cas , ne faisait point une impression suffisante au fond de leurs yeux pour qu’ils pussent recevoir l’image des objets environnans. Je suis persuadé que la même loi d’optique s’étend à tous les autres oiseaux de nuit. Sans doute leurs yeux sont autrement confor- més que ceux des oiseaux de jour , ils sont plus grands ; ils ont la pupille beaucoup plus large , les fibres de la rétine plus délicates , plus sen- sibles. On sait que la pupille des chats peut se resserrer perpendiculairement , se fermer pour ainsi dire 5 celle des oiseaux nocturnes n’a pas cette faculté au même degré. J’ai mesuré la pu- pille des effraies et des petits ducs dans le passage des ténèbres à la lumière : le diamètre de celle des effraies est de trois lignes et un sixième par une nuit très - obscure, et d’une ligne aux rayons immédiats du soleil 5 le diamètre de celle des petits ducs est dans le premier cas , de quatre lignes ; dans le second , d’une ligne et un sixième. Cette ouverture est plus que suffisante pour don- ner passage à un faisceau de lumière capable d’offenser l’organe visuel de ces oiseaux , qui est d’une sensibilité extrême $ aussi cherchent-ils les DANS LES DEUX SICILE S. l35 lieux obscurs où la lumière est atténuée au point de les éclairer sans les blesser. Il existe à la vé- rité des animaux tels que les chauve-souris , les chats , les fouines , &c. qui se meuvent avec promptitude et sûreté dans un milieu totalement privé de lumière ; mais les chauve-souris ont en elles un sens qui supplée à la vision , ainsi que je l’ai démontré ailleurs 5 quant aux chats , aux fouines, &c. on sait que leurs yeux brillent dans les ténèbres comme deux petits flambeaux, et cette sorte de lumière phosphorique ne paraît point exister dans les yeux des oiseaux nocturnes. Il paraissait superflu d’éprouver si l’habitude de ne sortir de leurs retraites qu’après le coucher du soleil provenait uniquement de ce que la lu- mière, à cette époque du jour, commençait à devenir assez tempérée pour ne plus blesser leurs yeux 5 cependant je voulus m’en assurer par l’ex- périence, sur-tout ayant observé que les chauve- souris , dans une chambre éclairée artificielle- ment après le coucher du soleil , au lieu de conti- nuer à rester suspendues, et comme immobiles au plafond, s’en détachaient aussi-tôt et cherchaient à s’évader.Voici comment les petits ducs se com- portaient dans les mêmes circonstances. Le jour, ils se perchaient sur une corniche dans les en- droits les moins éclairés ; à l’approche de la i56 VOYAGES nuit j si je substituais la lumière de plusieurs flam- beaux à celle du soleil , ils continuaient de res- ter cachés à leur place ; en plein midi, je n’a- vais qu’à fermer les volets et créer une sorte de crépuscule artificiel , ils ne tardaient pas à s’a- giter, à battre des ailes, puis à voltiger comme ils avaient coutume de faire dans le crépuscule du soir; au milieu de la nuit , je les forçais tous à s’aller cacher , en allumant à-la-fois plusieurs flambeaux. Il est donc très-certain que la dimi- nution de la lumière est ce qui détermine ces oi- seaux à sortir de leurs retraites, comme l’aug- mentation les oblige à y rentrer : on peut en dire autant des autres espèces congénères. Au reste , je ne nie pas que l’aiguillon de la faim ne doive aussi les y exciter , attendu qu’ils restent à jeun tant que dure le jour. Quant à la migration des petits ducs en au- tomne , je crois que la disette y a beaucoup plus de part que la froidure du climat, et voici les faits sur lesquels j’établis mon opinion. Ces oi- seaux quittent le pays vers le sept d’octobre au plus tard ; alors le thermomètre se tient le jour, entre le douzième et le quinzième degré au-dessus de zéro ; la nuit, il descend à dix. De cinq indi- vidus que je gardais vivans pour ces nouvelles expériences, j’en enfermai trois le cinq novem^ bre , DANS LES DEUX SICILE S. iZ’J bre, dans mon cabinet d’étude dont la tempéra- ture se maintenait au moyen d’un poêle , entre le huitième et le dixième degré 5 ils y restèrent jusqu’au quatre de mars , et jouirent toujours d’une bonne santé 5 j’enfermai les deux autres dans la chambre voisine où la chaleur du poêle ne pénétrait point , et où ils dûrent se ressen- tir des progrès de l’hiver. Durant le cours de cette saison , la plus douce température de cette seconde chambre fut de six degrés au-dessus du terme de la congélation , et la plus froide de trois degrés trois quarts au-dessous. Cependant ils se conservèrent aussi vigoureux , aussi gaillards , aussi gras que leurs trois compagnons qui ha- bitaient la chambre du poêle. J’observai seule- ment que si je transportais subitement un de ces derniers dans l’autre chambre quand la tempéra- ture s’y trouvait, par exemple, au terme de la congélation , l’oiseau paraissait incommodé , il rebroussait ses plumes , tombait dans une sorte d’engourdissement, et cela n’a rien d’étonnantj nous -mêmes nous éprouvons la même sensa- tion désagréable en passant immédiatement d’un lieu chaud dans un lieu froid. Ainsi concluons que la destruction ou du moins la diminution considé- rable des insectes sur la terre, à l’approche de l’hiver , est sinon l’unique , du moins la princi- pale cause de la migration de ces oiseaux. Tome VI . K VOYAGES il 58 Pendant le cours de vingt mois que j’ai nourri dans ma maison les cinq individus dont je viens de parler, j’ai pu connaître plus particulièrement leur manière de vivre. Comme la plupart des oiseaux de rapine , ils ne buvaient point ; cepen- dant ils cherchaient l’eau pour se baigner 5 ils en étaient tellement avides , que par-tout où ils trouvaient un bassin plein d’eau , ils ne man- quaient pas de s’y jeter, même au cœur de l’hi- ver, et plusieurs fois ils se seraient indubitable- ment noyés si je ne les avais secourus à temps. Us étaient trois mâles et deux femelles, comme je le reconnus par la suite à l’ouverture de leur corps. Les mâles chantaient souvent la nuit du- rant le mois de mai 5 les deux femelles restèrent toujours silencieuses. La mue qui arriva au mois de juin , les couvrit d’un manteau plus brun que le précédent ; les ai- grettes prirent aussi une teinte plus foncée. J’ai indiqué l’erreur de Linné et de plusieurs autres naturalistes, qui ne comptent dans ces aigrettes qu’une seule plume : voici quelques observations à ce sujet. Le grand duc et le moyen duc (1) portent toujours leurs aigrettes très-relevées 5 le petit duc au contraire rabaisse souvent les siennes. (1) Slrix bubc . S, dus, Linn. BANS LES DEUX SICILE S. 1^9 Quand j’en tenois un dans la main, ou que je le faisais venir à moi en l’appelant , la couverture de sa tête me paraissait toute lisse ; mais quand je l’observais en parfait repos, perché dans quel- qu’endroit obscur , je voyais distinctement ses deux aigrettes qui se développaient dans leur longueur et leur hauteur naturelles. J’avais un autre moyen de les lui faire dresser sur la tête, c’était de lui présenter à l’improviste un animal étranger, comme un chien, un chat : aussi-tôt tout son corps s’agitait d’effroi , se hérissait , ses ailes pendaient en bas , il soufflait de la bouche, claquait du bec , et ses deux aigrettes se levaient en l’air : il était facile d’en compter les plumes, qui au nombre de six, étaient progressivement plus petites à mesure qu’elles s’éloignaient du milieu de la tête. Quoique ces oiseaux fussent de sexe différent , et que dans la belle saison ils vécussent ensemble, je ne m’apperçus point qu’ils cherchassent à s’accoupler; peut-être cette indifférence prove- nait-elle des circonstances locales , ne trouvant point autour d’eux des endroits commodes pour , y déposer leurs œufs ; peut-être aussi de la qua- lité de leurs alimens qui, bien que nourrissans, différaient de ceux dont ils usent dans l’état de liberté, et pouvaient manquer de cette énergie K 2 l4o VOYAGES nécessaire pour mettre les humeurs en mouve- ment et les exciter à l’amour. Buffon donne pour un fait constant que chez tous les oiseaux de proie les mâles sont d’un tiers plus petits que les femelles : cette règle est su- jette à des exceptions; je n’ai trouvé par exemple, aucune différence de grandeur entre les mâles et les femelles dans Pespèce des petits ducs et dans celle des chevêches. Cet illustre naturaliste en parlant des petits ducs , qu’il désigne sous le nom grec de scops , dit que ces oiseaux sont par-tout très-rares , très- difficiles à prendre $ qu’il n’a même jamais pu s’en procurer un seul, soit jeune, soit vieux, et que lorsqu’ils émigrent ils ont coutume de se réunir en troupes. J’ai déjà observé qu’ils fréquentent rarement les basses plaines de l’Italie , mais qu’ils sont très- communs dans les collines boisées , dans les mon- tagnes peu élevées , soit des Alpes , soit des Apennins; j’ajouterai qu’ils y viennent tout ap- pariés au printemps, qu’ils s’en retournent soli- taires en automne, et qu’ils disparaissent suc- cessivement sans qu’on les voie jamais ni se re- chercher, ni se réunir pour effectuer leur dé- part. D ANS LE S DE U X S ICI LE S. 1^1 ESSAI sur l’histoire naturelle des anguilles de la lagune de Commachio* CHAPITRE PREMIER. Description de la lagune de Commachio et des anguilles qui Vhabitent . Xi a lagune de Commachio peut avoir cent trente milles de circonférence • elle est divisée en quarante bassins entourés de digues , qui tous ont une communication constante avec la mer. Les eaux de ces divers bassins éprouvent le flux et le reflux de l’Adriatique , s’épurent dans une agitation continuelle , et se débarrassent des herbes , des roseaux et de tous les corps étrangers qui viennent flotter à leur surface. Cette lagune donne asyle à plusieurs espèces de poissons, tels que les orades , leks céphales, et ceux que l’on nomme dans le pays acquadelle ; mais les anguilles y sont les plus nombreuses, et leur affluence est telle , que les habitans de K 3 142 VOYAGES Commachio en font commerce dans toute fïtalie. Chaque bassin est surveillé par un chef que l’on nomme facteur , lequel a plusieurs employés sous ses ordres, et quoique la pêche n’ait lieu qu’à certaines époques fixes , cependant la ma- nutention et la garde des bassins exigent qu’ils soient à leur poste toute l’année. Ces hommes sont de vrais ichthyophages , ne vivant que de poissons et sur-tout d’anguilles. Leur manière d’apprêter ces dernières ne saurait être plus simple : après leur avoir fait plusieurs incisions transversales, ils les ouvrent le long du ventre, de la tête à la queue, pour en enlever les intes- tins et l’épine dorsale; ensuite ils les saupoudrent de seî et les font griller sur le feu, en les tour- nant et les retournant deux ou trois fois , jusqu’à ce que la cuisson ait pénétré également par-tout: ils n’emploient ni huile ni beurre, la seule graisse du poisson en fait la sauce. J’ai goûté sur les lieux de ces anguilles ainsi apprêtées 5 non-seule- ment je les trouvais délicieuses , mais encore d’une facile digestion : ce qui pouvait provenir autant de la simplicité de leur assaisonnement que de l’usage où sont ces pêcheurs de les man- ger au moment qu’elles sortent du filet, et sans qu’elles aient pâti comme celles qu’ils envoient au loin dans de petits viviers, soit en les embar- quant sur mer, soit en leur faisant remonter le BANS LES DEUX SICILE S. î45 Po. Ces hommes qui vivent continuellement au milieu des marais , qui ne se nourrissent que de poissons , jouissent cependant d’une parfaite san- té ; ils sont robustes, gaillards, et poussent leur carrière aussi loin que leurs voisins qui habitent un pays sec et mangent de la viande. Il y a plus : si parmi ces derniers , il se trouve des jeunes gens d’une constitution faible , menacés de con- somption, on les envoie se rétablir dans ces ma- rais , en partageant la table et les travaux des pêcheurs*. Ces hommes sont très-occupés en deux saisons de l’année $ la première , quand les anguilles nouvellement nées entrent dans les bassins, et cette entrée se nomme la montée ,• la seconde 9 quand les anguilles devenues adultes cherchent à sortir , et les tentatives quelles font pour cela se nomment la descente * Le deux de février on ouvre les clefs > et on laisse tous les passages libres jusqu’à la fin d’a- vril : c’est dans le cours de ces trois mois que les petites anguilles quittent spontanément les eaux du Pô pour venir dans celles des bassins * plus le temps est orageux, plus leur affluence est grande 5 elles entrent également par le flux et le reflux de la mer, mais elles préfèrent le reflux, et cette préférence est un effet de leur instinct qui du- & 4 i44 VOYAGES rant leurs migrations les sollicite à cheminer contre le courant de l’eau : d’autres petits pois- sons passent en même temps qu’elles et se font voir à fleur d’eau ou à peu de profondeur ; les anguilles, au contraire, rasent toujours le fond, et ne se montrent point. Cependant les pêcheurs ont un moyen de reconnaître si la montée est abondante ou stérile 5 avec de petites branches d’arbre , ils composent des fascines qu’ils font descendre avec un pieu jusqu’au fond des clefs , où elles restent jour et nuit ; le pêcheur de garde les lève de temps en temps , les secoue sur la terre , fait tomber les anguilles qui se sont en- veloppées dans les branches, et selon que le nombre en est plus ou moins considérable , il juge de l’abondance ou de la stérilité du passage , ce qui serait difficile à savoir de toute autre manière. Les anguilles une fois entrées dans les bas- sins , ne cherchent plus à en sortir qu’elles ne soient adultes 5 sans doute parce qu’elles y trouvent une nourriture qui leur plaît. On ne saurait déterminer avec précision le temps qu’il leur faut pour arriver à ce période 5 les pêcheurs ne sont point d’accord là-dessus, les uns veulent que ce soit cinq ans, les autres six, les autres plus encore. Je crois, au reste, que cela dépend DANS LES DEUX S I C I L E S. 1^5 beaucoup de la qualité des alimens qui, plus ou moins abondans et substantiels , bâtent ou re- tardent le développement du corps. Les anguilles adultes diffèrent de celles qui ne le sont pas , non-seulement par la grandeur, mais encore par la couleur ; les premières ont le dos et les côtés noirâtres, le dessous du ventre blanc ; les secondes sont d’un jaune clair par tout le corps , et principalement sous le ventre : elles ont aussi la peau plus mince. Durant leur accroissement elles sont si affectionnées aux ma- rais de Commachio, qu’elles ne cherchent point à sortir , encore qu’on leur ouvre les commu- nications avec la mer ou avec le Pô. Une fois, c’était au printemps, ce fleuve vint à grossir plus qu’à l’ordinaire et à surmonter les digues des bassins , de manière qu’ils ne formaient plus en- semble qu’un grand lac. On craignit que la plupart des anguilles ne se fussent évadées^à l’exemple de presque tous les poissons, qui , dans les inon- dations , abandonnent leurs propres eaux pour suivre le torrent des fleuves débordés. Mais l’évé- nement ne justifia pas ces craintes ; la pêche de l’automne suivante fut aussi abondante que celle des annnées précédentes. Ces anguilles vivent d’insectes et de vers; elles font aussi leur proie des acquadelles, dont elles *4$ VOYAGES sont très-friandes. Ces petits poissons se plaisent sur-tout dans les endroits où il y a des chutes d’eau 5 c’est-là que les anguilles se rassemblent pour leur donner la chasse 5 et comme elles sont en très-grand nombre à la poursuite de leur proie , elles s’entrelacent les unes avec les autres et forment de gros pelotons. Leur passion pour cette chasse les aveugle au point de ne plus reconnaître de dangers 5 rien n’est capable de les distraire , ni le bruit des barques qui passent et repassent au-dessus de leurs têtes , ni rap- proche des filets avec lesquels on peut les ra- masser avec la plus grande facilité , sans qu’elles fassent le moindre effort pour se sauver. Linnée dit que cette espèce d’anguille est nocturne ; pour moi 5 j’ai vu des anguilles courir à toute heure du jour après les acquadelles ; sou- vent 3 me promenant dans une barque au-dessus des hauts-fonds , j’en ai apperçu un grand nombre qui passaient rez-terre d’un lieu dans un autre y probablement pour chercher leur pâture. Il faut cependant convenir que plusieurs se tiennent cachées pendant le jour 5 que leurs migrations de la lagune dans la mer ne s’effectue jamais que de nuit , et que l’expression de Linnée se trouve en partie justifiée. Ce naturaliste ajoute qu’elles gîtent dans la D ANS LES DEUX S I C I L E S. vase, où elles font deux trous (1), et cela est très -vrai. Je me suis amusé quelquefois à les prendre au harpon 5 pour cela je cherchais les endroits les moins profonds , et quand j’apper- cevais dans la fange une espèce de tumeur , j’étais presque sûr qu’il y avait une anguille ca- chée dessous. En effet , je lançais le harpon sur la tumeur , et rarement je manquais d’en retirer l’anguille. Mais si je me contentais , sans vouloir lui faire aucun mal , d’examiner sa demeure , j’y distinguais sans peine les deux trous dont elle était percée ; et en faisant fuir l’anguille , je re- connaissais que l’un correspondait à sa tête , l’autre à sa queue. Ma simple approche ne suffi- sait pas pour la décider à prendre la fuite , il fallait la contraindre par d’autres moyens , en la touchant , par exemple ; alors elle avançait quel- ques pas, et en un moment elle disparaissait sous la fange, où elle se construisait de nouveau une demeure semblable à la première , et dans la- quelle son corps se trouvait enterré à deux ou trois pouces de profondeur. Cet instinct qui détermine les anguilles à se transporter dans la lagune de Commachio aussi- tôt après leur naissance, et à y séjourner tant (1) Latet in cœno duplici foramine. Syst. nat. VOYAGES 14 8 qu’elles sont jeunes , ce meme instinct les solli- cite à en sortir quand elles deviennent adultes. Et quoique , par cette raison , il n’y ait aucun mois de l’année où quelques-unes d’entr’elles ne tentent leur évasion , et où les pêcheurs qui les guètent ne tâchent de les surprendre , ce- pendant c’est en octobre, novembre et décem- bre qu’elles entrent pour l’ordinaire dans l’âge adulte , et que la grande pêche a lieu. Alors arrive l’époque des grandes émigrations , qui ne s’effectuent , comme je l’ai dit , que pendant la nuit , encore faut-il que la lune ne soit pas levée sur l’horizon. Quand cette planète se montre , quelle que soit sa phase , il est certain que les anguilles ne se mettent pas en route , et si la lune les surprend pendant qu’elles cheminent , elles s’arrêtent aussi-tôt , et attendent la nuit suivante pour continuer leur marche. La lumière lunaire leur est si contraire , qu’elle opère sur elles les mêmes effets, bien qu’elle soit interceptée par des nuages. Mais quand les nuits se trouvent entièrement obscures , orageuses , que le vent du nord souffle avec violence , et qu’il y a reflux de la mer , alors le nombre des anguilles voya- geuses s’augmente considérablement. Cette répugnance décidée qu’elles ont à se mettre en voyage toute les fois que la lune brille* DANS LES DEUX SICILE S. donnerait à croire que la lumière de cet astre fait sur elles une impression toute particulière, d’autant plus que les autres poissons, tels que les céphales , les orades , les acquadelles, qui émigrent en même temps, font route , soit en l’absence , soit en la présence de la lune. Mai» les pêcheurs m’ont assuré que le feu ordinaire retient également les anguilles , et ils en ont l’expérience. C’est leur usage de pratiquer au fond des bassins de petits chemins bordés de roseaux par où passent les anguilles voyageuses, chemins qui les conduisent dans une espèce de chambre étroite également formée de roseaux , dont elles ne peuvent plus sortir. Si les pê- cheurs se font accompagner d’une lumière pour les prendre dans cette enceinte, celles qui n’y sont pas encore entrées s’arrêtent subitement ; mais elles continuent leur chemin , et vont s’em- prisonner à leur tour , si les pêcheurs font leur opération dans l’obscurité. Quand un certain nombre d’anguilles s’est engagé dans ces défilés, il peut arriver que les pêcheurs n’en veuillent pas davantage pour le moment 5 alors ils se con- tentent d’allumer des feux à l’entrée , et les anguilles ne passent pas outre. Ce moyen d’ar- rêter les animaux pendant l’obscurité de la nuit, de les aveugler , et d’aller sur eux sans qu’ils songent à fuir, était bien connu, et l’on savait VOYAGES ï 5o sur-tout s’en prévaloir pour surprendre les oi- seaux et les poissons ; mais on n’aurait pas ima- giné peut- être que la lumière lunaire fût capable de produire les mêmes effets sur les anguilles. Ce sont donc les nuits totalement obscures qui favorisent leurs migrations 5 et qui 5 par des routes insidieuses , conduisent à leur perte celles de Commacbio. Si la mer est tempétueuse , s’il souffle des .vents froids accompagnés de pluie 3 les captures que l’on en fait alors augmentent outre mesure. Dans le bassin de Caldirolo , qui a soixante milles de circonférence , j’en ai vu prendre en une seule nuit d’octobre, huit cents rubi (i) pesant , ce qui est encore peu en com- paraison d’une pêche de deux mille cinq cents rubi y et d’une autre de douze cents , qui se firent quelques années auparavant dans le même bassin et dans le même espace de temps 3 c’est alors un spectacle singulier de voir ces chambres de roseaux où les anguilles arrivent , et se pres- sent , et s’entassent au point de les remplir par- dessus la surface de l’eau 3 ce n’est pas qu’elles ne pussent s’en retourner en suivant les mêmes che- mins par où elles sont venues 3 mais le désir inné (1) Le rubio est de vingt-cinq livres , et la livre de douze onces. DANS LES DEUX S I C I L E S. l5l d’abandonner les marais à cette époque et de se transporter dans la mer , les retient dans cette enceinte où elles s’efforcent toujours, mais inu- tilement , de passer outre. Malgré leur encom- brement dans un espace aussi étroit , elles ne soufFrent pas , attendu que la marée agite Peau et la renouvelle sans cesse. C’est là que les pê- cheurs les ramassent dans leurs filets à mesure qu’ils en ont besoin. Ils en transportent une partie à Commachio pour en faire de la salaison : ils vendent l’autre à des marchands , qui en rem- plissent les viviers de leurs bateaux , et les con- duisent vivantes le long du Pô, du Tésin, &c„ d’où elles passent en divers lieux de l’Italie. Cette pêche dure trois mois , et par les exemples que j’ai rapportés, on doit juger combien est pro- digieux le nombre de ces poissons que l’on prend chaque année. Anciennement ce nombre était encore plus considérable. Au reste , voici un re- levé des pêches faites dans les quarante bassins de Commachio pendant cinq années consécu- tives. En 1781 . . . . En 1782 . . . . En oc oq En 1784 . . . . . . . 88173- En 1785 . . . . ... 67568. i5a VOYAGES CHAPITRE IL Circonstances dans la température de Vair et de Veau funestes aux anguilles . Quelques auteurs prétendent qu’elles sont amphibies j examen de cette question . Oiseaux qui font leur proie des anguilles . Il faut sans doute que les bassins de Comma» chio soient un lieu de délices pour les anguilles , puisqu’elles y entrent en naissant, et y séjournent jusqu’à ce qu’elles aient atteint l’âge adulte $ sans doute aussi elles le préfèrent à tout autre pendant leur accroissement, puisqu’elles ne son- gent point à en sortir , quoiqu’elles en trouvent les issues libres. Cependant il est des circons- tances , rares à la vérité , où elles éprouvent de vives souffrances au milieu des eaux qui les re- cèlent 5 et alors elles se cachent tant qu’elles peuvent dans la terre , ou cherchent les moyens de s’évader : ces circonstances sont celles d’un froid rigoureux , ou d’une forte chaleur , ou d’une corruption des eaux. Les BANS LES DEUX SICILE S. l55 Les bassins n’ayant que quelques pieds de pro- fondeur , reçoivent aisément les impressions de l’atmosphère. Si pendant l’hiver , il arrive une augmentation subite de froid, on doit s’attendre à voir périr une grande quantité d’anguilles. Une année , cet accident en détruisit plus de deux cent mille rubi pesant $ il y eut même un bassin qui en fut entièrement dépeuplé. Mais si le froid vient par degrés insensibles , elles s’abritent sous terre dans un trou qu’elles font y soit avec la tête , soit avec la queue ; elles cherchent les endroits les plus tendres pour s’enfoncer davan- tage , et elles se tiennent ainsi cachées tant que durent les rigueurs de la saison. J’ai voulu sa- voir par moi-même si elles font usage de la queue aussi-bien que de la tête pour trouer la terre , ou pour se frayer un passage à travers tout autre corps non résistant , comme on me l’avait assuré , et j’en ai été convaincu en les observant dans ces gros paniers d’osier où l’on a coutume de les déposer après la pêche. Elles se mouvaient en avant, en arrière, avec une égale vélocité 5 elles Fichaient, non-seulement le bout de leur tête, mais encore la pointe de leur queue , dans les petites ouvertures que leur pré- sentait le tissu de leur cage , et elles se seraient évadées, si elles n’avaient trouvé une résistance insurmontable. Tome VI. L VOYAGES' 154 Mais la chaleur devient encore plus funeste que le froid à ces poissons quand elle est forte et de longue durée , quand elle est accompa- gnée de sécheresse , et qu’elle amène la putré- faction des plantes aquatiques. Le fermier actuel de la pêche de Commachio , dont la rente an- nuelle s’élève à soixante- deux mille écus ro- mains , don Massari de Ferrare , homme aimable et d’un esprit cultivé , chez qui je logeai tout le temps de mon séjour en cet endroit pendant l’automne de 179s, me raconta plusieurs acci- dens de ce genre qui avaient causé des morta- lités considérables d’anguilles. La plus récente, celle de 1789, donna lieu à un procès-verbal signé des chefs et directeurs des bassins. Les circons- tances en sont assez intéressantes pour mériter xl’être rapportées. Dès le mois de février , époque de l’ouverture des bassins et de la montée des petits poissons, on éprouva les premiers effets de la sécheresse ; les eaux du Pô se trouvant très-basses 3 ne purent entrer dans les bassins , et y conduire avec elles les anguilles nouvellement nées. On ferma donc les clefs , dont l’ouverture devenait désormais inu- tile j ainsi que toutes les autres issues , pour em- pêcher les anciennes anguilles de sortir au com- mencement de la belle saison. Ce fut alors que l’on DANS LE S- DEUX SICILE S. l55 s’apperçut de la petite quantité d’eau qui restait dans les bassins , et dès ce moment Ton prévit les funestes conséquences qui devaient en ré- sulter, quand les chaleurs de l’été viendraient à les dessécher de plus en plus. En effet , les eaux allèrent toujours en dimi- nuant dâns les bassins , et l’on craignit toujours davantage d’y voir périr tous les poissons , ou du moins la plus grande partie. On vint à leur secours en employant des moyens proportionnés à la grandeur du danger 5 mais ce fut inutile- ment , et dès le i5 de juillet , on vit près des digues des milliers d’anguilles qui tâchaient de se sauver. Alors on créa d’autres moyens extraor- dinaires et capables d’éloigner le mal 5 mais ils devinrent bientôt insuffisans 5 la chaleur du so- leil , toujours plus véhémente , évapora tellement l’eau des bassins , qu’à peine on pouvait appro- cher des lèvres celle qui restait , tant elle avait contracté de salinité et d’âcreté. Elle semblait avoir été exposée sur le feu , et la chaleur péné- trait la vase à un pied de profondeur. Les pois- sons ne pouvant plus en supporter le séjour , on les vit , haletans et souffrans , s’amasser en foule autour des rivages. Ce spectacle , dont on n’avait aucun exemple , décida le fermier à faire percer les digues en plusieurs endroits , pour h 2 VOYAGES i56 que les poissons pussent se transporter dans un petit nombre de bassins où l’eau venant immé- diatement de la mer , devait être plus tolérable. L’opération dura trente-huit jours , et coûta des peines et des frais énormes. Malgré tout cela , on perdit environ trente mille rubi pesant d’an- guilles , qui , touchant pour la plupart au terme de leur accroissement , auraient été pêchées l’automne suivante, sans compter une multitude d’autres poissons de diverses espèces qui su- birent le même sort. Plus de cent hommes fu- rent commandés pour les ensevelir au plutôt, et avant qu’ils infectassent l’air , et occasion- nassent la mortalité de ce qui restait de poissons vivans. Dans cette grande sécheresse , les eaux s’é- taient éloignées dès digues , ici de quarante perches j là de cinquante, ailleurs de plus encore ; le fond des bassins restait à découvert dans ces parties, et il s’y était formé une croûte de sel 5 les plantes aquatiles , privées d’aliment, avaient péri ; l’eau se ressentait de leur corruption , et les anguilles qui s’étaient accumulées en gros pelotons autour des digues, paraissaient d’une maigreur extrême , n’ayant pu trouver de pâture au milieu de ces fonds infects. Cependant on a des exemples que dans des cir- /P i ' ' , DANS LES DEUX SICILE S. 1 67 constances semblables et sans secours étrangers, les anguilles se sont mises d’elles-mêmes en sûreté, se cachant dans la terre et employant ainsi pour se garantir de la chaleur, les memes moyens dont elles se servent pour se préserver du froid. On prétend qu’elles y restent quelquefois une année entière $ du moins on a vu dans certains bassins où l’eau s’était viciée par la corruption des plantes , un grand nombre d’anguilles dis- paraître tout-à*coup, puis reparaître de même au bout de ce temps. On raconte encore qu’en creusant au fond des bassins , dans des endroits desséchés , on y a trouvé des anguilles pleines de vie $ et des hommes dignes de foi m’ont assuré qu’en travaillant il y a trente et quelques années, aux fondemens d’un clocher , dans le voisinage de la lagune , on découvrit au milieu de la terre molle et à une grande profondeur , une anguille vivante d’une grosseur extraordinaire, qui avait le corps d’un noir très-foncé, mais qui reprit la couleur ordinaire des anguilles après qu’on Peut replacée dans l’eau. Je sais que certains naturalistes, pensent que ces poissons sont amphibies, et que l’eau ve- nant à leur manquer ou à se corrompre , ils l’abandonnent et vont par terre en chercher çle la meilleure. Proli, dans ses notes sur l’ou- L 3 VOYAGES 158 vrage de Bonaveri , intitulé : Description de Commachio y de ses lagunes et de ses pêches y dit formellement « que les anguilles peuvent » vivre beaucoup de temps hors de l’eau , et » passer d’un étang ou d’un fossé dans un autre 5 »que Mosely les a vu courir dans les prai- ries.... pour prendre les limaçons cachés souâ ^l’herbe ». Théodore Bonati , célèbre professeur dans l’université de Ferrare, m’écrivait à ce sujet le 8 décembre 1792 , dans les termes suivans : « Je » tiens d’un chasseur qu’il a vu deux anguilles »dans un bois de hêtres situé près d’une pêche- rie, et qu’il a entendu dire qu’elles sont avides »de faînes 5 un autre m’a assuré qu’il avait vu éprendre des anguilles sur terre , en semant de »la cendre sur les sentiers que l’on reconnaît pour savoir été faits par elles; la cendre s’attache à 5>leur corps , les empêche de ramper et les arrête »sur place. Au reste, je ne suis d’aucun parti »dans cette question». Mon séjour à Commachio m’offrit l’occasion de tenter quelques expériences à ce sujet. Au moment que les anguilles sortaient du filet, j’en mettais quelques-unes sur la terre moitié sèche, moitié humide ; elles commençaient par se tor- tiller et même par se mouvoir progressivement. DANS LES DEUX SICILES. 10 g tantôt en se portant en avant avec la tête , tantôt en arrière avec la queue. D’abord elles avaient des mouvemens très-prompts, mais elles les ral- lentissaient par degrés, et elles finissaient pour l’ordinaire par se replier sur elles-mêmes et res- ter en repos. Si je les irritais, soit avec la main , soit avec un bâton , elles s’agitaient pour un moment, et retombaient ensuite dans l’inaction. Au bout de quelque temps, si je revenais à la charge , je n’obtenais d’elles que les mêmes con- torsions sans pouvoir les faire changer de place* Je fis ces observations tant sur les anguilles adultes que sur les jeunes ; le plus grand espace qu’elles parcourussent dans les divers mouvemens dont j’ai rendu compte, ne s’étendait pas au-delà de six à sept pieds. A mon retour à Pavie, je fus curieux de voir comment se comporteraient les anguilles du Tésin , placées dans les mêmes circonstances 5 mais elles ne voyagèrent pas mieux sur terre que les anguilles de Commachio. Enfin je voulus connaître la durée de leur vie hors de l’eau ; elle me parut plus longue que celle des autres poissons 5 j’observai qu’elle se prolon- geait plus l’hiver que l’été , mais que dans tous les cas, elle ne passait pas quatre-vingt-dix ou cent heures, encore fallait-il tenir ces anguilles dans un lieu humide ; car elles n’auraient pas vécu- plus d’un jour dans un lieu sec. VOYAGES 160 En racontant aux pêcheurs de Commachio les faits avancés par Proli, ils refusèrent tous d’y croire. « Jamais , me dirent- ils , nous n’avons vu de nos jours une seule anguille sortir de l’eau , » quel que soit dans certains cas le mal-aise qu’elles »y éprouvent, et parmi nous il y a des hommes »qui ont vécu cinquante ans dans le métier. Pen- dant la dernière sécheresse de 1789 , ces pois- sons étaient sans doute bien molestés par la » chaleur et la salinité de l’eau , et c’était alors le »cas de faire tous leurs efForts pour se sauver par » terre et gagner la mer voisine, ouïe Pô 5 cepen- dant on n’en vit pas un seul qui eût l’instinct de tenter un passage aussi court : pour les faire » sortir seulement d'un bassin desséché et entrer dans un autre qui l’était moins , il fallut percer »les digues». Que dirons-nous donc de ces anguilles qui ont été vues dans un bois de hêtres , mangeant des faînes, et de celles que l’on arrête avec de la cendre dans leur route terrestre ? les tiendrons- nous pour Sogni d’infermi , e foie da romanzi ? Imitons du moins la sage circonspection du pro- fesseur de Ferrare. Le peu de profondeur des marais de Gomma- DANS LES DEUX SICILE S. î et qui ne sont que les communes , on y pêche aussi ce que l’on nomme des capitoni x qui ne sont point in- férieures pour le poids aux miglioramenti de Commachio , et que des observations anato- miques me prouvèrent qu’il n’y avait entr’ elles, aucune différence spécifique (1). On pourrait donc croire qu’il n’y en a pas davantage entre celles de Commachio. Au reste , ce ne sont pas seulement les pêcheurs de cet endroit qui ad- mettent l'existence de plusieurs espèces d’an- guilles 5 quand j’eus formé le projet de traiter de l’histoire de ce poisson , et sur-tout de pé- nétrer le mystère si obscur de sa génération , je m’adressai par lettres à quelques amis qui , demeurant dans le voisinage de la mer, ou près des lacs , pouvaient me fournir des renseigne- (i) Tome y. DANS LES DEUX SICILE S. l65 mens utiles. Voici d’abord ce que me répondit le docteur Renier 5 habile médecin de Chiozza: On compte dans cette ville trois classes de » pêcheurs , les Bragozzanti , qui pêchent avec »de petites barques le long des côtes , et ne se v> hasardent en haute mer que durant le calme ; »les Tartananti y qui montent de plus grandes » barques et se tiennent plus au large , parce » qu’ils craignent moins les vicissitudes du temps $ » enfin les Pelaganti y qui affrontant les orages, v> vont pêcher dans tous les temps en haute mer. »Tous ces pêcheurs reconnaissent deux diffé- rentes espèces d’anguilles dans leurs parages; » ils nomment les unes acarine , les autres feme~ 'bnali y les premières sont plus petites que les » secondes : celles-là sont jaunes sous le ventre; » celles-ci sont blanches, et ont aussi la peau »plus fine et les mouvemens moins vifs. Elles » habitent les bassins entourés de digues, et en » général tous les marais de la lagune de Venise, »là particulièrement où le fond est mou et va- »seux. L’hiver elles se cachent dans la vase, et »y restent long- temps ensevelies ; quand elles ^sortent de là , on les voit souvent errer dans »les eaux , sur-tout pendant les chaleurs de l’été. »Les femenali habitent les mêmes lieux; l’hi- »ver elles se cachent aussi dans la terre; l’été » elles $e montrent moins souvent. Mais ce qui VOYAGES l66 » distingue plus particulièrement les acarine des ïfemenali , c’est le peu d’empressement des » premières à se transporter dans la mer, tandis »que les secondes y accourent en foule dès l’ap- » proche de Phiver, et pendant les nuits ora- geuses et obscures : elles y passeraient toutes, » si les pêcheurs n’y mettaient ordre». D’après ces détails > il semblerait que les an- guilles acarine diffèrent àesfemenali , non-seu- lement par l’aspect extérieur, mais encore par les habitudes naturelles , les premières étant de résidence dans les marais de Chiozza, et les se- condes passant dans la mer à des époques fixes, instinct qui leur est commun avec celles de Com- machio. La réponse du professeur Vacca fut celle-ci : « Les pêcheurs d’anguilles du marais de Bientina »en Toscane, entr’autres un nommé Théodore » Ferri , très-exercé à cette pêche , assurent » qu’il y a une grande différence entre les an- »guilles communes et celles qu’ils nomment mu - 'bsini. On ne peut pas soupçonner que par cette » dénomination ils veulent désigner les congres , » attendu qu’ils placent ceux-ci dans un autre » ordre de poissons » . Il n’est pas jusqu’à Rédi qui ne distingue les .DANS LES DEUX SICILE S. 1 67 anguilles en fine , en paglietane , en gavonchi et en musini (1). On doit cependant observer qu’il en parle , non comme d’espèces, mais comme de races différentes. Tels sont les divers témoignages que j’ai pu , recueillir en faveur de la pluralité des espèces chez les anguilles 5 je pense que l’on ne doit ni les admettre, ni les rejeter entièrement, et je crois qu’il vaut mieux suspendre son jugement jusqu’à ce que des naturalistes éclairés prennent la peine d’aller sur les lieux , et de constater le fait par des recherches expérimentales. J’ai déjà dit que les pêcheurs de Commachio vivent constamment au milieu de leurs marais , que dès l’enfance ils s’adonnent à ce métier, et ne le quittent plus une fois qu’ils l’ont embrassé. La plupart y avaient bien acquis une expérience de quarante ans 5 or ils m’assuraient qu’ils n’a- vaient pas encore trouvé une seule anguille qui contînt dans son corps des œufs ou des fœtus , ou qui s’en fût délivrée dans les eaux des bassins. Pour rendre plus sensible la conséquence que l’on doit tirer d’un tel témoignage , voici un calcul extrait des propres registres de la ferme/ Dans l’espace de quarante ans , la quantité des (1) DeglL anim . viV. negli anim. viv . VOYAGES l68 anguilles ouvertes pour le commerce de la sa- laison s’est élevé pour le moins à trois millions quatre cent mille rubi pesant , à quoi il faut ajouter la consommation des pêcheurs , qui peut s’évaluer à quatre cent mille rubi , ces hommes n’ayant pas d’autre nourriture. Maintenant sup- posons avec raison qu’un rubio d’anguilles, l’un portant l’autre , contienne quarante individus , nous aurons en tout cent cinquante-deux mil- lions d’anguilles , dont pas une seule ne s’est trouvée pleine à l’ouverture de son corps. Ce phénomène avait de quoi m’étonner. Cu- rieux de savoir si l’on avait fait ailleurs la même remarque , j’eus recours à mes correspondans ordinaires ; voici la réponse du professeur Vacca : « Je puis vous assurer que pendant le cours de »cinq années que j’ai passées dans le voisinage »de Bientina, il n’est peut-être un seul pêcheur »de ce lac que je n’aie interrogé sur le fait de la » génération des anguilles , sans pouvoir jamais en » obtenir aucun éclaircissement satisfaisant; que » j’ai moi-même assisté à l’ouverture de plusieurs » centaines de ces poissons, et qu’ils n’avaient »ni œufs , ni fœtus dans le ventre ». «Je n’ai point perdu de vue vos anguilles, me » répondit Sénebier de Genève - j’ai chargé de » votre commission un de mes amis, bon obser- vateur , BANS LES DEUX SICILE S. 1 6ÿ s> valeur, demeurant à Neufchâtel , et par con- séquent étant à portée de consulter les pê- cheurs du lac où les anguilles abondent; ils » 1 u i ont certifié qu’ils n’avaient de leur vie dé- couvert ni œufs, ni petites anguilles dans le » ventre des plus grosses ; que seulement ils savaient remarqué une humeur visqueuse, mais » dénuée d’œufs, qu’elles déposent par-tout où elles habitent ». Le docteur Renier m’écrivit à-peu-près dans les mêmes termes touchant les anguilles de la lagune de Chiozza. Le Père Carcani , professeur au college de Corne , me fît passer le rapport des pêcheurs du lac de ce pays ; ce rapport était conforme aux précédens. Voilà pour les anguilles qui habitent les lacs et les marais ; quant à celles qui séjournent dans les eaux des fleuves , je puis attester que ni le Pô , ni le Tésin n’en ont pas produit une seule où l’on ait trouvé ces œufs ou ces fœtus. J’ai étendu mes recherches jusqu’à la rivière de Pa- naro , qui descend des montagnes de Modène, et tire sa source du torrent Léo. J’avais mangé de ses anguilles pendant mon séjour à Fanano, et les avais trouvées excellentes. Je m’adressai Tome VI* M VOYAGES I70 donc à un habitant de ce bourg pour qu’il prît, sur le lieu des informations touchant la géné- ration de ces poissons ; mais la réponse des pê- cheurs fut négative comme les précédentes. J’entretenais une correspondance avec Fran- çois Ferrara , habitant de Catane dans File de Lipari , et connu avantageusement par ses écrits; je lui parlai de mes recherches , il me fit la ré- ponse suivante : «Nous avons la rivière Amenato qui traverse » Catane et se jette dans la mer. En plusieurs ^endroits de la ville, il y a des puits qui com- »muniquent avec les eaux de cette rivière; les »habitans y plongent des lignes , et en retirent » presque chaque jour des anguilles qui pèsent » jusqu’à vingt onces; mais ils en prennent un plus » grand nombre à son embouchure dans la mer, »Le Simeto est une autre rivière qui en pro^- »duit en abondance. On les pêche non-seulement »dans les eaux courantes, mais dans celles qui » sortent du lit et restent stagnantes en dHFérens » endroits : ces anguilles sont très-renommées. Le »lac que l’on appelle il baviere di Lentini n’est »pas moins fertile en anguilles. Ce lac est formé »de l’écoulement de plusieurs eaux ; l’hiver il a $ vingt-quatre milles de circonférence , l’été dix* BANS LES DEUX SICILE S. 171 j>huit milles j on y voit plus de cinquante bateaux » occupés à la pêche $ il alimente diverses es- »pèces de poissons, mais sur- tout un nombre » infini d’anguilles. Chaque année on fait ce qu’on rappelle la chute > c’est-à-dire que l’on resserre 5>les eaux qui du lac vont à la mer, qu’on les » fait couler dans des puits à travers lesquels elles » s’échappent , et où les poissons restent captifs. »Les anguilles font cette chute d’une manière f> curieuse 5 elles s’entortillent ensemble, forment » d’énormes pelotons animés qui roulent et tom- bent. Les chutes les plus considérables de ces » anguilles donnent jusqu’à sept cents quintaux »qui , sans compter les pêches journalières , sont » distribués par toute la Sicile. On en sale une » partie dans des barils , que l’on vend ensuite »à bon prix. »Non loin de ce lac, il y a plusieurs marais »où l’on trouve encore des anguilles. Là, dans »le temps des fortes pluies , les ruisseaux, qui »sont en grand nombre , débordent et couvrent >> une grande étendue de terre 5 à mesure que » l’inondation se retire , elle laisse en divers en- adroits des eaux stagnantes où l’on pêche de » très-belles anguilles. »Près de Castrogiovanni , il y a deux lacs nommés Longastrello et SfondcUo , qui nour- M 2 VOYAGES 1?2 crissent des anguilles, mais en moindre quantité » que le Simeto et le baviere di Lentini . » Cependant je ne sache pas qu’un seul pê- »cheur de ces divers lieux ait jamais rencontré »une anguille pleine. L’on crut un jour en tenir » une 5 mais en l’ouvrant, on vit que ce qui lui ^rendait le ventre plus gros que de coutume , » c’était deux salamandres entières qu’elle avait ravalées ». Enfin j’ajouterai que les pêcheurs , soit du pays de Gênes , soit de l’état de Venise , soit de la Romagne , soit de l’état Napolitain, et autres contrées de l’Italie que j’ai été à portée de con- sulter moi- même, m’ont tous répondu d’une manière conforme , en m’assurant que dans au- cun temps ils n’avaient trouvé des anguilles por- tant dans le sein des fœtus ou des œufs. DANS LES DEUX S I C I L E S. CHAPITRE IV. Si les anguilles multiplient dans les eaux douces , ou bien dans la mer , Quoique le commun des pêcheurs de Com- machio soit dans la fausse opinion que les an- guilles tirent leur origine de l’humeur muqueuse qui sort de leur corps quand elles se mêlent en grand nombre les unes avec les autres, cepen- dant les pêcheurs les plus instruits, et sur- tout leurs chefs, sont persuadés qu’elles se propagent à la manière des autres poissons 5 et comme elles n’engendrent point dans la lagune dont les eaux sont salées, ils en concluent que les eaux douces sont l’élément que la nature leur a destiné pour multiplier, et qu’elles se retirent à cet effet dans celles des marais voisins. « Ce qu’il y a de cer- tain, me disaient-ils, c’est que les pêches étaient » autrefois beaucoup plus abondantes qu’elles ne »le sont depuis quelques années ; nos fermiers » calculent qu’elles ont diminué d’un tiers relati- vement au temps de leurs prédécesseurs. D’où » provenait un si grand appauvrissement d’an- »guilles? Ne pouvant l’attribuer ni aux accidens M 5 174 VOYAGES de la température ou trop chaude ou trop » froide , ni à la sécheresse et à la corruption des eaux , qui sont quelquefois si funestes à »ces poissons y nous tournâmes nos sollicitudes du côté de la montée des jeunes anguilles , » c’est-à-dire, de leur entrée annuelle dans les » bassins , et nous nous apperçûmes qu’elles ne »s’y portaient plus en aussi grand nombre. Nous v> jugeâmes alors qu’il y avait dépopulation dans » l’espèce, et nous ne crûmes pas en devoir » chercher la cause ailleurs que dans le dessè- chement récent des marais de Marmorta,de »Malarbergo , d’ Argenta et de Longastrino. Ces » marais , situés des deux côtés du Pô, présen- taient de vastes champs de roseaux au milieu de l’eau stagnante, retraites délicieuses pour des anguilles 5 là, elles trouvaient une abon- dante nourriture $ là , elles se livraient aux » plaisirs de l’amour, et déposaient leur nom- breuse postérité. Les jeunes anguilles , con- duites par un instinct naturel, entraient dans » le Pô , et s’introduisaient ensuite dans les bassins » contigus de Commachio , au moyen des clefs »que l’on ouvre sur ce fleuve; elles y pénétraient » aussi par le port de Magnavacca. Mais la des- truction de ces marais , rendus à la culture , »a privé les anguilles d’un asyle où elles multi- » pliaient abondamment 5 de là les diminutions DANS LES DEUX SICILE S. \j5 ^sensibles que nous avons observées dans les » montées ; de là l’appauvrissement de nos » pêches. »Une autre observation vint à l’appui des pré- cédentes. Non loin de ces marais desséchés , »il en est d’autres situés également des deux » côtés du Pô , à l’endroit que l’on appelle 'blano. Ces marais, auxquels on n’a pas tou- »ché , communiquent avec des bassins qui sont » très-voisins de ceux de Commachio , sans qu’il » existe cependant aucune communication entre »eux. Or , dans les bassins de Yolano , la mon - » tée des anguilles n’a éprouvé aucune diminu- tion , et la pêcbe a toujours été aussi abon- dante qu’auparavant. Quelle preuve plus évi- dente de la multiplication de ces poissons dans » l’eau douce »? Ainsi s’établit dans le pays l’opinion que les anguilles ne frayent que dans l’eau douce. Mais on sent bien que les faits allégués ne lèvent pas tous les doutes; il pourrait se faire que les mères déposassent dans la mer leurs œufs ? si elles sont ovipares , ou leurs petits tout vivans , si elles sont vivipares; qu’après les premiers développemens, ces petits accourussent dans les eaux des marais pour en recevoir une nourriture appropriée à leur premier âge , et qu’ensuite , devenus un M 4 VOYAGES Ï76 peu plus forts, ils se transportassent dans les bas- sins salés de Commachio, qui leur présentent un champ plus vaste, plus libre , et une pâture plus abondante, et peut-être plus substantielle. Dans cette supposition , les marais deviendraient né- cessaires au soutien de leur première existence, et ces marais venant à manquer , il serait tout naturel que la population des bassins diminuât en proportion. Pendant mon séjour à Commachio , l’on me communiqua un mémoire très-bien fait, où l'au- teur soutenait l’opinion des pêcheurs ; il disait que la mer n’était point , à proprement parler, l’élément naturel des anguilles; que lorsqu’elles y séjournaient long-temps , elles languissaient et mouraient. Maisn’a-t-on pas la preuve du contraire dans la lagune de ce pays dont les eaux sont salées à cause de leur communication avec celles de la mer ? ne sait-on pas que les jeunes anguilles s’y transportent spontanément, qu’elles y restent plusieurs années de suite, qu’elles ne cherchent à s’en évader que lorsqu’elles sont déjà fortes et adultes ? La lagune de Venise , qui est une partie même de l’Adriatique, n’est elle pas cons- tamment peuplée de ces poissons ? Si l’on a vu quelque part dans la mer des anguilles tombées dans le dépérissement, il est donc tout naturel DANS LES DEUX S I C I L E S. 177 d’attribuer cet accident à une disette locale d’alj- mens, plutôt qu’à la salure des eaux. Je lus encore dans ce mémoire le fait suivant : En fouillant dans une terre qui n’était aupara- vant qu’un marais d’eau douce , on découvrit , à la profondeur d’un ou deux pieds , une nichée de petites anguilles entassées les unes sur les autres , et déjà parvenues à un certain degré d’accroissement; ce qui prouve, disait l’auteur, qu’elles avaient reçu l’existence dans ce marais. Mais qui aurait pu empêcher qu’elles eussent pris leur accroissement en cet endroit , après avoir pris naissance dans la mer ? Tels sont les doutes que l’on peut élever contre le sentiment des pêcheurs de Commachio défen- du dans plusieurs ouvrages, entr’autres dans celui du savant Bonaveri. Pour moi , s’il m’est permis d’ouvrir un avis dans cette controverse, je con- jecture que la reproduction des anguilles s’effec- tue véritablement dans la mer. Les efForts cons- tans que font, à des époques déterminées , celles de Commachio pour sortir de leurs prisons ; cette persistance à vouloir surmonter les obstacles qu’elles rencontrent sur leur route ; cette obsti- nation à se laisser prendre plutôt que de re- tourner en arrière ; tous ces mouvemens d’un instinct aveugle qui les entraîne vers le séjour Y O Y A G- E S 178 de la mer dès qu’elles ont acquis toute leur croissance ,ne peuvent résulter que du sentiment d’un besoin aussi vif qu’impérieux 5 et quel be- soin plus pressant , plus irrésistible que celui de la propagation de leur espèce ! Les anguilles de Commachio ne sont pas les seules qui, à l’époque où elles deviennent adul- tes, quittent les eaux des fleuves et des marais pour se rendre dans la mer 5 le même instinct y conduit celles qui habitent le lac d’Orbiteîlo et les eaux de la Toscane : sans doute cet instinct s’étend à toute l’espèce. Cette observation n’a pas échappé à François Rédi : « Il est , dit-il, »des poissons qui passent la plus grande partie » de leur vie dans l’eau douce, mais qui vont » constamment frayer dans la mer 5 telles sont les » anguilles de l’Arno , et j*en parie d’après mon » propre témoignage. Chaque année aux premiè- » res pluies du mois d’août, et quand les eaux sont » troubles et les nuits très- obscures , elles sortent »des lacs , descendent les fleuves , et se rendent y>à la mer pour y déposer leurs semences. Ces » semences ne tardent pas à se développer, et les » petites anguilles , peu de temps après leur » naissance , remontent par l’embouchure des » fleuves , et vont chercher les eaux douces. »Ce second passage commence vers la fin du DANS LES DEUX SICILES. 179 » mois de janvier, ou quelques jours plus tard, 5> selon que la saison est plus ou moins rigou- reuse, et il finit pour l’ordinaire vers la fin » d’avril » . Je pourrais citer d’autres faits qui confirment le sentiment de Rédi et le mien. Il est certain , par exemple, que si un amas quelconque d’eau douce, soit fossé, marais ou étang, se trouve sans communication médiate ou immédiate avec la mer , cette eau, dis-je , ne se peuplera jamais d’anguilles , du moins par des voies naturelles ; on n’y verra jamais que celles que l’on y aura transportées exprès 5 elles vivront, elles croî- tront, jamais elles n’y multiplieront. Mais cette meme eau attirera bientôt de jeunes anguilles et d’autres poissons, si on lui ouvre des communi- cations avec la mer. J’ai transcrit dans le précédent chapitre, un passage de la réponse de Sennebier touchant la stérilité des anguilles du lac de Neufchâtel , voici ce qu’il ajoutait. « Le lac de Neufchâtel commu- » nique avec celui de Brenna qui nourrit un grand » nombre d’anguilles, et le lac de Brenna com- » munique avec le Rhin par une petite rivière; » c’est par cette rivière que les anguilles qui » viennent de la mer remontent dans ces deux » lacs. Mais celui de Genève n’a de comm unication VOYAGES l8o »avec îa mer que par le Rhône, et cette com- munication est interrompue à l’endroit où ce » fleuve s’ensevelit dans la terre; aussi le lac de » Genève est-il dénué d’anguilles 5 ce qui justifie * » si je ne me trompe , l’opinion de Rédi » , DANS LES DEUX SICILE S. i8x CHAPITRE V. Si les anguilles sont vivipares. L’automne était sans doute la saison la plus favorable pour observer les habitudes naturelles des anguilles; mais elle n’était pas celle où je dusse espérer de découvrir quelque chose sur leur génération j attendu que ces poissons ne frayent que Phiver. Obligé de me rendre à Pavie dès le commencement de cette saison pour l’ouverture des cours publics de l’université, je voulus du moins recueillir, touchant l’origine des anguilles , les faits qui pouvaient être à la connaissance des directeurs de la pêche, hommes de bon sens et en général assez instruits. Ils étaient persuadés, comme je l’ai dit , qu’elles multipliaient dans les eaux douces du pays ; ce n’est jamais , ajou- taient-ils, dans le sein des adultes que les em- bryons prennent naissance, c’est toujours dans le sein des jeunes , de celles même qui ne pè- sent que quelques onces , et ces embryons se trouvent constamment placés dans le canal des alimens. Ce fait, dont ils se disaient les observateurs,me VOYAGES 182 parut plus que douteux, et je ne partis point de Commachio sans obtenir d’eux qu’ils m’enver- raient à Pavie quelques-uns de ces prétendus embryons. Les premiers qui me furent adressés me parvinrent au commencement du mois d’a- vril suivant. Ils avaient été trouvés , me marquait- on , dans les intestins d’une jeune anguille. Ils étaient minces comme des cheveux , desséchés et adhérens à la feuille de papier dans laquelle on les avait enfermés. En les tenant quelque temps dans l’eau , ils reprirent de la souplesse, et je pus les détacher sans la moindre fracture , sans la moindre lésion. Je les examinai avec attention, et ne reconnus point en eux les caractères de l’anguille 5 ils ressemblaient seulement à des vers. Un mois après je reçus par la même voie d’autres embryons tirés d’une anguille qui pe- sait environ trois opces. Ceux-ci ne différaient point des premières, à la réserve de deux qui avaient le corps composé d’anneaux , et c’est encore un caractère qui n’appartient point aux anguilles. Ces éclaircissemens ne me suffisaient pas, j’au- rais voulu voir ces embryons attachés au sein maternel 5 on prévint mes désirs, et l’été sui- vant je reçus plusieurs mères avec leurs petits. DANS LES DEUX SICILE S. l85 dans un bocal d’eau-de-vie. L’envoi était ac- compagné d'une courte explication , dont voici la copie. «Le 1 4 niai 1793, le facteur du bassin d® »Caldirolo, Mariano J^itcili , se rendit en per- sonne au bassin d’eau douce de Brenna y si- »tué dans le territoire de Longastrino. »Là, il ouvrit et examina environ quarante ^anguilles non adultes , parmi lesquelles il en » découvrit une (c’est la plus grande du bocal ) »qui portait dans le boyau des excrémens (1) » diverses petites anguilles à peine nées. On le-s »y a laissées dans leur situation naturelle^ »Le même facteur en découvrit une autre T>plus petite que la précédente, dans le boyau »de laquelle on apperçoit des œufs avec le se- i> cours de la loupe. Cette anguille est renfermée »dans le même bocal. »Ce bocal contient de plus, i°. deux boyaux d’anguilles non adultes, où l’on apperçoit des »petitsà peine formés. En ouvrant ces boyaux, »on observa que les petits qui y tenaient par ?>une extrémité de leur corps, avaient dans l’au^ (1) C'est-à-dire , les intestins. VOYAGES T B 4 »tre un mouvement très-sensible qui marquait »la vie. 2°. Quatre anguilles capillaires trouvées »dans le boyau d’une anguille non adulte. Il »faut noter que ces dernières , ainsi que les œufs » ci-dessus , sont placés non dans le boyau de l’es- »fomac, mais dans celui des excrémens. »Dans un autre bocal plus petit, on a ren- » fermé cinq anguilles capillaires prises à la mon* Hitée dans les fascines de bois que l’on a coutume »de mettre sur leur passage et à l’entrée des » bassins » . Dès que j’eus ces bocaux entre les mains, je commençai par en sortir les deux anguilles, les premières désignées dans l’explication , et véritablement il s’en fallait beaucoup qu’elles fussent adultes , puisque la plus grande ne pe- sait que sept onces et demie , la plus petite , cinq onces , tandis que les anguilles parvenues à leur entier développement , pèsent pour l’ordi- naire onze ou douze onces. Les prétendus embryons de la plus grande gisaient dans la cavité des intestins ; ils pa- raissaient attachés à la tunique intérieure. Ils étaient gris , et n’avaient pas plus de trois lignes de long sur une de large dans la partie qui tenait à la tunique $ ils allaient ensuite en s’amincis- sant DANS LES DEUX S I C I L E S. l85 saut jusqu’à l’extrémité opposée. Ils étaient com- posés d’anneaux , j’en ai compté jusqu’à vingt- sept dans le corps d’un seul. Ces petits êtres étaient doués d’une certaine consistance; sans les détacher de leur place , sans les rompre , je pouvais les soulever avec des piùcettes , les ployer dans tous les sens , les détirer légère- ment ; si j’augmentais la force de cette disten- sion , ils se détachaient du boyau dans lequel ils se trouvaient enracinés par une espèce de mamelon court et délié qui saillait de leur partie obtuse. Passant à l’examen des deux boyaux renfer- més dans le même bocal , et provenant d’an- guilles non adultes , je vis qu’ils recélaient éga- lement de très-petits animaux, absolument sem- blables aux précédens et par la forme et par la grandeur. Mais était-ce là de véritables an- guilles comme le prétendaient les pêcheurs de Comrnachio ? Non , et pour s’en convaincre il ne fallait que les comparer avec les cinq an- guilles capillaires du second bocal , lesquelles étaient à-peu-près de la même grandeur. Dans ces dernières , quoique très-petites , on distin- guait parfaitement la tête un peu grosse , le museau un peu pointu , les yeux , l’ouverture des branchies , et l’épanouissement de deux Tome VI. N VOYAGES i86 nageoires latérales dans le voisinage de la tête. Rien de cela n’apparaissait dans les autres ani- maux que Ton supposait être des anguilles ; on n’y découvrait ni yeux , ni branchies , ni na- geoires , ni tête proprement dite ; en place de celle-ci , c’était un mamelon , et leur corps était composé d’anneaux , tandis que celui des vé- ritables anguilles était lisse. Ils appartenaient donc à un autre ordre d’animaux très-différens, à l’ordre des vers , et ils étaient de l’espèce de ceux qui se nichent dans les intestins des an- guilles. ’Rédi les a reconnus et en a donné une description qui s’accorde avec la mienne ; ils sont , dit-il , profondément enracinés par une extrémité de leur corps dans la tunique inté- rieure des intestins de ces poissons. Dans mon ouvrage sur la Digestion , j’ai fait mention de certains vers qui se trouvent implan- tés de même dans l’estomac des salamandres aquatiques et des corneilles ; j’ai encore vu une multitude de petits ténia adhérons aux intestins des poulets, et il n’est pas douteux que tous ces pe- tits animaux ne sucent les chairs dans lesquelles ils se logent. On doit en dire autant des vers qui s’attachent aux parois intestinales des anguilles; ceux que l’on m’avait envoyés avaient péri par le contact de l’eau-de-vie -7 mais ils tTen étaient ï) A N S LES BEUX SICILES. 1 87 pas moins restés dans leur première situa- tion. Que des vers puissent vivre très- commodé- ment dans la cavité des intestins , cela n’a rien de quoi étonner ; mais il serait hors de nature que les propres fœtus de Tanimal s’y trouvassent logés ; du moins je ri’en connais aucun dont les intestins soient à-la-fois le réservoir et des ali— mens et des fœtus ; ces derniers ayant toujours dans l’organisation animale une place distincte et séparée. On sait que les poissons attaquent les poissons , et se nourrissent le plus souvent aux dépens de leur propre espèce. J’ai trouvé quelquefois dans les boyaux des grosses anguilles , de petites dont la digestion était plus ou moins avancée. Com- ment donc concevoir que ces boyaux soient le lieu où se conservent et se développent leurs fœtus ? Exposés à toute l’activité des sucs gas- triques , ne seraient-ils pas bientôt digérés ? Il y avait encore dans l’envoi de Commachio, une jeune anguille où je devais trouver des œufs, d’après le rapport des pêcheurs; mais je n’y vis que de petites tumeurs membraneuses , du dia- mètre d’une demi-ligne , qui me parurent for- mées dans la tunique intérieure des intestins. N » VOYAGES 188 Ces éclaircissemens rendent toujours plus sen- sible l’erreur des habitans de Commachio , qui croient que leurs anguilles naissent dans les marais d’eau douce du pays. Si cela était, comment n& leur arriveraiuil pas d’en surprendre de temps en temps quelques-unes qui auraient dans le corps des fœtus ou des œufs ? Mais j’ai démontré que ce qu’ils prenaient pour des fœtus n’était que des vers , et que ce qu’ils regardaient comme des œufs , était toute autre chose. Au reste , c’est aussi le sentiment de Linné* que les anguilles sont vivipares et que les fœtus logent dans les intestins de la mère (1). Ce na- turaliste s’appuie sur l’autorité de Falberge , qui assure avoir trouvé plus d’une fois dans leurs in- testins des petits vivans , et de diverse gros- seur. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà observé à cet égard , mais j’ajouterai qu’il est possible que ces prétendus fœtus ne fussent que des lom- brics , et en efFet , on lit dans Vallisneri la des- cription de ces petits vers si semblables à des anguilles , que ce naturaliste eut de la peine à les distinguer au premier coup-d’œil. J’ai fait l’ouverture d’une multitude d’anguilles (i) Pgrit vivipara sub canicula. Syst. nat. DANS LES DEUX SICILE S. 189 en toute saison ; j’y ai retrouvé la même espèce de vers , et j’en ai vu qui avaient une longueur assez considérable. Dans l'hypothèse de Fal- berge , cet accroissement ne s’accorderait point avec les loix de la génération chez les animaux vivipares , en y comprenant les poissons , tels que les squales , les raies , &c. dont les fœtus n’acquièrent leur crue déterminée que lorsqu’ils touchent au terme de l’enfantement , tandis que dans les premiers temps de la conception ils sont à peine visibles à l’œil. Cette erreur de confondre des vers avec des fœtus d’anguilles , et de placer ces fœtus dans leur estomac > est très-ancienne , puis- qu’elle a été relevée par Aristote , qui observe avec raison que les puissances digestives les au- raient bientôt détruits. Faut-il ajouter que si les vers intestinaux ne sont pas exposés à cette destruction , c’est qu’ils ont reçu de la nature une telle organisation , que les sucs gastriques n’ont aucune prise sur eux ^ tandis que ces mêmes sucs attaquent , décomposent , et rendent propres à la digestion les jeunes anguilles englouties toutes vivantes dans l’estomac des grandes. Levenoecch partage le sentiment de ceux qui croient que les anguilles sont vivipares , mais avec cette différence qu’il assigne aux fœtus une autre habitation que celle des intestins : il les N 5 VOYAGES ig° loge dans un petit sac situé au-dessous , et qui communique avec le trou par où sortent les excrémens. Là , il a vu , dit-il , avec ses mi- croscopes , une multitude d’animalcules cin- quante fois -plus minces quy un cheveu , et qui avaient la configuration des anguilles. L’anato- miste Mondini a démontré que ce sac n’était autre chose que la vessie urinaire (i), et cer- tainement cette place, dans l’ordre naturel, n’est pas plus propre à loger des fœtus que l’estomac ou les intestins. Ainsi les animalcules de Leve- noecch ne pouvaient être que de très petits vers $ le viscère où il les a découverts recèle souvent de pareils hôtes , et moi-même j’en ai vu à la loupe nager des multitudes dans l’urine de la vessie des grenouilles et des crapauds. Après avoir montré que les petits animaux vîvans trouvés jusqu’à présent dans le sein des anguilles ne sont point destinés à la reproduc- tion de ces poissons , il me reste à examiner si les œufs que l’on a cru y découvrir sont bien vé- ritables , et si l’on a été plus fondé à dire que les anguilles sont ovipares , qu’à soutenir l’opinion contraire. (0 Voyez le tome VI des Mémoires de ^Académie? de Bologne. DANS LES DEUX SICILE S. 9* CHAPITRE VI. Si les anguilles sont ovipares . Nouvelle découverte des œufs , des ovaires et de la naissance des anguilles . Tel est le titre imposant que Vallisneri a mis à la tête d’un mémoire sur l’origine des anguilles , et qui com- mande d’autant plus l’attention , que ce natu- raliste jouit d’une juste célébrité. Il devait être en effet glorieux d’une telle découverte , car depuis le temps où Aristote a écrit sur les an- guilles j usqu’au commencement du dernier siècle, aucun naturaliste , parmi ceux qui étaient de l’o- pinion que ces poissons sont ovipares , aucun , dis-je , n’avait eu le bonheur de rencontrer une seule anguille munie d’un ovaire plein d’œufs , très-distincts, et aussi visibles que le sont ceux d’une multitude d’autres poissons. Vallisneri avoue cependant que pour parvenir à ce but, il fut obligé de tourner ses recherches vers Com- machio , dont les marais sont si fertiles en an- guilles 5 qu’il s’adressa à un de ses amis , médecin de cette ville , et le chargea du soin de lui en procurer une comme il la desirait , c’est-à-dire, N 4 VOYAGES ILJ2 avec son ovaire et ses œufs ; et que ce ne fut qu’au bout de huit ans de perquisitions que cet ami découvrit enfin celle dont lui , Valîisneri , a donné la description et la figure dans son ou- vrage. Cette découverte ne manqua pas de partisans, jusqu’au moment où Mondini vint tout- à-coup la détruire. Cet anatomiste ayant reçu de Com- machio une de ces anguilles qui paraissent pleines, parce qu’elles ont le ventre plus gros qu’à l’or- dinaire , en fit l’ouverture et reconnut, i°. que ce poisson était précisément muni du même corps dont Valîisneri avait donné la description sous le nom & ovaire ,• 20. que ce corps n’était autre chose que la vessie natatoire , dans les tuniques de laquelle se trouvait une masse de chair toute pleine de globules, qui , par leur forme , ressem- blaient à de petits œufs. Mais Mondini ne se contenta pas de montrer où était l’erreur, il voulut dire où était la vérité, et il désigna dans l’animal un autre viscère qui, selon lui, avait tous les caractères de l’ovaire. On connaît ces deux franges striées , qui adhèrent latéralement à l’épine du dos des anguilles , s’é- tendent dans toute la longueur de la cavité de l’abdomen , s’élargissent dans le milieu , se rétré- cissent vers les extrémités : ces deux franges que DANS LES DEUX SICILE S. 10^ Malpighi et Vallisneri avaient prises pour l’épi- ploon, se changèrent en ovaire sous les yeux de Mondini. Celui-ci les ayant examinées à la loupe , les trouva composées d’un nombre in- nombrable de globules égaux , transparens, dis- tincts les uns des autres , et marqués d’une tache au milieu 5 ces franges paraissaient enveloppées d’une membrane très- déliée, mais forte, qui en- chaînait ensemble les globules : il n’en fallut pas davantage à Mondini pour se persuader que les franges étaient l’ovaire, et queles globules étaient les œufs. Plusieurs circonstances le confirmèrent dans son sentiment ; et la nature des franges qui lui parut absolument différente de celle de la graisse , et leur situation semblable à celle des ovaires dans les autres poissons, et le nombre prodigieux des globules correspondant à la pro- digieuse multiplication des anguilles \ il vit encore que ces mêmes globules se gonflaient et deve- naient plus transparens dans l’eau 5 que par la macération , ils se détachaient de la membrane extérieure, et tombaient au fond du vase 5 qu’en- fin ils se durcissaient dans l’eau bouillante et se séparaient mutuellement , comme il arrive à tous les œufs de poisson que l’on soumet aux mêmes expériences. Si ces observations étaient exactes, il n’y avait VOYAGES l$4 plus cîe doutes à élever sur la génération des an- guilles par la voie des œufs ; et Mondini acqué- rait un nouvau titre à la reconnaissance des natu- ralistes. Je me préparai donc à vérifier les faits avec toute la diligence et l’attention dont je suis capable. Et d’abord je pensai qu’il convenait d’examiner, en diverses saisons , l’état intérieur des anguilles. C’est une loi de la nature chez les femelles ovipares que lorsqu’elles approchent du terme de la délivrance , leurs œufs grossis- sent d’une manière très-sensible , d’où il résulte que leur ventre prend à cette époque un volume proportionné au fardeau qu’elles portent. Cela se voit chez les insectes, les amphibies, les pois- sons ovipares , tels que les brochets , les car- pes , &c. et il en devait être de même chez les anguilles, en supposant que leurs franges fussent de véritables ovaires. Je ne passerai point en re- vue toutes celles dont je fis l’ouverture, dans chaque mois de l’année , mais sur-tout au com- mencement de l’hiver qui est le temps du frai ; ces détails rempliraient un volume : je me bornerai à rapporter les principaux résultats de mes ob- servations. P A la vue simple , on ne saurait rien distin- guer dans la structure extérieure ou intérieure des deux franges qui accompagnent l’épine du DANS LES DEUX S I C I L E S. 195 dos, quelles que soient d’ailleurs , et la saison où P on procède à cet examen, et la grosseur des anguilles. Mais avec l’aide d’une forte loupe, on y voit distinctement un assemblage de globules brillans , les uns plus grands , les autres plus petits. Ces globules diffèrent encore par leur nature et leur tissu interne. Commençons par les plus petits : ils sont très - nombreux , et pourtant détachés les uns des autres ; chacun est composé d’une pellicule extérieure qui ren- ferme en elle une goutte de liqueur transpa- rente ; et cela se voit en déchirant les globu^* les : la liqueur s’épanche , et la pellicule reste flétrie. Jusqu’à présent nous étions d’accord , Mondini et moi , quant à la réalité des globules , en supposant toutefois qu’il ait voulu parler de ceux- ci , car il ne fait mention que d’une seule es- pèce quoiqu’il y en ait deux. Mais ces mêmes globules sont - ils véritablement des œufs , et les franges sont-elles par conséquent des ovaires comme le conclut Mondini ? Une de ses plus fortes preuves est dans la différence essentielle qui existe , selon lui , entre la nature de ces franges et la graisse. En considérant au micros- cope les petits appendices graisseux qui tien- nent à l’estomac , ceux qui environnent le tube VOYAGES ig6 VOYAGES intestinal et les reins , iî les vit composés de cellules , égales entr’elles, beaucoup plus petites que les globules en question , et contenant des gouttes huileuses très-brillantes à la lumière. Il ne niait pas cependant que les globules ou les œufs n’admissent un peu de cette graisse. C’était là une observation importante à vé- rifier. Je plaçai à-la-fois sous la même loupe un morceau de frange et un morceau d’appen- dice graisseux , détaché du canal des intestins de la même anguille pour que les circonstan- ces fussent égales de part et d’autre. Mais ou je me trompe fort , ou Mondini s’est bien trompé lui-même 5 le fait est que ces globules brillans, très petits et égaux, qui se montraient en nombre infini dans la frange , apparaissaient également dans la graisse , avaient à-peu-près le même vo-^ lume et renfermaient pareillement une^ goutte de liqueur limpide. On les voyait encore dans les stries graisseuses des reins. Or, si ces ap- pendices , si ces stries sont comme une agré- gation de petites outres pleines d’huile ? pour- quoi les franges composées de globules sembla- bles seraient-elles autre chose ? En me faisant cette question , je tâchai de la résoudre par de nouvelles expériences. i°. Je plongeai dans un vase d’eau les globules graisseux , et les pw ï) A N S LES DEUX SICILE S. 197 quai avec la pointe d’une aiguille très-fine $ à l’instant que ces globules se rompirent > il en sortit des gouttelettes de liqueur , qui traver- sant la couche d’eau s’élevèrent à sa surface et se montrèrent comme autant de petites taches d’huile : ce Fut la même chose quand je piquai les globules des franges. a°. Je pris un mor- ceau de frange 3 je le frottai un peu fortement contre une feuille de papier blanc , bien sec 5 une tache onctueuse se montra sur le papier 5 j’approchai de la flamme d’une chandelle le papier sur lequel était collé le morceau de frange 5 celui-ci se fondit en partie , et la tache s’éten- dit davantage et devint plus onctueuse. Après avoir enlevé le résidu de la frange , je mis le feu au papier ; la flamme en touchant la partie onc- tueuse devint plus animée 5 plus resplendissante > comme si le papier eût été imbibé d’huile. Je répétai cette expérience avec la graisse des intes* tins et des reins , et j’obtins des effets sembla* blés ; j’observai seulement que la tache s’éten- dit davantage sur le papier > et qu’en brûlant elle jeta une flamme plus considérable , c’est que les appendices graisseux de l’anguille avaient rendu une plus grande quantité d’huile que les franges , parce que ces dernières , outre les petits corps globuleux qui ne sont en réalité que de petites outres remplies de graisse , con- VOYAGES 198 tiennent un assez grand nombre d’a'utres globu- les plus grands et d’une nature absolument diffé- rente» Ces globules , dont j’avais déjà remarqué la présence , sont dix fois plus volumineux 5 ils se trouvent disséminés en plus ou moins grand nombre dans tout le corps des franges, et chacun résulte d’une pellicule très-mince renfermant un noyau un peu opaque et grenu. Les grains sont étroitement liés ensemble , et ne se séparent que difficilement , lors même que l’on brise les noyaux. Si après avoir réuni ensemble , par artifice , un certain nombre de ces noyaux , on les approche d’une chandelle allumée, ils décrépitent sans s’enflammer. Mondini , dans sa description des franges , n’a peut-être entendu parler que de ces derniers globules 5 alors ce qu’il indique comme un q tacha ne serait autre chose que le noyau un peu opaque et grenu que j’y ai observé moi-même 5 et je conviendrai avec lui que ces globules sont bien difFérens de ceux de la graisse. Mais faut-il en inférer que ce sont des œufs ? Où est la néces- sité de cette induction ? Les argumens tirés du gonflement et de la transparence que ces glo- bules acquièrent dans l’eau , de la dureté qu’ils prennent en bouillant 5 ces argumens, dis-je , DANS LES DEUX SICILE S. 199 ne prouvent qu’une simple analogie , et sont par conséquent peu concluans. S’il en était au- trement , je ne pourrais m’empêcher de dire ici, qu’ayant moi -même tenu en macération dans l’eau pendant sept heures , l’une et l’autre es- pèce de ces globules , je n’ai remarqué en eux le moindre accroissement de volume. Une preuve plus spécieuse de la destination des grands globules à devenir de véritables œufs, serait , comme je l’ai avancé plus haut , leur ac- croissement naturel et successif, observé à di- verses époques. Mondini qui dit avoir disséqué plus de trente anguilles , ne tient aucun compte des époques de ces dissections , et ne parle en aucune manière de ce dernier accroissement. Il se contente d’observer que les franges de quelques anguilles se trouvaient très -amples 5 ce qui pouvait être l’effet de l’augmentation de la graisse résultante des petits globules. Pour moi, je dois répéter ici que j’ai ouvert et examiné intérieurement une foule d’anguilles en toute saison ; que j’ai continué cet examen pen- dant vingt-huit mois , tantôt au lac d’Orbitello , tantôt à Commachio , tantôt à Pavie , et même en quelques endroits des Apennins où l’on pêche des anguilles 5 que j’ai tenu un compte exact de toutes celles meure des hommes. Son retour au printemps est un peu plus tardif que celui de l’hirondelle commune. Il ne fabrique un nouveau nid que lorsque l’ancien se trouve détruit ; ce qui arrive quand les moineaux en ont pris possession. Récit fabuleux de Linné à cette occasion. Matériaux qui servent à cette hiron- delle pour la construction de son nid ; son adresse à en lier toutes les parties. Moyens employés pour la surprendre et la saisir quand elle s’occupe de ce soin. Son affection pour ses petits n’est point limitée à des circonstances locales, comme quelques personnes le croient. Faits divers qui prouvent que* cet oiseau est très-frileux de sa nature. Comment on peut s’en servir , pendant la couvée , pour recevoir ou donner des nouvelles à de grandes distances. Expérience de ce genre faite avec des hirondelles communes ; ne réussirait pas également avec des oiseaux d’une autre espèce moins habiles au vol. Hirondelle de cheminée, capable de supporter sans périr un froid assez vif. troisième mémoire, page 38. Sur le mar- tinet , hirundo apus. Linn. Le martinet arrive après l’hirondelle domestique et l’InU rondelle de fenêtre. Il retourne aux lieux qu’il a habités les années précédentes , et il pond dans son an- cien nid , quand la nécessité ne l’oblige pas d’en cons- truire un nouveau. Structure de ce nid. Instinct sin- gulier de cet oiseau; se plaît* à établir son domicile au sommet des tours et des édifices; cependant il prér fère quelquefois des lieux moins élevés, Colombiers de la Lombardie , très- fréquentés par cet ciseau. Il D ES CHAPITRES. 209 ne se pose ni sur la terre , ni sur les arbres -, s’ac- couple dans le nid. Observations sur son accouple- ment. Ne songe point à fuir quand on le surprend dans le nid. Est-ce défaut d’instinct. Erreur de Linné, qui prétend que cet oiseau , une fois posé à terre , ne peut plus reprendre son vol. Le martinet ne fait or- dinairement qu’une ponte par an. Après le coucher du soleil, les mâles s’élèvent dans les airs , s’y tiennent pendant toute la nuit , et ne reviennent au nid que le lendemain au lever du soleil. Les petits , en sortant de l’œuf, ne sont point muets, comme le prétend un habile ornithologiste : ils font entendre le cri d’appel. Quand ils n’ont plus besoin d’être réchauffés par leurs mères , celles-ci s’envolent avec les mâles à la chute du jour. Conjectures sur la cause de ces voyages noc-? turnes. Temps requis pour l’émancipation des petits. Cette émancipation arrive plus tard que chez d’autres espèces d’oiseaux , et pourquoi. Durant les grandes chaleurs du jour , les martinets se tiennent cachés dans leurs trous : le matin et le soir ils volent par troupes autour des édifices qui récèlent leur progé- niture. Les petits sont beaucoup plus gras et plus pesans que les pères. Explication de ce phénomène. Après leur sortie du nid , les jeunes et les vieux s’é- loignent et vont habiter les montagnes. Rapidité de leur vol. Finesse de leur vue. Distance à laquelle ils apperçoivent un insecte dans les airs. Il est faux que les martinets hivernent dans les trous des édi- fices. Erreur de Linné à cet égard. Le manque d’ali- mens, plutôt que le froid , peut les forcer à s’éloigner de nos climats. Expériences sur divers martinets ex- posés au froid artificiel. Résultats. 210 TABLE ET SOMMAIRES quatrieme mémoire, page 78. Sur V hiron- delle de rivage ? hirundo riparia. Linn . Description de cette hirondelle. Epoque de son arri- vée. Elle creuse dans le sable des rivages le trou où elle pond ses œufs. Elle choisit les pentes les plus rapides pour mettre son nid hors de l'atteinte des hommes. Description de ce nid. Epoque et durée de Pincubation. Couveuse prise sur son nid et transpor- tée au loin , y revient avec promptitude. Expérience à ce sujet. Epoque de la disparition de ces oiseaux. Quelques auteurs prétendent qu'ils passent l’hiver dans leurs nids. Recherches à ce sujet. Expériences. Nou- velles observations sur les causes qui sollicitent les oiseaux de passage à émigrer à des époques déter- minées. cinquième mémoire , page io4. Sur le grand martinet à ventre blanc , hirumlo melba. Linn . Histoire de cet oiseau peu connue ; habite les som- mets des r: chers escarpés. Ses habitudes. Rapidité de son vol. Epoque de son arrivée dans nos climats. Structure de son nid. Ses pontes. Durée de l’incu- bation, Ses petits. Cet oiseau comparé avec l’hiron- delle domestique ; est soumis à des expériences ; hiverne quelquefois dans les îles de Lipari. Peu de vraisemblance qu’il soit sujet à tomber en léthargie. Le plus grand nombre de ces oiseaux passent en DES CHAPITRES. 211 Afrique à l’approche de l’hiVer. Observations sur ce passage. sixième mémoire, page ii2. Sur le scops > ou petit duc , strix scops. Linn . Description de cet oiseau Les naturalistes Pont mal caractérisé. Il est de passage. Epoque de son arrivée ; époque de son départ. Quels sont ses alimens ordi- naires ; quel est son chant. Comment il devient la proie des chasseurs. Observations sur ses pontes. Pour- quoi il ne reste pas dans le pays comme plusieurs oiseaux de son genre. Conjectures sur les pays où il va hiverner. Il s’arrête quelquefois dans les îles de Lipari. Histoire des oiseaux de passage pleine de doutes et d’incertitudes. L’auteur nourrit, élève et apprivoise plusieurs nichées de petits ducs pour en mieux étudier le caractère. Observations à ce sujet. Exemple de trois faucons privés. Différences remar- quables entre le naturel des petits ducs et celui des chevêches. C’est le courage , la hardiesse , plutôt que la force du corps , qui décide souvent de la supério- rité chez les animaux. Observations sur les facultés visuelles du petit duc. Différence de conformation entre les yeux des oiseaux nocturnes, et ceux des autres animaux qui voyent au milieu des plus épaisses ténèbres. Expériences à ce sujet. Preuves que la di- sette , plutôt que le froid, est la véritable cause de la migration des petits ducs. Autres habitudes décou- vertes dans leur état âe domesticité. Ils refusent de s’accoupler. Nulle différence de grandeur entre ks 212 TABLE ET SOMMAIRES mâles et les femelles ; viennent appariés au printemps; s’en retournent solitaires au commencement de l’au- tomne, ESSAI SUR LJ HISTOIRE NATURELLE DES ANGUILLES DE LA LAGUNE DE COMMACHIO . chapitre premier, page 1 4 1 . Description de la lagune de Commachio et des anguilles qui r habitent. Description de la lagune. Mœurs des pêcheurs ; ils sont ichthyophages dans Ie*sens le plus rigoureux ; bonne santé dont ils jouissent. Temps où les anguilles nouvellement nées entrent dans les bassins ; ne veulent s’en éloigner que lorsqu’elles ont atteint Page adulte. Quels sont leurs aïimens. Linné prétend qu’elles ne sortent que de nuit; recherches à ce sujet. Epoque de leurs migrations dans la mer. La lumière de la lune leur est contraire. Observations à ce su j et. Pêches ; circonstances qui les rendent très-abondantes ; moyens employés par les pêcheurs. % DES CHAPITRES. 210 Chapitre il, page i5s. Circonstances dans la température de V air et de l'eau funestes aux anguilles : Quelques auteurs prétendent qu’elles sont amphibies . Examen de celte question . Oiseaux qui font leur proie des anguilles . Anguilles et autres poissons qui ont péri par des froids subits; observations à ce sujet. La chaleur encore plus fatale pour elles que le froid. Corruption des eaux est une autre cause de mortalité. Exemple mémorable à ce sujet. Anguilles qui pour éviter la mort se sont enfoncées dans la terre. Il n’est pas prouvé que ce poisson soit amphibie ; observations à ce sujet Oiseaux qui pourchassent les anguilles; leur voracité. chapitre in, page 162. Examen de cette question y s’il y a diversité d’espèce dans les anguilles . On n’a jamais pu découvrir en elles ni œufs ni fœtus . Les pêcheurs de Commachio , ceux du lac d’Orbitello, de la lagune de Y enise , du lac de Bientina , prétendent qu’il existe différentes espèces d’anguilles ; remarques à ce sujet. Calcul qui démontre que l’on a ouvert à Commachio , dans l’espace de quarante ans , cent cin* quante-deux millions d’anguilles , sans en trouver une seule qui fût pleine. Observations faites en divers pays. Nulle part 011 n’a trouvé des anguilles pleines. 21 4 TABLE ËT SOMMAIRES CHAPITRE IV, page 173. Si les anguilles multiplient dans les eaux douces > ou bien dans la mer . ârgümens employés par ceux qui soutiennent que les anguilles multiplient dans les eaux douces , ne sont pas suffisans. Il paraît plus vraisemblable que ce poisson fraye dans les eaux de la mer. chapitre v, page 181. Si les anguilles sont vivipares . Or in ion des Eabitans de Commacîiio , que le canal des alimens est destiné par la nature à loger les fœtus. Envoi à l’auteur de plusieurs de ces prétendus fœtus 5 ne sont que des vers. Différences entres ces vers et les anguilles nouvellement nées. Le canal des alimens ne saurait être propre au développement des germes. Opinions de Falberge et de Linné à ce sujet ; ne dif- fèrent pas de celle des habitans de Commachio. Opi- nion de Levenoecch , n’est pas mieux fondée. Conclu- sion ; il n’est point encore prouvé que les anguilles soient vivipares. chapitre vi, page 191. Si tes anguilles sont ovipares . Vallisneri a cru découvrir l’ovaire des anguilles ; erreur où il est tombé. Observations de Mondini. Cet anatomiste croit voir dans les franges des anguilles / ;v t '.y DES CHAPITRES. 2ï5 les véritables ovaires de ces poissons. Ces franges exa- minées par l’auteur ; sont composées de globules de deux sortes. Les uns ne contiennent que de l’huile, les autres sont de nature différente. Doute que ces derniers soient de véritables œufs. Jusqu’à présent on n’a point découvert de laite dans les anguilles. Aristote cité sur la génération de ces poissons ; elle n’était pas mieux connue de son temps que du nôtre. L’auteur invite les naturalistes à s’occuper de ce point de physiologie , et leur indique les expériences à faire pour obtenir quelque succès. FIN DE LA TABLE DU TOME SIXIÈME* t-ir3~X y £; 6 THE GETÎY GèMÏÉfl LIBBARV ✓>3